inactualités et acribies

A la recherche de mots perdus - 9-

15 Février 2023 , Rédigé par pascale

 

Soudainement l’envie me prit de lantiponner bien que je l’ignorasse, tel Monsieur Jourdain se mettant à parler ne savait qu’en sa forme il usait de la prose. Lantiponner ne signifie pas faire le prosateur, non, mais il faut savoir qu’on ne sait pas qu’on lantiponne tandis qu’on dit des riens, des frivolités, des balivernes., carabistouilles et calembredaines. En lantiponnant on ne choisit pas pour autant de mal dire ou de mal écrire, de bâcler les phrases ou les tournures, – ça, les gens sérieux le font très bien avec des mots ordinaires, – non, en lantiponnant on peut, et même on doit puisque le contenu s’évapore en fichaises, décider que des mots jolis, rares, inempruntés ou inconnus feront le jeu aux dépends du sérieux.

Et voilà qu’en baguenauderie je me rendis, tout à mon affaire : cueillir des mots avant qu’ils ne fanent ou se dessèchent, faute du soin qu’on doit à toutes pierreries si l’on veut en maintenir l’éclat. Mais la question se pose, le veut – on ? ou plutôt, pourquoi ne le veut-on pas ?  Ne tombons pas en application, avançons, l’aubaine est au bout des chemins de traverse et c’est seulement une fois trouvées que les pépites font les orpailleurs.

Tout commença par la mauvaise nouvelle qui jeta devant mes yeux sans que je le cherchasse, le cimetière des mots sortis d’un dictionnaire bien connu, il y a de cela quelque temps mais pas tant. Ma précipitation tendit à l’affolement. On annonçait 447 abandons, éliminations, bannissements, assassinats, tandis qu’en présentant la scène du carnage, on se réjouissait par avance de n’avoir surtout pas à les réintroduire un jour. Adonc et d’un bond je me précipitais à la lettre pour laquelle je voulais vérifier la présence d’un mot que, pour ma part, je ne prends pas pour perdu, mais dont je sais par ailleurs qu’il l’est, sauf pour les rimbaldiens, Picasso, Léon Bloy, le vocabulaire médical et quelques égarés – autant dire qu’il n’existe plus dans les textes d’aujourd’hui, ni dans les conversations. Il semblerait même que Bloy ait inventé le verbe à partir du substantif, pour tout dire qu’il s’agit chez lui d’un hapax. A la lettre « P » de l’abécédaire assassin des mots pendus, perdus, sacrifiés sur l’autel dorénavant funèbre de la joliesse ou de la rareté, la pandiculation n’était point. J’en pandiculai de satisfaction non feinte, je venais de sortir d’un court cauchemar, cela le valait bien : quelque chose comme l’agitation du gallinacé dessiné au fusain sur papier en 1938, par Picasso et

dont le titre Pandiculation du Coq nous oblige à regarder les ailes bien plutôt que le bec :  la pandiculation étant cet étirement tout particulier – auquel le nom étirement ne suffit donc pas – qui vous prend précisément au réveil, accompagné de bâillements, ce qui est un comble après dormir,  vous fait vous élonger férocement. Oh ! quel Rêve les a saisies/Dans les pandiculations ? s’interroge Rimbaud en 1871, il avait bien 17 ans.

Mais gardons le trait noir de Picasso pour souligner la liste des rejetés, des réprouvés et autres damnés de la mémoire vive de la langue. Je prélève incompréhensiblement jar ou jard espérant qu’il ne s’agit pas là de l’animal mais du banc de gros graviers et de sable mêlés – l’Académie n’accepte que l’orthographe jard – mais au moins elle l’accepte ; mouchure subit le même sort d’exclusion alors que le mot soutient au moins trois acceptions – l’Académie n’en reconnaît qu’une, et encore jusqu’en sa 7ème édition, pas après ; oblats, rédimé, saurin, R.I.P (Resquiescat In Pace), mêmes destins, avec eux, cafre et blanquisme, ou comment, pour ces deux derniers, anéantir la possibilité même d’apprendre deux bouts de géographie et d’histoire… Que pandiculation n’ait pas subi ce sort ne nous consolera pas pour tous les autres. Un mot rare ou rarement usité est toujours en danger de mort.

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