inactualités et acribies

saveurs siciliennes

29 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

Associé à Aphrodite, le miel coule en abondance dans tous les textes de toutes les légendes grecques. Mi-solide, mi-liquide, il est aliment et boisson, il est parfait, comme le lait, auquel il est souvent comparé, délices de l’intimité retrouvée (Bachelard). Il apparaît dans les repas les plus simples puisque Pythagore le préconise dans son régime végétarien (Pophyre) mais, mélangé au vin, il participe aux libations et s’appelle mélicraton par la grâce de Dionysos, premier vigneron de l’Etna, et Aristée, apiculteur sicilien porté au rang des dieux. On rapporte que Dédale arrivant en Sicile offrit un rayon de miel à Aphrodite.

Mais Empédocle s’intéressait sûrement plus encore aux vins qu’il a peut-être consommés à discrétion lors des banquets publics dont Akragas se faisait la vedette (Aetius). Premier à avoir parlé des plants de vigne, il dit que leur diversité fait moins celle des vins que la variété des sols (Pline d’Ancien). Intuition de l’idée de terroir ? Les vins les plus réputés viennent, bien sûr des reliefs volcaniques, notamment le murgentina, originaire de l’intérieur de l’île, à l’ouest de Katané.

 

La Sicile aime la douceur, à moins que ce ne soit l’inverse. On n’y boit donc jamais, ou presque, le merum, vin pur réputé vulgaire. On l’apprécie au contraire coupé d’eau, additionné de miel, mieux encore de myrrhe, ou de calamus, un roseau très odorant, de cannelle, ou toutes sortes de fruits pour le parfumer, et l’aloès pour le colorer. L’Halentium, de la côte nord de la Sicile fait partie des plus appréciés, mais ils étaient d’une manière générale,  les plus prisés. (Pline)

Il y a, à n’en pas douter, sur les tables de Sicile dont on vante partout les raffinements, les mets les plus exquis. Brillante de fruits (Athénée), l’île produit les figues, la caroube, la poire, pomme, grenade, la mûre (Pindare). Mais elle n’est pas en reste de légumes et plantes aromatiques, asperges, sarriette, origan, ache, serpolet. Préparés par des mains expertes et gourmandes, les plats sont tout simplement... divins. Ainsi, l’epityrum, composé de chair d’olive assaisonnée d’huile, de vinaigre, de rue et de menthe. On mange du poisson salé, des figues sèches qui passent pour somnifères, des gâteaux de miel, d’orge. Les détails les plus infimes pour les saveurs les plus subtiles, comme une illustration de la physique d’Empédocle qui décrit un monde dont l’équilibre parfait résulte d’arrangements, mélanges et rencontres homéo-pathiques et homéomères.

 

Le monde grec tout entier connait ce qu’il doit à la Sicile, tous ses plaisirs de bouche, tous ses luxes, une partie de son art, de ses légendes. La jeunesse athénienne le sait qui se livre au cottabe (Critas cité par Athénée), un amusement trinacrien très prisé après les repas, qui consiste à reconnaître l’affection de ses favoris (ou maîtresses) au bruit que fait le fond de vin d’une coupe, jeté dans un grand  vaisseau de métal : le cœur a ses plaisirs! ... et pour le corps, si les lits et les oreillers viennent de l’île bienheureuse... alors ils sont les plus doux.

 

*cf aussi ibidem, 23 avril 2017

A Firenze, stava piovendo

25 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

Il pleuvait à Florence.

Florence la pluie. Florence qui roule dans l’Arno sa présence effleurée,

dégrafe une larme de pluie et l’enroule à son cou.

Il pleuvait à Florence.

Elle, marchait en désertion du monde, seule vivante dans la ville.

Florence, discrètement incise dans son manteau de brume, la protégeait en courtisant l’eau du ciel.

Allongeait, libre et pénitente, ce contretemps du temps tout le long de ses pas.

La réprochable mélancolie de la pluie de Florence bouleverse son visage.

Elle, mendie le soleil pétrifié d’absence, les Jardins irrésolus et interdits.

Et le fleuve turbulent où, mal étreints, les nuages dérivent, dérivent. Dérivent.

Florence belle et brillante, éblouie de pluie. Masquée de gris, de vent.

Florence s’égoutte au bout de ses regards, allumant mille reflets sur les pavés.

Elle, traverse le cours d’eau vertical de la pluie qui vient frapper les eaux vives du fleuve.

 On dirait des vagues interminées ou équivoques.

Qui sait ce qu’elle a bien pu leur demander ?

On l’a vu se pencher au-dessus des flots, courber son corps, tendre ses mains unies et porter un secret à sa bouche.

La pluie immobilise sa marche, tandis que le fleuve tourmente des couleurs attardées sous les arches fuyants.

Florence, flottante, rêvée.

Où Vénus déploie sa chevelure éclairée,

dans l’heure bleue différée, méconnue, écartée.

Il pleuvait à Florence. Il pleuvait avec obstination. Il pleuvait exactement.

Florence avisée, si follement sage. Florence si douce démone.

Si poignante. Si poisonne.

Elle, ne l’a pas quittée des mots. Florence, sa mégarde infinie.

Comment dormir à présent, comment dormir, tant qu’il pleut à Florence ?

Tant qu’à Florence elle pleure ?

