inactualités et acribies

Le parti pris des gants

29 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

Octobre. Je mets mes gants. Pour six ou sept mois. Quel que soit le temps. C’est le temps des gants. En cuir bien sûr. Noir sans la moindre hésitation. Bien que je trouve du dernier raffinement de les assortir à sa toilette. Son manteau, sa voilette. L’élégante est gantée.

Point de mitaines, qui vous coupent les mains en deux et n’en réchauffent que la partie la moins habile, la moins utile, celle dont vous ne vous servez pas pour ramasser la monnaie,  tenir les clefs,  mitaines qui vous obligent à souffler sur le bout de vos doigts gelés, pour que le diable ne viennent les croquer. Point de moufles non plus. Perdre le nord nous font. A main droite, j’en suis toute gauche, à main gauche ne suis plus adroite et je ressemble à un manchot. Autant s’emmancher d’un manchon, sérieux !

Une main gantée paraît avoir pris la souplesse du cuir dont elle est revêtue. Elle devient fine, sans forcément l’être. On l’imagine. On l’envisage, on ne peut la dévisager. La main cachée se donne à deviner  par le gant qui la séquestre et la garde doucement recluse, l’embellit toujours, la signale à qui passe près d’elle. Un gant suffit. L’autre peut être tenu, retenu, nouveau reclus dans le premier. Nonchalance d’un demi-geste tout en souplesse, mise en abyme pelletière, le charmant abandon de cuir fin. Une grâce qui vient de loin, du portrait de l’inconnu renaissant sous le pinceau du Titien, il y a bien cinq cents ans.

Comme j’aurais aimé que Bronzino, à la même époque, ajustât des gants -ou un- aux mains graciles de son Jeune homme au luth. J’imagine, s’il l’eût fait, qu’il aurait, comme Léonard pour les corps tout entiers, dessiné les doigts, les ongles, les tendons, le tracé invisible des veines, qu’il aurait ensuite seulement, engantés.

C’est pourquoi porter des gants en Italie prend une signification particulière. A Rome. Chez Sermoneta regretter les boiseries à même les murs, tous les murs, fendus d’incisions si minces, que 3 ou 4 peut-être 5 paires de gants seules pouvaient s’y ranger ; de haut en bas, du rez-de-chaussée à l’étage, ce qui doit bien faire des dizaines de milliers de doigts, de paumes, de mains, d’empans. Toutes les nuances de toutes les teintes, de toutes les couleurs. Le magasin est aujourd’hui rénové, ce qui signifie à coup sûr qu’il s’est amoché. Mais les gants sont toujours là. Les gantières aussi.  Alors filer à Campo dei Fiori. Comme la coutume le veut, commander un verre de vin. Un petit sicilien blanc. Ne se lasser point de l’agitation. Ici elle vous va bien. Oter ses gants, devant Giordano Bruno qui croise ses mains nues l’une sur l’autre.

C’est un peu comme si l’on disconvenait du monde.

Une femme passe alors au bout de ma mémoire. Ses gants sont la seule chose dont je me souviens bien. Elle les porte avec autorité. Intransigeance et froideur. Peut-être l’Italie de ses ancêtres, mais l’antiphrase de l’Italie que j’aime. D’une paire en particulier je me souviens -elle en avait plusieurs. Mais celle-là, elle les appelait ses gants ‘marron glacé’.

(photo perso)

le philosophe et le champagne

25 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

   Un déjeuner ordinaire, au XVIIème siècle, soit un dîner, c’est trois services. Chez un gentilhomme, évidemment. Le premier, juste pour exemple, comprend potage, c’est-à-dire un plat de viandes bouillies, précédé de quatre entrées et deux hors-d’œuvre, avec saucisses, tourtes de pigeons et perdreaux, poulardes en galantine ou cailles selon la saison ;  restent les deux autres services : pour indications, rôtis, gibier, légumes…. et les desserts : fruits à foison, compotes, blanc-manger… Tout s’accorde au pluriel, sauf raison grammaticale. Des sauces, des épices, et même des essences de fleurs…. pour couvrir et recouvrir le tout. Confusion et profusion. Arômes, fumets, parfums, saveurs. Estomacs à coup sûr bien accrochés. Plombés aussi. On comprend quand même un peu mieux, la place de la Faculté chez Molière,  il fallait ridiculiser les coquins incompétents certes,  mais d’autant plus qu’ils étaient en nombre ! il devait en falloir du monde pour purger les goinfres.

   Dans cette ambiance nutritionnelle et calorique plutôt épaisse, quelques raffinés émergent. On raconte que la Marquise de Sablé, une proche de Saint-Evremond, en fut une élégante prosélyte. Repas et bonnes manières vont de pair. On ne confond pas réception et garnison. Chez elle, fini de manger avec les doigts. Les fourchettes arrivées depuis un bon moment sont enfin de service. Il faut  les manières civilisées installer, bannir les mauvaises, qui ont la dent dure. Comme cracher par terre ou garder son chapeau, seulement quelques menus avant-goût de ce qui doit cesser. Plaisirs de table, relâchement et vulgarité sont antinomiques.  Appétit et repas ne sont point mêmes choses. Le premier assouvit la faim, l’autre apprend à vivre. Un restaurateur d’époque, nommé Renard, aurait contribué dans quelques salons, à modifier les us, non seulement dans l’art de cuisiner, mais aussi de se sustenter. On écrit même quelques ouvrages culinaires  non dénués de pédanterie, qu’on en juge par ce conseil moyennement avisé : attendre le gigot comme un premier rendez-vous d’amour … Mais enfin,  l’idée fait son chemin de table, qu’en allégeant les estomacs, on en devient spirituellement plus fin. Il faut comprendre que les plaisirs du palais, à l’époque, ne peuvent s’accommoder d’un usage expéditif du temps. Car du temps, on en a. La table,  préliminaire par la conversation, aux amours polissonnes, la ripaille pour la fripouille. Aussi,  les effets des vins épais très courus, alourdis par du sucre ou de la cannelle ajoutés, n’y seront pas étrangers, en favorisant les excitations en tout genre. Ils viennent, les vins, d’Italie ou d’Espagne pour l’essentiel. Les bordeaux, ni les bourgognes, en première moitié du siècle, ne sont d’usage ou de mode. On rapporte que Saint-Evremond, lors d’un de ces dîners qui emplissent tout un jour en engourdissant une tablée, aurait décliné l’honnête proposition de boire de l’eau, sous l’argument qu’étant la seule boisson capable d’étancher la soif, si l’on en abuse, on ne boit plus de vin… Imparable et implacable. Pas garanti évremondien pour autant.

