Du savon, des dauphins, des confins.
Ou de l’usage du monde sur le mode du retirement. L’agitation n’est plus, les rues, les villes, les champs, désencombrés, détassés, on n’entend plus qu’un seul bruit — un frottement plutôt —d’Est en Ouest, continument puisque la terre est ronde et revient à son point de départ sans fin, qu’accompagnent les grappes explosives1 des savons qui écument sous l’eau.
Le retirement du monde2. Belle et nostalgique expression à l’image d’une plage d’où la mer s’est éloignée sans pourtant avoir disparu. Repliée, plissée, ridée, poussée, retenue au bout de l’horizon. Et devant nous dorénavant, tout ce qu’elle cachait, qui était là, qu’on ne voyait pas — alors que la reprise du cours des choses, le retour du même nietzschéen, n’est ni saisissable ni même pensable. Depuis peu le monde entier se livre frénétiquement à la même activité — au point qu’il s’y trouve englobé — un seul geste qui le désigne uniment (entendez-vous là un « enfin » de soulagement ?) dans son appartenance à la même espèce, l’humaine3. Depuis peu l’ère smectique est advenue ; on remercie Alain Borer de nous offrir ce mot qui dit tout de notre condition, ces temps-ci4, devenue double, devenue trouble : responsabilité et culpabilité.5
Que des dauphins nagent dorénavant dans les eaux sérénissimes ; que les confins ne soient plus nos lointains mais nos angles aigus ; et le savon notre exercice6 contraint, font autant de questions à ce jour insolubles tant le renversement des puissances nous saisit : ou comment un élément minuscule, pas même un animalcule, moins qu’une particule nous engage à désirer le meilleur de et pour l’homme. Tel est le sens profond de ce qu’Alain Borer écrit en des phrases toujours portées à l’élégance comme à son naturel obligé7.

1) Francis Ponge, Le savon. Gallimard, Collection L’imaginaire, 1967 ; 2) Alain Borer – La maison Gallimard offre la lecture gratuite de ses « Tracts » de crise : parution(s) quotidienne(s) de textes courts qu’elle demande à ses auteurs et dont il serait fort insensé de se priver. https://tracts.gallimard.fr/fr/pages/tracts-de-crise ; 3) On se souvient que c’est le titre — L’espèce humaine — du livre que Robert Antelme écrivit, rentré de la déportation concentrationnaire par les nazis. 4) ; 5) ; 6) : F.Ponge, ibidem. 7) On remercie aussi Alain Borer de nous faire oublier les insupportables néo-diaristes qui se répandent en ces temps de confinement... comme ils disent tous !