 

petite évasion mobilière

21 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

    

     Une table n’est pas un tableau. Une bure n’est pas un bureau, une barre un barreau, une bise un biseau, ni une poire un poireau… j’arrête car si je sais d’où je pars, je ne sais pas où je vais. Je garde la table et le tableau, seuls. L’affirmation -par négation grammaticale- selon laquelle ces deux objets n’entretiennent aucun lien d’identité peut-elle être démentie ? en mathématiques il s’agirait de prouver la non-appartenance, relation non symétrique et non transitive.  Voilà l’opération à laquelle je me consacre mentalement, montrer qu’une table n’est pas un tableau ! ou comment les deux dernières voyelles qui me font voyager et  lui donnent des rallonges, la raccourcissent quand elles la pendent au mur. D’horizontale elle devient verticale. Peut-on faire une table d’un tableau, et, le décrochant, d’un tableau une table ?

     Mais comment peut-on en arriver là : inviter deux mots à la table d’hôte de ses extravagances,  dresser le tableau de la situation. Mettre son tablier d’écriture. Tenir son assiette.

 

     Tout commence toujours dans l’anecdote, rarement synonyme de fait accessoire ou secondaire pour un esprit philosophique, presque toujours suspecte de signification, pourvu qu’on veuille  bien l’élever au rang d’indice, voire d’index.

     J’entends cette phrase une table n’est pas un tableau, alors que j’assiste à une communication* des plus pointues, de celles pour lesquelles il ne faut pas relâcher son attention d’un iota, et pourtant ma tête se détache de mon corps, mon esprit abandonne la surface plane mais rugueuse du présent pour tenir table ouverte sans limite avec lui-même. Alors mes pensées deviennent volantes. Leibniz a fixé cette jolie expression fliegende Gedanken, pour indiquer ce laisser-aller-involontaire-mais-pas-trop. C'est comme dans une lanterne magique qui fait naître des figures sur la muraille à mesure qu'on tourne quelque chose au-dedans. Le fil des mots est détendu qui aurait dû maintenir l’équilibre funambule de ma raison raisonnante. Et la tabula rasa au menu de la démonstration philosophique qui se déroule, impeccable, devant moi, est renversée, détruite. La liste de mes divagations, le catalogue de mes digressions, le répertoire de mes errements, affichés au tableau meuble de ma folie ordinaire, qui danse d’un pied sur l’autre. Et invente des tables gigognes de la loi, bancales comme un vieux guéridon, une inconsolable console.

 

      Pour dire qu’on ne mange pas tous les jours à sa faim, on pouvait, il y a quelque temps encore, énoncer ce paradoxe à contresens : manger à table qui recule ! j’y vois une exigence philosophique supérieure, et double : n’être jamais rassasié, d’une part, se contenter de l’essentiel, de l’autre. La satiété est incompatible avec l’in-quiétude métempirique, qui ne débarrasse jamais le plateau et remet toujours le couvert. Le tablier de la cuisine métaphysique est un sarrau, un surtout, une souquenille qui rime avec guenilles, décousu, troué, usé, limé, élimé jusqu’à la trame, mais la machine à penser, jamais en panne, ne tombe pas dans le panneau…

     Le philosophe écrit à sa table. Il me paraît qu’en ce moment je suis assis sur une chaise devant une table d’une forme particulière… Cela suffit à Russell pour point de départ. Et de s’interroger (et son lecteur) sur le coefficient de certitude que l’on doit attribuer aux renseignements qu’une table peut livrer à qui la voit, la touche, l’entend en la frappant… Descartes l’avait déjà fait avec un morceau de cire sorti de la ruche. Initiation élémentaire à l’épistémologie ordinaire : l’objet, première preuve de l’existence du… sujet. Il n’y a pas de quoi renverser la table, c’est d’une logique confondante.

 

     Fin de la récréation. M’en vais casser la croûte. Du mauvais tableau. Du pain sur la volige. Des mots sur la tablette.

 

   *un Colloque international de Philosophie…brrgrrr, diantre, diable, fichtre (et Fichte aussi, pour les connaisseurs).

 

 

 

lecture inactuelle? pas tant que ça...

17 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

Platon tient la plume. Ou le calame. Socrate et Théodore, protagonistes du passage qui mobilise mon attention ce soir. Sinon, il y a aussi, dans le désordre de leur apparition dans le texte, mais absents ici Théétète, Terpsion, Euclide (pas le nôtre, un autre…). Protagoras, également absent mais convoqué par l’intermédiaire de son livre La Vérité. Le plus célèbre et le plus fortuné des Sophistes. Même Socrate aurait pu flancher fléchir, mais malin comme un vieux singe sage on ne la lui fera pas. L’attirance n’est pas feinte. Nonobstant, l’admiration a ses limites, en l’occurrence l’argent et les bassesses courbettes.

Je me régale.

Socrate va s’appliquer à bousiller démolir Protagoras aux yeux d’un Théodore, qui, la première réplique passée, ne peut plus en placer une. C’est simple : ce que dit Protagoras est un parangon d’absurdités. Aussi, avec ironie et efficacité, il va détricoter délicoter  le contenu du livre. Non sans avoir averti son jeune ami qu’il doit faire effort. S’il pense qu’on peut lire en Socrate comme en un sac ouvert, il se trompe ! Tout le monde sait que Socrate ne sait rien ou à peu près, bien moins en tous cas que tous ces savants patentés qui sillonnent les rues et l’agora, amassent des fortunes et de la réputation. Venus de loin souvent, ils trouvent à cette époque à Athènes, toutes les conditions pour exploiter séduire la crédulité du chaland, surtout le riche.

