inactualités et acribies

De qui s'agit-il ?

28 Novembre 2021 , Rédigé par pascale

 

Ces quatre extraits proviennent des souvenirs d’un seul et même auteur ou auteure. Chaque majuscule désigne ceux et celle dont elle fait le portrait, qui connaissait le tout Paris littéraire de l’époque qui le lui rendait bien. Les plus grands et talentueux n’hésitaient pas à pousser la porte de sa librairie et la conversation — rue de l’Odéon. Sous ses/ces mots et traits familiers, devinez qui sont V. B. A. trois hommes et C, seule femme, très célèbres et connus de tous, à l’époque, et encore aujourd’hui. 

 

1)(…)

Il apparut, tôt dans l’après-midi, derrière la vitrine qu’il considéra un moment du dehors en échangeant quelques propos avec son compagnon. Je savais déjà reconnaître les hommes de lettres à leur façon de regarder la vitrine ; celle de V. était la plus discrète que j’eusse encore vue : il regardait en homme qui a bien « tué la marionnette », mais l’œil disait la littérature, il la disait même singulièrement, par la nature de ses rayons … comment dire ? l’esprit (…) me souffle le mot : cathodiques.

Donc, il entra et se nomma : V. Quel bonheur !

(…)

Je ne me souviens pas de ce que je racontai à mon auguste visiteur. A coup sûr lui exprimai-je ma révérente admiration, et sans doute lui parlai-je de l’institution des potassons qui nous occupait beaucoup en ce temps. Il dut prêter une oreille bienveillante à mes propos, puisque j’ai un billet de lui qui remonte à cette même année de 1917 et qui mentionne avantageusement les potassons.

 

2) Quand je connus B, tout au début de 1916, il portait l’uniforme bleu horizon de médecin auxiliaire aux armées. Il séjournait dans je ne sais plus quelle ville de province, mais il venait assez souvent à Paris. Il ne connaissait pas encore Aragon et Soupault. Lui, comme les deux autres, fut d’abord client de passage puis client assidu de ma librairie.

Nous eûmes tout de suite de grandes conversations. Je crois bien que nous ne fûmes jamais d’accord. Même sur les sujets où nous aurions pu nous entendre : Novalis, Rimbaud, l’occultisme … il avait des vues exclusives qui me dépaysaient tout à fait. Il était beaucoup plus « avancé » que moi. Je lui paraissais certainement réactionnaire, tandis qu’aux yeux de ma clientèle courante je faisais figure de révolutionnaire. (…)

B, donc, en était charmé (de Mallarmé) et hanté au point qu’il écrivait ses lettres en prenant le ton courtois et précieux du Maître — très vieille France. Cela m’étonnait beaucoup, moi qui étais simple et familière. Son écriture, également, me plongeait en rêverie : appliquée, égale, lissée comme des cheveux avec de fines boucles. C’était, semblait-il, une écriture angélique.

En plus d’un sens, sa physionomie allait avec son écriture. Il était beau, d’une beauté non pas angélique, mais archangélique. — J’ouvre une parenthèse : les anges sont gracieux et les archanges sérieux. Les anges sourient toujours, ils sont faits d’un sourire, leur ouvrage est aimable, alors que les archanges ont généralement de grosses besognes : des gens à chasser du paradis, des dragons à tuer, etc. — Le visage était massif, bien dessiné ; les cheveux étaient portés assez longs et rejetés en arrière avec noblesse ; le regard restait étranger au monde et même à soi, il était peu vivant, il avait la couleur du jade.

B ne souriait pas, mais il riait parfois d’un rire court et sardonique qui surgissait dans le discours sans déranger les traits de son visage, comme chez les femmes soucieuses de leur beauté.

(…)

B, c’est la violence qui le fait statue. Il est porte-glaive. Il a la diligence immobile des médiums.

