inactualités et acribies

Mélanges, miscellanées, miettes - 8 -

23 Janvier 2021 , Rédigé par pascale

 

 

« Au faîte de la gare d’Enghien, un peintre a été électrocuté. On entendit claquer ses mâchoires, et il s’abattit sur la marquise. » (Félix Fénéon : in Nouvelles en trois lignes – déjà cité et à relire sans discontinuer)

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Il y eut au tout début du 20ème siècle, en Charente et Charente inférieure – selon l’appellation d’époque – une épidémie de suette picarde (à ne pas confondre avec la suette anglaise). Une trentaine d’années plus tôt, l’île d’Oléron fut touchée sans que l’on en sache les causes, il fut dénombré 150 décès pour mille cas dans une population de 20 000 habitants.

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« La poésie vit d’insomnie perpétuelle » (René Char in Dans l’Atelier du poète).

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Dans une lettre à Alain Jouffroy ( 4 Mars 1970), Dusan Matic cite « La réalité est inguérissable » (Stanislav Vinaver) ou tout dire en quatre mots.

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Mais comment peut-on tolérer ce genre de bouillie : « où là il n’y a aucun contrôle sur leur performance qui est réalisé », alors que « Là où il n’y a aucun contrôle » suffirait parfaitement. Et aussi « ce sont des avis qui sont scientifiques et qui ont pour but d’éclairer la prise de décision politique sanitaire », au lieu de « Ces avis scientifiques ont pour but d’éclairer la décision » - sanitaire, non nécessaire, si le contexte est clair et net, ce qui ne semble pas gagné !

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Au 19ème siècle, on appelait ouvrier en conscience, celui qui travaillait et que l’on payait à la journée dans une imprimerie. On ne sait si celle du patron était en paix, mais quelle expression !

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Passer du bourdon à l’euryphallique ou rhopalique, et l’inverse, il y a de quoi s’amuser les soirs sans lune avant de couvrir le feu de braises. Par le premier vous vous appliquerez, en retirant une lettre d’un mot, à en obtenir un nouveau ; par les seconds, vous ferez presque l’inverse, puisqu’il suffit – sans reprendre le même nécessairement – qu’à chaque nouveau terme de votre phrase, vous ajoutiez une lettre de plus : 1, 2, 3, etc. Le bourdon est, de loin, le plus délicat, et le plus stérile, impossible de faire des phrases, exercice de jeu pur. L’effet « boule de neige » du second, est plus prometteur. A vos stylos !

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La science des sots, ou élognostie, est inconnue de l’ordinateur. Soit ! Mais la proposition de remplacement avancée est géognosie, voilà déjà de quoi grimacer ; le pire étant toujours à venir dans les liens discourtois entre l’informatique et le vocabulaire, et jamais en reste – comme tous les sots – pour se faire remarquer, mon écran, mécontent également de ce sot-là, qui ne lui a pourtant rien fait, m’intime de le remplacer par sceaux. La formule devient alors : " la science des sceaux, ou géognosie". Et l’on comprend pourquoi, en s’y fiant, certains sots se croient savants de regarder leur écran !

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Au printemps dernier un spécimen de l’escargot turc, Helix lucorum, fut aperçu dans les Deux-Sèvres. Cette annonce capitale de la presse locale ne fut pourtant accompagnée d’aucun article de fond pour attiser la curiosité du lecteur friand de gastéropodes ou curieux d’héliculture. Avançant à raison d’un millimètre par seconde, le journaliste avisé aurait pu envisager un reportage de longue haleine, le suivre à la trace, savoir où il allait, peut-être rejoindre les mânes de Jules Allix -il serait allé où allait Allix – qui, au milieu du 19ème siècle, fit sienne une histoire de la télégraphie escargotique (qu’il nomma sympathie). Le mystère reste entier.

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      Sonnet de Ronsard (VII, 140) :

Debout donq, allons voir l'herbelette perleuse.

     Ciel que c’est beau : l’herbelette perleuse !

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     « L'animal est pauvre en monde » Heidegger – Soit on saisit d’un seul mouvement, soit on attaque sur le champ, l’œuvre du philosophe et tous ceux, avant et pendant, qui l’ont rendue possible, et après les thèses, essais et appareils critiques. ( et quoi ?)