   Le même, Marquise de Sablé et comtesse d’Olonne à ses côtés,  fit entrer le Champagne dans les hôtels du Marais. Le champagne est un vin déjà apprécié, mais trop peu connu ou servi. On peut gager que  notre philosophe normand, eût tôt hanaps ou chopines de cidre sur la table, ou mieux, se souvenir qu’il entra dans la carrière militaire par le régiment Royal-Champagne, dans une région où il retournera plusieurs fois. On sait par des Mémoires privés que la soldatesque en campagne  fréquentait les caves, sans aménité ni galanterie, ni sans  régler le montant des consommations, lesquelles étaient plus immodérées que tempérantes…. Peut-être  ces pillages alcooliques ont-ils favorisé la connaissance de ce vin, non encore mousseux à l’époque, la première moitié du siècle dix-septième. Il semble que notre gentilhomme-soldat ait visité les celliers de quelques abbayes au point d’y trouver sa préférence. Les vins d’Aÿ, non pétillants redisons-le, mais authentiques crus de Champagne lui feront, dans son exil anglais, une nostalgie si vivace qu’il demandera qu’on lui en expédie. Ainsi le Champagne de France arrive à Londres. Et s’y trouve bien.

Saint-Evremond écrit au comte d’Olonne, son ami : Il n’y a point de province qui fournisse d’excellents vins pour toute la saison que la Champagne. Elle nous fournit les vins d’Aÿ, d’Avenay, d’Hautvillers, jusqu’au printemps ; Taissy, Sillery, Verzenay, pour le reste de l’année. Ce qui montre une familiarité de bon aloi, et un palais exercé. N’a-t-on pas surnommé l’ordre des Coteaux, le trio formé par Charles et ses deux amis, le susnommé Comte d’Olonne et le marquis de Bois-Dauphin, en raison de leur réputation exigeant de ne boire que du vin provenant des trois coteaux préférés. Nous sommes à l’époque encore en France, où Boileau et Molière dînent au champagne, ou vin de Reims : huîtres, perdrix, fromage de Brie, comme en atteste la note d’un cabaret très fréquenté de la capitale. Et Chrysale le moliéresque, dans Les Femmes savantes, revendique : Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas/Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas. /J’aime bien mieux pour moi, qu’en épluchant ses herbes/Elle accommode mal les noms avec les verbes/Et quelle redise cent fois un bas et méchant mot/Que de brûler ma viande ou saler trop mon pot. Qui peut se lire autrement qu’en voyant en Chrysale un affreux misogyne hors d’époque…. mais bien plutôt un aveu fort habilement négocié dans la rime, de l’intérêt supérieur d’une cuisine parfaitement confectionnée. Si (ou puisque) d’aucuns prennent soin de la grammaire, que ne prend-on soin des accommodements culinaires… cette proposition ne me semble pas honteuse. Peut-être  faut-il savoir qui dîne avec qui, et boit et mange quoi, pour décider du sens d’une phrase….

   Quand Saint-Evremond s’en fut  et s’enfuit de France, bien averti que les  ennuis de son ami Fouquet pouvaient devenir les siens, il finit par s’arrêter à Londres, où il ajustera son goût des plaisirs simples à son aspiration au bonheur dont il a compris, par sa fréquentation précise d’Epicure, qu’il est un état d’équilibre, loin des souffrances et des peines tout autant que des excessives jouissances. Dans ce programme d’équanimité résolue, le vin de Champagne tient une place de choix. Aussi comme signe  nostalgique envers les amitiés restées en terre de France, arrosées, on l’a vu, de ce vin qui fait offense volontaire à l’ascétisme janséniste. Saint-Evremond ne comprend pas, ainsi l’écrit-il, qu’on puisse vivre de pain et d’eau.

