…et autres mémorables… Saison II, épisode 2, Firenze.
Elle s’appelle Maddalena. Agée de cinq cent soixante sept ou peut-être huit ans, elle a failli disparaître il y a cinquante trois ans, mais réapparut pour toujours il y en a quarante-sept. Ainsi une existence que l’on croirait de peu, a traversé les âges, leurs malheurs et leurs calamités, tandis que les plus puissants des puissants furent emportés en leur temps et à jamais.
Maddalena est née toute vieille, en 1453 ou peut-être 54. L’époque n’était guère précise, nul ne pouvait savoir… Maddalena est née vieille et grande, plus grande qu’à l’ordinaire pour une vieille femme. Maddalena est née vieille, grande et fripée, comme si elle était morte déjà, ou tout près de mourir. D’ailleurs elle tient ses deux mains jointes, et ses cheveux si décoiffés et si longs, sont de ceux d’un cadavre enseveli de peu, qui continuent de pousser encore, avec les ongles dit-on, dans un dernier et vain effort et contre l’inéluctable. Mais Maddalena est debout, pieds nus, chétive, fugitive presque. Sa jambe droite à peine fléchie à hauteur du genou que le haillon recouvre en s’entrouvrant tant il est élimé. Était-elle souillon, gaupe ou mendiante ? quelle famine rendit son corps si décharné et sec que son cou, que ses bras sont devenus parchemins où suivre le dessin de ses vaisseaux vidés de leur sang. Mais Maddalena debout, pieds nus, mains jointes, ne chancelle ni ne défaille, peut-être Maddalena sait-elle que ses osseuses formes et squelettique allure seront le meilleur atout de sa longévité.
Son visage, quelques mèches de sa chevelure ligneuse retombant sur le front, son visage n’est pas doux. Ni frais, ni caressant. Mais aride et desséché. On n’y voit pas les yeux tant ils sont engagés dans les orbites, aucun sourire ne point, pourtant, légèrement décollées l’une de l’autre les lèvres paraissent vouloir l’esquisser, c’est peut-être qu’on se prend à vouloir déchiffrer d’énigmatiques signes. Alors pourquoi Maddalena, pourquoi cette imperceptible inclinaison de tête, vous déportant doucement à l’opposé du point d’appui de votre jambe, sinon pour que je ne puisse détacher mon regard de vos deux mains jointes, mais jointes à peine, formant un petit pont, une petite entrée voûtée, un arc trop resserré à hauteur de votre souffle, à hauteur de votre âme ?
Maddalena, aujourd’hui ocrée, terre de Sienne, terra cotta, brun-rouge, venue en notre monde au mitan du XVème siècle, d’un peuplier blanc qui lui donna forme, et, nous dit-on aussi, que l’on recouvrit d’un peu de couleurs dont il ne reste plus rien. Il y a environ un demi-siècle, quand le fleuve a déversé ses eaux et ses boues dans toute la ville, une fois de plus, une fois de trop, quand, en ce jour maudit de Novembre, le 2, le jour des Morts, la pluie commença de tomber pour ne plus cesser, et que deux jours après, les sols, les rues, les terres, tout était sous les eaux sales et fangeuses ; quand le déluge revint sans ramener Noé, Maddalena fut au nombre de ceux qui ne périrent pas. On la retrouva abimée, décolorée à jamais. Quand il fut temps quelques années plus tard encore de la nettoyer, de la soigner, de la restaurer, d’avoir pour son humilité tout le talent réparateur qu’elle méritait, on découvrit dans ses cheveux de bois de minuscules traces de fils d’or.
Maddalena, sculpture sur bois de Donatello (1386-1466) ; Florence, Museo dell’Opera di Santa Maria del Fiore. Émotion triste rebrodée de joie simple.