...des biens toujours si bienfaisants....
[j'ai plaisir à proposer à nouveau ces quelques lignes. Que les uns -ceux qui s'en souviennent- et les autres -ceux qui ne les ont pas lues- y trouvent motif (comme en dentelle) et invitation à lire les pages qui les ont dictées. Ce n'est pas si souvent qu'on rencontre un si subtil et délicat soulas.]
Il y a vraiment des maisons où il fait bon vivre, seraient-elles de ruines ou de courants d’air, en bord de route ou dans un verger en friche, qu’elles soient de cassons, de petits bouts ou de débris constituées puisqu’elles sont de mots, de mémoires et de rêves. Et se nomment Maison de la Gaieté, Mont Carmel, Beau Désir, ou même cathédrale….et s’appellent l’une l’autre, s’attirent, s’entraînent et se déprennent dans le livre-promenoir de Denis Montebello*. Les mots sont sa demeure en laquelle il nous mène. Perambulation dans les allées, les sentes, par les routes et les chemins de Chérac à Epinal en passant par la Beauce et l’Italie, sans oublier saluer les anciens, Augustin au détour d’un vermiculatum comme un sucre d’orge qu’on aurait posé là. Pour la gourmandise.
Et la mosaïque. Resséante et voyagère. Embarque notre regard qui ne peut s’en détacher, vers des lointains dionysiaques. Fleurs et fruits, feuilles, grappes et bouquets, avec les yeux de l’âme, le monde est bien trop petit. Invitation à s’en détourner pour suivre les contours de la jonchée, tenter, fixant les courbes et les volutes, d’éloigner de soi l’ivreté du passé qui revient comme une ombre. Douce, mais qui revient toujours, forcément. Et nous retient par les mots.
Denis Montebello ne m’en voudra pas d’user de ce sujet pluriel, c’est un hommage, tant ce qu’il dit et comme il le dit est une Invitation au voyage, à la destination et l’itinéraire secrets, chacun pour soi. De joliesses en historiettes, de tableautins en récits, de patoiseries en étymologies, de portraitures en miniatures, répliques (Ah ! Monsieur le Maire et votre cabourne ! dans mes bras !), réparties et mots d’esprit, c’est l’intense silence qui s’installe avec les dernières phrases. Le voyage se termine là, mais il n’est pas fini. Reste l’étrange conviction qu’on en connait quelques-unes, de ces maisons-tessons, de leurs hallucinés ouvriers-architectes, quelques-uns de ces objets inspirés, peut-être dans une vie passée, ou dans une prochaine… restent ces pages comme un vestigium pedis impérissable.
*Denis Montebello, La maison de la Gaieté, éd. Le temps qu’il fait. Janvier 2017
mes fichés S sont pas fichus
mais Sauvés des flots, Soutenus, Secourus, Servis. Fiches de service. Le service d’un office de célébration. Pas des bons offices -qui résonnent des chœurs de clergeons dans les grand-messes et les grandes orgues de la presse, toujours pressée qu’on se presse pour la suivre. Ni caudataire obséquieux ni courtisan. Mes fichés S vivent et Survivent hors des itinéraires balisés par les colonnes mécaniquement édifiées du tout-prêt-à-lire-puisqu’on-vous-dit-que-c’est-bien-et-même-formidable !
Parce qu’il s’agit de livres. Je ne sais pas tenir longtemps un suspense livresque. Et là, il y a deux types de suspension, celle qui accroche, append, étrangle et exécute. Une suspension qui descend, oui, oui, en flèche. Une pendaison. L’autre qui arrime, fiche, et rive, et visse, et rivette aux délicats rivages de la mémoire infinie de nos plaisirs empaginés et saisis de délectation, pour ne pas dire mieux, ivreté prégnante que certaines lectures infligent à l’administration ordinaire de nos jours. Celle qui me donne envie et occasion de ces lignes n’a que quelques heures.
Récent, non par l’âge, l’ouvrage date de 1979 et vient tout juste d’être réédité ; je l’ai dévoré –ses lecteurs à venir comprendront que ce mot n’est vraiment pas trop fort- d’un seul tenant, d’une seule goulée. Je n’en ai fait qu’une bouchée. Je l’ai avalé d’une lampée. Il faut quand même avouer de suite qu’il tient en à peine cinquante pages. Mais cinquante pages, c’est long quand c’est pas bon !
La grande vie, son titre, est déjà un pied de nez, un anti-titre, une rigolade puante… comme les pieds. Faudra se boucher le nez. Délicats de l’olfaction et autres sens, passez votre chemin ! Cette vie-là est tout sauf grande, et tout sauf minuscule, modeste ou humble. Mais c’est pourtant une vie de rien. Jean-Pierre Martinet qui l’écrivit, le passé s’impose puisqu’il en a fini avec la/sa vie comme un ratage –ne pas oublier de lire la postface d’Eric Dussert- devait en savoir plus long que tout autre*. On aimerait des compléments. Il n’y en a pas. De l’ogresse répugnante coincée entre quatre murs à l’avorton -mon petit Adolphe- homoncule demi-portion coincé entre ses bras graisseux, il ne faut pas coincer. Ni être coincé. Et avancer avec courage, ce dont manque vraiment hop, mon petit bonhomme ! mais pas l’auteur qui ne recule devant aucune fosse d’aisance, qui deviendrait d’inconfort s’il n’y avait une puissance du verbe proprement (!) ahurissante. Démonstration qu’en peu de mots on peut produire des effets pantagruéliques ou gargantuesques, comme on voudra. Choisir des patronymes. Inventer des rencontres, des occasions. De la banalité funèbre. Qui deviendra funeste. Des réparties comme autant de parades contre le désespoir. Du Cioran qu’aurait manqué l’emballage de l’écriture soignée, celle qui panse nos pensées malades de la vie. JP Martinet ne nous épargne rien. Et surtout pas le rire macabre qui danse sur les tombes où sont couchés nos espérances, nos prétentions et même nos proches, parfois. Le cimetière tient une grande place dans ce petit livre grinçant, on le comprend de suite, avant d’entrer dans la loge de Madame C. C’est Fritz Lang qui le dit en épigraphe. La grande vie, juste imparable. Implacable. **
*en exergue de la Préface ; **aux éditions l’Arbre vengeur, et Merci à mon gentil libraire pour l’avoir défendu en public, nonobstant de possibles grincheux à venir, qui sait ?
