inactualités et acribies

le mirage vrai de sa songerie

10 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

Il était poète. Fou, amoureux fou d’une folle sauvageonne qui traversait ses rêves et séduisait ses rimes. Les soirs de lune gibbeuse, elle hantait son sommeil, abolie de toute fatigue, ne venant que d’elle-même. Il croyait marcher dans son rêve, il ne faisait qu’errer dans sa folie.  Il souffrait, fou qu’il était de se contempler sans fin dans cet amour. Elle souffrait aussi, parfois avec volupté. Et posait à ses pieds toute candeur, toute innocence, toute résolution. Elle n’appartenait à personne pour toujours. Ni passé. Ni futur. Ni ailleurs.

Quand il avait un peu trop peur du bonheur, il allait s’asseoir sous un arbre, se laissait envahir par la douce sensation que procure immanquablement la solitude voulue, ou l’isolement volontaire, ou seulement l’éloignement, mesuré et limité à son incapacité à demeurer sans pensée, sans rêverie. Sous l’arbre, il acceptait de se laisser blesser par d’anciens souvenirs. Pour l’oublier. Mais tenter de l’oublier, c’était encore penser à elle. Elle était là. Quand il levait les yeux pour capter la lumière entre les feuilles, il sentait la tiédeur verte de son regard. Quand il froissait les herbes à portée de ses doigts, il chiffonnait la malice de ses cheveux courts. Il s’obligeait alors à ne plus faire le moindre mouvement. Emeraude, émeraude était son besoin de repos. La terre s’ouvrait devant lui. Il voulut se jeter dans le gouffre. Il pleuvait. Pluie de larmes. Son image qui aurait dû l’apaiser achevait de l’anéantir. Elle affolait sa raison. Elle tourmentait ses nuits. Troublait le silence. Ruinait l’espace. Attentait à sa solitude. Vagabonde. Sauvage. Toujours présente. Jamais en trop. Disparue, revenue, murmurée, chuchotée. Qui dit des mots si tendres que le monde en chavire et bascule. Et lui, emporté et roulé par la vague. Elle, aussi douce qu’un doux galet des plages, voletait dans sa tête, effleurant ses cheveux. Doigts d’écume et mains de sable. Elle était sirène alors. Elle. Sa tourmente.

Elle  marchait, lente et légère. Gouttes de pluie dans son regard tourné vers les nuages. Pour un peu sa mélancolie la porterait presque au bonheur, elle était parvenue à ne plus rêver. Dans le silence de son ombre modérée, ses secrets défilaient. Elle avançait à pas comptés. Sentait sa vie doucement disparaître. Devenir incolore, invisible. Elle qui voulait rendre transparente toute chose, devenait transparente elle-même. Captée et retenue sans violence par le vide, elle se voyait partir. Etouffée lentement, lentement. Une dernière fois son regard enferma le jardin secret à l’abri de ses paupières closes. Le reverrait-elle jamais ? Comment effacer l’absence infiltrée sous sa peau ? elle emplissait sa pauvre tête, la faisant claquer de souffrance. A la pointe de sa douleur, elle s’enfonçait dans une mort certaine. Affolée, perdue, elle accrochait déséquilibre et folie à ses journées, avec une détermination inquiétante et farouche. Elle se vidait de son existence, se chargeait de sa mort totale. Fracassée, elle n’était plus que larmes, et se roulait dans leurs vagues, qui déferlaient dans sa tête. Elle était si triste qu’elle aurait voulu devenir cruelle mais toute force l’abandonnait. Elle ne pouvait plus ni avancer, ni se retourner. Seulement attendre. L’atteindre. Infinité de sa tristesse absolue. Sa mort dans le silence d’un poète.

La douceur eut raison de toutes les révoltes, la douce pluie d’automne glissait de ses mains. Ses doigts pleuraient en recueillant l’eau triste et tiède qui perlait à son cou. Il était venu la chercher là où elle l’attendait depuis le premier jour, là où lui-même l’avait si délicatement blottie. Il était revenu la chercher en lui-même. Elle qui ne pouvait prendre existence qu’au creux de ses mots. Etincelée dans son regard, elle avançait dans sa lumière. Elle ne vivrait d’aucune autre vie que celle qu’il écrirait pour elle. Ni esclave, ni fantôme. Elle ne se soumit pas à sa volonté magicienne qui l’aurait fait apparaître ou disparaître au gré de son désir. Il y aurait eu alors le temps avec elle et le temps sans elle, l’espace avec ou sans elle, les jours de sa présence, les jours de ses absences. Non. Elle avait grandi dans ses rêves, avait pris corps dans ses mots, respiration dans son sang, transparence dans ses larmes. Elle n’existait qu’en lui et pour lui. Mais elle existait.

Et le poète écrivait. Elle dépouillait le monde de toute laideur, lui dérobait toute utilité, lui arrachait toute offense et tout chagrin. Son image, frangée d’aurore guidait sa main et traçait la route sinueuse qu’il franchirait pour elle. Elle était l’arbre près duquel il attendait que le calme renaisse. Elle était le vent dans lequel il marchait, à l’heure bleue du souvenir. Elle était l’encre verte de laquelle naissaient ses mots. Elle était revêtue d’évidence mais dévêtue du monde. Elle était le sens de sa solitude, dont elle dévastait l’inhumanité mais l’emplissait d’éternité. Elle était sa certitude d’être qu’il avait sacrifiée tant de fois à la faiblesse de vivre.

 

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P
touchée
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D
Visiblement ce poète a trouvé sa Gradiva.
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P
mais ce n'est que le rêve d'un poète dont les mots seuls sont vrais...<br /> Merci pour la ... trace de ton passage!
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F
J'écris donc je suis/je fuis... Je crie, j'essuie... mais restent les traces.
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