inactualités et acribies

une enfance

2 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

Il n’y avait jamais rien à lui dire, à lui redire. Satisfaisante et satisfaite. Le monde aux dimensions d’un grand cartable, lourd de petits cahiers pleins d’encre, qu’il faut porter d’une main puis de l’autre. Qui se traîne. Livres d’Histoire de France, de Leçon de choses. Et le cahier de dessin. Magnifique. Des frises géométriques à quatre couleurs. Et puis les rédactions où bat très fort le cœur des petits oiseaux en cage, et les nuages. Qui courent dans le ciel. Forcément. Quand on a dix ans. Ou moins peut-être.

 

Pour elle, les récréations sont toujours interminables. Trop de gravier dans la cour. Crissant, grinçant sous les semelles. Trop d’enfants. Trop de bruits. Trop d’agitation. Des cris, des cris encore, une sirène de cris qui assomme ses oreilles, de tous côtés. Hurlements écroulés rugissant sur les petits cailloux. La cloche résonne. La classe reprend. Soulagement. Elle n’a pas de place, de bureau, de table d’écolière pourtant dans sa mémoire. Pas de salle pour le tableau. Pas de phrases. Pas même la couleur d’un tablier de rentrée… Des enfants chantent peut-être. Mais elle ? Tout fait  événement. Tout fait contretemps. Quasi tourment.

 

Mais les vacances. Une si longue et épaisse suspension dans un vide abondant. Des semaines, et encore des semaines. Qui lui font aujourd’hui la cueillette des mirabelles comme un mirage, un songement, un mirement impérissable. Et le ramassage des fraises. Un bout de soleil entre le brun si sale des murs.  Dans la grande ville des si grandes vacances, tous les gâteaux ont un goût amer, et les boutiques un air étrange. On y va pour acheter le journal. De temps en temps, qui porte alors bien mal son nom, le journal. Elle s’affole que tous les pigeons ne se fassent jamais bousculer par les gros autobus, quand ils redémarrent tous ensemble de l’arrêt à la cathédrale. Affreusement noire et sculptée. D’où s’envolent des bataillons d’ailes bruyantes et enténébrées de sa mélancolie. Tout ce temps d’avant. Tant de temps. Passavant.

 

 Les mots flottent dans la carrière, au fil de la ressouvenance, où ne reste plus rien de l’enfance qu’une enfance oubliée. Sans trace. Sans drame. Sans audace. Calfeutrée, emmitouflée, elle chemine à nouveau et à pas studieux vers l’école. Qu’elle touche du bout de ses petits doigts inutiles, étend les bras, et ne s’arrête pas avant d’avoir effleuré la pierre des bâtiments qui chaque jour tous les jours, la protègent un peu quand même. Vite, vite. La cloche déjà résonne à nouveau. Tinte sans tintinnabuler. Quatre fois le jour ce même chemin, même route, même rue toute droite, sans un détour, son itinéraire de petite écolière.

 

Savoir avancer, un pied devant l’autre, dans la neige des hivers toujours longs de l’enfance, c’est une affaire de grande personne. Travestir l’insouciance et l’inattention en une importante légèreté. Fausser, bosseler, manquer peut-être le sens des choses par la seule séduction de mots venus bien après. Polissage du mot à mot du temps dans les plis de la parole d’ensuite.

 

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P
merci, Denis, d'y être venu. Et comme le verbe 'buissonne' plaît à mon oreille.
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D
Le chemin de l'école buissonne joliment. Merci Pascale.
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