inactualités et acribies

livraison de livres

19 Mai 2018 , Rédigé par pascale

Elle a 87 ans, une peau lisse et dorée. D’une finesse extrême, à la limite de la transparence. Sa mise, dont elle change la couleur à son humeur ou selon la saison, rouge vénitien, corinthe ou violet, mais aussi vert émeraude, havane, ne supporte aucune fantaisie. Le laisser-aller fait contre sens. Quels que soient l’heure, le moment, revêtue de son manteau de cuir, on la remarque dans son effort réussi de discrétion ; sagesse ; pudeur ; sobriété. Qu’elle ne pratique pourtant pas. Ou pas toujours. La vieille dame est malicieuse qui cache bien son jeu par des atours parfaits. Exactement parfaits.

De Sade ou de Baudelaire, pour exemples, elle connaît le moindre mot. Le premier depuis quatre ans à peine : à 83 ans, elle se paye le Marquis et s’entretient avec Charles depuis 45 ans, presqu’un demi-siècle qu’elle se délecte du censuré, qu’elle aime ses Femmes damnées et qu’elle reprend mezza voce, se saisissant des réprouvés,  Hypocrite lecteur…. Est entrée dans la correspondance et les lettres des plus grands, des plus doués, des plus intrigants. A admis à son chevet alors qu’elle n’était qu’au berceau, les bavards, les prolixes, les rares, les impénétrables. Dont elle s’enorgueillit d’être dans la proximité. Au hasard, Montaigne, Pascal, Gide, évidemment Gide, l’ami de toujours, l’ami des débuts. Et Malraux. Les philosophes. Les Anciens, les Modernes. Les voyageurs. Les conteurs. Une bibliothèque à soi seule. Qui la fréquente s’incline. Ploie et plie sous le poids.

De son nom qui veut dire naviguer dans la même langue qui appelle  planètes les astres errants, elle tend des constellations entre les soleils, accrochant des étoiles comme autant de points fixes au firmament, elle paraît les soirs de ciels clairs. Effilochée entre mille. Trois mille. Trois mille étoiles dit-on dans son amas ; mais à coup sûr sept visibles à l’œil nu. Sept comme les nains, les jours de la semaine, les péchés capitaux, les merveilles du monde, les notes de la gamme chromatique, les filles d'Atlas et Pléioné, les Pléiades. Πλειάδες. Sept comme les brigadiers de  1553, devenus neuf pléiadisés en 1556, sept comme les sept noms qui composent le canon alexandrin destiné à défendre la langue grecque au IIIème siècle avant J.C ! sept comme les dix doigts de la main, et les couleurs de l’arc-en-ciel, jetées sans compter par Iris dans l’infini.

Pléiade. Un mot singulier qui s’écrit au pluriel quand il est mythologique ou astronomique. Devenu antonomase dans toutes les bonnes librairies, métonymie visant l’hyponymie et même la synecdoque, avec changement de genre –moins douloureux qu’un changement de sexe, mais étonnant quand on y songe, puisque dorénavant l’on dit … un Pléiade,* et mieux, mes Pléiades signe indubitable d’une possession, peut-être d’un pouvoir, à coup sûr d’un capital dont on a la jouissance, pas seulement l’usufruit. J’en connais qui envisagent en faire un alinéa testamentaire particulier.

Quelque chose qui relève du religieux, je le confesse ; dans l’acquisition d’un livre-de-la-Collection-La-Pléiade, je n’ose penser qu’on le doit aux effets mystiques de son papier bible, sa marque sacrée de fabrication, avec quelques autres quand même, la feuille d’or à 23 carats pour frapper le titre, l’auteur et le décor par exemple ; la vérification de chaque couverture, une à une et la pose manuelle de la jaquette en rhodoïd et le montage des étuis, la mise en boite ; impression en garamond, exclusivement, autre antonomase pour signe de gloire, Claude Garamont** 1480-1561, graveur de ses caractères et inventeur de ses glyphes. Grâce lui soit rendue.