Règle numéro 1, la seule : on n’examine aucun point de vue à compter de soi-même, mais seulement et précisément du contenu formulé. Gymnastique élémentaire d’exégèse explication pointue d’un texte, à partir et seulement à partir de ce qui se présente. Là, il faut dire que Socrate est épatant, épastrouillant formidable. Prenant Protagoras aux mots, il va infliger à Théodore, atteint de mutité admirative, une leçon de raisonnement. De philosophie. De rigueur. La célèbre thèse du célèbre et riche Sophiste est la suivante tout le monde le sait : chacun peut se prévaloir de détenir la vérité. Ne vaut qu’un seul critère, ce qui existe pour soi. Autrement dit, il suffit [selon Protagoras toujours] pour chacun de s’en remettre à ce qu’il ressent, perçoit, constate, dans son rapport individuel aux choses, envisagé comme certain puisqu’émanant de sa propre personne.  Une variation du ressenti. Au fond, tout le monde a des sensations, même les animaux, dixit le livre sophiste. Ainsi, non sans manier sa redoutable ironie, ses entourloupettes,  Socrate qui veut toujours avoir raison, montre que Protagoras est dans la contradiction la plus flagrante ! Tous ceux qui l’écoutent  comme un dieu et prennent ce qu’il dit pour argent comptant, se trompent. Protagoras  ne vaut pas mieux que ce qu’il affirme : comme tout être vivant animal pourvu de sensations, il serait à lui-même sa propre vérité, s’il est vrai  qu’est vrai tout ce qu’on ressent comme tel ! Ainsi, le plus riche célèbre des Sophistes est disqualifié comme dispensateur de sagesse. En effet ce que tout un chacun croit ou ressent  ne peut servir de criterium, et sa chacunière devenant la mesure de la vérité,  sans aucune autre mesure commune, celle-ci change selon les uns ou les autres, ce qu’ils sentent ou ressentent, les circonstances, etc. Une vérité qui  se modifie en raison de celui qui la porte ou la formule est-elle encore vraie ? Voilà ce que Protagoras n’a pas vu, ni lui, ni ceux qui l’écoutent.  Au contraire, Socrate pointe la difficulté, pire, le non-sens, et même la malhonnêteté d’une telle position, tout le monde pense comme il ressent, car  Protagoras n’est ni plus savant ni plus digne que quiconque, ni le mieux désigné pour prendre la parole, il est le plus riche et le plus influent auprès des plus riches, l’argument de la mesure individuelle de la vérité s’appliquant à lui comme aux autres. Si par hypothèse Protagoras a raison, alors personne n’a besoin de faire appel à ses services payants, à ses conseils tarifés, ni même d’aller entendre ses leçons. L’argument de Protagoras se retourne contre lui. Socrate en fait un pantin, un agitateur public, qui ne cherche rien d’autre que la reconnaissance de la galerie autant dire rien, du flan, et l’approbation de ceux à qui il va demander les drachmes de ses honoraires, ses jetons de présence. A ces manières honteuses, Socrate peut alors opposer sa propre méthode, dont il accomplit ici la brillante démonstration. La maïeutique. Patiente et humble mise au jour –par l’usage du raisonnement partagé- des fondements de nos savoirs, elle permet d’en éprouver la solidité, ou, au contraire, l’inconstance. C’est exactement ce qu’il vient d’infliger à Protagoras. Bel exemple d’une impeccable dialectique  nickel ! dont il fut pourtant moqué à tort mort. Le philosophe voué à être ridicule parmi les siens, a cependant raison quand il montre que les opinions des uns et des autres ne peuvent servir de fondement à la vérité sans l’annuler comme vérité, et sans en discréditer l’hypothèse même. A moins, dernière palinodie pirouette de Socrate devant Théodore toujours quasi muet, d’envisager que Protagoras s’est moqué de nous avec aplomb, qu’il n’est pas dupe de ce qu’il dit en ayant consacré un livre entier à répéter qu’il est vrai que la vérité est relative à chacun… mais il faut dire ce que la clientèle veut entendre.  Aussi, tout relativisme affiché irréductible devient illico presto immanquablement assertion absolue. Et Socrate triomphe : si la relativité du vrai est une affirmation valable pour tous, alors, Protagoras est juste un bouffon plaisantin. Et Théodore fondu transporté d’admiration.

A partir d’un célèbre extrait du Théétète de Platon

 

une sorcellerie évocatoire

13 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

 [j’en demande pardon à Baudelaire… Et à ceux dont les lignes  qui suivent raviveront, peut- être, une lecture passée. Ici même. (pour l’amour de la langue française, 7 janv.2017). Mais l'arrogance des trissotins de service de langue -comme on dit service d'étage-  oblige à la récidive, voire la battologie. Bis repetita, donc, toute honte bue.]

Hommage à Alain Borer.

Dire, ce n’est pas mettre un mot sous chaque pensée*, ou comment une négation grammaticale est, pour moi, une conviction fondatrice, métaphysique et ontologique tout ensemble, osons ces mots qui renvoient au-delà du réel immédiat et de l’opinion communément partagée. Il faut revenir à Merleau-Ponty* pour l’essentiel : nous croyons naïvement –avant réflexion- qu’une langue (généralement notre langue natale) est parvenue à capter dans ses formes les choses mêmes*. Et qu’il n’y a pas plus juste…. ajustage de la chose au mot que le mot lui-même. Ainsi, passer d’un mot à un autre équivaudrait à changer d’étiquette devant un objet, puisque le monde est toujours déjà-là et que nous l’habillons de nos mots. Ce qui est faux.

