Broquille d'un mardi de mars
Gabriel, Michel, Raphaël (l’ordinateur s’obstine à refuser Rafael) pèsent lourd, très lourd ; aussi, leur voyage dut-il être éprouvant, traversant les mers et les terres difficiles, venus de Normandie, un peu sonnés par un périple qui avait tout d’une pérégrination, nos trois archangéliquement prénommés arrivèrent il y a peu mais depuis longtemps – comme les trois rois mages – en terre inconnue, inconnue de nous. Accompagnés des notabilités nécessaires à cette mission, Gabriel, Michel et Rafael, y furent déposés à l’heure dite. Ce n’était peut-être qu’un juste retour des choses : ces trois doublement ailés mais triplant la rime, avaient été portés jadis, par une impératrice également fort bien prénommée – Eugénie, Εύγενία, bien née ou de bonne naissance – sur les fonts baptismaux de la lointaine église du couvent Notre-Dame de l’Heure – en onomastique, il n’y a pas de miracle – en des temps d’autant plus révolus qu’il n’en restait plus rien. C’était avant les guerres.
Exit, démoli, défoncé le toit du couvent, dézingué si toutefois le mot convient. Avec lui les maisons de la ville ancienne, les églises, la mosquée al-Nouri dont le minaret si vieux – presque 9 siècles, c’est bien plus qu’Épiménide, mais un peu moins que Mathusalem – si vieux, qu’avant même de subir les outrages militaires, il était déjà tout penché, et les autres, si détruits ou endommagés qu’ils en étaient méconnaissables et muets devenus.
Revenons à Notre-Dame de l’Heure pour laquelle une résurrection semblait possible en lui rendant voix, cerveaux, épaules, lèvres supérieures et robes, pour les prénoms, c’était chose faite : Gabriel, Michel et Rafael arrivaient du côté de l’ancienne Ninive, baptisées, bénies et … fondues. Non, je ne délire ni ne faute, encore moins ne perds le nord, bien que le périple s’achevât loin au sud, qui ramena à Mossoul trois cloches tout droit venues de chez les Sourdins, Villedieu-les-Poêles dans la Manche*. Preuve s’il en était que le mystère est total quant au choix de leur petit nom, car en matière religieuse la foi l’emporte sur la raison n’est-ce pas ; quant à la théologie, elle n’a toujours pas résolu la question du sexe des anges, alors pensez-donc, des archanges … ou des cloches !
Dorénavant, elles sont trois, trois belles et grosses** et pansues, dont le bronze fut coulé dans les moules réfractaires* – on ne se lasse pas de cet oxymore parfait – des ateliers sourdins et manchots de Villedieu-les-Poêles, Normandie, arrivées accompagnées d’un représentant de l’État laïque, trois pour résonner, carillonner, tinter, sonnailler au campanile d’un couvent dominicain en terre irakienne. On ne sait en quelle tonalité, chacune ayant la sienne propre*. Le supérieur de la communauté se laissant certainement emporter par l’exaltation, aurait formulé cet impossible vœu : que les cloches retrouvent « une fonction de dialogue ». Permettez qu’on en doute, pour les raisons suivantes : on ne peut dialoguer, même entre cloches, si l’on est trois. Mais, c’est le moment de faire charité, si la formulation se voulait métaphore de l’échange entre personnes de bonne volonté, le choix des mots reste médiocre. Monsieur le père abbé n’a-t-il jamais tenté de parler à quiconque alors que les cloches sonnent à la volée au-dessus de sa tête et s’en donnent à … chœur joie ?
*les cloches en bronze de Villedieu-les-Poêles, capitale du cuivre, ont déjà frappé, c’est ici : Archives 13/07/2021 : Convertir les cloches en canon. ** de 110 à 270 kg, ce n’est guère précis, mais, pas mieux !