Aussi, il y a deux manières au moins de posséder des Pléiades, [une troisième, comme contre-exemple me donna l’occasion de ces lignes et mérite un alinéa à soi-seule.] l’usage révérencieux et l’usage à l’usure. Le premier est le plus pratiqué. Il n’a rien à voir, paradoxalement, avec l’écart toujours important dans toute bibliothèque privée, entre le nombre de Pléiades, et celui des autres livres, toujours en défaveur des premiers. Il se distingue par un rapport si respectueux à l’objet, qu’on l’ouvre avec précaution, en tourne les pages avec distinction, le range avec affectation, le regarde avec affection. L’autre, qui fait presque exception, et toujours scandale aux yeux du premier, s’apparente à la dévoration, l’érosion, l’épuisement, la pratique compulsionnelle d’un livre qui en contient tant d’autres et réalise au plus haut point un principe d’économie élémentaire, plus de choses en moins d’espace. Aussi, ces consommateurs excessifs –dont je suis on l’aura compris***– n’hésitent pas à disposer de leurs Pléiades comme de n’importe lequel de leurs livres : soulignages, surlignages, notes en marge, le tout en couleurs, qui finissent pas se recouvrir au fil des relectures. Le papier bible devenu palimpseste. Et les marque-pages surnuméraires, qui se chevauchent et se recouvrent. Ça donne ça :

 

 

 

 

Enfin, j’ai découvert plus récemment, que posséder des Pléiades n’a rien à voir avec les deux catégories précédentes que je croyais délimitées par leur usage, serait-il très différent l’un de l’autre. Que nenni ! il y a des « collectionneurs » de Pléiades. Des acheteurs qui acquièrent et accumulent, qui thésaurisent, qui rangent, sans raison, pour rien. Avoir pour avoir. Sinon pourquoi en feraient-ils un jour un grand tas, après en avoir fait si peu de cas, et décideraient-ils de le céder, pour le plus grand bonheur du liquidateur et des futurs acquéreurs. Car, le seul point commun avec notre 1ère catégorie ci-dessus désignée, est l’impeccabilité des volumes, mais pour l'unique raison ici qu’ils ne furent jamais ouverts. Aussi, il ne faut pas être injuste, et même il faut les remercier. Sans eux, combien de boulimiques de la chose cérébrale et de la célèbre collection tout ensemble, se trouveraient moins bien lotis. L’occasion, la doublement bien nommée dans cette affaire, fait le pactole des inassouvis dans une nouvelle antonomase…

Voilà pourquoi je remercie ici qui m’envoya ces/ses photos :

 

 

où  les Pléiades qui font tapis, furent sauvés de l’indifférence, le désintérêt intellectuel qu’ils suscitaient s’accommodant fort bien de l’intérêt pécuniaire qu’ils pouvaient représenter, la désaffection intellectuelle contre quelques billets**** … j’en entends même qui disent : ben, si tout le monde est content ! ben oui !

[merci à Luc B. Les photos sont prises "du ciel", les livres sont posés à terre]

*je garderai donc ce masculin grammatical jusqu’au bout ; **mais il apparaît que la paternité du garamond rapportée à Garamont soit légèrement différente, si l’on peut dire. Le lignage pas précisément en ligne droite, mais les lignes, si ; ***à la condition exclusive qu’il n’y ait pas d’éditions mieux armées –ce qui est toujours le cas en philosophie par exemple- et ne jamais se priver de doublons, triplets ou plus, pour croiser les appareils critiques et/ou les traductions ; ****car ceux qui cèdent leurs Pléiades ainsi en nombre, ne sont même pas toujours très gourmands, ils veulent faire de la place !!!

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D
Des livres qu'on vole encore en librairie, qui seront sans doute les derniers, méritent le respect.
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P
après les avoir couchés sur testament, il faut peut-être aussi les déclarer à l'assurance, les mettre dans un coffre, ou une vitrine blindée... <br /> Merci d'être passé, Denis