   Il n’est pas seul à Londres. Il y a même, à la cour des Stuart, un groupe d’exilés de France, et d’exilées aussi…. La vie s’organise. Et Charles, infatigable écrivain, qui pratique la fidélité en amitié, ne cesse  de maintenir une proximité épistolaire remarquable. Devenu, par la grâce d’une facétie du roi Charles II, “gouverneur de l’île aux canards“ du parc Saint-James, il s’adapte à presque tout. Sauf, on s’en souvient, à la folie des jeux qui prit l’Angleterre, disons l’aristocratie tout entière. Et très moyennement, à une pratique inavouable des Anglais qui aiment le vin de France, mais pour le rendre effervescent,  ajoutent sucre et mélasse, à ceux qu’ils font venir de la région de Reims… Saint-Evremond semble  s’accommoder de cette anglaise nouvelle coutume, où la mauvaise mousse l’emportant sur le breuvage, emporte aussi avec elle les esprits enivrés. Il préfère, c’est certain, revenir aux vins d’Aÿ…. Le vin rendu pétillant par ces usages anglais assez frustres, éclabousse de mauvaise réputation les celliers champenois, qui décident, business oblige peut-être, de répondre au nouveau goût de la clientèle d’outre-manche. Mais à la manière française, raffinement, méthode, application, savoir-faire… Les bouteilles nouveau cri, et cru, dûment bouchées de liège venu tout exprès d’Espagne, ne seront  ni une tocade, ni une passade. Nous en savons tous quelque chose. Et si Pierre Pérignon n’a quand même pas tout fait, loin s’en faut,  il bénéficie, en revanche, et pour l’éternité, de la reconnaissance pétillante et pétulante de tous les amateurs que nous sommes. Progressivement le (bon) champagne est bu à Londres, peut-être à l’époque plus encore qu’à Paris. Un temps inquiet des pratiques de vente à bas prix des vignerons champenois, Saint-Evremond peut se rassurer. Il boira, jusqu’à la fin, ce grand vin. Et nous, en souvenir de lui.

les cendres des poètes

21 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

    Sur la colline lointaine s’échappaient aussi, mélancoliques, les lumières rares alors de la petite ville qui voulut s’approprier ma naissance. En ce temps-là, une grande épidémie meurtrière y sévissait. Parmi tant d’habitants qui chaque jour mouraient, un qui naissait était comme une réparation, insuffisante et dérisoire, mais à tenir d’autant plus en considération (...) Une lanterne à la main, un de mes oncles allait en ... quête d’une paysanne.  Phrase de Pirandello achevée par Sciascia. Les deux Siciliens sont écrivains de la région d’Agrigente. Comme Empédocle, ils voient le même azur ardent du ciel, donnant sur la mer africaine. Eternité de la double présence de l’eau et de l’éther. Eternité des pestes et autres choléras épidémiques. Des lanternes pour toute lumière quand la nuit l’emporte.

    Au lieu-dit le Chaos, Pirandello inaugure son Séjour Involontaire sur la Terre, où pousse l’olivier, l’arbre de la mémoire, Mnémosyne, Μνημοσύν, muse du poète agrigentin qu’il dit terrienne et enracinée par la grâce des métamorphoses dont son île natale est le paradigme depuis l’origine des temps. Pourquoi ne pas oser ce qu’Empédocle ne cesse de dire, ouvrir ses yeux et son intelligence à l’instinct du sage qui nous rappelle avec insistance, et notre errance et le caractère provisoire de notre passage dans cette vie. Les vents acides venus des soufrières sont plus immortels que nous. Et les collines qui s’enlacent dans leurs courbes à l’heure où le soleil cherche sa nuance violette, et finalement se saisit de la sanguine.

     Taciturne, solitaire, Pirandello arbore le sourire qui éclaire le signe lumineux des enfants de son île. Ses cendres, après être passées enfermées dans un cercueil dans les rues d’Agrigente s'en furent, entre apparence et réalité, dit encore Sciascia. Cendres de celui qui donna là, dix ans après sa mort, la dernière représentation de son involontaire séance terrienne. Et puisque toute chose revient toujours en son lieu, que la belle certitude empédocléenne de l’unité d’un monde résigné aux palingénésies ne s’est pas démentie, Pirandello repose en ses cendres, dans un vase grec, au lieu-dit de sa naissance, Caos, Chaos, Χάος, Cavasu en dialecte sicilien : ce qui est, avant toute origine pensable. Une béance, un gouffre, un quelque part sans lieu, un vide dans lequel on tombe sans fin…..

     Peut-on rêver kaïros, καιρός plus éloquent, théâtral et tragique, que ces rendez-vous de poètes à jamais présents en terre de Sicile -le plus proche  ayant exprimé ce que les autres avaient déjà compris. Qu’il y a pire sur cette terre que d’y séjourner contre son gré, c’est d’y être distingué. Tel Empédocle tournant le dos aux fastes agrigentins parce qu’un homme célèbre ne peut plus vivre sa propre vie comme il l’entend et comme il lui plaît  mais comme les autres la font pour lui.  Ainsi devient-il à la fin statue de lui-même. Image sublime de la désespérance qui suffit à justifier la tentation époptique, c’est-à-dire suspensive à l’endroit du monde et des hommes, pour qui n’est plus le sculpteur de son œuvre propre. Comme dans une métensomatose inversée, Empédocle oublieux par avance de ses vies futures, alors qu’il connaissait ses existences antérieures. Le Caos pirandellien est un lieu pacifié, un signifiant, un signal du cosmos d’Empédocle, mieux, il est l’image, la métaphore pérenne, le rejeton de l’éternité, de la bouleversante harmonie du monde. En sicilien, consumari signifie ruiner. Et comprendre et reprendre alors le langage mystérieux des poètes où les cendres d’un Pirandello voisinent avec les temples désormais en ruines de la fastueuse Akragas.

     Il reste encore bien des mystères en terre de Sicile. Qui saura jamais ce qu’Ettore Majorana est devenu? Physicien contemporain de Pirandello dont il aimait les œuvres, nul ne le trouva plus... Plus de corps, point de traces, pas la moindre cendre...

 

(ici-même, article du 23 Juillet)

 

La brièveté d’une île

17 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

 L’italien isola a ma préférence, parce qu’il tient l’isolement comme une condition, une définition, et aussi parce qu’il permet cet art si poétique d’aménager les mots au plus juste sans les quitter pour autant. Je pense à ce délicieux angolino, sans équivalent en français, sauf à dire platement ‘un petit coin’. Mais c’est tellement mieux angolino, sorti sans chichi de la bouche de qui veut faire profiter de ‘son petit coin’ de soleil. Je reviens donc non point à  l’isola, bien qu’elle le soit, mais à l’isoletta, qui concentre au moins deux avantages : isolement et modestie, au sens d’effacement. On comprendra.