   Certes, nous évoluons dans un monde déjà parlé et parlant*, puisant dans un réservoir disponible, les moyens de parvenir à nos fins. Vision mécaniste et utilitariste de la langue, qui convient à un usage limité et limitant dont nous n’avons pas conscience le moins du monde dans la vie de tous les jours. Mais, même dans ce cas, nous devrions nous émerveiller à tout moment de pouvoir choisir parfum, fragrance, arôme, effluves, fumet, saveur, remugle… pour dire une odeur plutôt qu’une autre. Le vocabulaire, le lexique, les glossaires, les dictionnaires, index, répertoires... sont, à cet égard, de formidables outils. Pour ne rien dire des trésors de guerre personnels que sont et font nos lectures infinies....

   Mais supposons un instant que, par ignorance, paresse ou suffisance, nous n’utilisions jamais ces ressources magistrales… Pire, supposons que le glissement de ce capital linguistique dans un autre, et à terme son remplacement, paraisse d’autant plus légitime qu’il n’est ni remis en cause, ni interrogé, ni corrigé, ni fustigé. Nous serions alors dans une soumission qui, non seulement ne dirait pas son nom, mais serait indolore, voire “exotiquement” admissible. Les amoureux (De quel amour blessée….**) de la langue française en général, les lecteurs et auditeurs d’Alain Borer en particulier, ont une conscience si aiguë que ce n’est ni acceptable, ni supportable, ni vivable, qu’ils en souffrent sans espoir de rémission.

   Cette hypothèse conditionnelle est une faute : nous sommes bel et bien dans cet état de servitude volontaire à l’égard de la domination par la langue du maître**, l’anglais, pire, l’anglobal**. C’est la thèse que soutient Alain Borer dans son livre, paru en 2014 déjà, mais c’est moi qui choisis de reprendre l’expression de La Boétie pour dire ce que cette analyse majeure a de politique, au sens le plus fort de ce terme. L’accoutumance à l’oppression*** est toujours un succès si l’on use d’au moins deux critères conjoints : flatter le dominé et/pour mieux l’accoutumer. C’est par l’intériorisation de la contrainte que se fait toute servitude volontaire, c’est précisément ce que la capitulation généralisée devant l’usage de l’anglobal réalise brillamment -osons cet oxymore du raisonnement- avec des conséquences irréversibles : métaplasmes et abruptions. Il y a toujours quelque chose d’irrationnel dans l’adhésion par flatterie. La Fontaine le dit en vers et en fable, le corbeau a cédé au renard ! L’usage de "coach" en lieu et place d’entraîneur, "casting" pour distribution, "dressing" pour vestiaire, sont dorénavant indolores, ce qui autorise tous les "deadline", "speed", "has been",  "smile","open space" devenus aujourd'hui la norme, au point que le retour au terme français existant passerait lui pour incongru. Un comble! Cela procède d’une illusion savante, un pseudo-positionnement de modernisme. Un parti-pris ridicule d'efficacité. Et ça marche !

   C’est l’une des grandes forces du livre. Dénoncer loin de la polémique, (qui convient à quelque article de presse, il y en a de fort bien tournés sur la question) et analyser, apporter ses preuves, prendre l’angle de l’histoire et de la philologie, manier comme personne les exemples littéraires, et porter l’amour des grands textes comme d’aucuns portent l’amour de la nature, comme une évidence. Aussi, Alain Borer parle à l’envi du projet de la langue française, constitutif de son essence et de son existence. Pro-jeter. Jeter devant soi. Ce que quelque chose dit de soi qu’il tient en lui. Et pour le montrer, il faut l’ex-poser, s’en saisir. Aussi Alain Borer ne cède jamais à la facilité de répondre aux récriminations et accusations qui font florès dans les faux et insupportables débats sur les soi-disant positions réactionnaires des acribiens, toujours suspects de préférer la pureté au métissage, ou la plume d’oie à l’ordinateur, un carnet de notes à twitter ! Alain Borer est au-dessus de cela, sans le moindre orgueil, avec la légèreté du papillon qui, si frêle, échappe pourtant à la pesanteur. Eloge de l’aglais ladakensis.

   Il m’a fallu quelques secondes à peine pour décider de ne pas reprendre ce livre à la manière d’un compte-rendu, d’une synthèse. Plus longue fut la rumination qui finit par poser ses mots ici. Démonstration s’il en fallait de la dimension heuristique de la langue française, qui trouve en disant ce qu’elle voulait dire. Alain Borer développe. Il faut y aller voir. Et comprendre aussi ce qu’il appelle le vidimus**. Trouvaille majeure pour ramasser en un seul terme la capacité unique d’en passer par l’écriture pour vérifier la parole. Allez voir ! Hommage appuyé, poétique et savant à l’usage du "e" muet. Explications de ce qu’est le genre en grammaire, et la nécessité de la double négation. Audacieuse mise au pilori de la mal-diction**. Attention il touche à l’icône Coluche ! Critique acerbe de l’usage du seul anglais comme langue de travail, en Europe et en France, dans la plus grande indifférence et par soumission à un pouvoir ignorant et soumis lui-même….Lisez-le ! Sans oublier les oubliés, dont la liste obituaire fait aux yeux venir les larmes…. Le Sylvain des spirées** ou la Vanesse des pariétaires** ne sont plus. Et le latin, le latin vous dis-je…  pour mieux parler français, soigner les racines pour faire pousser les plantes.

