bien fol qui s’y fie
Dans le Figaro du 17 août 1856, on apprend que Charles VI (1368-1422) « ayant établi des foires à Niort, Fontenay et autres pays, quantités de colporteurs vinrent s’y installer. »
Il n’en fallait pas moins pour intriguer, à l’heure du café noir et d’un mauvais grain attardé depuis la nuit dans le ciel de ce matin de Septembre. Passe encore que la presse ne s’en tint pas à rapporter les nouvelles fraîches, mais qu’elle fît des chroniques historico-locales âgées d’environ un demi-millénaire a de quoi piquer un esprit fouille-au-pot. Las ! cette entrée en matière n’était que d’artifice pour parler d’autre chose, car des foires de Niort, de Fontenay ou d’ailleurs ; de Charles, très fol de temps en temps, père des 12 enfants qu’il eut avec son épouse Isabeau de Bavière, et d’une fille, Marguerite, avec sa maîtresse Odinette, Odette de Champdivers ; qui connut la révolte des Maillotins, qui tuaient prioritairement les collecteurs d’impôts avec des maillets, de fer ou de plomb, c’est plus efficace ; ou des Marmousets qui l’entouraient de très près : rien, pas un mot, une poussière, un souvenir, une allusion, pas une raison, une relation, une explication : mais pourquoi donc Charles VI était-il convoqué là ? celui dont Michelet rapporte, un brin lyrique, sinon la première du moins l’une de ses plus célèbres crises de démence dans la forêt du Mans. C’était le milieu de l’été, les jours brûlants, les lourdes chaleurs d’août. Le roi était enterré dans un habit de velours noir (…) à peine une métaphore, certes vivant il était, il tua quatre de ses hommes, mais dans son inconnue maladie, c’était un mort-vivant. Un autre trait de sa folie, et ce n’était pas le plus fol, c’était de ne vouloir plus être lui-même, point Charles, point roi. Michelet toujours.
Il fallut bien, dans un mouvement de frustration légitime, abandonner et le fol et les foires, pour rencontrer les colporteurs, eux aussi prétextes de l’article dont le premier mérite, mais non le seul, fut de nous détourner d’un lambinage dominical annoncé. A la quatrième phrase, j’apprends, les lecteurs du journal du 17 août 1856 aussi, que les négociants sédentaires en furent fort marris et s’organisèrent. Marcelots, pêchons, melotiers-hures, ainsi se nommèrent-ils entre eux pour n’être compris de personne ; ainsi font tous ceux qui se veulent protéger des intrus, ils verrouillent les moyens d’ingérence, les mots, le vocabulaire, les noms, en premier. Ce ne fut pas sans réplique. Le petit monde et nouveau venu des gens sans aveu et d’abord sans domicile fixé, que ceux d’en face s’empressèrent de baptiser les larrons en foire, ces colporteurs et autres bateleurs venus d’ailleurs s’appelèrent, en retour, marcandiers ou cagous, et de bien d’autres blases encore ; le papier du Figaro, visait une petite ingérence dans le monde argotique à destination de son lectorat profane. Manière de s’encanailler à peu de frais. Aussi le même, ne manquant pas de (nous) rappeler les origines, maintiens et déclins, déformations et corruptions de tel ou tel vocable, dans une démarche didactique qui ne dit pas son nom mais ne cache pas ses intentions, le figaro de ce jour-là, par un petit toilettage, rasage, ébarbage et frisottage dans et entre les mots pour l’édification de ses lecteurs, rappelle avantageusement à l’heure du café crème et des croissants chauds ce que la pègre doit au latin peregrinus – le voyageur étranger qui, parfois pèlerin en pérégrination religieuse ou avec esprit de légèreté qu’on appelle pérégrin – et qu’il suffit de relire Rabelais, Marot, Villon, Ronsard et Montaigne, que du beau linge en bibliothèque !
En revanche, la pégraine – le mot – a disparu ; pas ce qu’il désignait apertement dans sa construction, mais avec une sorte de poésie en creux, une mélancolie dans le ton, la misère de la pègre ambulante – un pléonasme dorénavant indécelable – plus nombreuse que les graines jetées au vent des semailles. La réputation du penaillon, descendant miséreux de Penia Penia, déesse de l’indigence, s’attachait à la tolle, la maison où l’on peut toller, tollir, c’est-à-dire enlever, dérober, voler – relire Rabelais puisqu’on vous le dit. Dans un souci d’économie inconscient mais volontaire dans tout usage des langues, la chute de la finale du verbe fait ici d’une maison où l’on entre pour chaparder, chiper, faucher, une tolle, occasion qui fait le larron, pour rappeler aussi que cambrioler signifie, tout ce qui se fait dans la chambre !
De l’article qui faillit nous mener aux foires de villes et de villages sous le règne de Charles VI le Fol, saisissons ce joli et rabelaisien verbe, otolondrer, pour dire ennuyer, qui tourne autour de ses trois O comme autour du vide ; que si l’on s’otolondre dans la maison, taciturne, celle-ci devient une turne ; et qu’au lieu d’écrire qu’il pleuvait dru ce matin, il eût été élégant, sobre et assez incisif de dire il lancequinait et faire écho ainsi aux hallebardes qui tombent du ciel et en désuétude.