Un livre d’un tel souffle, et peu importe le nombre de ses pages, et que son souffle se transforme en miasmes et en remugles, met d’autant plus en difficulté un de ses semblables… non parce qu’il en diffère, mais qu’il en est la négation. Le négatif. Le titre a tout pour plaire, sans ambiguïté ironique, programmatique et explicite : Une jeunesse de Blaise Pascal.* Certes, l’article indéfini une, pour qui connaît sa grammaire, fait signe. Et ce n’est pas d’avoir opté pour une certaine lecture de la biographie du penseur qui fait difficulté, mais pour une certaine écriture qui relève du simplisme, de la facilité, voire d’une ingénuité qui touche à la niaiserie. L’invention du jeune –mais aussi de l’adulte- Pascal par Marc Pautrel n’a aucun coffre. C’est en-deçà du calme plat. Il y manque l’exaltation et l’inquiétude, les tourments et les transports, l’embrasement et l’angoisse. Pas un mot, pas un mouvement (je parle du mouvement des phrases) qui nous jette (nous sommes embarqués est-il écrit pourtant dans les Pensées) dans cette âme bousculée et meurtrie comme dans un brasier. Rien qui rappelle, balancement, rythme de périodes, choix minutieux d’un vocabulaire adapté, en quel temps, en quel siècle, et comment on y écrivait. Je reprends donc mon expression dorénavant consacrée pour ces livres oubliables (quelles qu’en soient les raisons, elles peuvent être multiples) : juste un livre ! **
*pourtant édité par la maison Gallimard dans la collection l’Infini ; ** les assidus et les fidèles se souviennent que j’ai ainsi titré un texte (archives 21 février) exprimant ma contrariété qu’on ose appeler chef d’œuvre un livre très insipide, lui ouvrant ainsi la voie à un succès immérité. Au moins, Une enfance de Pascal n’est pas (encore) encensé matin-midi-et-soir !
Enfin, m’apercevant que la page s’allonge et les ombres aussi, je réserve pour un futur proche une suite favorable à d’autres fichés S : sauvés et soutenus ; quoiqu’il en soit du bruit et de la fureur qui peuvent couvrir les chuchotis des livres aimés.
Asyndètes siciliennes. Affinités d’infinitifs à l'infini
A l’annonce de son retour, la Piazza Bellini dispose déjà les marches secrètes de ses deux églises. Dans quelques jours, dans quelques heures enfin, habiter un corps vacant abandonné à leur porte, en état de viduité. Et survivre à ces journées qui passent pour la seule raison qu’elles le préparent à cet enfantement inversé dans une chair primitive. Aimer Palerme au-delà de tout. Se soumettre à tous ses désirs, à toutes ses odeurs. Palerme appelle, comme un chien qui hurle la nuit dans la campagne. Alors, se jeter dans ses bras et son souffle chaud, à son cou se pendre comme personne. Et fermer ses yeux extasiés.
S’asseoir sur un banc ombragé de la Via della Libertà. Large et puissante, l’avenue avance d’un pas sûr. Elle a fière allure. Et cette façon crâne de devenir ardente. Trois heures. Le soleil dégouline. Se lever et marcher dans un délire halluciné pour passer d’un cauchemar à l’autre quand les arbres s’envolent au son des cloches de toutes les églises et que portés par un méchant sirocco, jasmin et glycine enivrent la rue, tandis que plus loin, la place Bellini se creuse. Il faut fuir Palerme. Descendre vers le Sud.
Agrigento. Coucher de soleil sur les temples. Etre bien dans ce bain de lumières. Devenir silence. Etre présence. Courir longtemps pour rattraper Empédocle au bord de l’Etna. Trop tard. Dans une main dolente reste la lanière de sa sandale dans la nuit glacée du volcan. Le lacet d’Empédocle autour du cou, redescendre de pierre de lave en pierre de lave. Ne pas poser ses pieds, revenir à Palermo. Et marcher dans la ville. Habiter des sensations hors de toute durée. Intensément. Transpercé de part en part, n’ être jamais en repos. Ne pas reprendre souffle. Demeurer dans un état hypnotique. Palermo, la barque et le nautonier.
Eglise San Domenico, à quelques pas du marché. La place pavée où les femmes entrent depuis les ruelles comme depuis les coulisses on entre sur une scène. A la terrasse d’un bar, à l’angle de l’une d’elle, manger avec maladresse une glace qui glisse entre deux gaufrettes et fond avec une célérité friponne, rappelant le temps passé d’une enfance gourmande et sage. A cet instant, un jeune homme long et brun, fin et musclé. Aux yeux verts. Transparents. Limpides. Traverse la place et disparait. Apprendre à recevoir le choc de ces regards qui charrient violence et tendresse. Celui-là. A tout jamais. Et comprendre que certaines villes ont une peau, une chair, une respiration. Insolentes dans leur désir, elles deviennent les mots de notre propre désir. Les mots par lesquels se dit la ville la déshabillent et nous mettent à nu.