   Enfin, et là je cours, je cours pour... cheminer et même musarder à chaque page, chaque paragraphe, en compagnie amoureuse, Ponge, Barthes, Rémy de Gourmont (ah ! je vais m’empresser de le relire), Marguerite de Navarre, Théodore de Bèze, Henri Estienne, Du Bellay… Et je n’ai pas dit le quart de la moitié de ce qu’il fallait dire. Peut-être qu’on est touché par un livre, une musique, une œuvre d’art, quand ce qu’on en dit n’excède pas ce qu’il dit lui-même. Il me semble soudain, que beaucoup font le contraire. En cela ils se trompent.

   [Je termine en disant aux grincheux qu’Alain Borer, enseignant aux Etats-Unis, ne peut être suspecté de refuser de "s’ouvrir aux autres" (expression on ne peut plus ridicule…. à mes yeux inactuels) ]

*Merleau-Ponty : Signes, chap I et II **Alain Borer : De quel amour blessée, Gallimard, 2014*** Claude Lefort dans une étude sur La Boétie

le mirage vrai de sa songerie

10 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

Il était poète. Fou, amoureux fou d’une folle sauvageonne qui traversait ses rêves et séduisait ses rimes. Les soirs de lune gibbeuse, elle hantait son sommeil, abolie de toute fatigue, ne venant que d’elle-même. Il croyait marcher dans son rêve, il ne faisait qu’errer dans sa folie.  Il souffrait, fou qu’il était de se contempler sans fin dans cet amour. Elle souffrait aussi, parfois avec volupté. Et posait à ses pieds toute candeur, toute innocence, toute résolution. Elle n’appartenait à personne pour toujours. Ni passé. Ni futur. Ni ailleurs.

Quand il avait un peu trop peur du bonheur, il allait s’asseoir sous un arbre, se laissait envahir par la douce sensation que procure immanquablement la solitude voulue, ou l’isolement volontaire, ou seulement l’éloignement, mesuré et limité à son incapacité à demeurer sans pensée, sans rêverie. Sous l’arbre, il acceptait de se laisser blesser par d’anciens souvenirs. Pour l’oublier. Mais tenter de l’oublier, c’était encore penser à elle. Elle était là. Quand il levait les yeux pour capter la lumière entre les feuilles, il sentait la tiédeur verte de son regard. Quand il froissait les herbes à portée de ses doigts, il chiffonnait la malice de ses cheveux courts. Il s’obligeait alors à ne plus faire le moindre mouvement. Emeraude, émeraude était son besoin de repos. La terre s’ouvrait devant lui. Il voulut se jeter dans le gouffre. Il pleuvait. Pluie de larmes. Son image qui aurait dû l’apaiser achevait de l’anéantir. Elle affolait sa raison. Elle tourmentait ses nuits. Troublait le silence. Ruinait l’espace. Attentait à sa solitude. Vagabonde. Sauvage. Toujours présente. Jamais en trop. Disparue, revenue, murmurée, chuchotée. Qui dit des mots si tendres que le monde en chavire et bascule. Et lui, emporté et roulé par la vague. Elle, aussi douce qu’un doux galet des plages, voletait dans sa tête, effleurant ses cheveux. Doigts d’écume et mains de sable. Elle était sirène alors. Elle. Sa tourmente.

Elle  marchait, lente et légère. Gouttes de pluie dans son regard tourné vers les nuages. Pour un peu sa mélancolie la porterait presque au bonheur, elle était parvenue à ne plus rêver. Dans le silence de son ombre modérée, ses secrets défilaient. Elle avançait à pas comptés. Sentait sa vie doucement disparaître. Devenir incolore, invisible. Elle qui voulait rendre transparente toute chose, devenait transparente elle-même. Captée et retenue sans violence par le vide, elle se voyait partir. Etouffée lentement, lentement. Une dernière fois son regard enferma le jardin secret à l’abri de ses paupières closes. Le reverrait-elle jamais ? Comment effacer l’absence infiltrée sous sa peau ? elle emplissait sa pauvre tête, la faisant claquer de souffrance. A la pointe de sa douleur, elle s’enfonçait dans une mort certaine. Affolée, perdue, elle accrochait déséquilibre et folie à ses journées, avec une détermination inquiétante et farouche. Elle se vidait de son existence, se chargeait de sa mort totale. Fracassée, elle n’était plus que larmes, et se roulait dans leurs vagues, qui déferlaient dans sa tête. Elle était si triste qu’elle aurait voulu devenir cruelle mais toute force l’abandonnait. Elle ne pouvait plus ni avancer, ni se retourner. Seulement attendre. L’atteindre. Infinité de sa tristesse absolue. Sa mort dans le silence d’un poète.

La douceur eut raison de toutes les révoltes, la douce pluie d’automne glissait de ses mains. Ses doigts pleuraient en recueillant l’eau triste et tiède qui perlait à son cou. Il était venu la chercher là où elle l’attendait depuis le premier jour, là où lui-même l’avait si délicatement blottie. Il était revenu la chercher en lui-même. Elle qui ne pouvait prendre existence qu’au creux de ses mots. Etincelée dans son regard, elle avançait dans sa lumière. Elle ne vivrait d’aucune autre vie que celle qu’il écrirait pour elle. Ni esclave, ni fantôme. Elle ne se soumit pas à sa volonté magicienne qui l’aurait fait apparaître ou disparaître au gré de son désir. Il y aurait eu alors le temps avec elle et le temps sans elle, l’espace avec ou sans elle, les jours de sa présence, les jours de ses absences. Non. Elle avait grandi dans ses rêves, avait pris corps dans ses mots, respiration dans son sang, transparence dans ses larmes. Elle n’existait qu’en lui et pour lui. Mais elle existait.

