inactualités et acribies

Confiteor ergo non salto

12 Novembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

« Ils confessent les filles sans qu’on y trouve à redire ». Ces mots tranchent net. Paul-Louis Courier a encore frappé.

On se souvient* que le Tourangeau rangé des affaires militaires, s’appliquait à rédiger des pamphlets entre Loire et Cher, une région bien douce mais, au début du 19 -ème siècle, lourde comme tout le pays de France d’interdits et autres décrets qui, au nom de la vertu, de la morale et de la religion condamnaient dans les villages, les dimanches et jours de fête, tant les danses que les violons. Il fallait ou s’abstenir ou désobéir. Dans le même formidable pamphlet (Pétition pour des villageois que l’on empêche de danser – 1822) et avec la même verve, Courier s’attaque, il n'y a pas d’autre mot, à ces jeunes séminaristes qui, non contents de faire la guerre à la danse, absolvent les jeunes filles de leurs péchés à la condition expresse qu’elles renoncent à danser, ce qui, de nos jours prendrait peut-être nom de chantage … Courier va/pense plus loin puisqu’il parle de l’ascendant que doive avoir, et sur leur sexe et sur leur âge, un confesseur de vingt-cinq ans … On admire la lucidité avec laquelle il a compris que trois facteurs au moins contribuent à cet « ascendant » : les aveux, le secret et l’intimité. Quiconque l’ayant pratiqué avec plus ou moins d’assiduité ou simplement visité par curiosité pour l’ameublement religieux des chapelles de campagne le sait, - tout le monde sait que l’étroitesse, l’obscurité, l’inconfort, le chuchotement, l’auto-accusation, au confessionnal, fabriquent, avec bien des terreurs névrotiques à venir, culpabilité et honte mêlées ; aussi, qu’un confesseur de vingt-cinq ans reçoive par l’autorité silencieuse de qui détient vérité et pouvoir, les confidences auriculaires des jeunes filles, Courier y voit une indécence bien plus grande que la supposée impudeur des danses villageoises. Ces tête à tête avec ces jeunes gens vêtus de noir, lui sont, non seulement suspectes mais hypocrites, vipérines, pour ne pas dire … sainte-nitouche. Et voici comment, par le truchement d’un petit racoin tout sombre l’on passe de danseuse à pénitente, de la joie d’un lieu public aux affres de la cagoterie dissimulée.

Bien que cela soit explicitement formulé et à de nombreuses reprises – impossible donc d’oublier le Républicain en lui, l’ennemi de l’ancien régime, le contempteur de la préfectorale, de la bourgeoisie, de la courtisanerie, des privilèges, le détracteur de toute forme d’atteinte à la liberté – on s’étonne que Courier reprenne sur ce point précis, le sempiternel argument pour mesure de toute chose : être devenu petit propriétaire. Quel rapport me direz-vous avec la confession des jeunes filles sous l’ascendant que l’on devine indécent de jeunes séminaristes ne distribuant le pardon divin dont ils seraient dépositaires, qu’à celles qui renonceraient à danser ? Une question d’équilibre au sens économique du terme, l’économie étant la répartition la meilleure possible des intérêts du petit jeu d’à qui perd gagne. On danse sur le parvis de l’église, pour trouver un mari, lequel prétendant a mérité ces repos et plaisirs après les lourds labeurs accomplis auxquels il s’est d’autant plus ou mieux soumis qu’il est propriétaire récent, id est, après des siècles d’esclavage où il travaillait pour d’autres, toujours riches, nantis et oisifs. Deux conséquences à cette chose nouvelle – le peuple ivre, encore épris, possédé de sa propriété – en font une rapide et petite sociologie avant l’heure : celui qui travaille tant n’a plus de temps disponible pour la religion, il est bien moins dévot ; et le loisir qu’il prend, ou prenait avant les maudits décrets, de temps à autre – les dimanches et jours de fête pour danser – lui est profitable, point de vue économique encore – ces jeunes gens (…) doivent se voir, se connaître avant de s’épouser ; ce qu’il vaut mieux faire publiquement sous les yeux de leurs amis et proches et non au bosquet ou aux champs, quelque part loin des regards. Les vieux curés tenaient ce raisonnement – le mal rarement se fait en public – dont les jeunes abbés sont incapables, on se demande bien pourquoi. En présentant une religion triste, sombre, sévère ils contribuent à sa disparition ; le peuple, dit Courier, est maintenant – un adverbe ou ses équivalents d’une importance absolue – comptable de son temps, puisqu’il l’est de ce qu’il sème, laboure, récolte pour la subsistance de toute sa famille et chevance (ce qu’on tient de ses pères, son bien). Autant dire que le propriétaire nouveau est un homme plein de vertu et de courage mais n’est plus un dévotterme lui aussi très fréquent chez Courier, qui, on le sait, avait lu Saint-Evremond qui en faisait grand usage ; au moins et à condition qu’on lui rende le droit de danser, le fait-il sur la place de l’église, danser là, c’est danser devant Dieu. Le lui interdire ne le fera pas entrer, au contraire.

Saluons à nouveau l’agilité de plume de Courier qui réussit en quelques paragraphes : à condamner les curaillons et abbétons de confesse qui distribuent des bénéfices vertueux et impalpables pour prix de l’abandon de plaisirs bien honnêtes ; à montrer que ce calcul est si pitoyable qu’il est perdant pour la religion ; à convaincre qu’un champ et une maison dont le peuple est dorénavant ou maintenant propriétaire – héritage de la Révolution – lui prenant tout son temps, ses pensées et ses efforts, il n’est plus disponible pour Dieu, ou plutôt pour une religion qui lui refuse la distraction sans risque et bien méritée par le travail fourni, pire, met la danse au rang des péchés mortels.

Courier, défenseur d’une vertu laïque, terrienne, propriétaire, contre le zèle confesseur de certains demi-prêtres.

 

*in Archives – 11 et 17 Octobre 2022 – L’épistolier – Le pamphlétaire (suite)

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