inactualités et acribies

Des chiffres et des douceurs ou les bienfaits de la Pascaline

16 Février 2019 , Rédigé par pascale

   Ce pourrait être une énigme, une question pour des champions d’arithmétique ou de pâtisserie lorraine, ou les deux, des superchampions ! De la première, qui fait revêche,  à la seconde, qui fait saliver, qu’y a-t-il de commun hormis leur imprévisibilité?

   Trois solutions :

  • la maligne (ou maline en Normandie)
  • l’experte (ou semi-experte)
  • la gourmande (toujours à l’affût)

   –La malicieuse ou la perspicace pressée, signalera en toute logique l’identique et ce qui ne l’est pas, ne faisant pas avancer la question ou plutôt sa réponse, mais formulant une proposition juste : la Pascaline se rapporte à une machine et à un gâteau. Déduite du titre et de la première phrase, cette solution momentanément stérile est mise de côté. Cela s’appelle une tautologie, voire une périssologie : on n’apprend rien qu’on ne sache déjà. Privilège de l’exception mathématique selon Kant. Mais vous ne saviez pas que vous étiez kantiens...

   –L’experte est la réponse issue de la mémoire et/ou du savoir. Soit on se souvient ‘un peu’ d’avoir su ‘un jour’ que la pascaline est le nom qui fut donné, bien plus tard, à la machine à calculer inventée par Blaise Pascal à 19 ans* ; soit on le sait vraiment pour être entré dans son œuvre  avec détermination ou obligation, et même n’avoir jamais cessé de la fréquenter avec plaisir et bonheur… et précision. Car la partie scientifique de l’œuvre du penseur admirable n’est pas des plus faciles, mais elle est fascinante.

   –La gourmande est la réponse qu’il ne faut jamais manquer. Gourmande et gourmet (qui a dit gourmette ?) bec fin (qui a dit…. fine ?), et même un peu au fait de l’histoire culinaire, voyons donc. La Pascaline, comme son nom le fait tinter, a quelque chose à voir avec Pâques mais surtout rime avec nougatine, mousseline, chocolatine, abricotine, amandine, tangerine, noisettine, messine (et même pour le plaisir, le souvenir, le pourquoi-pas et le n’importe quoi, avec zinzoline…) parce que la Pascaline, pâtisserie lorraine à ce jour agréée et confectionnée on l’aura compris, aux temps pascals, est chaque année portée par un groupe d’experts qui décident de ses ingrédients. Pour 2018 c’était, Suprême de chocolat blanc, Crémeux au cassis, Compotée de framboises, Feuilleté croustillant aux framboises, Biscuit moelleux chocolat. Etre créatif, imaginatif, ne rien omettre, ne rien ajouter. A vos pianos ! l’année d’avant : Chocolat précieux et prestigieux (le Jivara de Valrhona ou le Belcolade), Biscuit à la noisette, Nougat crémeux, Abricot délicatement rôti**. Cette délicatesse fait la pascaline. Et la précision et l’originalité des arrangements, et ce petit goût connu mais jamais vraiment pratiqué, une insolence douce en somme et l’envie d’y revenir, la surprise dans l’équilibre inattendu.

   –Il y a une quatrième réponse, moins gracieuse et nettement plus… bestiale : têtes, cervelles et langues d’agneau ; les foies aussi qu’on fait sauter (!) Sans oublier les pieds (à cuire avec les langues) le tout en vue d’en faire une farce. Le mot est bien choisi. Têtes, lavées, blanchies, échaudées et donc et ensuite farcies… La lecture de la recette peut aisément se transformer en  chasse aux métaphores. C’est la Pascaline d’agneau à la Royale. Il est déconseillé d’aller lire, même sous la plume d’Alexandre Dumas, les détails de la préparation de ce plat qui se servait à Pâques, dans les monarchies rayonnantes des Louis, XIV et XV successivement…. On s’abstiendra aussi de la retenir.