Et le poète écrivait. Elle dépouillait le monde de toute laideur, lui dérobait toute utilité, lui arrachait toute offense et tout chagrin. Son image, frangée d’aurore guidait sa main et traçait la route sinueuse qu’il franchirait pour elle. Elle était l’arbre près duquel il attendait que le calme renaisse. Elle était le vent dans lequel il marchait, à l’heure bleue du souvenir. Elle était l’encre verte de laquelle naissaient ses mots. Elle était revêtue d’évidence mais dévêtue du monde. Elle était le sens de sa solitude, dont elle dévastait l’inhumanité mais l’emplissait d’éternité. Elle était sa certitude d’être qu’il avait sacrifiée tant de fois à la faiblesse de vivre.

 

une montée vers les profondeurs

6 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

     Où et comment conçut-il ce désir de volcan, le jamais nommé des vers du poète agrigentin, que l’on voit depuis Centuripe, la petite cité sicule de la colline, célèbre pour ses vases, ses urnes, ses tanagras, vendus jusqu’à Katané, et jusqu’à Syracuse. Personne ou presque ne s’étonne de le trouver au sommet d’un mont haut et froid, où la neige persiste en toute saison. En petites flaques grisâtres il est vrai, au plus chaud de l’été. Personne ne s’interroge sur l’itinéraire, le temps passé, les souffrances endurées, qui portèrent Empédocle de sa ville brûlante, au volcan glacé. Serait-il parti même de Syracuse, la route est encore longue et difficile. Ou bien d’autres cités, d’autres villages plus au Nord. Il lui fallait, quoiqu’il en soit, réaliser une ascension.

    Quelle détermination, quelle force, quelle énergie habitaient ce vieil homme-là, dont on ne peut croire un seul instant qu’il se portait là-haut par désespoir. Comment gravir ces pentes, ces roches, ces blocs, lutter contre le vent, trébucher, s’arrêter et repartir, pour s’anéantir, seulement s’anéantir? Sauf à prendre le mot en son étymologie, il ne se précipitait (pas) dans l’Etna comme le dit Camus,

et le croient tous les autres, ne voyant dans le saut du vieux sage qu’une quête de vérité  là où elle est, dans les entrailles de la terre. Le philosophe existentialiste fait de la chute d’Empédocle un geste sensément universel, et résolument individuel. Comme si, dominé par un invincible courage, il avait échappé au vertige, s’engouffrant dans le cratère béant et frileux à la fois. Belle image de René Char.

   Comme si, par une volonté absurde, c’est-à-dire qui ne prend sa signification qu’en elle, le philosophe-marcheur se devait d’atteindre au sommet de lui-même pour mieux s’engloutir, fausse vision de l’inanité des choses et du monde que n’avait pas Empédocle, image en déperdition ontologique qu’il ne pouvait pas produire. Le volcan-mangeur-d’hommes n’est-il qu’un dieu colérique, cruel, convulsif, un être malévole, ou le dispensateur des vertus qui chantent dans ses plaies. (René Char? En son sommet luisant, le poète est parole saxifrage.

     Plus qu’un arbre, plus qu’une forêt, bien plus que toutes les plantes de toutes les surfaces du globe, un volcan, immobile dans son activité même, est le mieux enraciné des vivants. Ses violences, ses combats, ses bombes, ses ponces et ses pierrailles, ses crachats, ses colères, ses feux et ses laves, témoignent tous superbement de son implantation au centre de la Terre. Nul ne pourra l’en arracher. Pas même lui.

    Mais aussi béance, naufrage, danger, enchantement et bestialité tout ensemble. Chaleur de la terre, palpitations de la chair ignée. Léonard de Vinci parle de sa violence, de sa furie, de son impétuosité. Il désire le volcan comme on désire une œuvre tandis qu’on la conçoit. Il le redoute comme un enfant saisi de peur dans l’obscurité.

     Etre l’Etna, désirer être l’Etna dira même le héros sadien. Le mont sous lequel gît Typhéus, implorent les Cyclopes, aux flancs desquels le jeune Dionysos aurait planté la première vigne, au pied duquel Enée découvre le compagnon oublié par Ulysse. Etna nietzschéen au-dessus duquel plane l’aigle comme un long silence illuminé. Etna qui enfume l’île belle, l’île aux trois sommets, Trinacria aux pentes douces. La noire usine dantesque, enfer et paradis tour à tour.

    Au sommet de la montagne ouverte, décapitée, son regard humain est plus haut que tout regard mortel. Plus près des aigles que des hommes, il s’assoit au bord de sa dernière route. Le ciel est clair. A ses pieds, grises les cendres. Comme les fumerolles du volcan, légères les paroles des hommes, futiles leurs pensées. Délicates écharpes frangées d’insouciance. Ici, un peu plus proche des limites du ciel,  pourtant encore de ce monde puisqu’il ne peut regarder le soleil en face, et qu’au-dessus de lui, royal, tourne l’oiseau de Zeus. On raconte que le grand Pythagore en cueillit un, délicatement descendu en vol, le caressa et le laissa repartir vers les voûtes célestes…

     Qu’un aigle plane en traçant de beaux cercles, et c’est le ciel tout entier qui appelle l’homme. Oiseau de feu, oiseau solaire, son élément c’est l’air éthéré, son chemin le ciel cristallin, l’enveloppe incurvée et bleue comme une eau gelée qui clôt l’univers. Alors, contre la courbure, installé comme en un ventre rebondi, le Soleil roule et court d’un bout à l’autre de l’univers, reflétant une si vive lumière que seul le puissant oiseau ouranien peut la fixer. Le fier animal entre l’arche du Ciel et la courbe du monde n’est pas captif. Il est libre au contraire, parce qu’indéfiniment il retrouve son élan. Descendre ne signifie pas tomber, une chute est une fulgurance, un avalage, une disparition. Le volcan, puissance et émotion. Aussi, descendre avec lenteur, avec volupté, comme un immortel. Déjà délivré de la mort. Descendre en majesté.

