inactualités et acribies

Le lutrin et les cocottes.

30 Avril 2020 , Rédigé par pascale

 

Une Cocotte se paraît en son miroir.

Le jour tombait, il faisait noir,

Comme en un cul de basse-fosse.

Mais point ne faut désespérer d’une Cocotte ;

Pour ses atours, elle n’est point sotte,

Trouve où poser peignes et brosses

Sur un grand lutrin noir tout près de la croisée

Où dans ses derniers feux, le soleil se couchait.

Las !  Une gallinacée y avait

Installé son logis, pensant y demeurer.

C’était sans compter sur la cruauté

De notre mijaurée d’un soir.

Qui s’en saisit, la tua, la pluma, d’un coup.

La mit à cuire, fit un houssoir

De ses pennes du plus beau roux.

Ne sachant que faire des os et de la crête,

Ni de la viande ni du reste,

Elle rapprocha dudit lutrin

Les marmites et pots qu’elle avait sous la main,

Élisant pour finir la cocotte de fonte

Qui me permit ainsi de terminer le conte.

D’un lutrin, une dame, une poule et un pot

Qu’il fallait réunir en un seul jeu de mots.

Mélanges, miscellanées, miettes. 1.

26 Avril 2020 , Rédigé par pascale

 

Il y a, certes, l’ennui qui ennuie, mais l’ennui qui occupe je l’appelle penser. C’est la seule occupation qui ne m’ennuie jamais.

*

Pourquoi les fleurs sont-elles bleues ? Parce que les mots ne mentent pas, mais ceux qui les écrivent, oui.

*

Il ne peut exister que quelque chose que l’on peut nier : non pas biffer le réel, le détruire, mais le dire sous un autre rapport.

*

L’homme est cet être par qui le néant vient aux choses.

*

Comment chercher — et trouver — une syzygie, si l’on ignore ce que c’est, l’aurait-on même sous les yeux ?

*

Jamais le mot ne déborde hors des lettres dans lesquelles on l’enferme. Ce qu’il signifie, si.

*

La communication, l’organisation du mensonge.

*

Philostrate raconte, dans la Vie d’Apollonius de Tyane, qu’un plongeur muni d’une cassolette de parfums l’approche d’une huître, laquelle s’ouvre et s’enivre. Le plongeur la transperce alors d’une pointe. Ce qui sort de cette humeur est recueilli dans un petit moule, se pétrifie, devient une perle.

*

Dans l’Assemblée des femmes, Aristophane invente le mot grec le plus long : 171 lettres !

λοπαδοτεμαχοσελαχογαλεοκρανιολειψανοδριμυποτριμματοσιλφιοκαραϐομελιτοκατακεχυμενοκιχλεπικοσσυφοφαττοπεριστεραλεκτρυονοπτεκεφαλλιοκιγκλοπελειολαγοσιραιοϐαφητραγανοπτερυγών.

*

Sait-on vraiment qu’en disant d’une ambiance qu’elle est glauque, on la peint en vert ?

*

Sur la langue il peut être charnu, suave, rond ou très ferme ou viril et charpenté. Ainsi parle-t-on du corps du grain de café une fois torréfié.

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« …c’est seulement sous l’œil de la poésie que l’on écrit de la bonne prose, car celle-ci est une incessante guerre courtoise avec la poésie. » Nietzsche, Le gai savoir § 82.

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Natare piscem doces. Francis Ponge.

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L’idée d’une « philosophie de l’ameublement » proposée par E. Poe ferait non-sens pour les tenants de la philosophie du dehors, des grands espaces, puisque ramener la pensée à l’intérieur du foyer ce serait l’immobiliser ! C’est quand même oublier un peu vite que le meuble est — contrairement à l’immeuble — ce qui, justement est mobile.

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Jardins et roseraies : quelle étonnante invention d’un lieu dédié aux parfums qui s’évaporent !

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La poésie est silence, elle n’est pas silencieuse.

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Voici une version faible du théorème de Whitney : soit S une surface lisse dans l’espace. Alors, quitte à faire tourner S par une rotation arbitrairement petite, le contour apparent est une courbe lisse tracée sur S et sa projection sur le plan horizontal est une courbe qui ne présente comme singularité que des fronces.

Fabuleux !

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Il n’y a que le langage pour parler du langage.

Nos pensées se font faire, défaire et refaire par le langage.

 

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Parce que la philosophie n’a pas pour fin de fixer un sens unique, mais au contraire d’élucider, découvrir, pointer les significations arrêtées, préjugées, reçues sans la moindre réflexion et/ou prudence, sans critique ; elle est cette interprétation (τα ερμηνεια), l’herméneutique, qui vise la formulation de la vérité à travers un discours méthodique et éclairé par la raison. On ne peut donc pas confondre interprétation et relativisme.

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« Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont vraisemblablement surtout incultes, en ce sens qu’ils n’ont qu’un petit nombre de mots et d’expressions ; et c’est un trait de vulgarité bien frappant que l’emploi d’un mot à tout faire. » Alain. (Approbation totale.)

*

Un Colloque international consacré à Lycophron, en 2007, avait pour joli titre Éclats d’obscurité. De l’œuvre de ce poète du IVème siècle avant JC il ne reste que des titres, plus un poème « expérimental », Alexandra, constitué pour l’essentiel de jeux sur les noms propres, détournements, remplacements et autres évitements, fabrication d’hapax en nombre. Cryptage à tous les étages. Étonnant non ?

*

Une philosophie de l’éponge se devrait d’être légère comme un pongé de soie — de soi — et poreuse comme le papier buvard pour absorber les taches.