Depuis tant de temps autour de San Giovanni degli Ermiti et voir enfin s’ouvrir le portail qui clôt son jardin. Il suffisait d’attendre et de le mériter. Etre dans cet état d’intense volonté qui transforme tout rêve en désir, tout désir en réalité, par sa force seule. Quelle volupté que ce cloître petit. Carré blanc recueilli au milieu du jardin. Mandariniers en fruits. Arums en fleurs. Les roses pâles, le silence qui tendrement chuchote aux pierres lisses et vieilles une couleur unique. Le cloître enfin. Pour n’être rien d’autre qu’une plénitude pensive dans l’insolente confusion des plantes et des arbres. Parfaitement désordonnés. Dans le cloître de Saint Jean des Ermites, dans le jardin qui s’ouvre après des années de démérite, dans l’église vide. Comme une obligation d’être. Et dans le piège des mots assassins, tenter une fois, encore une fois, le passage de l’émotion aux mots qui disent l’émotion, et repartir.
Scopello attendait dans la nuit. Inaccessible. Dormir dehors, l’espérer. Déposer ses pensers humains et l’éclairer faiblement depuis le chemin fouillis. Fautivement, observer les faraglioni qui reposent dans l’indifférence. Promesse d’un rêve qui se chauffe à lui-même. Et soudain, voir la peau de la mer frissonner. La soulever, s’y glisser. Sous la brume, Scopello attendait et délicatement la mer reforma ses plis.
Rentrer passant par les collines qui déroulent leur tapis vert et se répondent, lascives, courbes et douces, qui s’abandonnent. De village en village, s’éclairent. Passent du vert au bleu. Dressent les pointes de leurs seins. Retiennent des champs de luzernes en fleurs sur leurs flancs rouge sang. Traverser l’île par l’intérieur, par les Madonie, leurs routes impraticables, leurs villages inconnus et bordés de cimetières arabes. Entendre toutes les maisons qui appellent et font signe. La blanche, sa porte bleue et ses rubans de Pâques. La rose, porte verte et banc de bois. La beige, tonnelle qui croule sous la glycine en fleurs, toujours. Au bout d’elle-même. Entrer dans la cour d’une ferme et acheter des pains de figues, caresser le four à bois encore chaud où ils ont cuit. Le bleu si intense du ciel sur le porche d’entrée coiffé de quelques créneaux surplombés d’un clocheton en courant d’air. Rejoindre avec obstination et fureur les noirs villages au nord-est, leurs églises en pierres de lave. Des pleurs de cendre en corps à corps avec les mots qui ne peuvent se déployer. Au-delà, le volcan comme une écume imaginaire. Verser des larmes de feu. Une fois de plus, une fois encore, c’est à l’Etna qu’il faut revenir pour entendre toute vérité…
Taormina. Le soleil la caresse exclusivement. Il lui faut en passer par elle pour s’éteindre, et descendre en glissant les gradins du théâtre pendable où il finit toujours par disparaître. Aujourd’hui, comme hier. Lire. Ecrire. Ecrire encore. Tendrement le théâtre s’amenuise. Les pans des murs ruinés par tant de regards inassouvis et les colonnes usées par trop d’impatience. S’appliquer à chiffonner le velours du soleil, et le frôler ensuite en frissonnant pour défroisser la lourde étoffe crépusculaire et draper dans ses couleurs du soir toute la baie de Taormine.
Puis rentrer, une fois encore, une dernière fois à Palerme. Se blottir sous les racines des banians du Jardin public qui descendent au sol en rideaux d’ombre et de fraîcheur. Et toujours la glycine du regard bleu clair des filles de Palerme qu’entourent de leurs bras de bronze des garçons aux yeux verts. Rendez-vous au rez-de-chaussée du Palais Gangi.
Mon Aimée
Mais comment donc les adjudants ignorants et féroces de l’usage des mots vont-ils supporter que cet adjectif possessif, diantre ! et masculin, précède un être féminin ? l’insupportable contre-argument de l’obsolescence, de la ringardise, en un mot de la loi naturelle (sic) selon laquelle tout évolue, donc la langue, va-t-il encore nous être opposé ? et que va-t-il falloir inventer pour éradiquer Mon Aimée…
Mon Aimée, que je lis à l’instant dans une Correspondance de la fin du XIXème siècle –pensez-donc ! est sûrement une insulte aux prescripteurs d’aujourd’hui - mon ne peut, ni ne doit, désigner une femme… et aux néo-précepteurs pour lesquels tout humain de sexe féminin a droit à porter son “e” en bandoulière, ce qui rime avec cartouchière et lanière. Le “e” pourtant si léger, le “e” dont le silence fait signe d’une présence mutine parfois, amuïe souvent, Mon Aimée, le “e” qui en dit long sans avoir besoin d’en rajouter…. Le “e” dorénavant malmené, brutalisé. Maltraitance pour une voyelle douce.
Sauf, et j’avoue que mon aimée, aussi soyeux et velouté que s’il fût distrait d’un alexandrin de Racine, mon aimée me sert évidemment de prétexte- pour attaquer cellezetceux qui ne comprennent toujours pas qu’unE auteurE ou unE écrivainE n’existe pas, tout simplement ! Ou alors, dans la Famille Surérogatoire je demande la danseurE, l’instituteurE… mais rappelle que les (quelques) noms français en -eure de naissance (la prieure, la supérieure….) proviennent des comparatifs latins en or, en plaqué or ? mais pourquoi l’auteure et pas l’autrice, puisque l’actrice est féminin de l’acteur, si j’ose dire… ou l’auteuse, comme on dit la danseuse.
