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Le parti pris des gants

29 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

Octobre. Je mets mes gants. Pour six ou sept mois. Quel que soit le temps. C’est le temps des gants. En cuir bien sûr. Noir sans la moindre hésitation. Bien que je trouve du dernier raffinement de les assortir à sa toilette. Son manteau, sa voilette. L’élégante est gantée.

Point de mitaines, qui vous coupent les mains en deux et n’en réchauffent que la partie la moins habile, la moins utile, celle dont vous ne vous servez pas pour ramasser la monnaie,  tenir les clefs,  mitaines qui vous obligent à souffler sur le bout de vos doigts gelés, pour que le diable ne viennent les croquer. Point de moufles non plus. Perdre le nord nous font. A main droite, j’en suis toute gauche, à main gauche ne suis plus adroite et je ressemble à un manchot. Autant s’emmancher d’un manchon, sérieux !

Une main gantée paraît avoir pris la souplesse du cuir dont elle est revêtue. Elle devient fine, sans forcément l’être. On l’imagine. On l’envisage, on ne peut la dévisager. La main cachée se donne à deviner  par le gant qui la séquestre et la garde doucement recluse, l’embellit toujours, la signale à qui passe près d’elle. Un gant suffit. L’autre peut être tenu, retenu, nouveau reclus dans le premier. Nonchalance d’un demi-geste tout en souplesse, mise en abyme pelletière, le charmant abandon de cuir fin. Une grâce qui vient de loin, du portrait de l’inconnu renaissant sous le pinceau du Titien, il y a bien cinq cents ans.

Comme j’aurais aimé que Bronzino, à la même époque, ajustât des gants -ou un- aux mains graciles de son Jeune homme au luth. J’imagine, s’il l’eût fait, qu’il aurait, comme Léonard pour les corps tout entiers, dessiné les doigts, les ongles, les tendons, le tracé invisible des veines, qu’il aurait ensuite seulement, engantés.

C’est pourquoi porter des gants en Italie prend une signification particulière. A Rome. Chez Sermoneta regretter les boiseries à même les murs, tous les murs, fendus d’incisions si minces, que 3 ou 4 peut-être 5 paires de gants seules pouvaient s’y ranger ; de haut en bas, du rez-de-chaussée à l’étage, ce qui doit bien faire des dizaines de milliers de doigts, de paumes, de mains, d’empans. Toutes les nuances de toutes les teintes, de toutes les couleurs. Le magasin est aujourd’hui rénové, ce qui signifie à coup sûr qu’il s’est amoché. Mais les gants sont toujours là. Les gantières aussi.  Alors filer à Campo dei Fiori. Comme la coutume le veut, commander un verre de vin. Un petit sicilien blanc. Ne se lasser point de l’agitation. Ici elle vous va bien. Oter ses gants, devant Giordano Bruno qui croise ses mains nues l’une sur l’autre.

C’est un peu comme si l’on disconvenait du monde.

Une femme passe alors au bout de ma mémoire. Ses gants sont la seule chose dont je me souviens bien. Elle les porte avec autorité. Intransigeance et froideur. Peut-être l’Italie de ses ancêtres, mais l’antiphrase de l’Italie que j’aime. D’une paire en particulier je me souviens -elle en avait plusieurs. Mais celle-là, elle les appelait ses gants ‘marron glacé’.

(photo perso)

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P
c'est sûr, Denis... Et je viens tout juste de réaliser (oui, oui, à l'instant en te lisant) que d'avoir qualifié la couleur de ses/ces gants "marron glacé" c'était vraiment dire qu'elle avait la froideur jusqu'au bout des ongles.... Nous savons bien que nos mots disent tout de nous...
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D
Ils seraient "marron chaud", ces gants, ils seraient moins élégants. Merci pour ce beau texte, Pascale.
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P
Recopié en sa place, ce signe tangible de lecture qui fait chaud au cœur. Merci à toi
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C
Merci pour ces belles pages, écriture souple comme du cuir.
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P
Merci de votre passage et de vos mots Lorgnon mélancolique.
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L
Belle célébration d’un accessoire qui est plus qu’un accessoire, un signe extérieur d’élégance, de distinction (l’expression homme/femme distingué(e) n’a, hélas, plus cours). J’en porte (pratiquement toute l’année) dans un souci de prophylaxie dans le métro... Le geste d’enlever son gant chez un homme pour serrer la main est une délicatesse qui n’appartient plus qu’à quelques survivants d’un monde qui tenait par quelques gestes de politesse et d’urbanité. Belle évocation aussi de l’italianité du gant.
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