  Cette isoletta n’a aucune date de naissance. Certains textes disent bien qu’elle était déjà signalée dans l’Antiquité*, mais omettent juste de donner des références, un nom aurait suffi. Aussi je m’y suis collée : rien chez Diodore de Sicile, ni chez Pausanias (pour les lecteurs fidèles, il y en a, ne pas le confondre avec le confident d’Empédocle) ni Athénée de Naucratis, ni Elien, qui parle de tout et de tous, comme Lucien. Rien chez Hérodote, Plutarque qui lui aussi parle de tous et de tout ; me suis demandée s’il fallait reprendre –bien qu'en fragments- l’Histoire de Polybe, je n’ai relu, ni Hésiode ni Homère! Seul Strabon, (dans Geographica, XVI-3, 6) avance quelque chose d’intéressant, mais hors-cadre, une forêt sous-marine qui émerge à marée basse. Cela se passe en Erythareum mare, alors que mes  pas, si je puis dire, me mènent en Méditerranée. Inutile aussi de chercher chez Flavius Arrien, mais heureuse d’avoir effleuré au passage L’éloge de la calvitie de Synesius de Cyrène pour en rapporter que, de Jupiter, il dit la chevelure parfumée d’ambroisie… Je m’éloigne, je m’éloigne. Je reviens.

  Tracez un trait plus ou moins régulièrement circulaire de sept mètres de circonférence. Faites, si vous le pouvez, s’élever la surface désormais enclose de soixante-neuf mètres et trois cents millimètres de haut (69,300m). Après l’avoir copieusement empierrée de roches laviques, engloutissez-la de sept-huit mètres environ au-dessous du niveau de la mer. Du côté de Pantelleria, l’île aux câpres douce et sauvage au sud-est de la Sicile, et face à Sciacca, au large mais pas trop. Aujourd’hui, nous sommes chanceux. Il ne faut qu’un masque et un tuba pour en toucher le sommet. Lui caresser le crâne en quelque sorte… Synesius si tu nous entends ! Il y a un peu moins d’un siècle, en 1923, il eût fallu descendre à soixante-dix mètres de profondeur, deux ans plus tard, à vingt-cinq mètres ! en 1999 à cinq fois moins… L’île monte. Indéniablement. Visiblement. Et même elle remonte. Car, posée sur l’eau et non en-dessous, elle le fut déjà. L’épisode le plus fameux date de 1831. Au mois de Mai, accompagnée d’une forte odeur de soufre portée par le libeccio, surgie des flots en colère, Julia sortit de l’eau, nouvelle Aphrodite des temps modernes. Julia, c’est le nom que lui donnent les Français parce qu'ils appareillent en Juillet depuis Malte pour voir l’île prodigieuse, dont on n’est plus sûr de la date de naissance à l’air libre… entre Mai et Juillet 1831 ne serait-elle pas, selon certains, apparue-disparue ? il est sûr, en revanche, que nos amis les Anglais, qui ne sont jamais loin sur l’eau, plantent le drapeau à son modeste sommet, début Août. Jamais en reste non plus pour décider de l’anglicité d’un territoire déserté-isolé, quelle qu’en soit la taille. Le véritable mauvais goût fut quand même de la (re)baptiser Graham. Et pour Julia, de s’enfoncer à nouveau, en Décembre de la même année.

  La nouvelle guerre franco-anglaise ne dura pas cent ans. Elle dure encore ! Accompagnée comme il se doit des légitimes revendications italiennes, pour ne pas dire siciliennes, vaguement plus chatouilleuses ! D’autant qu’en 1930, soit 99 ans plus tard –la durée d’un bail emphytéotique- Antonio Fauri, humble pêcheur de Sciacca, affirme l’avoir vu ressortir quelques heures… Julia est facétieuse. Ferdinandea espiègle. Ainsi (re)nommée par les Italiens, l’île mystérieuse arbore, sans les montrer, pas moins de trois drapeaux, trois nationalités possibles, trois prétentions gouvernementales. Trois fois trop. Pour une terre (momentanément) invisible, un angolino en quelque sorte, planté dans les eaux trinacriennes, elle n’en est pas moins sous très haute surveillance. Encore une huitaine de mètres disent les spécialistes cette année, alors qu’en 2003, il ne lui en restait que cinq pour aquatir. Elle monte et redescend. Notre isoletta s’encanaille. A moins qu’elle ne subisse des aléas qui ne soient pas de son fait. Et qu’elle doive se soumettre à plus puissant qu’elle. Les géophysiciens et volcanologues italiens veillent au grain. On peut leur faire confiance. Une équipe en particulier suit les bulles et les colonnes de fumées sous-marines de la zone. Aussi, elle découvre en 2006, autant dire hier, l’existence inconnue à ce jour, d’un immense massif volcanique (30 km de long sur 25 de large, haut de 400 m environ). L’apparition ou la disparition de Julia dépend des tribulations de cette vaste structure qui lui infligent les convulsions et saccades de sa vie, essentiellement immergée, exceptionnellement émergée. **

Rendons grâce à l’équipe de  Giovanni Lanzafame . Qui a très officiellement nommé ce colossal  ensemble éruptif sous-marin, Empédocle !***

*Bruno Fuligni : L’île à éclipses. Nouvelle édition remise à jour 2017. Collection Biblis, CNRS éditions. Pour la modique somme de 8€ ! Petit livre alerte, vif, qui présente cependant un autre défaut que d'avoir tu les sources antiques, les trop longues citations de J.Verne

.**dès que Julia, mais quand ? repointe le bout de son nez, la guerre des fanions reprend de plus belle !