J’en appelle donc à nos bien aimés Amis, dont je ne comprends pas qu’ils ne la ramènent pas quand personne n’ose écrire, s’agissant d’une femme, la bandite, l’escrocque ou la malfrate, (parité ! parité !) mais qu’on ose encore s’agissant d’eux, parler d’une victime, d’une personne, ou d’une star, d’une canaille ou d’une proie, j’en passe, j’en passe. Ou comment suspendre le sexe à la conquête de la cinquième lettre de l’alphabet pour faire avancer la cause des femmes et soumettre le monde à cette injonction absurde ! et comment le bon usage, la correction syntaxique, morphosyntaxique, orthographique et grammaticale, deviennent fautifs. D’office. Voilà qui est tout simplement sidérant.
Qui ne voit que cette idée ridicule selon laquelle une langue est vivante et doit ainsi se soumettre à l’air du temps, est juste un sophisme, un paralogisme, le contraire même du raisonnement, l’ignorance crasse de la philologie, pire l’inféodation au plus mauvais, à la paresse, l’assujettissement à un prêchi-prêcha détestable. Et que la parité(E?)et l’égalité(E?) se jouent dans la loi, et donc dans les luttes ? Nos amis anglophones n’auraient-ils donc plus de soucis à se faire, ni de problèmes à régler, n’en ont-ils jamais eus, bienheureux qui ne connaissent pas la distinction grammaticale entre le féminin et le masculin, a friend is a friend, et nos cousins italiens ont-ils perdu tout sens commun, qui disent La sabbia (fém.) pour le sable, ou Il mare (masc.) pour la mer… on me rétorquera (pan sur le bec !), qu’il ne s’agit point là d’humains, mais d’objets inanimés et non pensants. Certes, je crois bien que je vois la différence. Je veux juste montrer que la partition grammaticale et syntaxique du monde entre masculin et féminin dans une langue (à condition qu’elle en soit pourvue !) ne doit rien à l’idéologie des rapports entre les hommes et les femmes, et que l’on est typiquement devant une pitoyable récrimination d’aliborons analphabètes –là je fais pléonasme pour le plaisir de l’allitération, quand on exige sous peine d’immolation publique que soit dite et écrite la rapporteurE (il est vrai qu’une rapporteuse, hum….) proviseurE, procureurE. Fondre et confondre sexe, genre et fonction est devenu la règle, et résister, une faute contre la moitié de l’humanité, contre une nouvelle réglementation autoproclamée (et totalement … fautive), mais aussi, mais surtout une faute morale, une faute idéologique ! Ah ! où le jugement moral va-t-il se loger de nos jours, et au nom de quoi ? On a le combat féministe léger et court vêtu, qui s’en sort à pas cher, rétréci, sommaire et crapoussin s’il suffit de mettre en demeure quiconque prend une plume, pardon un clavier, ou un micro, de dire et écrire une écrivainE (qui compte, forcément), lui ajoutant un “e” en appendice –substantif masculin qui désigne une partie surajoutée à une autre, en complément, prolongement ou accessoire… pour marque de quoi ? du féminin ou de sa féminité ?
Et tout le monde obtempère. Sans (se) poser la moindre question… Douce tyrannie de l’air du temps, qui flotte d’autant mieux qu’elle ne repose sur rien, sinon sur elle-même, qu’elle est sa propre justification, sa propre mesure, et qu’un peu de savoir est dorénavant compris comme beaucoup d’arrogance, et l’impéritie pour la norme. J’ai donc lu récemment ces formidables choses : les personnes auteures (devenu adjectif, dorénavant auteur s’accorde avec le nom !) d'agressions ; la pivot de l’équipe (pourquoi, mais pourquoi donc n’avoir pas écrit la pivote….) ; cette médecin (évidemment cette médecine n’avait pas le même sens, j’y reviens) ; sa sauveuse (tiens, point de sauveurE cette fois ?) et autres joyeusetés, comme chauffeure de taxi, la chauffeuse étant déjà occupée. Chacun fait ce qu’il veut.*
Je voudrai juste rappeler que la marque du féminin, en français, n’est pas le “e”…. on se calme ! j’ai bien dit la marque. Tant de mots féminins le sont sans lui, notamment tous les mots dits de qualité (bonté, imbécillité, vérité, fausseté et sqq… et bonheur, malheur, senteur, sont féminins sans “e”) ; il ne suffit pas d’ajouter inconditionnellement un “e” à la fin d’un substantif pour réussir un changement de sexe indolore, et gagner ce combat. D’autant qu’à l’oral, l’auteure ne dévoile pas son intimité, et si par cumul des guignes son prénom est Camille, Dominique ou Claude… on est mal barré comme on dit aussi ! là, je sens que je me ratatine. Mais surtout, il existe des mots masculins qui portent (comme un fardeau, une punition) ce “e” insupportable, dont il faudrait peut-être les …. châtrer, ou les châtier, qui sait ? un macchabée doit-il s’arrimer un troisième “e” s’il est une femme, même question pour un pygmée, ou un sigisbée… athée ? Certes, voilà des mots qui ne font pas le quotidien de nos écrits, mais le lycée, le musée, le prytanée sont bien des noms masculins, affublés pourtant de ce “e” maudit mais adhérent !
