inactualités et acribies

Le jour d'après,

10 Mars 2023 , Rédigé par pascale

 

                          chacun-chacune s’interroge encore, tel Platon en son Académie devant ses disciples disciplinés ; un lieu réservé à la recherche obstinée de la vérité, dont on suppose qu’il était légèrement écarté de l’agitation commerçante d’Athènes et planté d’oliviers bienfaiteurs, parce qu’on ne peut pas ne pas l’envisager. Chacun-chacune avait oublié – pour un moment, un moment seulement, car la petite assemblée des amis se distingue par son instruction, ses savoirs, et l’élégance individuelle et commune qu’elle a d’en faire usage – chacun-chacune avait oublié un court instant, que l’Académie platonicienne, si elle devait son existence physique, historique, datée, au disciple de Socrate, celui qui dérangeait les fats, les prétentieux, les assoiffés de la reconnaissance des puissants et leurs ombres portées, dût-il en mourir, était aussi lointaine et indirecte héritière de la légende troyenne, excusez du peu. Décidément, Hélène n’est jamais loin. Relire Plutarque : il assure qu’avant d’être enlevée par Pâris – ce que nous avons retenu – elle fut raptée par Thésée, occasionnant une première guerre. La douceur d’Hélène, celle que chanta Ronsard – Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, tout le monde connaît n’est-ce pas ? – n’effleure pas l’hellénique célébrité, autour de laquelle tout, tout, n’est que guerres et complots. Aussi nous faut-il Plutarque pour démentir Ronsard – bénissant vostre nom de louange immortelle – et ne point balancer à balancer : à quoi son fier dédain profita-t-il ? certainement pas à elle, cette vieille accroupie au foyer, cette cruelle à qui il suffisoit de m’avoir pouldroyé/Outragé, terrassé, sans m’oster l’esperance.

Qu’aurait-on dit de ce petit cénacle réuni en une académie des Amis, s’ils avaient évoqué ce rapprochement plus qu'audacieux de l’antique et de la renaissante ? mais, le jour d’après, que n'oserait-on pas, préoccupé de traquer la vérité et poursuivre les perfides, leurs paroles et leurs actes ? L’Académie platonicienne – du nom du héros Άκάδημοζ, qui épargna la ville vouée à être détruite en répression du premier rapt d’Hélène – est devenue un modèle pour tous les lieux de célébration de la vérité et ses déclinaisons civiles : honnêteté, loyauté, sincérité. Socrate, opposant infatigable à Gorgias – dont il ne reste aujourd’hui que L’éloge d’Hélène – est notre héros du jour et du jour d’après, pour avoir privilégié le questionnement (dont on rappelle qu’il n’est pas l’équivalent de la question) et refusé l’artifice de la persuasion, qui est un poison lent et indolore en vue d’un acquiescement sans le moindre rapport à la vérité. Certes, on peut et même on doit admettre que l’échange de paroles éloigne la violence – ce que dit Madame de Romilly, dans son analyse si précise de la douceur dans la pensée grecque – mais il n’éloigne pas le mensonge ou la trahison, il en est même la nécessaire condition. C’est en persuadant que l’on trompe, c’est en parlant que l’on persuade. L’épée ne sort pas de son fourreau, ne quitte pas la couture du pantalon. La mainmise est dans les mots, dans les mots seuls. L’hospitalité – vertu grecque s’il en est, académique, philosophique – est effondrée, bafouée. Hélène, qu’elle soit ou non, mais elle l’est, la cause de la guerre de Troie, en est le centre. Autour d’elle et en bas des remparts, on se bat, on se déchire, on trahit, on ment, on invente des stratagèmes, on ruse, on avale des potions magiques, on se dérobe, on tue.

Les Amis du petit cénacle du jour-d’avant-le-jour-d’après, buvaient de l’eau, du café d’abord, des paroles de réconfort ensuite qu’ils se faisaient les uns aux autres : ils savaient que ce pourquoi ils étaient ensemble, n’ayant rien à voir avec des intérêts particuliers et partisans, venait d’être puissamment percuté. Alors, ils firent académie, de bonne chère, de bon vin, de douceur parlée, d’amitié attentive. Ils prirent soin les uns des autres.

J’en témoigne avec une admiration émue,

 

Rose Pierre de Ronsard

 

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