inactualités et acribies

Mélanges, miscellanées, miettes - 22.

9 Février 2023 , Rédigé par pascale

 

 

 

« Bien souvent, c’est par le langage que l’autre s’altère ; il dit un mot différent, et j’entends bruire d’une façon menaçante tout un autre monde, qui est le monde de l’autre. »  (R. Barthes in Fragments d’un discours amoureux)

Idem ibidemque, « Faire attendre : prérogative constante de tout pouvoir. »  à quoi j’ajoute, et variation sur le thème de la négation, prérogative constante de la négation de l’autre alors « à disposition » de celui qui « fait attendre » – nous parlons, bien sûr, de qui érige l’imponctualité en système ou en prérogative par excuse d’identité du genre « je suis comme ça »  une indécence dont le but est de garder le bénéfice moral de toute situation. Selon moi, c’est raté.

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« Pendant le confinement, on a vu qu’il y a eu une baisse drastique des niveaux sonores, surtout les sons anthropiques, donc liés aux transports et à l’activité urbaine » : (signé) unetelle, psychologue de l’environnement. » La somme des remarques à formuler contre ce monument de suffisance crétine l’emportant sur ma patience, j’y renonce : elle éclaire notre inacceptable et coupable « bienveillance » à l’avachissement du français oral et écrit, pour ne rien dire du surgissement de cette insoupçonnée profession « psychologue de l’environnement ». Il est bien connu que l’environnement dispose per se, d’une psyché, d’une âme, à laquelle on peut, dorénavant, accéder. Il suffira d’en écouter les bruits !

J’approuve René Daumal qui hésite entre le désespoir et la philosophie.

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La conscience de l'humanité ! Il s'agit de trois douzaines de journalistes qui gagnent leur vie en élevant des phrases, comme un paysan en élevant des veaux (Remy de Gourmont in Epilogues). Subitement, j’ai un doute, n’ai-je pas déjà rapporté ce trait offusqué ? Mieux vaut (veau) deux fois que pas du tout …

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« (…) l’abondance des romans. Chacun y va de sa petite « observation ». (…) l’ambition des auteurs ne va pas très loin. Le caractère circonstanciel, inutilement particulier de chacune de leurs notations, me donne à penser qu’ils s’amusent à mes dépens. On ne m’épargne aucune des hésitations du personnage : sera-t-il blond, comment s’appellera-t-il, irons-nous le prendre en été ? Autant de questions résolues une fois pour toutes, au petit bonheur ; il ne m’est laissé d’autre pouvoir discrétionnaire que de fermer le livre, ce dont je ne me fais pas faute aux environs de la première page. Et les descriptions ! Rien n’est comparable au néant de celles-ci ; ce n’est que superpositions d’images de catalogue, l’auteur en prend de plus en plus à son aise, il saisit l’occasion de me glisser ses cartes postales, il cherche à me faire tomber d’accord avec lui sur des lieux communs. » André Breton, Manifeste du Surréalisme. (1924)

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Tel Gide – in La porte étroite – on aimerait avoir à dire ou pouvoir écrire un jour la suite de cette formule définitive : « L’instant qui décida de ma vie … »

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Il arrive qu’on se prenne des accès de purisme totalement déplacés. Ainsi de croire que le verbe ravoir n’existe pas. Mais si ! Exclusivement à l’infinitif pour toutunchacun, conjugué à tous les temps pour le Normand causant (on ne parle pas en Normandie, on cause) patois. Ainsi : je rai, je ravais, j’ai reu ou ru, je rerai, je reais, que je raie etc. Adonc je ne me ferai plus ravoir.

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Je ne pense pas, contrairement à ce que prétend un (médiocre) article consacré (superficiellement) à Francis Ponge, que, pour lui l’usage de la parole est une incessante poursuite des choses mais la poésie une incessante poursuite des mots.

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« Un adressage précis » plutôt qu’une « adresse précise » ? Cela doit relever des nouvelletés langagières très empreintes de pédanterie. Molière reviens !

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Ainsi cet exemplaire d’empâtement – hélas, hélas, lu dans l’infolettre (je rectifie, bien sûr) d’un lieu de haute et belle tenue intellectuelle depuis des décennies – j’en témoigne personnellement. Courage ! Le principe étant d'exposer une sélection des ouvrages qui, potentiellement, pourraient intéresser les personnes présentes, afin de les proposer à la vente. Certains profitent de cette occasion pour se procurer des livres appartenant directement à leur champ disciplinaire tandis que d'autres préfèrent s'aventurer dans des découvertes plus larges. Il aurait suffi d’écrire tout simplement : nous souhaitons, par la création de cette bibliothèque éphémère, exposer une sélection d’ouvrages intéressant le public présent et lui permettre d’acquérir ceux qui concerne un champ disciplinaire précis ou d’en découvrir de nombreux autres. Cela sans trahir ni amputer le message.

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Zouzou et Léopold descendent l’escalier – petits dessins à l’appui dans un livre destiné aux très jeunes enfants. Page suivante, Zouzou et Léopold montent l’escalier – petits dessins etc. – Armance, 2 ans passés mais pas encore 3 : « Non, ils RE-montent l’escalier ! » corrige-t-elle d’une voix déterminée.