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       Toujours les pléonasmes inadmissibles (c’est un pléonasme) :  

   « Ils interagissent entre eux ». Et « amerrir sur la mer ». Le second, lu dans un texte se disant « universitaire », sans commentaire ; le premier entendu et lu tout le long des jours et partout, qui chaque fois me fait me manger les joues, car il ne faut pas reprendre les solécismes, il paraît que c’est impoli. Plus que de les pratiquer ?

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     Suite du ramassage des textes ostréicoles :

    “ Le spectacle d’une huître ouverte - et offerte - est une merveille. Figurez-vous au creux du rocher le plus neutre une vasque de nacre irradiant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Au milieu de cette vasque, une masse de chair fraîche, translucide ou grassouillette, dodue à souhait, aguichante d’abandon. » (Charles Daney  in Huîtres, moules, bivalves et Cie)

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Il faut, urgemment, réintroduire le mot et le lieu, exèdre. Qui ne désigne pas un endroit que l’on aurait doté – par réflexe ou nécessité pratique – de bancs ou autres sièges pour attendre ou se reposer, mais une cour organisée, pensée, voulue, pour qu’on s’y assoie en vue de converser. En ignorant le nom, on ignore la chose.

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Nombreux confondent Universalité et Généralité, ce qui engendre de nombreuses incompréhensions, autant d’échanges inutiles, vains et parfois fâcheux, l’imprécision étant le meilleur chemin vers la discorde. La généralité représente, dans un ensemble donné, le plus grand nombre possible d’accords (quel qu’en soit le sujet) ; ainsi se constitue ce qu’on appelle à juste titre, l’opinion commune (ou opinion générale), une addition, souvent fictive et non probante, qui cautionne parfois, hélas, l’adhésion de tous au point de vue de certains. Dans un groupe conséquent, on risque toujours de dégager une opinion générale. Elle ne garantit rien, jamais. L’universalité, en revanche, se dégage absolument de toute généralité pour tenter d’atteindre, non pas ce qui concernerait tout-le-monde-en-particulier (expression dont on ferait bien de mesurer la contradiction interne) mais personne-en-particulier. L’universel est ce qui, échappant à chacun, concerne tout et tous. Cela s’appelle – définitivement – un Concept. Humanité, par exemple, concept transcendant toutes déterminations individuelles et même collectives, ou les vérités mathématiques, sont de cet ordre : que vous le vouliez ou non, que vous pensiez pouvoir opposer votre « droit » au désaccord, et même que vous l’ignoriez ou pas, la somme des trois angles d’un triangle sera toujours égale à 180°, dans le système euclidien, bien sûr.

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Rappelons que le mot « valeur » joue dans la même aire étymologique que « convalescence ». Encore un de ceux dont le surusage a mené au mésusage. Il s’agit en médecine, et particulièrement l’hippocratique, de rendre compte du retour au juste équilibre, à la juste mesure – notion aristotélicienne s’il en est. Entendre à longueur de déclarations publiques et privées qu’il faut être fidèle à ses (nos) « valeurs » peut tout juste procéder de la pensée magique, mais, finalement, ne veut rien dire.

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« Mon enfant lit trop, ça va lui casser quelque chose dans la tête. Que faut-il faire ? » question posée par la mère de Roger Grenier à un médecin spécialiste (mais de quoi donc ?) s’inquiétant pour son rejeton. Propos rapportés par l’écrivain lui-même. Dommage, il n’a pas donné la réponse de l’homme de l’art.

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L’invention de l’iota par les Grecs – sans avoir pour autant puisé dans l’alphabet phénicien auquel ils empruntèrent beaucoup pour les autres voyelles – fut jugé par Etiemble comme un apport décisif à notre civilisation, et l’appelle la « lumière des voyelles ».

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Quelle jolie remarque glanée sans avoir noté où : la lettre (au sens épistolier du terme), exercice solitaire où l’on n’est pas seul.

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La protection régionale pour un mystère normand : sur les falaises de Granville, une population unique de choux sauvages prospère. Énigme botanique qui vaut son pesant de cacahouètes. En effet, ce chou n’est censé pousser qu’en terres maritimes crayeuses et calcaires y compris l’Angleterre, soyons charitables en ces temps de divorce difficile. Alors, en pleine silice, et sur un seul endroit du Massif armoricain, qu’un chou sauvage fasse dissidence heureuse, nous tient tout ébaubis !

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Se faire parèdre de toute poésie.

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