Restent les cas drolatiques où le passage du masculin à un féminin existant, s’accompagne d’un changement de sens, et confirme ainsi que lorsque l’idéologie l’emporte, le grotesque aussi. Je veux dire que l’obligation, l’objurgation qui nous sont faites de féminiser à tout-va tout ce qui peut l’être est un caporalisme indolore, insidieux, dormitif, de ceux qui rassurent mais abêtissent, puisque, n’est-ce pas, c’est devenu l’habitude, et qu’il faut bien être de son époque…
Aussi, le manœuvre s’use à la manœuvre (!), le mousse dégage la mousse envahissante (?). Et la pluie menaçant, le pèlerin enfile une pèlerine….ok... Le concours est ouvert. Je me demande si c’est eu égard à sa soutane que le Pape est appelé Sa Sainteté. Suis-je de mauvaise foi ?
...et dans cette logique sans raison, il faut donc castrer, émasculer, amputer, tous les noms épicènes –et ils sont nombreux- quand ils désignent des hommes… pour les distinguer des dames. Ainsi, un philosoph, un artist, un mair… doivent renoncer à leur “e” pour mieux en revêtir les femmes. J’exagère ? ah bon?
... reste à dire deux mots du dictionnaire convoqué sans jugeote comme juge de paix, alors qu’il se contente d’entériner l’usage le plus fréquent, en nombre, puisque, dorénavant, le nombre a toujours raison sur tout, même sur la grammaire. Les dictionnaires courants sont des objets marchands, ils présentent ce qui plaît, ce qu’on est prêt à acheter. Ils enregistrent l’air du temps, et vous le vendent. Article “tendance” dont on ne manque pas de présenter le nouveau modèle chaque année, et les 'innovations' qui vont avec. Comme au salon de l’auto !
*surtout les journaleux de la presse écrite -mot sans la moindre épaisseur désormais- en passe de nous dicter nos conduites... l'éducation nationale laissant le champ libre au plus accessible, au plus facile, au plus "ludique" et considérant qu'il faut élever le niveau par le bas.
De la prose du monde* à la rage de l’expression** (III)
… mais le plus dur reste à faire. Car du monde pensé et écrit sans volonté affichée de produire des effets, à l'écriture qui enrage de toucher le mot au plus juste, on pourrait croire le premier du philosophe et la seconde du poète. Le philosophe use d’une écriture acribique, les grincheux diront pédante, absconse ou abstruse. On ne dit pas, pourtant, d’un compositeur qu’il est cuistre, fat ou prétentieux au seul prétexte qu’on ne sait le solfège ou l’art de la composition, ni de l’instrumentation… et là, je pousse un soupir –bien vu ! Le philosophe, pire, le métaphysicien, responsable de l’incompréhension de ses lecteurs au motif qu’il n’écrit pas clairement ! Pourtant il le fait. Ne s’autorise ni sous-entendu, ni polysémie, plurivocité, ambiguïté ou ambivalence. La charpente, et partant, le corps tout entier de son raisonnement s’en trouverait menacé et même faussé. [Qui a lu et ruminé l’Ethique de Spinoza peut en témoigner]. C’est pourquoi il faut lire les philosophes non point de l’extérieur, mais de l’intérieur, à partir d’une connaissance minimale de leur lexique propre. Les Idées platoniciennes ne sont pas les idées de mon voisin, la science ne recouvre pas le domaine scientifique, et les questions existentielles ne sont pas existentialistes….
Voilà pourquoi, on l’aura compris, la philosophie, la métaphysique et/ou l’ontologie requièrent l’usage de formulations explicites, -claires et distinctes dit Descartes, ici comme ailleurs, d’ailleurs ! Et plutôt que partir de définitions comme le suggère vulgairement la plupart des livres dédiés aux lycéens, c’est aux définitions, ou plutôt à des significations qu’il faut arriver, accostage qui parachève une navigation rarement tranquille… de l’importance des métaphores, qui ne sont pas le contraire de la précision, mais en sont l’ornement ; le philosophe est toujours (un) écrivain –affirme avec force Merleau-Ponty, rendant hommage à Socrate, le seul qui ne le fut pas ! Premier lieu commun à abattre : la poésie n’est pas réductible à la question des figures, pourtant si couramment posée par des commentateurs étroitement scolaires et scandaleusement bornés. Et le discours philosophique non seulement n’est pas exempt de procédés, mais il en a besoin. Il met en œuvre des stratégies*** pour que soit dit ce qui ne peut rester non-dit. Et bien que l’écriture philosophique relève du plus petit écart possible entre signifié et signifiant, et ne puisse disséminer plusieurs significations dans des signes uniques, elle rompt avec le langage ordinaire en recourant à des images, des métaphores, des analogies pour que le travail de la pensée s’accomplisse quoi qu’il en coûte. Mais le philosophe n’est pas économe. C’est un bavard impénitent. Il déplie et déploie des formulations qui s’enrichissent et se compensent, il revient, il recommence, il avance lentement. Il n’a qu’une obligation répliquée de mille manières, le principe de non-contradiction. Aussi, syntaxe, grammaire, lexique, rhétorique, tout a pour lui un pouvoir structurant. Il est l’ornemaniste de sa réflexion propre, qui a besoin de temps long et de rumination. Il lui faut remettre, déposer, faire tenir une prose du monde, serait-elle aporétique. Aussi, quand Heidegger affirme que le métaphorique n’existe qu’à l’intérieur de la métaphysique, il dit que l’énonciation, pour être signifiante, ne peut pas se passer de cette puissance sémantique, qu’elle profite en quelque sorte de cette vivification*** sans laquelle le discours purement spéculatif s’assècherait. Ce n’est pas la question irrésolue parce qu’irrationnelle –bien qu’artisanale et artiste- du style, c’est de l’usage des mots dont il s’agit. C’est de la structure linguistique de la pensée.
