inactualités et acribies

Au Marché de N.

2 Septembre 2018 , Rédigé par pascale

   C’est difficile d’écrire, de décrire, un marché. Si je dis, d’abord il y a les livres. Et la structure classée, parce que classieuse. Et le ciel bleu, normal. On pourrait croire que j’invente. Que j’arrange un peu les choses. Que je compose un tableau, juste pour y mettre des mots qui font bien.

   Donc, je recommence. D’abord il y a le ciel bleu, les façades blanches, les parasols multicolores. Et la structure métallique. Grise. Mais il reste les livres. Et dit comme ça, c’est déjà un peu moins chic.

   Je reprends. Je m’applique. Comme les écoliers du premier jour à qui l’on demande de raconter un souvenir de leurs vacances, rien de plus simple n’est-ce pas ? Ben, allez-y ! Faites ! vous n’êtes pas l’instituteur qui ne se soumet pas lui-même à ce que, pourtant, il demande aux enfants, n’est-ce pas ? Décrivez le marché du premier dimanche de septembre, dans une ville moyenne, en-dessous de la Loire, mais pas trop non plus. Vous devez impérativement  mettre dans votre texte –cela s’appelle des contraintes– des couleurs, des éléments d’architecture ; vous devez rendre compte de l’agitation, de l’ambiance, du temps ; et des livres. Des quoi ? des livres ! au marché ? au marché ! c’est un piège ? non, c’est une réalité.

   C’est même chaque premier dimanche du mois. C’est peu, oui, surtout qu’en hiver, la pluie, le vent, un peu de verglas parfois, même en-dessous de la Loire en période de réchauffement climatique, le premier dimanche du mois peut être pourri. Et on ne peut plus faire son marché de livres. On dirait même que le mauvais temps choisit chaque premier dimanche du mois. En hiver. Parfois en automne aussi. C’est même arrivé au printemps. Mais là, là, nous sommes en été. Le ciel est bleu. Tout le monde a son panier et fait ses provisions de fruits et de légumes, parce que c’est la rentrée….Je ne comprends pas bien en quoi la rentrée oblige à remplir son panier. Ne le fait-on pas de toute façon ? Sur les étals, du vert et du rouge partout, j’ai nommé les tomates, les salades ; pour les melons, des montagnes croulant de melons, on peut juste dire qu’ils sont orange à l’intérieur, ça c’est pour la contrainte chromatique, car pour le reste, les melons, les melons du pays, les melons du Poitou-Charentes, sont d’abord et avant tout succulents. Il faudra juste tourner un peu le moulin à poivre au-dessus des tranches, pas beaucoup, pour en exhaler le goût –on évitera sublimer, parce qu’on n’est pas à la télé.

   Alors ? les livres ? je tourne autour, normal. Le livreur de livres du premier dimanche du mois, Luc, il s’appelle Luc, installe des merveilles pour que l’on puisse tourner autour. Comme la mer avec le Mont-Saint-Michel. Ce n’est pas l’un de ces camelots qui vous font payer ce que vous avez-vous-même-trouvé-faute-de-mieux dans un entassement de vieilleries, où la poussière ferait partie du décor. Si l’on vient chez lui par hasard un jour, on y revient par fidélité. Et par curiosité. Car il ne rapporte jamais deux fois la même chose, la même livraison de raretés. Et il se souvient de ce que vous lisez, aimez lire, et n’aimez pas aussi, de ce que vous lui avez demandé de chercher pour vous. Parce qu’il cherche. Et il trouve. Tenez, aujourd’hui… trois pour moi ! Mis de côté, réservés. C’est comme la liste de nos envies livresques, plus elle raccourcit, plus elle s’agrandit. Et puis, le livre ou l’auteur, qu’on ne s’attendait pas à découvrir, parce qu’on ne savait pas qu’il l’avait parce qu’on ne savait pas qu’il nous manquait parce qu’on ne savait pas qu’il existait. Deux aujourd’hui encore.

Je vous mets la photo d’un, comme on doit dire sur les réseaux sociaux, n’est-ce pas ?

