inactualités et acribies

L'excuse.

3 Mars 2023 , Rédigé par pascale

 

L’imprécision paradoxale d’un seul mot ne suffit pas toujours pour emporter le goût de comprendre. Vocable dur à l’oreille et difficile à entendre – excuse – les enfants, seraient-ils des locuteurs précoces et précis, ont bien du mal à l’articuler avec cet autre tout aussi redoutable à émettre sans le disloquer, spectacle. La phonologie instruirait-elle à nos dépends : l’excuse, ce très mauvais spectacle qu’on se donne pour mieux, une fois rodé, le jouer devant les autres ?

         Le rodage d’une pièce bien huilée – au théâtre et au garage – en assure l’entier succès, le texte emportant l’assentiment, qui sent un peu trop son ressenti, lequel risque à son tour de nous prendre dans ses rets, ne risquerions-nous pas de devenir sentimental ? Mais c’est bien le but recherché et presque toujours atteint par l’excuse : la prosopopée a un public acquis et d’aucuns jouent la représentation à guichet fermé, succès garanti ! La façon la meilleure de ne point échouer, reste de jouer sans cesse le même rôle qu’à force de façonner on finit par magnifier ; la satisfaction à entendre toujours la même chose la normalise jusqu’à la rendre désirable.

         L’excuse que l’on sollicite et parfois implore auprès d’un autre, requiert la conscience de la commission d’une faute, erreur, manquement, ou inconduite, et consiste à prier qu’on vous en exonère – encore un mot qui demande un soin articulatoire – lui renvoyant la charge de l’effort à supporter ce contre quoi on n’a pas lutté soi-même. Il y a dans cette implacable mécanique, une rupture injuste et inégale de l’équilibre de la relation à l’autre, même éphémère, précaire ou provisoire, une inversion du faix que tout le monde semble accepter, et, pour qui la refuse, un risque avéré de condamnation. Procédé irrecevable qui cherche à harponner l’excuse de l’autre tout en agitant celle que l’on s’est, par avance, accordée.

J’entends au loin une réprobation monter : n’usé-je pas du même mot pour dire deux choses contraires ? Mais, si excuser est bien, en langue française, l’antonyme de accuser, il n’y a pas grande tergiversation : s’étant fourni des excuses, en accusant les circonstances, les déterminismes, l’ignorance etc. on demande à celui qui en a fait les frais d’en supprimer les conséquences : « C’est pas moi, c’est mon cerveau » dans toutes ses expressions, de la plus démodée – « Je suis malade des nerfs » – à la plus inélégante – « j’ai pété un câble ». La différence est dans la provision de vocabulaire disponible ; rappelons au passage que, plus elle est riche et nuancée, plus elle accable celui qui en dispose et rend sa manœuvre irrecevable.

Car, de quoi parlons-nous sinon de la liberté que nous avons d’arbitrer entre diverses possibilités : celles que nous confisquons à notre avantage ou celles que nous choisissons de liquider en les renvoyant aux autres, à eux d’en porter et supporter le fardeau, en les acceptant. Ici, on voit et entend comment des excuses qu’on expédie et exile en exutoire à ses propres faillites deviennent l’expédient magnifique d'une auto-détestation. Ces accommodements qu’on accorde à bas prix à son for intérieur, plus faible que fort d’ailleurs, implacable cour d’injustice qui condamne l’innocent et soulage le peccant, ces accommodements portent signature, non point tant de nos dépendances que du libre jugement ou usage que nous en faisons*. D’aucuns préférant même leur maladie à leur guérison – Freud dit besoin de maladie et volonté de guérison – s’inventent des conforts dans leur inconfort même. Chacun connaît cette incapacité dans laquelle, dénonçant une mauvaise habitude et lucide sur ses inconvénients, on en poursuit cependant l’exercice tout en s’en défendant. Les pratiquants assidus de l’excuse vont plus loin que ces petits arrangements avec soi-même, ils ont la dévotion de leur irresponsabilité vissée au corps, par le truchement d’une malfaçon de leur esprit qu’ils entretiennent à ne pas réfléchir, réfléchir sur soi faisant pléonasme.

Que l’on comprenne. L’analyse – quel mot ! – porte sur l’engrenage qui, pour n’avoir pas été démonté, devient stratégie. L’excuse pour excuse du spectacle** d’une vie qu’on a, une fois pour toutes, laissé être agie par des causes dont les effets toujours, quelle aubaine ! sont reportables hors de soi. Cette mise en abyme de celui qui s’est abîmé lui-même, devient sa nouvelle plainte et son nouveau motif pour l’indulgence infinie qu’il estime se devoir plutôt qu’aux autres, juste bons à transformer ses incessantes disculpations en vertueuse complaisance.

 *merci Descartes, merci Sartre – qui n’a jamais tu sa dette envers lui, même s’il l’a un peu cachée ; ** Sartre encore en embuscade – mais pas le seul en cette affaire – tout le théâtre baroque est là aussi, avant lui Montaigne, après lui Pascal … : notre vie comme un rôle, un jeu, une représentation dont nous sommes le premier consentant et ravi spectateur.

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