Difficile, impossible parfois même, tant les pré/jugés et les indignations résistent, d’expliquer que les mots font nos pensées. Que nous ne sommes pas des êtres parlant parce que nous pensons, mais des êtres pensant parce que nous parlons. On me dit “langage des gestes”, “émotions”, “sentiments”, “images” que sais-je encore qui traverseraient nos pensées “hors mots” comme certaines tomates de nos jours poussent “hors sol”. Merleau-Ponty, décidément notre référence sur cette question, emploie le très joli mot de sédimentation. La langue que nous parlons est parlante. Tautologie nécessaire pour tenter de rendre compte de ce rapport de quasi-corporéité que nous avons avec les mots, et même bon nombre d’expressions, tellement en nous et même tellement nous, que nous sommes incapables de réaliser qu’ils nous font être et non pas que nous les faisons exister : mes paroles me surprennent moi-même et m’apprennent ma pensée. Jusqu’au trébuchement pour trouver le mot juste, jusqu’à l’échec de l’expression, jusqu’au contre-sens, jusqu’à la rage de l’expression, qui me fait croire que ce que je tais, je ne le dis pas…. Ce serait ni plus ni moins que Le fantôme d’un langage pur ! quelle impudence, quel orgueil, quelle méconnaissance !
Dans cette impuissance grossière et coutumière, la poésie nous est indispensable. Elle esthétise notre regard et nous apprend le monde en nous faisant voir ce que nous ne voyions pas. O. Wilde ne disait-il pas que les brouillards de Londres nous sont un Turner, et non plus le signe d’un rhume de cerveau à venir, depuis…. Turner justement ! Nous savons d’un savoir puissant, irréfragable, exact et précis que les rosiers sauvages sont pleins d’une douce et inflexible volonté**** ; et que Le rauque incarnat d’une rose, en frappant l’eau (…) Me poussa dans l’avenir comme un outil affamé et fiévreux. Le philosophe aurait ex-plicité, donc expliqué, que les apparences sont trompeuses et peuvent faire illusion, au point que le vouloir s’affaiblit alors même que nous avons l’illusion du contraire… La Charogne baudelairienne pour nouvelle image de toute Vanité, comme une métaphysique implicite de la condition humaine. Epicure, Lucrèce, Montaigne et Pascal tout ensemble ; et un Parfum, respiré/Avec ivresse et lente gourmandise***** dit mieux que Le Traité de la Nature Humaine de Hume ce que nous devons à nos sensations puisque nos connaissances sont d’abord empiriques….
Plus encore qu’aux Roses d’un Jour de Mai, c’est aux mots des poètes que je dois de savoir qu’une Rose noire peut être ensoleillée….
*Merleau-Ponty (repris pour titre du ch. 2 des Mots et les Choses de Foucault) ; ** Francis Ponge ; ***Paul Ricœur, La Métaphore vive ; ****René Char ; *****Baudelaire
poésie et philosophie (II)
… alors je suis allée chercher dans ceux de mes livres qui chapechutent à mon oreille intérieure, celle qui s’est constituée dans le silence très organisé mais invisible des lectures définitives. Et c’est à Bachelard que je suis revenue, l’épistémologue-poète. Je feuillette, je me souviens. Je cherche. Je sais que je vais trouver. J’aime ces moments que je pratique de plus en plus fréquemment où je m’en remets aux œuvres et aux auteurs sur la seule foi de mon intuition (ce qui est assez bachelardien disons-le) laquelle est évidemment informelle, mais assez sûre.
Instant poétique et Instant métaphysique, tel est le titre d’un texte publié par Bachelard en 1939 dans la revue Messages. Première phrase : La poésie est une métaphysique instantanée. L’excitation intellectuelle est de celles qui figent, pétrifient, consolident. J’installe confortablement mon cerveau. Bien sûr Bachelard déroule là une réflexion, une méditation, sur le temps -mais un philosophe qui médite le fait toujours avec Raison. J’avance. Cette instantanéité ne signifie pas que le temps étiré s’abolit, qu’il est in-sensible, im-perçu, ni que se juxtaposent des éclats de moments comme autant de points discontinus adossés les uns aux autres et qui finissent par dessiner la ligne, continue cette fois, que l’on croit voir. J’éloigne de ma lecture la destination bergsonienne de ces propos, et je m’engage dans le texte par une certitude in-forme mais solide. Et je comprends ce que cette métaphysique instantanée signifie pour Bachelard : si la métaphysique suppose et impose la clarté due à l’élaboration longue, interminable, de ses outils (ses concepts –seul usage licite de ce terme), si elle use du doute, c’est-à-dire des suspensions de jugement (ἐποχή) nécessaires à l’établissement et la formulation de principes vrais, (que valent des affirmations soumises à la fausse prudence de la relativité des opinions?), la poésie, quant à elle, se passe de ces moyens, de ces intermédiaires rationnels, elle refuse les préambules, elle est l’expérience, méta-physique en effet, de l’instant, elle abandonne, sans en formuler la volonté consciente, la nécessité de construire une pensée continuée, alors qu’elle laisse en nous ce murmure continu, la basse continue, d’un autre rapport au réel, à ce qui existe. Le poète, le poème, n’a pas besoin d’un rapport horizontal au temps que l’on appelle aussi, depuis Platon, le devenir. Il y a, dans sa relation sonore aux mots, un rapport aux mondes tout de remous, de mouvements, de chocs qui écrase l’élaboration d’un raisonnement dans la durée, sans l’anéantir, ni l’ignorer. Il s’agit de jaillissement. Et de convoquer Mallarmé. Et Baudelaire.