     Et revenons à un autre appareil. La pascalienne pascaline aurait pu être une machine ingénieuse pour faire gagner du temps à des pâtissiers inventifs, pressés et mauvais comptables. Mais toute la documentation l’atteste : elle fut inventée par un fils génial et prévenant pour soulager son père des tâches calculatoires de la surintendance normande dont il avait charge. Tout le génie de cette conception tient en ce que les opérations se font automatiquement, par des mécanismes de roues et de dents, de roues dentées, dont l’articulation, à partir de dix, déclenche un mouvement de rétention devant un index, le sautoir, faisant automatiquement s’avancer la roue des dizaines. Ainsi, la pascaline fait des opérations avec report de leurs retenues. Pour atteindre le point de perfection auquel un tel cerveau pouvait prétendre, il ne fallut pas moins d’une cinquantaine de prototypes, dont le modèle définitif fut arrêté en 1645 et fit l’objet d’une Lettre dédicatoire au chancelier Séguier pour en obtenir le privilège, comprendre sa reconnaissance d’inventeur et les droits afférents. Il faut y aller voir. C’est d’un petit ouvrage dont  parle le jeune homme modeste et de la profonde méditation qui lui permit de le concevoir. Sans oublier de saluer l’industrie (l’habileté) de l’ouvrier à manier le métal et le marteau bien plus nécessaire encore que sa plume et son compas. Mais en rien comparable à la dette envers Monseigneur, Votre Grandeur, sans qui la naissance même de cette petite machine de (son) invention ne serait ! Pascal prend soin de rédiger aussi un long avis destiné aux curieux, dans lequel il explique l’ensemble de sa démarche, mais duquel une remarque mérite d’être extraite tant elle convient à tout ce que l’esprit de l’homme invente et/ou crée d’admirable : s’adressant directement à son lecteur, il écrit : en quoi tu pourras remarquer une espèce de paradoxe, que pour rendre le mouvement de l’opération plus simple, il a fallu que la machine ait été construite d’un mouvement plus composé.

   Il en est ainsi de la pascaline lorraine et pâtissière, pourtant à première vue sans le moindre point de comparaison avec l’autre, une bonne raison pour forcer l’évidence des renseignements empiriques : première exigence de la conscience professionnelle du philosophe, son obligation déontologique de base. Et même plutôt deux fois qu’une ; nul ne va contester en effet que la pascaline nancéenne fait un objet pertinent pour vérifier notre degré d’attachement aux douceurs et gâteries de ce monde, en quoi il est facilement montré que le détachement épicurien à l’égard des plaisirs non nécessaires a ses limites… mais que cela n’a aucun impact sur l’admiration infinie que l’on porte à l’autre, sinon de pouvoir toutes deux être comptées au nombre des trésors de l’humanité, être portées à son crédit. La véritable cause de l’étonnement –acte premier, fondateur et liminaire de toute attitude philosophique– est contenue dans l’assertion de Blaise ci-devant relevée et que l’on peut reformuler ainsi : il y a dans la simplicité des œuvres de génie, l’incroyable complexité de l’abstraction. Que faut-il comme art, savoir, savoir-faire, artisanat, calculs, combien faut-il de connaissances maîtrisées, de difficultés vaincues, d’audaces visionnaires, de raisonnements pour réaliser l’une ou l’autre pascaline ! d’aucuns (me) diront que le savoir-faire, et ses déclinaisons, n’est point abstrait, pétrissage et cuisson, ou martelage et mise en place de ressorts, rien de plus concret ! Que nenni ! c’est confondre la matérialité et le concret, le physique et le concret, le visible et le concret. Et ne pas s’arrêter à vérifier que le plus petit objet (matériel, physique, visible) n’existerait pas sans qu’une pensée ne l’ait envisagé. Il faut parfois faire l’expérience, jusqu’à l’évanouissement, de concentrer toute son attention sur le crayon posé sur le bureau, le bouton de son manteau, le verre sur la table, la table elle-même pour reprendre un objet quasi fétiche de la philosophie, et de commencer à décliner à rebours tout ce qu’il a fallu pour qu’ils soient . Une attention à contre-sens, qui peut rendre insensé –pour le dire comme Descartes, qui peut rendre fou– ; car il ne suffira pas de dire que le crayon suppose le bois et l’usine pour le fabriquer, mais le bois, les arbres coupés, supposent les bûcherons et les machines qui elles-mêmes supposent les usines pour être assemblées, et les métaux et les moyens de leur production et les ouvriers qui eux-mêmes etc… sans rien dire des systèmes très sophistiqués de commerce, de banque, et même de transports, mon carnet de chèque ou ma carte de crédit, eux aussi objets fabriqués par ailleurs, et les études ou la formation des vendeurs, commerçants, commerciaux… et des écoles idoines… pour que ce crayon-là soit  ! Sartre l’a tellement bien écrit dans la Nausée, en n’en faisant pas des tonnes, privilège du véritable écrivain-philosophe, ramenant à la question essentielle : la contingence n’est-elle point nécessaire à tout ce qui existe ? Pour ne point dire aporie, qui n’est pas de son usage, Blaise Pascal a écrit le mot paradoxe, dont on oublie qu’il signifie à l’opposé (contre) les opinions couramment émises…

      …. comme on oublie que pascaline est une forme hypocoristique de Pascale, ou pascale, ou pour tenir le fil jusqu’au bout, une forme sucrée.

[*en 1642 **ah ! la compotée (ou le confit selon les ateliers) de griottes de l’an 2011 !!!]

 

 

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D
Je ne connaissais que la deuxième. Un peu. Un comble pour un Lorrain (et gourmand)!
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P
eh! oui, une pascaline peut en cacher une autre....