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« Il est des êtres qui ne peuvent exister et subsister que par la négation d’autres êtres. (…) On les connaît à la nullité de leurs travaux positifs. » Valéry – Cahiers II (Pléiade p. 1208) 

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Je ne comprends pas qu’on ne comprenne pas : la « croissance » induisant l’augmentation quantitative de toutes choses, il fallait, il faut et faudra, nécessairement, augmenter quantitativement tout ce que leur fabrication exige, puis leur utilisation, et la réparation des nuisances et autres défauts (euphémisme) qu’elles engendrent, ce qui oblige à fabriquer d’autres objets qui eux-mêmes etc. Que cela soit une progression — vers l’abîme — on peut le concevoir, au moins par l’étymologie, mais un progrès, en aucun cas.

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Nous apprenons que dorénavant « Le conducteur perd le contrôle de son ensemble routier » … cette catastrophe d’écriture est le péché d’orgueil.

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Avec l’envahissement du français par des tournures anglolaides et d’ailleurs fautives dans leur langue originelle, la perte des règles fondamentales de la syntaxe est un danger mortel déjà largement répandu.

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Non, je n’oublie pas la collecte des pléonasmes : Rester prudent quant à la suite à venir ! peut légitimement être ajouté à la liste toujours plus longue, avec la fameuse surprise inattendue … à laquelle il faut toujours s’attendre.

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Le zeugme est l’une de mes figures de style préférées, et peut-être bien ma !

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J’ignorais l’existence du verbe metter, pourtant fréquemment employé par toutunchacun dans ce genre de question : que metteriez-vous ici ?

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On emploie peu (euphémisme !) le terme valétudinaire peut-être parce que l’oreille y entend en première intention et intonation le valet qui sent sa soumission à ses maîtres pourtant historiquement décapités. Le valétudinaire étant d’abord esclave de ses propres faiblesses et autres langueurs indépassées, le terme mériterait d’être remis en circulation à l’égard de qui s’asservit et se complaît dans la célébration de tous ses maux à longueur de mots et de temps.

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On connaît itou, bien qu’on l’ait oublié et n’en use plus, mais on ignore nitout, non plus, qu’il faudra s’efforcer d’écrire de temps en temps dorénavant. Déjà dit ? peut-être … tant pis !

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         Nous aimons penser que les pavés – quand ils ne sont pas des livres épais, par métaphore fixée dorénavant – sont de solides et grosses pierres enchâssées dans la chaussée, de moins en moins il est vrai pour être manifestement devenus des armes par destination. Pourtant, il y eut des pavements de bois, y compris à Paris aux xix et début du xxè siècle, et autres grandes villes de par le monde et bien avant. On les appelait pavés debout, car le bois usité découpé et placé dans le sens des fibres les renforçait considérablement. Plutôt rhombes d’ailleurs que carrés – notamment dans l’ancienne Russie, leur assemblage savant par des systèmes de chevilles et de rainures reposant sur du mortier, amortissait les bruits. On en rêve tout éveillés quand on entend un traîne-valise-à-roulettes dans la nuit profonde venir de loin, passer sous vos fenêtres et disparaître longtemps dans l’insupportable retentissement en écho de son irrespectueux bagage.

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         Longtemps on croyait avoir perdu une partie du De Republica de Cicéron, laquelle réapparut – il n’y a vraiment pas d’autre mot – au début du xixème siècle après grattage – victorieux ! – d’un manuscrit en onciale de Saint Augustin, égaré – à moins qu’on l’eût déplacé – aux cours des âges et pour d’obscures raisons jusqu’aux tréfonds de la bibliothèque vaticane … Un raclage curieux, intempestif et délicat mit à jour l’intitulé cicéronien, palimpseste oublié depuis longtemps, puis, petit à petit son entièreté. Il ne restait plus qu’à le mettre en ordre et à disposition des savants et érudits sans oublier les étudiants (qui peuvent le consulter pour quelques piécettes en édition dorénavant courante, voire quelques clics). Cela s’appelle un texte redivivus, ça parle tout seul.

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         Zinzolin, le terme et la couleur découverts il y a quelque temps déjà chez Remy de Gourmont, à nouveau in Clair de terre de Breton – Yeux zinzolins.

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Prélevés chez Gaston Miron – lire, relire, rerelire Miron, il le faut absolument (L’homme rapaillé, Poésie – Gallimard aussi et ici pour l’époustouflante introduction d’Edouard Glissant) – prélevés donc, outre le magnifique rapaillé du titre, en vrac : batèche ; épilobe ; fardoche venus du Québec ; et les long-courriers de mes désirs ; je m’en vais en délabre ; la souffrance la pas belle … Touchée à cœur !

         Une palinte, en revanche, n’existe pas. Dans un entretien déjà ancien, Miron raconte qu’il s’agissait d’une erreur du typographe (plainte): Quand j’ai vu ce mot-là, je l’ai trouvé tellement beau que je l’ai laissé une palinte osseuse. Mais, comment traduire une telle trouvaille à moins de l'enchâsser entre guillemets, en toute frustration pour un lecteur non francophone …

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Réjean Ducharme le si bien patronymé – lire, relire, rerelire Réjean Ducharme : « L’écrevisse est la femelle de l’écrivain » in Le nez qui voque. Et du même : « Si je te parle, ce n’est pas parce que j’ai quelque chose à dire ; c’est parce que j’ai envie de parler ». 

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Cette énergique et désappointée formule pour achever une lettre de refus très fâchée envers un officiel politique qui voulait le médailler de l’honneur en légion – lui, un saltimbanque plein de talents, exemplaire rarissime ; je crois  pouvoir avouer m'en saisir (4 verbes à la suite !) à l’occasion, car elle convient aussi à une missive dans laquelle on partagerait avec son destinataire toutes les raisons d’être en colère :

« Passons malgré tout une bonne journée »

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