Mais c’est l’usage de la syntaxe, de la ponctuation, de la grammaire, du vocabulaire qui réalise ces pulvérisations. Sinon, quoi d’autre* ? Dans Le droit de rêver, dont je me saisis fébrilement, là, juste à côté, je lis que la poésie doit rompre avec nos habitudes, c’est-à-dire nos habitudes poétiques. Je souris. Je reconnais bien là la réflexion de l’épistémologue, je retrouve mot pour mot l’expression célèbre de La formation de l’esprit scientifique : refuser les séductions premières. Le chapitre intitulé “La dialectique dynamique de la rêverie mallarméenne” est mieux qu’une invitation à poursuivre. Il me tire, sans le moindre tiraillement car la chose est lumineuse. Une vibration ontologique, de l’ordre de l’être-même pour dépasser tout paraître –cette fois c’est Bachelard qui a souligné- traverse le poème.
Ainsi J’attends, en m’abîmant, que mon ennui s’élève, ne dit ni mieux, ni plus, mais autrement, la possibilité différée du divertissement, la conscience de l’absurde qui l’accompagne, et l’un de leurs corollaires philosophiques, l’usage ou non du libre-arbitre. La métaphysique existentialiste (expression fautive puisqu’il n’y a pas d’au-delà de l’existence pour l’Existentialisme doctrinal) je veux dire le questionnement sur le sens de l’Exister- est ici submergée, ou engloutie, c’est selon, par l’envoûtant alexandrin de Mallarmé. Et Bachelard d’user par ailleurs* de l’adjectif dynamique pour qualifier cette ontologie. Gageons qu’il s’agit là du sens étymologique (δυναμικός) qui a à voir avec le mouvement, la cinématique, deux branches de la … physique, bien sûr ! Aussi, je ne peux empêcher un regard attendri vers Empédocle, le physicien-poète-philosophe, dans un mouvement d’émotion, ce qui fait pléonasme… et avec lui vers tous ces philosophes qui pour penser le monde, et le pensant en minuscules particules de matière, ont eu recours à des écritures poétiques, pour la puissance de leur dire..
Je tourne encore quelques pages. Et retrouve le verbe pulvériser. Cette fois je me souviens qu’un petit livre moins connu de Bachelard –Les intuitions atomistiques- a pour premier chapitre : la métaphysique de la poussière. Nouveau télescopage. Je cherche… oui, c’est bien le livre –magnifique- de Jean Salem à propos de Démocrite qui a pour titre… Grains de poussière dans un rayon de soleil. Je me rends. Quelle heure est-il dans la nuit ?….
Je suis, dit Bachelard, un rêveur de mots, un rêveur de mots écrits. C’est de ce dernier terme dont il me faut maintenant rendre compte.** L’implicite n’est ni l’absence de mots, ni leur défaillance, mais un autre dire, dont la philosophie formule l’explicite….
* dans l’Introduction de La Poétique de la rêverie - **dernier volet à venir de ma méditation depuis le Jardin des Roses d’un jour de Mai, et poursuivre là le partage des mots avec l’ami A.B -
Je me souviens des Possibles futurs de Guillevic*, et de quelques autres…( I )
Duchesse de Montebello, Pénélope, Pierre de Ronsard, Cardinal de Richelieu... Rose est la première, blanche la deuxième mais ancienne et hybride, compacte et grimpante la troisième, pourpre foncé la dernière. Double la corolle doublement ailée de Chevy Chase ; blanche aussi la liane de Château du Rivau, tout exprès créée pour le lieu ; Vierge de Cléry, une centifolia vigoureuse ; Falstaff la discrète -un rosier oxymore en somme- et la persane de Damas revenue des croisades et tant croisée depuis. Mais The Dark lady, ma préférée bien sûr. Sombre et délicate. Comme une pivoine obscure. Au puissant parfum de l’antique.
L’esprit des mots s’en mêle et emmêle ses pinceaux, s’envole et disparaît pour mieux se ramentevoir des rosiers du palais de Cnossos, qu’on a dit d’Abyssinie, ceux des jardins de Cyrène, ou ceux que Midas porta avec lui de Lydie en Macédoine. Les noms chantent les temps d’avant, les temps où les roses étaient les mêmes qu’aujourd’hui –cultivars- sous les mêmes chaleurs, les mêmes cieux. De Milet, le pays des philosophes d’avant Socrate, de Pangée ou d’Alabande, d’Egypte ou de Cyrénaïque, c’est toujours Virgile qui chante la même rose, de Paestum, la damascena, née d’Aphrodite, c’est attesté.
On dit que Duchesse de Montebello est d’un rose si tendre qu’il offusquerait presque son ancienneté par sa fraîcheur. Les roses n’ont pas leur pareil pour obliger les mots, égruger les verbes, briser les adjectifs, pulvériser les noms en autant de surprises lexicales. Elles sont défi pour l’écriture sûrement plus encore que pour le pinceau. L’affrontement est inévitable. La pâleur de la Duchesse de Montebello n’est point d’une malade, d’une livide, la rose n’est ni fade, ni anémiée, elle n’est pourtant ni rose soutenu, vif ou nuancé. La Duchesse est rose pâle… juste rose pâle, presque blanc nacré, ou opalin peut-être, et son parfum léger. Léger ? délicat, subtil, certes, mais infiniment léger, on le croirait vaporisé autour d’elle, léger dans l’aile alerte du papillon qui le frôle et le porte et l’emporte. Un parfum désinvolte au fond, qui ne deviendra ni fragrance ni senteur, par excès de souplesse, un parfum délié, mince et pénétrant comme un parfum de rose, une toile de Renoir.