   Tout est emballé. Pas comme le porte-balle, emballez-c’est-pesé, mon gentil vendeur de carottes et de pommes-de-terre de chez lui, juste là à cinq kilomètres de la ville… Non, chez Luc, chaque livre est soigné, recouvert comme un manuel scolaire. Les petits comme les grands, c’est-à-dire les modestes comme les précieux. Et puis tout est rangé. C’est mieux que chez soi. Il est aussi délivreur de livres : il libère des livres qui ont été un jour emprisonnés chez des confiscateurs, qui, contrairement aux confiseurs, ne partagent ni ne font goûter. Y a des gens comme ça. Leurs livres sont toujours fermés. Comme eux. Aussi, acheter des livres chez Luc, participe parfois d’une véritable action de délivrance. Remettre de l’oxygène dans des volumes captifs ; tout le monde sait qu’on ne peut pas survivre dans un milieu anaérobique ; ou simplement sans être aéré. Les livres présentés par Luc, reprennent deux fois vie. Des cas rarissimes de double résurrection. Une première fois quand il les dégote chez qui veut s’en débarrasser. Une seconde quand il vous les propose, et, miracle ! c’est exactement celui (ceux) que vous vouliez-cherchiez-attendiez ou n’imaginiez pas retrouver un jour, parce que, bien sûr, vous l’avez perdu, on ne vous l’a pas rendu… chose qui ne risque pas d’arriver si, à l’inverse de moi, vous ne mettez pas vos livres un peu partout, voire n’importe où ; sur cette question il y a deux cas d’école, mais ce n’est pas le sujet. Quoique, l’école, nous y sommes et le sujet était : décrivez un marché.

Aussi, au risque de me faire taper sur les doigts, mon marché c’est ça : premier plan, des Pléiades, deuxième plan, des chalands bigarrés comme il faut toujours dire dans ce cas-là, même qu’ils se bousculent sous les parasols des marchands, au pied des Halles –la structure classieuse–  elles-mêmes bondées ; troisième plan quelques façades de pierre blanche caractéristiquement régionale ; au fond, l’une des Églises de la ville, en haut de la Colline, rien à dire. Tout cela chapeauté d’un ciel bleu-septembre, la couleur du jour.

Voilà Luc. Luc Bussot*.

Devant les récits de voyage où un livre-clin d’œil, oui, oui, ça existe m’attendait.  Pierre Loti, En pays charentais, textes réunis et présentés par Alain Quella-Villéger. (éditions Aubéron, 2004) ; ramassé comme un orpailleur le ferait d’une pépite, rapidement, clandestinement, peur qu’on vous la chope. Car, certains comprendront, il suffisait que ledit livre contînt les deux noms de Loti et de Quella-Villéger**, sur sa couverture, pour me rendre heureuse, que ce fût en pays charentais, ou, au hasard, en sudamérique, ne compte pas.

Vous ne trouverez pas chez notre livreur-délivreur de livres les livres dont on parle, ceux de la rentrée, celui de l’auteur le plus doué de sa génération, ou le mieux placé dans les ventes du mois…il y a des lieux pour cela. Ici, nous sommes au Marché de N.

 

*Luc Boussot, Bibliopuces, basé à Rochefort, mais qui va là où sont les lecteurs.

** A. Quella-Villéger, l’homme qui se demande ce que Los Angeles peut bien avoir de plus que Poitiers ?

 

 

 

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C
Hâte de rencontrer cet orpailleur.... Merci ...
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P
chaque premier dimanche du mois....<br /> Merci à vous.
D
J'aime ce marché, décidément.
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P
décidément, ce marché est très aimable. Vraiment.<br /> Merci Denis d'y être passé!
M
Quand un bouquiniste, devient par la grâce des mots, le gardien souriant et averti du temple où nul ne pénètre s'il n'est un lecteur altéré. <br /> S'il m'arrive de traverser cette ville, un premier dimanche du mois, c'est bien sûr avec assurance que je me dirigerai vers son étal.<br /> Meri
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P
Merci pour lui.<br /> Merci à vous.