inactualités et acribies

Ce qu’on appelle avoir une vie intérieure.

25 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

Puisque que personne ne saurait demeurer longtemps dans sa chambre sans s’y ennuyer, il faut  meubler. Occuper l’espace vide. Remplir ce qui résonne faute de raisonner. Et qu’elle soit camera obscura aggrave la question puisqu’aucune lumière ne vient y réfléchir ni éclairer les choses. Résumons, dans une pièce vide livrée au noir complet, que faire ?

Abstraction. Faire abstraction diront des âmes charitables ou des esprits badins. Mais c’est déjà fait ! Je suis à moi toute seule le centre du tableau et le tableau lui-même, un Carré noir qui aurait recouvert son fond blanc. Et l’alpha rimbaldien, le A noir qui lui sert de chevalet. Qu’on ne vienne pas me dire, morose, que le noir n’est pas une couleur. Ou que dans le noir, on n’y voit rien.* Ou dans un mauvais élan, qu’il pousse à la mélancolie comme un soleil noir. C’est faire pléonasme, seuls les poètes le peuvent. Qui la font rimer parfois avec la discrète ancolie,  bleue si elle est commune, vulgaris ; noirâtre si elle est atatra.

 Revenons à la muette et double supplication du plein et de la couleur, comme s’il fallait barioler la robe des choses pour nous dévêtir d’insignifiance. Et agir en maître des pigments et des teintures. Revenons à l’injonction de meubler notre esprit pour en chasser les idées. Noires ? Si l’on s’en tient aux mots, et à quoi d’autre donc ? tout bien meuble, tout mobilier se distingue par sa capacité à pouvoir être déplacé, aller d’un endroit à un autre,  vider un espace pour occuper mieux un lieu. Et repeindre, un mur, une façade, une pièce, c’est aussi la rafraîchir. Comme une page de l’ordinateur qui n’aime pas que l’on s’y attarde sans la relancer. Rafraîchissons-nous, et le monde. On ne tient pas aux mots, ce sont les mots qui nous tiennent.

On savait Nietzsche et Pascal irréconciliés. Etre cul-de-plomb, voilà, par excellence, le péché contre l’esprit !  dit le premier dans le Crépuscule des Idoles, ce qui ne veut pas dire au pied de la lettre que seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose. A défaut de nous dégourdir les jambes, décrassons notre cerveau, nos pensées n’en seront que plus vives, non qu’elles passeraient d’une idée l’autre, comme la maclotte qui sautille**, mais à l’opposé de l’agitation au contraire, elles s’affûteraient à la pointe de l’exercice d’immobilité. De la possibilité de la réflexion en péripatétisant, ou du besoin de la pièce vide, nul dogme. Aristote parcourait les rues athéniennes, Socrate l’avait fait avant lui. Et tout le monde feint de croire la légende selon laquelle Kant aurait modifié sa promenade quotidienne par deux fois seulement : se procurer le Contrat Social rousseauiste, aller chercher le Journal annonçant la Révolution en France. Descartes qui a traversé l’Europe, y compris en morceaux après sa mort***, loue la tranquillité d’une retraite studieuse dans son poêle où il rédigea parmi les pages les plus profondes de sa métaphysique. Et non, promis, juré, je ne parlerai pas d’Empédocle. Car c’est ici****

La philosophie de l’ameublement est encore à faire, j’en présente mes excuses à Edgar Poe. Et celle du noir, seule couleur susceptible de coïncider avec le vide qui n’est jamais le rien en philosophie, mais la possibilité de quelque chose qui n’est pas. Où je maintiens mon intuition récurrente : de la physique à la philosophie il n’y a qu’un pas.

(Je dois mon titre à Ponge, en me promenant, encore une fois, dans sa Rage de l’expression.)

*titre d’un livre indispensable de l’irremplaçable Daniel Arasse **Apollinaire ; ***ibidem, 8,10 et 14 Mai 2017 ; **** ibidem, inactualités et acribies de la Marche, 6 Juillet 2017

 

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P
Merci Denis. <br /> Soulages, assurément le plus intense pour moi. Le noir qui n'absorbe pas la lumière mais la renvoie.
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D
On sait, à Conques ou à Rodez, que le noir soulage. Et ici, après avoir lu ce beau texte.
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