inactualités et acribies

Le bonheur de parler français

3 Septembre 2021 , Rédigé par pascale

 

Comme toujours revenons aux racines et balayons les croyances. Le sens commun, oublieux des premières et se réfugiant dans les secondes, se satisfait à bas coût de significations imprécisées et finalement erronées, usant de termes eux-mêmes usés au laminoir de l’à-peu-près, l’un des moyens les plus efficaces pour que tout le monde y trouve son compte, ou que personne n’y trouve rien à redire. Ainsi vont désormais un certain nombre de termes qui fleurissent avec d’autant plus d’aplomb qu’on ne les arrête pas, parce qu’il n’est pas convenable de corriger son prochain serait-il fautif et parce qu’il est bien vu et bien venu de barboter dans la même double néo-communauté linguistique : celle qui reprend jusqu’à la nausée et systématiquement les mêmes termes défectueux – la liste s’allonge chaque jour – et celle qui tresse dans la honte nos formulations les plus simples, les plus spontanées, les moins techniques – de termes anglais rafistolés entre eux, sans la moindre logique, oublieux – ce qui est fort pratique – des articles, des accords, et du sens en français de ce qu’on voulait dire, du moins le croit-on.

 

J’entendis, il y a peu, en restai sidérée et coite sur le moment tandis qu’elle me taraude depuis, l’expression free hug dans un échange par ailleurs linguistiquement satisfaisant ; ce qui montre le degré d’acceptation et donc d’intériorisation auquel les plus nombreux – y compris les moins soupçonnables a priori de brutaliser la langue -   sont dorénavant parvenus, conséquemment, le rejet accompli, à peine voilé, et toute honte bue, de la langue française. Le pire, peut-être, en cet instant précis, est d’avoir éprouvé la gêne de celui/celle qui ne se sent pas à sa place, devant qui la complicité de la transgression heureuse s’accomplit mais sans vous, signifiant ainsi qu’on vous laisse à vos vieilles lunes, qu’un jour, vous finirez par comprendre que vous êtes, définitivement … has been ! Passe encore qu’on se fasse ajourner pour abus de mots français choisis hors des petites réserves courantes ; mais, qu’on vous reproche, y compris tacitement, d’assumer votre refus de l’anglobal, de l’anglolaid – parce qu’il y a, toujours, partout et à chaque fois, des mots (en) français parfaitement convenables, finit par user, voire attrister. Ce n’est pas comme si nous évoluions dans un parler pauvre, dépourvu de synonymes, de nuances, sans passé, sans racines, sans textes, sans littérature, sans grammaire, sans articles, sans genre, sans mode ni temps conjugués à toutes les personnes, sans exceptions remarquables, sans figures de rhétorique, y compris les plus fixées par l’usage … mais parfois on se le demande ! Il est vrai que embrassade, cajolerie, bisous, accolade, et aussi câlin, sont à proscrire puisque nous disposons de hug, n’est-ce pas, et qu’en l’accoquinant avec free, nous évitons d’avoir à choisir entre spontané, machinal, direct, impulsif. Il va falloir s’excuser de disposer d’une langue riche, bien trop riche, tellement riche, qu’on ne sait plus comment dire, et que, pour remédier à cette pénurie des pénuries, on n’hésite pas à se jeter dans les bras du premier venu, free hug !

Le même jour, mais c’est chaque jour, je relevais en moins de deux minutes : trois manquements flagrants, à l’oral – je n’ose imaginer l’écrit – à l’accord du participe d’un verbe conjugué avec avoir (les propositions que j’ai faitES etc.) et le remplacement du mot récit, - le plus court – ou anecdote – c’est plus long ! – ou histoire – le plus proche – par story ! La story du jour ! Idem (pardon pour le latin, il va bientôt falloir faire repentance, mais je l’ai trouvé, sous mes yeux ébahis orthographié idaim !) pour votre vie, devenue votre life. Si les adultes, donc les parents et les enseignants compris, commençaient par proscrire ce genre de laisser-aller, les enfants, futurs adultes, n’ingéreraient pas cette bouillasse infâme, dont l’un des effets, mais l’un seulement, est le rejet de l’écrit français bien écrit.

