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Note bleue – Autoportrait - Décrochage

1 Novembre 2020 , Rédigé par pascale

Ce qui suit se comprend comme prolongement du texte du 27 Juin 2019, intitulé « Ceci n’est pas un cliché » qui rend compte du procédé photographique des photogrammes, toujours usité pour les trois œuvres ici présentées et prélevées d’un ensemble que je complèterai plus tard.

 

 

Serait-ce un petit amas de mots – une note – que l’on écrit sur une feuille bleue, ou à l’encre bleue, ou d’un stylo bleu, ou encore de cette teinte qu’on a choisie par usage personnel hiérarchisé des occupations ou organisations à voir et à prévoir, à faire ou à défaire, à côté et à l’opposé d’une note rouge, urgente, ou noire, funeste ? Ou serait-ce la belle association d’une couleur et d’un son – une note – une vibration monochromatique, une ondulation teintée d’azur, une onde sonore perçue par l’œil, en raison du tracé souple d’un pinceau qui en aurait empli les espaces sinueux et creux, tels des Coups d’archets héroïques (Paul Klee -1938 – aussi traduit Traits d’arcs héroïques)

Les Correspondances entre réel et image figurée ne devraient-elles révéler que des mondes évidents, attendus, confortables à nos habitudes, tendant à rabattre l’un sur l’autre et annihiler toute distance créée par la liberté des artistes ? Ce qui convient à l’œil et l’esprit profanes pour lesquels « correspondre » signifie concorder, se conformer à, et même se ressembler. Dans ce monde-là, les couleurs et les sons ne se répondent pas, Baudelaire n’a jamais existé, une arabesque n’est pas une note, une ligne mélodique est invisible, les mots ne sont pas bleus, et les photographies, simples gardes-souvenirs, démultiplient nos fonctions mnésiques inextensibles.

 

- Note bleue -

 

Dans ce monde-là, un autoportrait, est une saisie nécessairement fidèle de soi-même par soi-même, une coïncidence trait pour trait, hors laquelle le terme ferait offense à la vérité, si naïvement confondue avec la réalité, cependant que Montaigne dit de lui qu’il a la taille fort ramassée, le visage (…) plein, et que, franchi un certain âge, ce ne sera plus moi, mêlant ses traits physiques au présent et au devenir in-saisi de son identité future ; que Picasso déforme son visage pour mieux se ressembler ; que Magritte ou Munch, s’appliquent à ne pas se ressembler pour mieux se peindre ; que Rockwell triche, mais pas vraiment, avec le miroir, objet de l’exactitude la moins contestable de tout ce qui s’y reflète – les peintres classiques nous l’ont appris, on dit que J. Gumpp fut l’un des premiers en 1646. Soit.

Et si l’autoportrait, tout autoportrait, n’était fidèle qu’à ce qu’il dit, désignant non pas qui dessine, peint, écrit ou photographie, mais celui qui en porte le trait. Non pas l’objet du portrait, mais le sujet qui le traite, qui ne sont pas les mêmes, quoi qu’on en dise. Non pas la confusion – déformée ou transformée de l’un par l’autre comme on le voudrait si souvent pour y voir un signe d’originalité ! – mais la création, l’écriture au sens large, la trace, l’invention, la composition, par le moyen qui lui est (en) propre – proprius et/ou auto – de se représenter. Alors, un Autoportrait photographique tout d’atomes jetés dans un vide saturé de noir constitué, dont les uns se rassemblent, les autres s’écartent, luminescents, opaques, dont l’ensemble esquisse sans jamais l’achever une forme profilée légèrement oblongue où l’on se plaît à deviner des yeux, un nez et une bouche – magie déjà dite de toute paréidolie – alors, un tel autoportrait dit tout de celui qui le nomme, bien plus et bien mieux que n’importe quelle prétendue fidélité-à-la réalité.

 

- Autoportrait -

 

     Tout décrochage suppose un accrochage antérieur, ce qui en fait en première intention signifiante, un geste de cessation, de disparition, ce qui signe une fin, une échéance, un arrêt. Rien que pour cela, intituler une œuvre exposée et non éphémère Décrochage déroute. Cette envisageable préméditation – dérouter l’observateur – serait à soi-seule bien suffisante. Mais l’embarras saisit : il ne paraît rien de plus solide, carré, résolu, que ce cadre intensément noir où sont rivés 14 x 14 petits dés blancs. Double perception d’équilibre qui est aussi celui des fugues de Bach si présentes dans Sonorité ancienne, abstraction sur fond noir de Paul Klee, sous-titre de son Carrés au rythme ternaire. Dont on ne peut ignorer qu’il le peignit dans les mêmes temps que Man Ray rayographiait en France.

         L’œil paresseux n’y voit qu’un inégal échiquier – inégal, car les petits tas se montrent vite plus informes qu’uniformes ; peu importe, on se plaira alors à évoquer une mosaïque ancienne aux tessons un peu usés par le temps, irrégulièrement émoussés. On se plaira à dire que Paul Klee aussi, peignait des carrés magiques qui n’étaient pas très droits, mais n’en étaient pas moins des carrés. Ce décrochage programmatique ferait-il contre-sens, antiphrase, ironie ? L’œil facétieux du photographe-compositeur nous a-t-il volontairement abusé, ou a-t-il, comme nous le soupçonnons, pensé une harmonie préétablie - n’aurait-il jamais lu Leibniz - ou organisé l’image du cosmos primitif, monde de particules suspendues dans le vide après qu’elles se sont rassemblées, selon une implacable nécessité ? Qui, ou quoi, de notre regard ou de notre esprit nous fait remarquer alors qu’un, un seul de ces atomes est détaché. S’est-il lui-même décroché ou l’a-t-on dépendu pour faire signature en bas, à droite ? Le clinamen lucrétien s’affranchissant de la chute incessante des corpuscules de matière, pour dire la possibilité du libre-arbitre, du pas de côté, de l’écart, du décrochage dans l’inéluctable destinée du monde et de soi.

 

 

- Décrochage -

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D
D'un élève décrocheur: merci!
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P
je ne l'avais pas vu venir, celle-là. Mais les décrocheurs, n'est-ce pas, font aussi clinamen, une chance dans l'uniformité des jours !