inactualités et acribies

" Écrire est un verbe intransitif "

15 Janvier 2023 , Rédigé par pascale

 

Je me délectai de Tallemant des Réaux ou plutôt, revenant à lui pour m’en délecter, par le truchement d’une certaine Julie que l’on disait incomparable – je reviendrai donc et à l’un et à l’autre – je trouve en bas d’un article consacré à la valeur historique des anecdotes – la spécialité de Gédéon Tallemant des Réaux – une note renvoyant au texte de Roland Barthes, intitulé « L’effet du réel », lequel appartient au tome IV des Essais critiques, Le bruissement de la langue : ouvrage qui, pour m’être toujours accessible et avec lui tous les autres du même, n’est pas « rangé » linéairement et alphabétiquement – d’ailleurs quel en serait le lieu exact ? – mais « à disposition »  sine die. Approcher « un Barthes » c’est en prélever cinq après parcours de la table des matières de tous, relire, recommencer, reprendre encore, être immobilisée et définitivement séduite chaque fois, – ce n’est pas contradictoire – par ce que je compare à une rencontre, un entretien, un tête-à- tête – bien trouvé pour désigner cette perfection de l’accordance de l’écrivain et du lecteur dans les choses de l’esprit. Ces derniers mots pour tracer, de suite, les contours de ce qui, momentanément, m’éloigna et de Gédéon Tallemant et de Julie d’Angennes, d’autant que je doutais très vite de la pertinence de la référence en note, sinon par un effet déformant d’analogie entre l’« infonctionnalité » narrative du détail et ce que Barthes appelle la notation insignifiante – donc inutile ? – dans les romans. Et ceci me frappa telle une évidence : si je crois savoir pourquoi je rechigne tant – euphémisme – à la lecture des livres actuels – ceux dont on vous fait publicité permanente et qui arrivent par palettes hebdomadaires en librairies – et même si je suis capable de faire la liste de ce qui m’en détourne, m’exaspérant, m’horripilant, m’irritant, indisposant, crispant, en un mot comme en cent ou en mille, m’agaçant … les mots de Barthes sont de ceux, sont peut-être les seuls dans la durée, à formuler avec justesse ce que je ressens, conséquemment, opportunément mais secondairement, à me dire que je ne suis pas totalement « hors-jeu », mes alliés en cette affaire se seraient-ils – mais pas tous – absentés du monde, ils (me) parlent encore.  De ma revisitation involontaire mais ô combien nécessaire de Barthes, j’ai repris les deux points qui me tiennent le plus à cœur : la question de la description et celle de l’écriture, ou du style, les deux n’en faisant qu’une, nonobstant parfois leur éloignement physique en différents articles.

S’il y a dans le récit romanesque des plages insignifiantes, des passages dont on peut (se) dire qu’ils « ne servent à rien » ou qu’ils ne servent en rien le syntagme narratif, l’ensemble du roman, de l’histoire racontée, la question de leur présence inutile peut-elle être légitimement posée ? On les appelle couramment descriptions : d’objets, de paysages, d’intérieurs, de personnages aussi et passent, aux yeux – au sens strict – de lecteurs peu aguerris pour d’insupportables superfluités comparées au trajet que l’on préfère inattendu et que l’on aime imprévisible des personnages enracinés dans l’action, en comparaison de quoi, les descriptions ne font pas avancer les choses, n'est-ce pas ? … Barthes aura beau nous rappeler très pertinemment que décrire la réalité est une opération propre aux humains – la communication dansée des abeilles, par exemple, n'ayant rien de commun avec une description du message à transmettre – il ne serait déjà pas si dérisoire de noter ce point ; tel ou tel élément du « décor » non justifié par quelque impératif dans l’action ou le récit,  la présence du « détail inutile » devient-elle paradoxalement, d’importance ?

Inversons la question, en la dotant d’une précision : à quelle fin peuvent bien répondre les passages descriptifs qui, tant dans l’histoire que dans l’institution littéraires, constituent l’une des caractéristiques de la culture occidentale, ramassée sous le nom générique de « roman », tant l’épidictique – qui est un genre – que l’hypotypose – qui est une figure – concourent à la reconnaissance de la description dans l’ordre rhétorique, c’est-à-dire du bien dire, qui se distingue en cela du dire-vrai, apanage du politique et du judiciaire. Autrement dit, et nous suivons ici au plus près Roland Barthes, l’idée même d’une finalité esthétique du langage n’est ni insensée ni secondaire. Qu’il soit daté ou non – il l’est – l’usage reconnu de l’ekphrasisκφράζειν, expliquer, décrire jusqu’au bout – signifie validation, légitimation de tout passage de texte (oral ou écrit) qui tient en lui-même sa fin propre, indépendante de toute fonction d’ensemble.  Une détachabilité intrinsèque, en quelque sorte, en raison d’une valeur esthétique ajoutée, d’une élégance particulière dans l’expression, d’une beauté harmonieuse ou d’une harmonie si belle qu’elle tient d’elle-même sa force et sa licéité littéraire, en un mot dont les Anciens n’usaient pas, le style.  