 

J’en demande pardon à mes lecteurs, lecteures, et lecteuses, et salue les autres (hommes et femmes confondus, si j'ose)...

3 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

…mais je reporte ci-dessous, comme une fainéante, ce que j’écrivais en Juin et ne peux modifier d’un iota, lisant dès potron-minet, l’article bien troussé d’une enseignante-en-colère*…. Mais jusqu’à quelles extrémités faudra-t-il arriver pour bouter les idéologies mal digérées, donc dangereuses, hors de la grammaire ? J’en rajoute une (petite) couche, en demandant ce que l’on fait de ces métiers –qui ne sont point nouveaux- couvreur... couvreuse ? plombier... plombière ? glacier...glacière ? jardinier...jardinière ? saucier...saucière ? moins présents sur les plateaux-télé, certes, que les autrices, désormais régulièrement citées aux oraux du baccalauréat-sans-gloire.

 

Le titre de Juin était Mon Aimée.

Mais comment donc les adjudants ignorants et féroces de l’usage des mots vont-ils supporter que cet adjectif possessif, diantre ! et masculin, précède un être féminin ? l’insupportable contre-argument de l’obsolescence, de la ringardise, en un mot de la loi naturelle (sic) selon laquelle tout évolue, donc la langue, va-t-il encore nous être opposé ? et que va-t-il falloir inventer pour éradiquer Mon Aimée

   Mon Aimée, que je lis à l’instant dans une Correspondance de la fin du XIXème siècle –pensez-donc ! est sûrement une insulte aux prescripteurs d’aujourd’hui - mon ne peut, ni ne doit, désigner une femme… et aux néo-précepteurs pour lesquels tout humain de sexe féminin a droit à porter son “e” en bandoulière, ce qui rime avec cartouchière et lanière. Le “e” pourtant si léger, le “e” dont le silence fait signe d’une présence mutine parfois, amuïe souvent, Mon Aimée, le “e” qui en dit long sans avoir besoin d’en rajouter…. Le “e” dorénavant malmené, brutalisé. Maltraitance pour une voyelle douce.

   Sauf, et j’avoue que mon aimée, aussi soyeux et velouté que s’il fût distrait d’un alexandrin de Racine, mon aimée me sert évidemment de prétexte- pour attaquer cellezetceux qui ne comprennent toujours pas qu’unE auteurE ou unE écrivainE n’existe pas, tout simplement ! Ou alors, dans la Famille Surérogatoire je demande la danseurE, l’instituteurE… mais rappelle que les (quelques) noms français en -eure de naissance (la prieure, la supérieure….) proviennent des comparatifs latins en or, en plaqué or ? mais pourquoi l’auteure et pas l’autrice, puisque l’actrice est féminin de l’acteur, si j’ose dire… ou l’auteuse, comme on dit la danseuse.

  J’en appelle donc à nos bien aimés Amis, dont je ne comprends pas qu’ils ne la ramènent pas quand personne n’ose écrire, s’agissant d’une femme, la bandite, l’escrocque ou la malfrate, (parité ! parité !), mais qu’on ose encore s’agissant d’eux, parler d’une victime, d’une personne, ou d’une star, d’une canaille ou d’une proie, j’en passe, j’en passe. Ou comment suspendre le sexe à la conquête de la cinquième lettre de l’alphabet pour faire avancer la cause des femmes et soumettre le monde à cette injonction absurde ! et comment le bon usage, la correction syntaxique, morphosyntaxique, orthographique et grammaticale, deviennent fautifs. D’office. Voilà qui est tout simplement sidérant.

   Qui ne voit que cette idée ridicule selon laquelle une langue est vivante et doit ainsi se soumettre à l’air du temps, est juste un sophisme, un paralogisme, le contraire même du raisonnement, l’ignorance crasse de la philologie, pire l’inféodation au plus mauvais, à la paresse, l’assujettissement à un prêchi-prêcha détestable. Et que la parité(E?)et l’égalité(E?) se jouent dans la loi, et donc dans les luttes ? Nos amis anglophones n’auraient-ils donc plus de soucis à se faire, ni de problèmes à régler, n’en ont-ils jamais eus, bienheureux qui ne connaissent pas la distinction grammaticale entre le féminin et le masculin, a friend is a friend, et nos cousins italiens ont-ils perdu tout sens commun, qui disent La sabbia (fém.) pour le sable, ou Il mare (masc.) pour la mer… on me rétorquera (pan sur le bec !), qu’il ne s’agit point là d’humains, mais d’objets inanimés et non pensants. Certes, je crois bien que je vois la différence. Je veux juste montrer que la partition grammaticale et syntaxique du monde entre masculin et féminin dans une langue (à condition qu’elle en soit pourvue !) ne doit rien à l’idéologie des rapports entre les hommes et les femmes, et que l’on est typiquement devant une pitoyable récrimination d’aliborons analphabètes –là je fais pléonasme pour le plaisir de l’allitération, quand on exige sous peine d’immolation publique que soit dite et écrite la rapporteurE (il est vrai qu’une rapporteuse, hum….) proviseurE, procureurE. Fondre et confondre sexe, genre et fonction est devenu la règle, et résister, une faute contre la moitié de l’humanité, contre une nouvelle réglementation autoproclamée (et totalement … fautive), mais aussi, mais surtout une faute morale, une faute idéologique ! Ah ! où le jugement moral va-t-il se loger de nos jours, et au nom de quoi ? On a le combat féministe léger et court vêtu, qui s’en sort à pas cher, rétréci, sommaire et crapoussin s’il suffit de mettre en demeure quiconque prend une plume, pardon un clavier, ou un micro, de dire et écrire une écrivainE (qui compte, forcément), lui ajoutant un “e” en appendice –substantif masculin qui désigne une partie surajoutée à une autre, en complément, prolongement ou accessoire… pour marque de quoi ? du féminin ou de sa féminité ?