C’est à Théophraste que l’on doit le probable premier Traité des Odeurs. Surprenante inconsistance du corpus ancien sur la question, absence de lyrisme ou simplement d’admiration pour les roses qui ne sont que des fleurs, voire des plantes parmi d’autres, dont on préfère développer minutieusement les vertus, les usages, les cultures, comme le fait l’intarissable, inépuisable et généreux Pline l’Ancien. Description quasi clinique, entomologiste, botanique. Rien qui nous transporte au-delà du végétal, sinon ce que nous y mettrons nous-mêmes par rétrospective sensibilité. Au moins apprenons-nous qu’on élaborait du vin de rose, et que la tête du rosier sauvage mêlée à de la graisse d'ours fait merveille contre l'alopécie.
Pourtant la rose est aussi fleur de légendes. Il ne fallut pas moins que Chloris, Aphrodite, Dionysos et Apollon s’employassent chacun pour soi et tous ensemble à sa confection pour que la rose inaugurât mille et mille voyages divins inachevés, ou que les mêmes devinssent Flora, Vénus, Jupiter… cela ne changea rien, les légendes non seulement ne s’arrêtent jamais, mais le temps, c’est-à-dire les poètes, les rapetasse et les ravaude à sa manière, cousant un tissu de rêves au fil de l’or des mots.
Alors un jour de Mai, un jour de roses, me fut occasion heureuse de raviver et partager une intuition très ancienne, très tenace, très vivace et intime, une illumination, de celles dont un rude philosophe montra qu’elles sont aussi les plus fécondes** : il y a, de la poésie à la philosophie, non point une rupture, un changement qualitatif irréversible, un abîme d’abîmes infranchissables, mais juste une différence dans l’usage des mots. Je m’explique.
En un Jardin tout de roses fleuri, plus une noire en boutonnière, deux poètes se promenaient avec leurs amis Chantant en vers/Chantant en prose/Venue de Perse ou de Damas/La rouge sang, la blanche éclose/Couvrant les murs et les terrasses/ je retrouve dans la fulgurance la formulation d’une conviction qui, au fond, ne m’a jamais quittée. Les poètes et les philosophes ne sont ni opposés ni étrangers. Ils ont les mêmes questionnements, les mêmes suspensions métaphysiques devant le réel, devant ce qui est, qui aurait pu ne pas être, ou qui aurait pu être autrement, les premiers choisissent, ou sont choisis, happés, entrainés, par les mots d’â côté, les mots qui pour mieux dire manquent la cible, et jettent mille feux, attisant le brasier, envoyant des étincelles et des flamboiements, nous plongeant d’aussi haut qu’il se peut dans la fournaise, l’aciérie, jusqu’au point d’incandescence, et nous y engloutir ; les seconds transpirant, prenant suée, sécrétant le goutte à goutte du terme pour l’exprimer au plus juste de son sens, ne point le tordre ou le blesser pour ne pas déserter. De l’implicite rayonnant de l’un à l’explicite lumineux de l’autre, nulle différence, nulle opposition, la même appréhension méta/physique de ce qui est, soit par ce qui n’est pas, détournement des mots –poésie, soit par stricte adhésion du contenu et du sens –philosophie.
Toujours au-delà de ce qu’elle donne à voir, et disant toujours plus et mieux que ce qu’elle montre, existence et essence confondues, et les mots pour la dire distendus, distants, tendus, toujours échoués au bord de son image, la Rose comme une leçon d’ontologie méditative. Dans cet au-delà –μετά- des rosiers qui s’offraient à mes perceptions sensibles -φύσις, mais aussi de la poésie qui les exaltait tous sans en citer un seul, je me suis laissé aller entre tension et équilibre fragiles. Tandis qu’aux mots les rosiers se laissaient prendre, ce jour des roses, un jour de Mai.
*en hommage et remerciement au Jaseur, qui sait.
**Kant, parlant de Thalès…
Duchesse de Montebello
Jour de mon anniversaire
actualité inactuelle du temps qui passe
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*le blog n'étant probablement pas sur le même fuseau horaire que moi (encore une affaire de temps...) la date officielle est bien le 4 et non le 3, d'ailleurs, c'est à 00 h et quelques étoiles que j'ai commis ce vaniteux forfait....
Les Gémeaux sont de retour
Plutôt deux fois qu’une…
J’en ai une brassée autour de moi, une paire en tout cas. A qui je souhaite tout ce qu’ils désirent pour eux-mêmes : des livres, des livres, de la musique, de la musique, du bon vin, du bon vin, du chocolat, du chocolat, et puis des fleurs, tiens des fleurs… de rhétorique. De beaux moments ensemble, je veux dire avec moi. Pas trop rares quand même ! F&F qui se reconnaîtront, que l’on reconnaîtra, et ne m’en voudront pas de les lier en ces anniversaires, même si je sais que quelques jours les séparent, cette fois, l’un de l’autre ; tout se passe au mois de Junon, c’est l’essentiel.
Plumes de Paon, l'oiseau de la Déesse