***passionnant documentaire Un volcan sous la mer. (Le nom d’Athanase d’Alexandrie y est cité pour avoir parlé dans sa correspondance de ce que les scientifiques, aujourd’hui, prennent pour des phénomènes volcaniques et telluriques sous-marins. Mais je n’ai pas ça en rayon !)

l'exaspérante question de l'origine

13 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

        Qu’il s’agisse d’un mélange gazeux où apparaissent des acides aminés ou de toute autre hypothèse, la question reste, têtue, comment passe-t-on de l’inertie primordiale au premier organisme vivant, fût-il très simple. D’un tas de briques, dit Trinh Xuan Thuan*, on ne peut déduire, ni garantir, l’édification d’un (beau) château. Aussi, “nous ne savons pas exactement comment”, “vraisemblablement”, “voilà qui reste un mystère” : trois expressions qui caractérisent tout à la fois ce que nous savons et ce que nous ignorons.  

      L’immense découverte de Crick et Watson, connue du grand public sous les trois/six lettres d’ADN/ARN, permet de nombreuses explications, dont celle de l’évolution des espèces à coup de mutations ; la reproduction à l’identique, la réplication parfaite, n’autorisant ni différence, ni différenciation. Dans l’uniformité il ne se passe rien, le désordre est thaumaturge en biologie. L’erreur est Humaine, l’aléatoire est créatif, le hasard est fécond. Pas toujours, pas souvent, mais il suffit qu’il le soit quelques fois. Remarquons au passage, que l’intention, la téléologie, ne sont plus facteurs d’apparition des êtres vivants, notamment humains. Les chiffres de ce Hasard Essentiel** donnent le vertige : une seule cellule vivante contient plus de molécules qu’il n’y a d’humains sur la planète et chacun d’entre nous, hic et nunc, est le dernier, momentanément, d’une chaîne qui compte, au bas mot plus de 70 milliards d’ancêtres, à ce jour ! et ça n’est pas fini !

       De Lucy, 3,2 millions d’années, à tous les nouveau-nés d’aujourd’hui, même constitution biologique, et pourtant tout diffère, parce qu’aucun nouveau-nouveau-né n’a à refaire le parcours. Nous ne sommes pas australopithèques à la naissance, mais d’emblée jetés dans un monde où tout est déjà là, alors que rien ne le garantit au sens strict. Nulle hérédité des caractères acquis affirment les biologistes, ni évidemment des faits de culture que nous n’avons qu’en héritage précaire. Et pourtant, le nouveau-nouveau-né ne mettra que quelques mois, quelques années, pour être à niveau de ce que l’espèce a mis au point pendant  des millénaires depuis son surgissement… marcher, fabriquer, créer, parler… avec 350 grammes environ de cerveau, et quelque chose comme 150 grammes de plus un an plus tard. Un jour, l’espèce humaine a achevé son évolution biologique, à quelques aspects près, mais elle n’a jamais arrêté d’évoluer dans ses comportements, ses connaissances, ses savoirs, ses pratiques, ses rites et ses modes…. Chaque nouveau-nouvel-humain est déjà à hauteur de ce qu’il doit savoir, et enjambe, sans avoir eu à le parcourir, tout le chemin franchi par l’espèce, dont il est, pourtant,  le représentant à l’identique du point de vue de ses composantes biologiques, et bien que son cerveau soit, environ, deux fois plus volumineux que celui de son ancêtre Homo habilis, et son anatomie significativement différente. Aussi, tout nouveau nouveau-né n’a pas seulement réussi avec succès l’épopée individuelle initiée par la rencontre de deux cellules, qu’on pourrait croire advenue ex nihilo tant nous sommes pétris de l’idée que toute naissance est un commencement, mais a parcouru brillamment l’itinéraire phylogénétique, chaque fois recommencé. Démocrite ne disait-il pas que, de simples variations dans la composition, tout peut advenir.

       Pourtant, nulle génération, pour emprunter le vocabulaire de l’ancienne scolastique, ne se peut sans altération, voire disparition.  Naître, c’est advenir par “mélange et dissociation du mélange” dit Empédocle. Pour le philosophe, poète et physicien sicilien, tout ce qui est, ne vient pas d’un incréé. Quatre éléments, comme principes irréductibles, permettent, dans une subtile et complexe organisation, l’existence de toute diversité, laquelle n’échappe pas d’ailleurs à des associations imprévues, un hasard en quelque sorte, des mouvements de fortune. Comment alors, s’interroge un peu plus tard Aristote “d’une pluralité d’éléments proviendront les chairs, les os …?” **** Peut-être Aristote n’est-il pas assez poète, s’il ne peut concevoir qu’un corps composé est plus, est mieux, que l’ensemble de ce qui le compose. Qu’un mur, par exemple, est et n’est pas en même temps le tas de briques qui l’a rendu possible. Aristote, qui critique Empédocle pour qui il n’y a aucune autre cause à la génération (la naissance) et à la disparition que le double effet de la Discorde et de l’Harmonie, nous dirions aujourd’hui de l’ordre et du désordre, l’entropie ou l’absence d’entropie. Tout est semblable et tout change en même temps. Une fois encore, Aristote manquait-il d’un brin de lyrisme, de celui dont même nos biologistes moléculaires et nos paléontologues patentés ne sont pas dépourvus ?  et ne posera jamais la question dans les termes du  philosophe d’Agrigente, à qui les anciennes traditions  avaient appris que l’ordre succède logiquement et chronologiquement au désordre et que c’est à partir d’éléments éparpillés, de brisures du monde, de miettes égarées, que l’union se forme, le cosmos, comme Pythagore le premier appela la belle enveloppe organisée de l’univers ? Se souvenant des récits des poètes, Empédocle savait que dans la Sphère primordiale les divisions donnèrent naissance à des monstres, des géants, qui de haute lutte gagnèrent leur paix et leur viabilité. D’Empédocle ou d’Aristote, nos savants actuels préfèreraient, à n’en pas douter, l’explication du premier bien moins irrationnelle qu’il n’y paraît, pour qui toute diversité vient d’une même substance initiale, serait-elle  étoilée en quatre éléments primordiaux et incréés. Pour lui, l’homme ne vient pas au monde, il vient du monde. Quelle force dans cette conviction, qui comprend que création n’est pas la même chose qu’enfantement et que le nouveau-né-nouveau-venu n’est pas là ex nihilo,  ni comme individu, ni comme partie de l’univers, mais enfant de tout ce, et de tous ceux, qui l’a/ont précédé, tant sur le plan chronologique qu’ontologique, évidemment biologique. Nous naissons tous les uns des autres.