   Et tout le monde obtempère. Sans (se) poser la moindre question… Douce tyrannie de l’air du temps, qui flotte d’autant mieux qu’elle ne repose sur rien, sinon sur elle-même, qu’elle est sa propre justification, sa propre mesure, et qu’un peu de savoir est dorénavant compris comme beaucoup d’arrogance, et l’impéritie pour la norme. J’ai donc lu récemment ces formidables choses : les personnes auteures (devenu adjectif, dorénavant auteur s’accorde avec le nom !) d'agressions ; la pivot de l’équipe (pourquoi, mais pourquoi donc n’avoir pas écrit la pivote….) ; cette médecin (évidemment cette médecine n’avait pas le même sens, j’y reviens) ; sa sauveuse (tiens, point de sauveurE cette fois ?) et autres joyeusetés, comme chauffeure de taxi, la chauffeuse étant déjà occupée. Chacun fait ce qu’il veut.**

   Je voudrai juste rappeler que la marque du féminin, en français, n’est pas le “e”…. on se calme ! j’ai bien dit la marque. Tant de mots féminins le sont sans lui, notamment tous les mots dits de qualité (bonté, imbécillité, vérité, fausseté et sqq… et senteur, sont féminins sans “e”) ; il ne suffit pas d’ajouter inconditionnellement un “e” à la fin d’un substantif pour réussir un changement de sexe indolore, et gagner ce combat. D’autant qu’à l’oral, l’auteure ne dévoile pas son intimité, et si par cumul des guignes son prénom est Camille, Dominique ou Claude… on est mal barré comme on dit aussi ! là, je sens que je me ratatine. Mais surtout, il existe des mots masculins qui portent (comme un fardeau, une punition) ce “e” insupportable, dont il faudrait peut-être les …. châtrer, ou les châtier, qui sait ? un macchabée doit-il s’arrimer un troisième “e” s’il est une femme, même question pour un pygmée, ou un sigisbée… athée ? Certes, voilà des mots qui ne font pas le quotidien de nos écrits, mais le lycée, le musée, le prytanée sont bien des noms masculins, affublés pourtant de ce “e” maudit mais adhérent !

   Restent les cas drolatiques où le passage du masculin à un féminin existant, s’accompagne d’un changement de sens, et confirme ainsi que lorsque l’idéologie l’emporte, le grotesque aussi. Je veux dire que l’obligation, l’objurgation qui nous sont faites de féminiser à tout-va tout ce qui peut l’être est un caporalisme indolore, insidieux, dormitif, de ceux qui rassurent mais abêtissent, puisque, n’est-ce pas, c’est devenu l’habitude, et qu’il faut bien être de son époque…

   Aussi, le manœuvre s’use à la manœuvre (!), le mousse dégage la mousse envahissante (?). Et la pluie menaçant, le pèlerin enfile une pèlerine….ok... Le concours est ouvert. Je me demande si c’est eu égard à sa soutane que le Pape est appelé Sa Sainteté. Suis-je de mauvaise foi ?

   ...et dans cette logique sans raison, il faut donc castrer, émasculer, amputer, tous les noms épicènes –et ils sont nombreux- quand ils désignent des hommes… pour les distinguer des dames. Ainsi, un philosoph, un artist, un mair… doivent renoncer à leur “e” pour mieux en revêtir les femmes. J’exagère ? ah bon?

  ... reste à dire deux mots du dictionnaire convoqué sans jugeote comme juge de paix, alors qu’il se contente d’entériner l’usage le plus fréquent, en nombre, puisque, dorénavant, le nombre a toujours raison sur tout, même sur la grammaire. Les dictionnaires courants sont des objets marchands, ils présentent ce qui plaît, ce qu’on est prêt à acheter. Ils enregistrent l’air du temps, et vous le vendent. Article “tendance” dont on ne manque pas de présenter le nouveau modèle chaque année, et les 'innovations' qui vont avec. Comme au salon de l’auto !

*dont l’essentiel porte sur les nouvelles manies : cher.e.s enseignant.e.s et autres calamité(e ?)s, (in Telerama)

**surtout les journaleux de la presse écrite  -mot sans la moindre épaisseur désormais- en passe de nous dicter nos conduites... l'Education Nationale laissant le champ libre au plus accessible, au plus facile, au plus "ludique" et considérant qu'il faut élever le niveau par le bas.