inactualités et acribies

« L’insignifiance sacrée des coccinelles. »*

23 Mai 2021 , Rédigé par pascale

 

 

Pour Mon Livre*, Patrick Laupin a reçu le Prix Max Jacob 2021.

 

 

Et si c’était un bâtiment, ce serait une gare. Une pièce, un parloir. Un morceau de la maison, sa fenêtre. Un objet dans la maison, un miroir. Le mystère, la mélancolie tendre de l’enfance. Oui, voilà, c’est cela. Peut-être, on ne sait pas vraiment. Ni comment le tremblé de ces mots simples nous touche à cœur, comment saisir une coccinelle et l’univers dans la même main, poser la plénitude du silence au centre de soi-même, avec des demi-mots effacer un peu de buée sur la vitre, porter toute misère au seuil de la bonté.

           

Où commencer et quand, la longue histoire des petites vies à jamais présentes en sa mémoire béante et blessée de souvenirs  ; et comment poser et retenir les mots qui peuvent vous lâcher à tout moment s’ils n’étaient maintenus par la puissante solitude de la maison des écritures, ouverte à toutes les paroles revenues d’où l’on ne parlait pas encore et arrivées où l’on a si peu à (se) dire – du parloir du devenir au parloir des égarés –  des enfants muets aux ouvriers mutiques ; comment avancer le long d'un filin ténu et résistant, tendu et retenu par la respiration pulsée de la phrase de Patrick Laupin : J’ai senti mon seul.

            Mon livre est de douceur – ce mot qui fléchit toute douleur – par le grain d’une voix dont la préface de contact et d’analyse d’Alain Borer, fait entendre les beautés sombres et les lumineuses, et dire comment pour mieux parler à l’âme, il faut les faire jaillir du sol, les éclairer et illuminer d’une réelle présence au monde. Seule l’écriture poétique peut toucher aux impalpables et d’une existence faire une apothéose, dans l’indénouable lien des mots à la conscience – terme si présent dans le texte – qui n’est rien d’autre, au fond, que nos infinies et variées visions du monde, traversées par cette double question qui n’en fait qu’une A quoi je tiens et qu’est-ce que j’aime au monde ? que Patrick Laupin se pose autant qu'à nous même bien sûr. La première personne fait une personne première, il n’y a que soi de soi à soi-même. Être ici me suffit. Entre la théière bleue – quelle beauté soudaine en ces trois mots qui résolvent ensemblement la terrible question de l’audace du simple ! – et ce trouble lancinant du vertige, Colette** et Baudelaire, déjà réunis en gardiens de ce livre qui, plus d’une fois, fera nos yeux s’embuer. Cela s’appelle aussi tendresse - merci à Alain Borer d’avoir nommé Renée Vivien*** la très oubliée.

On se trompera gravement – je me serais trompée, écrivant – si l’on pense que Mon Livre est porteur, portier, ouvre les portes, de l’accalmie paisible qu’il faudrait avoir atteinte tel le sage antique des sentences stoïciennes ; celui qui, après avoir parcouru les âges de la vie, revient à soi dans une contemplation que l’on dit pacifiée, alors qu’elle est juste devenue passive. Et, immobile, regarder le fleuve passer devant soi. Pour se prémunir de ce danger, le seul réellement mortel, Alain Borer prévient : « N’ouvrez pas Mon Livre dans un moindre but. »

Voilà un livre d’heures. Un Livre d’Heures majuscule. Le contraire d’un ouvrage pour occuper le temps vacant, pour se changer les idées, le contraire de ces moindre(s) but(s) que nous prenons pour des obligations, vanités des heures vaniteuses de nos vaines agitations. Quelque fois la page s’enlumine de ce qu’on appelle, en musique, une altération accidentelle, qui, l’espace d’une mesure ou deux prête à la mélodie une tonalité modifiée de diversion. Alors la page abrite un mot rare ou inconnu ou inventé ou emprunté – chevanceaquiger, silencier, je silencie en bergesouventement ; ou ce magnifique j’encielle qui enferme toutes les lettres du silence à l’exception de la première, alors doucement glissée à l’oreille en son centre. Du chapelet du temps égrené/égrainé au mot à mot des enfances souvenues, réparées, raccommodées, recousues et des vies mal-traitées, chaussées de godillots, aspirant la limaille dès l’entrée de l’usine, Patrick Laupin déroule et enroule le rosaire inachevé des très pauvres heures des ouvriers porteurs de musette, ou des petits, ainsi nomme-t-il souvent les enfants, ceux qui ont attendu toute leur vie que le marchand de sable vienne leur tenir la main.

A l’encre de ses mots, noire du charbon des mineurs de fond, ocre est le chagrin, pâles les roses d’automne, Patrick Laupin se disant pauvre de tout bagage fait de chaque atome de suie et de larme, un flamboiement dans l’univers. Que pour chacun ce livre soit le sien.  

 

*Mon Livre. Patrick Laupin, éditions le Réalgar, 2021. 15 € ; ** tout lecteur chronique jamais rassasié des textes colettiens, aura retrouvé -p.27- les sourciers chers à ses vœux ; *** de si belles lettres entre elle et Colette.

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L
Bonjour. J'ai cherché, en vain, un mel, pour vous écrire et vous remercier de cette page si simple et magique, mélodie d'éclat fragile et fardeau mystique du monde. Un toucher, une tact, une écoute, qui m'émeuvent. Tant. Pourriez-vous, s'il-vous- plaît, me dire comment vous joindre - patrick.laupin@orange.fr - Merci d'avance.
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P
Cher Monsieur Laupin,<br /> Je vous indique via votre adresse électronique comment me joindre. Mais, par l'onglet "contact" en haut, les messages m'arrivent directement et privativement.<br /> Je vous remercie de ces mots qui me touchent.