inactualités et acribies

Résister.

18 Janvier 2020 , Rédigé par pascale

 

     Le constat décliniste et la présentation de la langue française comme un champ (chant ?) de ruines sont-ils choisis à dessein pour mettre chacun dans un sentiment compassionnel plutôt que militant ? Et la métaphore filée de l’être vivant, a-t-elle pour effet de conforter insidieusement la conviction d’une détérioration fatale, irréversible, létale ? Si la langue française doit être comparée à un organisme vivant [les rapprochements biologiques datent d’Aristote, ils sont banals et usés jusqu’à la corde et nous semblent pertinents parce qu’ils nous conviennent comme être vivants justement] cela se justifierait en regard de la spécificité de la notion de vie, distinguée de ce qui est inerte, par une naissance, l'évolution puis la mort ; ce qui donnerait raison aux ignorants qui estiment que le français comme langue vivante, doit se soumettre aux effets de son environnement pour le dire vite, qu’elle ne peut faire autrement, qu’elle évolue n’est-ce pas… Mais alors, il faudrait voir la preuve même de sa vitalité dans sa marche forcée vers son trépas ! Nous voyons bien ici la défaillance de telles remarques — auxquelles nous dénions le nom de raisonnement.

     Mais aussi, il y a une responsabilité — involontaire, dissimulée ? — un danger, pour le moins, à ne porter qu’un seul message, la déploration, et n’user que d’un seul registre. Conséquemment, seuls les convaincus vont s’y retrouver. Et les croyants n’ont pas besoin d’être convertis. Aussi l’idée d’États généraux de la langue française — toujours en embuscade comme les invasives dans certains jardins — que quelques-uns proposent comme les E.G de l’alimentation, de la santé, de l’éducation… ce qui montre par là même qu’il y a et urgence et nécessité, (et impuissance…) — dit aussi que cette impérative urgence doit passer par une consultation populaire convoquée pour juge et arbitre des élégances, ce qui pose la question du dévoiement du politique en démagogie.

     Alors, il faut savoir : ou le constat, les regrets, mâtinés d’éloges de la grande disparue, sont réels, et ils le sont et c’est foutu ; ou il faut agir. C’est-à-dire résister. Et commencer par le haut et la critique résolue des mots de ceux qui nous gouvernent à tous les étages, incluses donc les injonctions commerciales, communicatives, publicitaires… Car c’est justement là, au cœur (sommet ?) des pouvoirs qu’il faut aller,  là où l’inconscience est totale de ce qui se joue, les puissances politiques, économiques, culturelles s’amusant à faire moderne, à faire jeune, à être dans le coup, en usant à l’envi de ce qui met la langue française à la torture (usage injustifié de l’anglais, perte du sens des mots, mésusage d’autres, approximations grammaticales, ignorance de la concordance des temps et des modes,  de l’accord des participes, absence de liaisons …) faisant croire — autre pouvoir invisible mais puissant — que la norme, le possible, l’autorisé, le légitime, viennent d’eux. Déjà les Sophistes historiques sont passés sous les fourches caudines de Socrate pour crime de lèse-pensée, de manipulation verbale, de mauvais usage des mots pour mieux soumettre les esprits.

     Aussi il faut — analogie pour analogie — dire que la langue française, est un chef d’œuvre ; c’est tellement plus juste ! Un chef d’œuvre n’a à se soumettre à rien autre chose qu’à lui. Il est à lui-même sa propre nécessité, et sa propre mesure. Il est son propre contemporain, id est, il n’est pas tenu aux aléas de la mode et du temps. Pour ne rien dire des tendances… Il leur résiste. Et s’il a été abimé, on peut le mettre entre des mains expertes pour lui rendre sa grandeur. Pourvu qu’il n’ait pas été détruit, qu’il n’ait pas définitivement disparu. La limite de cette (autre) comparaison — qui n’est pas raison entonne le chœur des anges ! —  est le risque d’envisager l’œuvre, la langue ici, juste bonne pour le musée… mais qui va le faire ? seuls les mêmes qui n’ont rien compris ! Aussi le combat est bien politique — au sens grec personne ne s’en étonnera — c’est aux politiques — à la Politique — à prendre des mesures d’éducation, d’enseignement, de pédagogie. Ne cesser jamais de rabâcher ce refrain qui fait la chanson tout entière, alors que nos élus avancent en marche arrière.

     Une trop grande propension à mettre la nostalgie au centre de la question est inutile, bien qu’elle soit inévitable ; que la langue ne soit que mémoire, qu’elle ne parle que d’enfance, de vieille France, d’histoire, et à la conjuguer ainsi et chaque fois, au passé, et même au plus-que-parfait, contribue à conforter les jugements de ringardise et autres gentillesses dont on affuble ses défenseurs. Chacun pour soi peut en appeler à des souvenirs où la nostalgie côtoie l’amertume. Mais l’exercice — praticable en cercle privé — ne doit pas devenir rengaine dans l’espace public. On ne défend pas la langue française à coup de regrets ou d’éloges funèbres. Aussi il faut de nécessaires et vigoureuses invitations à changer le regard. Nommer ce qui fait scandale. Dénoncer les fautes, les outrages. Répertorier les erreurs, montrer les horreurs. Accuser. Et entrer en résistance, c’est-à-dire en lutte. Combattre. Il ne peut, il ne doit y avoir de refus de se battre ici. Pied à pied. Mot à mot. Laisser passer c’est déserter. Alors, accepter de se faire honnir pour avoir modifié un mot, signalé un barbarisme, un défaut de sens, une faute d’orthographe, l’usage injustifié et snobinard du globish. Sans oublier d’être à soi-même son premier et pire ennemi…. Hélas — je sais que je suis faillible — !

     Mais la tentation de l’étrange — l’anglobal et l’anglobish entre autres, mais pas seulement, hélas ! — au prétexte d’une « émancipation » chimérique, exotique, d’une liberté d’usage confondue avec un trépignement puéril, est une insulte autant qu’une sottise.

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D
Les lucioles n'ont pas totalement disparu, espérons.
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P
Mais, elles sont si fragiles...<br /> Merci d'avoir vu une petite lumière et être entré...