Il faut quatre générations pour qu’une langue s’écroule. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Alain Borer qui poursuit : les deux premières étant largement à l’œuvre – par oralisation, changement d’oreille, compénétration et imitation (…) de la langue-du-maître.  Ce qui comprend, lexique et grammaire, représentations et comportements, lesquels subissent ce travail de sape depuis deux générations déjà. Filons la métaphore : d’une maison effondrée, il ne reste pas rien, mais un tas in/forme de morceaux qui, bien que l’ayant construite, sont cependant incapables, une fois à terre, de la redresser. Fin avril 2021 paraissait dans la collection TRACTS*, chez Gallimard, et pour 4.90 € ! une presque cinquantaine de pages sous titrées Pourquoi renoncer au bonheur de parler français ? question faisant sellette à l’objurgation terrible et retentissante, terriblement retentissante « SPEAK WHITE ! ». Ce n’est pas que je le découvre là, je l’ai lu dans son encre à peine sèche. Mais j’ai laissé passer l’actualité, il y eut de beaux et complets articles et entretiens ; alors, que dire de plus ou comment le dire autrement ? ce serait faire offense à cette démonstration précise*, brillante, parfaite, et je me suis auto-absoute de mes insuffisances un peu vite, je le confesse... Certes il n’y a que de mauvais coups à recevoir en défendant notre langue, et ce free hug me revient en pleine figure, additionné aux life, story, et autres sorry, closed, à longueur de journées – il est vrai que désolé et fermé sont offensants, n’est-ce pas ? – j’ajouterai, solécismes, impropriétés, en un mot, massacre de la langue française. Fermez le ban.

Et relisant une fois encore – j’ai toujours été scrupuleuse avec les textes – j’arrive à ces lignes où, avec raison et passion, Alain Borer admoneste, empoigne et engueule : tant qu’il s’agit de montrer, même dénoncer, mieux encore, réveiller, il se trouve des parleurs et des phraseurs, et plus on nous parle de haut – les politiques et autres responsables prenant dorénavant fait et cause pour la langue française, comme pour la planète et pour la santé – moins on agit, plus on trahit ses engagements, plus on ne bouge pas ! Et ce – c’est moi qui l’ajoute – jusque dans les vitrines des librairies, où ce TRACT aurait dû se trouver, dès fin Avril et en nombre, sans jamais en disparaître, au profit d’improbables et sottes lectures d’été, et, bien sûr, des romans-de-la-rentrée.

 

Lire ce Tract n’a pas de prix. Il vous en coûtera, même non-fumeur, la moitié du prix d’un paquet de cigarettes, ses lignes ne partiront ni en fumée ni en cendres et allumeront des étincelles dans votre cerveau. Vous comprendrez, d’entrée, pourquoi il ne faut ni dire ni accepter que l’on vous dise que la langue évolue laissant entendre qu’elle doit se transformer pour son bien et pour le vôtre, que c’est une nécessité, certains qui osent tout, disent même que c’est naturel ! Sauf que, évoluer ne contient pas dans sa signification une intention et encore moins une progression, un progrès – et de quel ordre, s’il vous plaît s’agissant de la langue française ? en revanche, et cela est au-delà de remarquable et peut être montré, établi, développé, illustré, mis en évidence, enseigné, transmis et honoré, la langue française – Le parlécrit – nuance & acribie – Esthétique – Pas de sol – La littérature – La difficulté – Prestige des écrivains – Le Vidimus – les Idéalisations insues – telle une partition pour flûte et hirondelles, doit être traitée et chérie pour et par elle-même, son solfège, ses règles d’harmonie, de compositions, ses tonalités, ses exceptions, ses nuances, ses accords, ses discordances sublimes, ses œuvres grandioses, ses œuvrettes fluettes, ses improvisations réussies et les ratées, sa musique de chambre et ses grands orchestres. Je voudrais qu’on me dise un jour pourquoi en rougir, s’en détacher, en avoir honte, oui, qu’on me le dise, enfin.

 

*les 72 notes et références, généreusement disponibles, hors commerce, sur le site d’Alain Borer.

Cf, ibidem et pour compléter - pour l’amour de la langue française, Janv. 2017 – ce beau français que ne daignez apprendre, Avril 2018 – de la langue française, Nov. 2020 –

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