            Naître. Une rupture d’attention à l’ordre des choses. Il me plaît qu’un prix Nobel de Médecine et de Physiologie ait l’avant dernier mot : “Dans l’ontogenèse d’une protéine fonctionnelle, l’origine et la filiation de la biosphère entière se reflètent (c’est moi qui souligne) et la source ultime du projet que les êtres vivants représentent, poursuivent et accomplissent, se révèle dans ce message, dans ce texte précis, fidèle, mais  essentiellement indéchiffrable (id.) que constitue la structure primaire (…) tel est, justement, le sens le plus profond, pour nous, de ce message qui nous vient du fond des âges.” **** Ainsi en est-il à chaque naissance. Pas plus qu’un texte n’invente l’alphabet, la grammaire, la syntaxe qu’il va pourtant suivre, aucun texte n’est possible hors de ces structures antérieures. Avec elles, ou contre elles aussi, il va s’écrire sans bien savoir avant son achèvement ce qu’il sera. Avec elles, pour être compris dans l’ensemble de tout ce qui va lui donner du sens, et au-delà d’elles, pour créer du sens nouveau, de nouvelles significations, bousculant les règles sans pour autant les supprimer. Ainsi Bach connait-il à la perfection son solfège

et le poète ses conjugaisons… et pourtant la possibilité de la musique de l’un, celle du recueil de l’autre n’y sont pas contenues avant que d’être audible, lisible. Le texte, étymologiquement le tissu, la trame, d’une existence n’est pas plus donné d’avance que n’est écrite la symphonie, la sonate, la poésie de l’artiste. C’est à quelque chose de semblable que l’on peut comparer l’incroyable évènement d’un nouveau-nouvel-être….

*Trinh Xuan Thuan. Origines. La nostalgie des commencements. Folio ; ** magnifique expression de Jacques Monod ! et **** in Le Hasard et la Nécessité ; ***in De la génération et de la corruption

 

 

 

... suite du portrait de Charles

9 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

Il fut quand même embastillé deux fois. Puis, sorti de France définitivement. Histoire banale du pouvoir de ceux qui n’aiment pas qu’on les chicane ou qu’on médise. Pourtant Charles de Saint-Evremond n’a rien d’un extrémiste, qu’on en juge : éduqué par les Jésuites -ce qui ne forme pas toujours des rebelles mais assurément de beaux esprits… limés et entraînés à la rigueur et la précision, l’acribie quoi !- il est au siège d’Arras, rejoint le Grand Condé, est à la bataille de Rocroi, pour ne donner que des noms qui,  un jour, ont traversé nos petites leçons d’histoire du XVIIème siècle, au point d’en avoir laissé une vague trace. Charles fréquente donc assidûment le beau monde de la noblesse et des états-majors où, à l’époque, on est assuré de se frotter à des parlers audacieux, arrogants, intrépides, ce que n’est pas exactement parlant notre bon monsieur, mais impertinent, oui, ironique aussi, ce qui le rend imprudent. Et c’est une lettre sur La Paix des Pyrénées qui signa sa chute. Précisément, les choses ne se déroulent pas dans la précipitation à laquelle ce rappel peut laisser croire. Précisément, l’affaire le confronte tant à Mazarin qu’à Colbert. Et précisément, elle fut induite et provoquée par des faits indirects. Donc, rien ici d’assez déterminant pour décider de ma fréquentation ininterrompue des œuvres de Saint-Evremond, encore qu’un esprit élégamment indocile n’est pas pour me déplaire.

Je ne sais plus qui a dit qu’il avait les yeux bleus, vifs et pleins de feu, une physionomie spirituelle, un souris malin. Comme quoi le choix des mots change le portrait ! Saint-Evremond était fort laid, et souffrait de la loupe, un stéatome bénin et indolore, fiché entre ses deux yeux et qui faisait disgracieux son visage, mais n’eut jamais aucun effet ni sur la vivacité de son esprit ni sur le rayonnement de ses propos. Ni sur l’affection et l’amitié que beaucoup portaient à cet honnête homme. [Jugez un peu, il fit entrer le Champagne à la Cour d’Angleterre ! ce qu’il me faudra bien narrer par le petit.] Même Voltaire -ce cabotin qu’il ne fait pas bon égratigner- se força littéralement, on peut dire s’obligea, se fendit, à reconnaître son amour de la liberté. Ça ne mange pas de pain !