(…)

Ce que le visage de B avait peut-être de plus remarquable, c’était la bouche lourde et excessivement charnue. La lèvre inférieure, d’un développement presque anormal, révélait, suivant les données de la physiognomonie classique, une forte sensualité gouvernée par l’élément sexuel, mais la fermeté de cette bouche et son dessin rigoureux dans l’excès même, indiquaient une personne très concertée qui mélangerait singulièrement le devoir et le plaisir, ou plutôt les imbriquerait.

 

3) A. était alors en pleine possession de son prénom et d’une ombre de moustache. C’était bien le plus gentil, le plus sensible garçon qu’on eût su voir. Et le plus intelligent aussi. Avec lui, on pouvait s’entendre. Il adorait la poésie sans lui demander trop d’insolite. Quand je le connus, il faisait, je crois, sa première année de p.c.n. Il avait un Verlaine et un Laforgue dans ses poches et il était fort choqué de la grossièreté de ses camarades. Je me souviens d’une de nos premières conversations où il me confia que l’ineptie et l’obscénité des propos qu’il entendait à l’amphithéâtre n’étaient pas loin de lui mettre les larmes aux yeux.

C’était déjà un causeur remarquable. Il pouvait parler pendant deux ou trois heures avec faconde et ce léger ton nasal qu’il n’a pas perdu, je crois et qui traduit sa manière ironique : le défi guignol, l’emportement badin.

(…)

Un jour, il franchit notre seuil des gants clairs à la main. Il devait faire une visite de cérémonie dans le quartier. Cette visite, il l’oublie si bien dans le feu et les flots de sa parole que, vers la fin de l’après-midi, nous vîmes une personne plutôt furieuse (sa sœur aînée, nous dit-il ensuite) ouvrir brusquement la porte : « Mais enfin, L, il y a deux heures que je t’attends ! Tu n’es pas fou ? » 

Nous l’aimions beaucoup, naturellement, et nous ne doutions pas une seconde qu’il ne devînt un brillant littérateur.

 

4) Mes amies P G-V et M.L m’avaient dit à la rentrée – rentrée mythique car nous n’avons quitté Paris ni elles ni moi - : « On va vous faire déjeuner avec C. »

(…)

Un déjeuner avec C. Comment est-ce que ça allait se passer ? C est une femme qui a horreur d’être dérangée. De mon côté, j’ai horreur de déranger, surtout une C. J’aime faire plaisir, mais je n’imagine pas comment on peut faire plaisir à C quand on n’est pas fleur ou bête, saveur ou parfum, couleur ou musique. Son monde est d’avant l’humain ou après l’humain (…). On rêve devant elle de se transformer en chatte blanche, mais faudrait-il encore ne jamais mourir, être une bête immortelle, comme les dieux égyptiens.

(…)

Le menu ? Aujourd’hui, il y a des escargots. Ah ! non, dit C, c’est la seule chose que je n’aie jamais pu manger, j’ai essayé d’en goûter, il n’y a que le jus qui passe.

(…)

Alors qu’aimez-vous ? lui demandai-je. Eh bien, les légumes, les choses bien grillées, les fruits, le lait surtout, les desserts.

(…)

C’est vrai, dit-elle, je suis terriblement violente, j’ai souvent eu envie de tuer. J’aime les couteaux, les lames, pas les revolvers, ça fait un bruit absurde, non, la lame muette, bien effilée.

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M
La maison des amis des livres<br /> On y croisait, dit-on, Paul Valéry, André Breton, Louis Aragon, Colette et bien d'autres...
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P
J'étais sûre et certaine que vous n'auriez aucune difficulté à rendre leur nom à ces initiales. Adrienne Monnier en parle fort bien, d'eux et beaucoup d'autres en effet ( notamment Fargue) qu'elle eut l'immense privilège de côtoyer, parce qu'ils venaient la visiter en sa Librairie. On n'ose comparer avec l'état actuel des lieux où les livres ( et lesquels !) ne sont que des "produits" empilés après avoir été encartonnés par des robots.<br /> Bien à vous.