inactualités et acribies

« Nettoyez-nous de cette vilenie »

19 Décembre 2020 , Rédigé par pascale

 

On ne sait plus très bien combien il eut de noms ni lesquels. Qu’il soit né en 1811 et mort tout juste 64 ans plus tard et paralytique, ne fera pas indice au plus grand nombre. Le 19 février 1875, Auguste-Marie Dondey dit Théophile Dondey de Santeny cessa définitivement de jouer avec son nom en l’anagrammant, cryptant ou inventant pour l’effacer sine die de l’état civil des vivants.

L’une de ses trouvailles onomastiques, voire anthroponymes, lui fut plus heureuse que les autres, en cela qu’on la retint en dépit de son aspect déconcertant :  double anagramme dans un double effet visuel et sonore des plus inattendus — Philothée O’Neddy — qui n’hésitait pas à se qualifier fréquemment de vieux Philothée ou de vieil O’Neddy, en sa qualité de burgrave. Ainsi commence la lettre qu’il adresse le 23 Septembre 1862 à Charles Asselineau – l’ami de Baudelaire – qu’il remercie d’avoir rédigé une notice à propos d’un chapitre de son recueil Feu et Flamme, mais auquel il tient à apporter des remarques, renseignements et observations, sachant que son correspondant écrit à ce moment un ouvrage sur les romantiques.

Des romantiques, Philothée O’Neddy en fut, de ceux qu’on appela frénétiques, dont l’excellent Pétrus Borel* deux fois en exergue dans le volume ci-dessus nommé (Nuit Première et Nuit Quatrième). Dans cette lettre – où Philothée parle d’O’Neddy à la troisième personne — et après quelques précieux renseignements autobiographiques et rappels littéraires et éditoriaux du passé, Théophile Dondey de Santeny, entreprend donc de rectifier plusieurs des inexactitudes trouvées chez son correspondant, dont l’une – majeure – est d’affirmer Pétrus Borel chef du groupe (…) dit des Bousingos nom qui fera l’objet, entre autres, d’un rappel orthographique. Nous avons donc regardé à la loupe cette affaire, le nom de notre lycanthrope préféré nous fait toujours lever le sourcil. La dénégation de Philothée O’Neddy envers Pétrus étonne, quand on sait que Théophile Gautier le considère comme l’individualité pivotale du Petit Cénacle, groupe constitué en 1829 à l’instar du Grand, l’hugolien. Petit, il ne l’était ni par le bruit ni par les manifestations : ils s’en prennent aux bourgeois, qu’ils essaient de choquer par leurs excès, et n’hésitent pas à se mêler à des chahuts, voire à en provoquer, ce qui les conduit parfois à faire de brefs séjours en prison. **

Philothée O’Neddy (ou Dondey), Pétrus Borel et les autres (dont Nerval et Gautier), se lisent et se citent, et de ce Petit Cénacle une émulation réciproque et énergique jaillit avec frénésie. Ils s’appellent « Jeunes-France » mais on les appelle « bousingots » mieux « bousingos ». Nous y voilà. Le bousingot est un chapeau de marin. On dit que les volontaires accourus, en vain, au secours des Parisiens à l’été 1830 depuis le Havre le portaient. Et par un de ces glissements magnifiques dont la langue française a le secret, le mot désigna les groupes républicains d’agités, de ceux qui font du bruit, du boucan et si l’on va à l’argot du bousin.

Il faut attendre la moitié de la lettre pour savoir ce qu’O’Neddy considère comme essentiel, la rectification maîtresse, ce qu’on appelle une mise au point : ni Bouzingotisme, ni Bouzingots ! ces appellations méchamment bourgeoises, directement reprises d’une anecdote d’un soir et destinées à conspuer ces très-bruyants, ils ne peuvent s’en saisir eux-mêmes pour se désigner, mésusage qui pourtant, se répandra progressivement. La vérité est tout autre. Alors qu’un soir certains d’entre eux revenaient d’un dîner assez vif (nous aimons bien cette expression) et chantant à tue-tête dans les rues de Lutèce (dixit) le refrain Nous ferons du bouzingo, la maréchaussée intervint fermement. Nerval fut même brièvement mené en geôle à Sainte-Pélagie. Voilà pourquoi, les oreilles délicates de ladite bourgeoisie parisienne ayant entendu un peu trop fort et trop longtemps à son goût le terme de bouzingo, elle s’en empara pour surnommer, définitivement semble-t-il, ces tapageurs-là et pour couronner le tout, ces ânes de bourgeois (Théophile Gautier) l’orthographient de travers.

Enfin, comme il semble que Monsieur Asselineau parle un peu trop favorablement de Borel, Philothée lui rappelle que la sincérité était le partage de tous et non du seul Pétrus, bien qu’il fût sincère au-delà de tout par son dandysme et son donquichottisme en particulier. Tous ces bons jeunes gens ne méritent certainement pas l’accusation de « ridicules » qui leur est faite. Par la mort-Dieu ! c’étaient nos adversaires, les bourgeois et les chiffreurs, qui étaient ridicules ! La lettre (l’épître, dit-il) qui se termine quelques phrases plus tard, revient sur le terme Bouzingotisme, qui, décidément, ne passe pas, même après 30 ans !

*Pétrus et Philothée sont parfaitement contemporains, (18 mois d’écart) ; **Michel Brix, in Introduction, Œuvres poétiques et romanesques de Pétrus Borel. Editions du Sandre. 

 

La lettre de Philothée O’Neddy a été rééditée, en 1993, par l’excellente et si élégante maison Plein Chant — imprimeur-éditeur à Bassac, sur vergé Ingres d’Arches, grâce lui soit rendue et pour l’ensemble de son catalogue — sous le titre intégral et original de l’édition de 1875 (18p).

La phrase du titre lui est empruntée.

 

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