Revenons à notre homme -pour le dire à la manière de Montaigne, dont j’ai déjà assuré à quel point Charles le normand l’avait en admiration*-  qui a lu Descartes, connaît Hobbes et Spinoza, a rencontré et célèbre le génie de Gassendi, ** voilà pour ses contemporains les plus illustres. Du dernier, il apprend son Epicure, comprenant qu’il n’y a aucune sagesse à se livrer aux excès, ni à l’austérité qui est aussi un excès. La politesse, la galanterie pour tout guide de bonne conduite, voire de morale, car il y a une différence entre être voluptueux et être sensuel. Dans le premier cas, on fait effort (oui) pour garder une justesse (…) qui n’est pas connue de tout le monde. Eloigner de soi l’ennui, le chagrin, proposition antinomique à celle de Pascal, parce que le spectacle du monde, en général et en particulier, n’est pas vraiment supportable et qu’il vaut mieux se divertir, pratiquer l’usage modéré et calculé de plaisirs simples. L’hédonisme se mesure à l’eudémonisme qu’il induit et non à l’étourdissement qu’il produit. Lecture fine et exégétique d’Epicure, on ne le dira jamais assez.

Qui s’attèlerait à la confection d’un spicilège sur la question de la douceur comme concept philosophique***, devrait faire la part belle aux textes de Saint-Evremond, mais surtout les compléter d’analyses montrant qu’il ne s’agit point là d’un mot à tout faire, d’un fourre-tout, mais d’une véritable proposition éthique. Sa signature. A ne pas confondre avec l’insipide bienveillance qui a cours de nos jours, à tout propos et même hors de propos, une manière de décider a priori qu’il n’y aura rien à redire, et que tout est, in fine acceptable, au nom de rien, et interdire ainsi à ceux que l’on ondoie de bienveillance, tout dépassement de soi. Au contraire, Saint-Evremond manie la raillerie, la moquerie, n’est pas tendre avec ceux qu’il chahute, rudoie les médiocres, les envieux, les dévots et les dévotes. Irrésistible, pas un mot de trop, cette phrase extraite de Sur les précieuses, un texte écrit en 1656, donc avant sa disgrâce et son exil. Il ne changera jamais de ton. Sarcastique et pondéré. Ce n’est pas si facile. C’est aussi une écriture. On ne peut être si drôle et fin sans tenir ses mots et ses phrases en bride. Et peser ses effets au trébuchet de l’élégance : Si vous voulez savoir en quoi les précieuses font consister leur plus grand mérite, je vous dirai que c’est à aimer tendrement leurs amants sans jouissance, et à jouir solidement de leurs maris avec aversion.

 

*ibid. archives 30 Août ; **contemporain mais mort en 1655 ; ***je ne connais, sur la question, que l’admirable travail (qui n’est pas une anthologie) de Madame de Romilly, elle ne concerne que –excusez du peu-  La douceur dans la pensée grecque, travail philologique très pointu. (1979)

Le bon air latin*

6 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

 

(authentique lettre d’anniversaire, rédigée pour fêter une Doucette qui venait d’avoir… 1 an !)

Saturni Dies, Maius, XXIII

Doucette,

Il y a un an, le monde entier se réjouissait de ta venue. Habemus filiam, dicunt. Gaudeamus !  Aujourd’hui c’est latin pour tout le monde, puisque quelques imbéciles qui décrètent du sort de tous, ont trouvé l’idée innovante de le supprimer**. Reductio ad absurdum ! sapere aude ! Doucette, sur ce point il faut désobéir.

Quel rapport -se disent et s’inquiètent déjà tes parents-  avec ce jour glorieux de l’anniversaire de ta naissance…. Tout, mais tout, bien sûr. Je n’allais quand même pas faire comme le vulgum pecus alors que les piliers de la connaissance sont en train de vaciller. Ergo, j’eus l’envie, sitôt le pied par terre, de te célébrer en des mots si inattendus que, dans quelques années, je l’espère, tu en seras encore tout ébaubie. Et parce que verba volant, scripta manent, les voici inscrits dans le marbre de la postérité, qui s'appelle de nos jours, écran, nihil obstat. Finalement et, nolens volens, ou peut-être mutatis mutandis, Cicéron lui-même n’y verrait rien à redire, et murmurerait dans sa toge, nec plus ultra !

Quæ cum ita  sint, Doucette, perge quo cœpisti…. A quoi j’ajouterais bien, Urbi et Orbi, et, nunc reges, intelligite... erudimini, qui judicatis terram, mais là, peut-être que tes parents vont trouver que je pousse un peu…. Revenons à nos affaires. Il ne faut point trop n’en faire. In medio stat virtus ! Gloups !!! pas pu men empêcher.

Pour fêter au mieux ce jour de gloire, j’espère que tes parents lèvent, lèveront, ont levé déjà le coude. In vino veritas. Et que tu as soufflé la  bougie, mangé le gâteau, post prandium, of course ! Mais comment peut-on dire  chocolat dans une langue qui ignorait la fève bienfaitrice ? Nescio.

Puisque les meilleures choses ont, paraît-il, une fin (sauf le gâteau au chocolat, qu’on reprendrait bien ad infinitum sans aller ad nauseam) revenons,  in concreto, à l’objet du jour. Trois cent soixante-cinq  levers du soleil pour toi seule, déjà ! Personne nen revient encore. C’était Fiat lux tout le long du jour, ce jour-là, et depuis, tous les jours… Nihil addendum !

C’est pourquoi je te fais d’énormes bisous, Doucette ! -alors là, tu vois, il n’y a pas d’équivalent, ce qui montre bien que tu es unique- bisous qu’il faut partager avec ton Pater familias et ton alma Mater.

