inactualités et acribies

Dialogue

30 Mars 2018 , Rédigé par pascale

Petite précaution à l'adresse des néoacribiens, il y en a. Empédocle m'accompagne depuis longtemps. Et  pour toujours. Aussi, sa présence ici, je viens de le vérifier, a été  constante  (en 2017) : 1er et 15 Janv ; 11 et 25 Fév ; 24 Mars ; 9 Avril ; 3 Mai ; 3, 6 et 20 Juillet ; 4 août ; 21 Sept et 6 Oct. Ce qui suit appartient à  cette fidélité philosophique.

 

Pausanias. Ce monde altérable et changeant offre un spectacle différent en chaque objet observé. Comment concevoir que tout vienne de quatre souches élémentaires, comme tu le dis ?

Empédocle. Songes-tu, Pausanias, à une antériorité naturelle, physique? ou sommes-nous à la recherche d’une cause, à laquelle, tu le vois bien, il faudra une cause. Puis une cause de cette cause...

- Je voudrais savoir si la cause de tout ce qui existe réside dans le Feu, la Terre, l'Eau et l'Air, les Éléments dont les Anciens ont parlé tour à tour, mais dont toi seul affirmes qu'ils sont quatre à faire ce monde. Quatre Racines tout ensemble.

-  Rhizomes, disait le vieux Pythagore...

- Quatre rhizomes! Mais mélangés par l’Harmonie ou séparés par la Discorde, n’est-ce pas?

En quelque sorte, en quelque sorte ...

Donc rien dans l’univers n’échappe à ces quatre principes?

Absolument rien. Exactement comme un peintre disposant de quatre couleurs pour faire tous les tableaux possibles. Et seulement quatre : noir, bleu, rouge et ocre.

Il y a à Akragas de tels artistes. Ils font merveille, et leurs œuvres sont réputées bien au-delà de notre cité. Je commence à comprendre.

- Toutes les combinaisons sont possibles, toutes les nuances... Le résultat est toujours différent. Le point de départ, toujours le même.

Le monde est donc bien fait de quatre racines, quatre rhizomes, quatre principes, quatre éléments….

- Naïf que tu es, Pausanias! Dans ta précipitation à conclure, tu oublies les plus grandes difficultés. Cherchons-nous des réalités physiques, naturelles? ou des forces, des puissances... Voyons, Pausanias, que seraient les premières sans les secondes pour les animer?

- Si le monde n’est que mélange fortuit de quatre rhizomes, d’où vient alors qu’il soit vivant?

- Ces questions seront toujours posées. Je crois même qu’il se trouvera des hommes pour y répondre catégoriquement. D’autres pour n’y jamais répondre.

- Que veux-tu dire?

- Qu’au sujet de la naissance du monde, les uns s’accorderont sur la rencontre de particules flottant dans l’univers, d’autres inventeront un dieu plus puissant ou un esprit... Moi, je ne parviens pas à m’en remettre à une seule voie. Tu connais mon caractère soupçonneux. L’évidence est le résultat heureux de la réflexion, non de l’adhésion.

- Fais-moi part de ta réflexion alors...

- Le Feu, la Terre, l’Air et l’Eau sont dans toutes les choses et font toutes choses, nous sommes d’accord : le soleil, la mer... regarde! les volcans, les montagnes, les vents. Même les plus petites, ou les moins visibles. Et l’homme, tu le sais, je te l’ai appris. Le mouvement permanent des êtres vers leur nature propre est condition de leur existence. Nous cherchons une condition, Pausanias, plutôt qu’une cause. Je dirai même, l’existence importe peu, elle se rattache toujours aux quatre rhizomes en son commencement. Mais que cette origine soit possible, qu’il y ait de l’Être, cette question vaut plus que de savoir comment il se disperse dans l’existence ; et dire que des myriades de myriades de gouttes d’eau font l’immensité de la mer, ou que les astres sont de feu, que l’air dans nos vaisseaux y fait pulser le sang, n’apaise pas mon esprit intranquille.

Ecoute Pausanias...

En deux mots, le vieux maître venait de nouer et de rompre avec son disciple. Il n’allait jamais mieux au bout de sa pensée qu’en y allant seul. Mais la présence du bien-aimé n’était pas un obstacle. Après avoir ajusté sa tunique sur ses épaules, rassemblé sous lui ses vieilles jambes, signifié d’un regard à Pausanias qu’il avait besoin et de son silence et de son attention, Empédocle poursuivit :

Qui guide la main du peintre?

Dévoué et loyal, le disciple se taisait.

D’abord, il y a quatre couleurs. Il y aura pourtant plusieurs tableaux... Regarde le ciel. A-t-il la même teinte qu’hier? Qu’en sera-t-il demain? Voilà la réponse, Pausanias. Elle est là, dans la lumière dorée du soleil qui porte toute beauté de l’aurore au crépuscule. Déployé dans l’harmonie cosmique, mon esprit tout entier en lui-même connaît alors la terrible intimité avec les éléments. Enracinée dans la terre de Sicile, et tendue au ciel comme vers sa limite, ma vision est au-delà de l’humain... Il faut quatre radicaux pour ce monde. Tous les corps, toutes les formes, sont constitués par leurs mélanges. C’est par eux que nous pensons, jouissons, souffrons.

 

Empédocle s’était levé. Il marchait. S’arrêtait. Repartait d’un pas lent, au détour de sa nostalgie, sans autre but que la contemplation de son paysage intérieur. L’accord du cœur et de la parole s’appelle Silence -un dieu d’origine égyptienne, dit-on.

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D
Silence que l'on touche des yeux, ici comme à Akragas.
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P
Très loin de l'agitation et la rumeur, le bruit et la fureur du monde... Merci Denis