… « l’esperance de l’endemain » …
J’ai vu le ciel aux doigts de laine saisir sa pelote grise, la dévider jusqu’en la terre luisante, ocre, marron, noire ; elle, étirer ses ficelles maigres pour les mieux cordeler, pour rompre mieux la colossale infinité des rouleaux de mélancolie brumassant par-dessus les prés, négligeable nacre pauvre à l’étendoir du destin ;
j’ai vu le ciel aux doigts de glace et d’argent, d’hiver revêtu sans chausses ni chemise, et tant le gel lui brûler la peau, ses espérances usées tel un manteau mité, pieds nus les gueux marcher de galet en galet, levant à leurs semelles des voiles ennuagés ;
j’ai vu le ciel aux doigts d’épée émorfiler le temps émoulu aux lézardes des masures effondrées ; l’infortune s’écrire en poèmes de feu le long des longues nuits que lacèrent les pluies ; nul diable ne nous fait perdre la raison, devenir fol, nous lamenter ;
entendu au ciel d’outre mer Rutebeuf déclamer la complainte de terre promise ; souvenu que nul secours ne vient, nulle aide à qui manqua de générosité vers ses amis passés, mais la griffure du temps aussi froid qu’une lame ; le linceul est trop court pour qui a trop gros ventre ; ainsi parle Rutebeuf en son livre ;
cois, pantois, toujours sont les peureux ; gémissent et se lamentent tant qu’alentour effacés sont le ciel et la terre beaux et bleus ; ne voient dans les nuées que reflets de leur âme toute de malfaçon qu’ils prennent pour un monde tout entier ; le martyre leur est un baume et la joie un poison.
En la corde où s’entordent nos destinées passées et celles à venir, aussi faut-il lâcher les sons qui se descordent, pour ne point avec eux retomber en lourdes terres et limons de bourriers mêlés ; honnir, maudire, aux gémonies vouer les plaintes qui corrompent l’âme et asservissent icelle qui tant a entendu cette ballade aigrie, surie, lugubre, qui marche à pattes nues sur la glace ; tombe et retombe encor et toujours tombera ; toujours plus bas.
Les gens de bien ne sont pas sans infortune ; ils n’en font pas leur berceau ; ils n’en font pas leur tombeau.
Les longues et grandes robes de laine rêche que vêtent les mendiants sont le seul or à leur ceinture qu’ils ont d’espoir à même la peau ; jamais ne pleurent.
J’ai vu des ciels brisés de tourments maupiteux ; leurs braises rouges à vif aux nuées s’accrocher, repeindre tout l’entour d’écarlate beauté ; des ciels de jonglerie pleins de chiffons de soie emplis de rosée fraîche faire les petits nuages bleus d’un matin de bonté.
- après lire Rutebeuf, ce jour -