Qu’ils te protègent de l’ignorance, mère de tous les vices. Fassent de toi une belle personne, c’est en très bonne voie. Mens sana in corpore sano !

Vale ! disaient-ils, achevant leurs missives. Ce qui peut se traduire, cum grano salis : d’énormes bises à tous !

Pascale, qui s’est quand même un peu amusée….

*titre emprunté à l’ouvrage collectif édité chez Fayard, par l’Association le Latin dans les littératures européennes. (2016) ; **nous sommes en pleine ‘réforme’ des collèges….

 

le revolverlaine

3 Septembre 2017 , Rédigé par pascale

Le revolver fabriqué par Monsieur Le Faucheux, le si bien nommé armurier français, a parlé. Mais n’a fait taire personne. Surtout pas les absents. Ils sont deux dans cette affaire, où les chiffres l’ont momentanément emporté sur les lettres. Qu’on en juge : Monsieur Montigny qui tenait armurerie à Bruxelles, ne se savait pas appelé aux six coups de l’histoire. Comment l’aurait-il su ? L’histoire ne se retourne pas et elle tire un seul coup. Ou plutôt deux, à 14 heures. Un jour de très grande chaleur. En Juillet, le 10.

Personne n’a préservé la scène de crime. Il ne fut relevé ni empreinte, ni indice. La victime, Arthur, 19 ans, fut mené à l'hôpital par son assassineur, Paul, de 10 ans plus âgé, accompagné de sa mère. Il avait une balle au poignet gauche, il aurait pu avoir deux trous rouges au côté droit.

Voilà, à quelque chose près. Car il n’y eut aucun témoin. Et l’on doit juste s’en remettre aux déclarations formulées un peu plus tard, devant la maréchaussée. Paul V. ayant eu à nouveau une attitude menaçante, Arthur R. interpella un agent et tout le monde se retrouva au poste. L’enquête put commencer. Et mettre l’accent sur le révolver. Les gens d’armes ne sont pas des poètes : il leur faut, le nom et l’adresse du magasin – Montigny, 11, galerie de la Reine-, le prix d’achat -23Francs-, le modèle –un Le Faucheux, 7 millimètres à six coups, comme on vient de vous le dire. D’ailleurs vous pouvez voir par vous-mêmes….

Deux ans ferme. Pour deux balles. Dont une. Confiscation de la pétoire. Numéro de série 14096. Fin de l’histoire. C’était en 1873. A Bruxelles.

Mais sans compter sur l’immense pouvoir dont les objets inanimés sont capables. Et un rigolo ne peut demeurer silencieux trop longtemps. Et du bruit, il en fit. On va résumer en quelques chiffres, car l’essentiel est ailleurs : l’armurerie fut cédée en 1952 à Monsieur Chaudron, et son pistolet-Le-Faucheux-six-coups avec, rendu depuis longtemps par les enquêteurs et soigneusement rangé dans un coffre-fort. Soigneusement oublié dans les sinuosités de la petite histoire,  il fut revendu. Et par d’autres tours et détours revendu encore. Et  là les chiffres reviennent. Avec le flingue. En Novembre 2016, 434 500€ (frais inclus) pour ce calibre très courant. Une arme de poing qui, une fois pressée la détente, après engagement d’une balle dans la chambre fit passer une

scène de la vie conjugale de simple fait divers au temps des Assassins.

Et les chiffres tournaient, tournaient comme chevaux de bois… Est-ce là la perfection des générosités vulgaires ?

Mais une arme bien meilleure fait mouche à tous les coups, les mots chargés de sens. Qui ne mentent jamais. Et nous tiennent en joue. Aussi un revolver, avec ou sans accent, revient toujours de loin et sur les lieux de son crime. Celui qui manqua volontairement Arthur n’a cessé de tourner, comme son sens originel le rappelle obstinément. Et même s’arrêta un jour pour dire qu’au tournant de la vie, on feuillette et déroule les choses. Qui ne sont pas forcément des objets. Mais qu’un objet peut représenter. C’est une synecdoque. Le revolver de Verlaine, si malmené en Salle des ventes l’hiver dernier, a tant fait tourner la tête aux oublieux pourvus, mais pas tourner la page aux autres.

L’autre c’est le rimbaldien de toujours qui d’un coup de feu, d’un coup de foudre, fit une métamorphose, et d’un revolver un objet d’amour : pour avoir manqué avec autant d’application et d’acharnement une cible si offerte, si proche, si facile, il fallut le vouloir, que cela fût déterminé ou non. Il y a tant de façons d’appeler à l’échec de ce qu’on croit avoir prémédité et que l’on refuse pourtant de toutes ses forces obscures. Ou obscurcies. Verlaine a délibérément raté son coup. Et plutôt deux fois qu’une. Il n’atteint qu’un poignet, ce n’est pas vital. Sauf pour un poète. Mais c’est le gauche et le poète est droitier ! Ecoutant avec grande attention l’admirable démonstration d’Alain Borer* je pensais un instant –j’espère qu’il ne m’en voudra pas-  à Magritte.  Le peintre du ceci n’est pas… Le revolver qui fit se dé-tourner tant de têtes et se re-tourner tant d’amateurs d’anecdotes, le revolver de Verlaine n’est pas une arme. L’année précédant ce fol aveu d’amour blessée**, Rimbaud écrivait : Fi de mes peines. /Je veux que l’été dramatique/Me lie à son char de fortune. Lui aussi en quelque sorte, tenait le pistolet qui, d’un seul coup, aurait pu l’anéantir. Deux ne suffirent pas. Merci pour cette lecture lumineuse.

*intervenu dans l’émission ‘Au fil des enchères’ sur Arte le 27 Août.

** évidemment le féminin est une révérence.