Aussi, il y a quelque logique, dans les récits narratifs contemporains, appelés romans ou non, à s’ennuyer ferme dans les descriptions et autres développements ; ils ne sont – nous parlons bien de ces livres qui se vendent à la pelle sous la seule recommandation de leur placement dans les listes des meilleures ventes de la semaine, peut-être du mois – ils ne sont portés par aucun travail des mots, aucune subtilité sémantique – confusion permanente de la comparaison et de la métaphore, aplatissement de la seconde par la première par usage systém(at)ique de l’adverbe comme et sans aucune réticence pour les clichés les plus éculés. Barthes montre, à l’inverse, que la description flaubertienne de Rouen – remaniée au moins six fois – s’apparente à une peinture – c’est une scène peinte que le langage prend en charge – laquelle se conforme aux règles esthétiques qui lui font alibi, impertinent(e) eu égard à la seule structure de l’œuvre, mais point à sa logique d’écriture qui ne pourrait s’en passer sous peine d’abandonner un lecteur débarrassé alors de toute représentation. Dans un autre essai, Barthes analyse longuement l’écriture de Robbe-Grillet, le contraire même d’une écriture poétique, reprenant le terme d’alibi ou comment être là où l’on ne nous attend pas, aussi d’épaisseur, restant en surface des objets le mot n’explose pas – quelle expression juste ! Ici, sa distinction devenue courante de l’écrivain et de l’écrivant prend tout son sens. Indifférent, ou pire, méprisant à l’égard de la littérature – quand il ne l’ignore pas tout simplement – le second fait œuvre « sociale », tandis que le premier est un travailleur de la forme, un artiste.

« Le réalisme, ce ne peut donc être la copie des choses, mais la connaissance du langage ».

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R
Bonjour Madame,<br /> À tort ou à raison, je lie votre billet à celui de la fin de l’année (décidément). Les natures mortes aux huîtres dissolvent les scènes mouvementées du passé et à venir, pour un seul présent immobile, la peinture. <br /> Si je ne peux montrer à quelqu’un le tableau, je peux tenter de le lui décrire, certes dans la mesure de mes moyens stylistiques. De là, j’en déduis que cela « marche » à l’envers, que la description réussie dans un roman, me place, lecteur, au cœur de l’action dudit. Ce n’est pas une digression.<br /> Si je vous comprends bien, les descriptions dans les romans sur palette, sont présentes uniquement pour garantir une épaisseur et un poids moyen de l’objet. Il se pourrait aussi que le trop-plein d’écran et d’image dessert la description. <br /> Pour tout vous dire, ce qui précède n’est qu’un prétexte pour m’autoriser, derechef peut-être, une citation de Jean Giono, tirée de Noé, page 145 (Folio)<br /> <br /> « Ce matin-là, c’est septembre, et par conséquent il fait clair, vert et rose » par conséquent<br /> Bien à vous
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P
Cher Monsieur,<br /> Il n'y a jamais de déception avec Giono. Merci pour cette phrase qui vient corroborer ce que je me suis autorisée à expliquer à partir des réflexions de Barthes, lesquelles venaient à point conforter les miennes.<br /> Il me semble que votre incise - "certes, dans mes moyens stylistiques" - est, paradoxalement le plus important dans cette affaire. Il ne s'agit pas tant de décrire, que d'écrire … C'est toute la question du style. Aussi, ce qui me hérisse dans les romans fort médiocres qui paraissent en nombre, c'est que les "moyens stylistiques" ne peuvent rivaliser avec ce que les amateurs passionnés de littérature appellent le "style". Par analogie avec la musique - aux trois premières notes on "sait" qu'il s'agit de Schumann (au hasard) ou avec la peinture - au premier regard, que l'on est devant un Breughel, un Monet, Manet, etc. La description sera cependant insuffisante pour le justifier ou en rendre compte. En littérature, décrire avec talent, avec style … est l'impératif de tout écrivain véritable : ce n'est pas ce qu'il "décrit" qui compte, mais comment avec ses qualités propres il y parvient. En cela, la phrase de Giono est exemplaire. Tout est dit et pourtant … non !<br /> Bien à vous<br /> P. B-M