 

 

 

Alphonse et Graziella

23 Avril 2020 , Rédigé par pascale

 

        

    Dans sa Préface introductive de 1926 au roman Graziella, Gustave Charlier se demande si Lamartine est bien digne de foi et sa sincérité inattaquable : il y aurait par exemple — et avec bien d’autres difficultés selon lui — un décalage de 3 ans, entre la « vérité » biographique et la romanesque ; une des manières de démêler le vrai du faux qui agitait, avant toute autre considération, les « critiques » de l’époque. Aussi, cette ahurissante exclamation « Mais alors plus des deux tiers du récit seraient pure fiction ! » est, n’en doutons pas, un terrible reproche : l’auteur n’aurait pas avoué exactement la même chose dans ses Confidences, ses Mémoires, sa Correspondance et dans le roman.

       Graziella était-elle corailleuse ou plieuse de cigarettes, à moins qu’elle ne fût chambrière chez un parent du poète, Dareste de la Chavanne. La beauté grecque de la belle napolitaine est quant à elle, sans conteste, quoi qu’il en soit des reconstitutions alambiquées, du degré de confiance, i.e de méfiance accordé au texte, indifféremment appelé récit ou roman dans la préface. Ce qui n’est pas secondaire.

       Sur le seul prétexte authentique du premier voyage de Lamartine en Italie vers 21 ans, précisément à Naples où il rencontra Graziella dont il s’amouracha, et de son passage à Procida*, l’auteur de la Préface, drapé dans une recherche vertueuse de la vérité des faits, nous inflige des croisements de dates et de lieux, des hypothèses et des propositions, dont le texte ne saurait pourtant être affecté comme texte. Il additionne ou retranche, deux mois par-ci, quinze jours par-là, accuse le poète-romancier de tordre la chronologie, la météorologie, le calendrier, pour conclure : « Nous voilà loin de compte, et que devient l’année entière qu’il aurait passée à se laisser aimer de la jolie Procitane ? ». Réponse (involontaire) de l’écrivain : à faire quelques aller-retour à la petite île, y acheter une barque, y lire Foscolo, Tacite, Le Tasse, Paul et Virginie, des précisions qui pourtant le déçoivent, dans la Correspondance de Lamartine, où Graziella n’apparait que sous la forme furtive de l’allusion. Naples, le Vésuve et la petite île sauvage en face, sont rappelés à son ami Virieu pour les doux moments passés à lire ou se promener ensemble. On sent le ton poli du reproche par le préfacier pointilleux à l’excès : toujours dans sa Correspondance le poète parle volontiers de la Bigottini, ou la Gasselini, deux danseuses très appréciées de la via Toledo mais ne révèle rien de la « chaste amoureuse de Procida » ; et dans une lettre à la Marquise de Ragecourt (1820) et sans qu’il y joignît le prénom de la jolie brune, Lamartine dit de Naples qu’elle est une pure et brutale volupté.

       Le préfacier-enquêteur enquête donc. Il trouve un fragment de lettre de seconde main — objet d’une simple allusion dans un article de Francisque Sarcey, plus connu pour son goût de la raillerie et de l’approximation que de l’analyse littéraire **. Laquelle lettre, dont pourtant on ne sait rien, est tout sauf gracieuse à l’égard de Graziella, si toutefois c’est bien d’elle dont il s’agit ! Lamartine y avoue une passade, pour le dire élégamment, avec une petite fille jolie comme un ange, mais bête comme une oie, dont il ne sait plus que faire, tant elle l’importune, ce qui n’est pas exactement du dernier romantisme. Et pour sceller définitivement le sort de la vraie Graziella, Lamartine l’aurait — le conditionnel s’impose dans cette correspondance épistolaire douteuse — affublée d’un tas d’enfants, manière de dire que sa mort romanesque n’a vraiment mais vraiment rien à voir avec l’histoire réelle. G. Charlier est surtout pris en flagrant délit d’imprécision, lui qui ne cesse d’en blâmer l’écrivain, et même de récidive en se faisant le rapporteur d’un « témoignage inédit », qu’on lui aurait « révélé plus récemment ». Toujours dans une lettre, Lamartine parlant de Naples y nomme Antoniella, qu’il aurait aimée. Conclusion de notre limier : Lamartine aurait eu « plusieurs aventures napolitaines », rabattant le livre — le torpillant, l’asphyxiant — sous la trivialité d’une « réalité médiocre » !

      Graziella est-elle l’Elvire des Méditations ? Certainement dit le signataire de la Préface-Introduction, bien que nous n’ayons rien pour en être certains ! Il y a Julie tout de même… Pas la moindre description, le moindre détail, le moindre portrait. [Reste le titre « Adieu à Graziella » dans les Nouvelles méditations poétiques, qui supporte un poème pour le moins… fuyant.] Élevée alors au rang d’ « héroïne littéraire », Graziella — et Graziella ? — y acquièrent enfin une densité, voire une profondeur, concédant qu’il se peut que l’écrivain ait cédé à quelque mode. Ce qui n’est pas sans circonvolution. Stendhal lui-même s’y est laissé prendre, on en trouve témoignage dans sa correspondance.

      Cet acharnement à chercher le vrai, dénoncer le faux, pour critères de la littérature, à soupeser les « innocents mensonges de la fiction » plutôt que l’écriture ou la composition de cette fiction — serait-elle mentir-vrai ou vérité-mentie — a quelque chose d’intrigant et une force d’attraction telle qu’aujourd’hui encore elle recouvre tout dans l’opinion commune,  au point que le lecteur d’un roman lambda contemporain est toujours sous le coup de cette affaire ;  s’il ne cherche pas strictement à savoir si l’histoire qu’on lui sert est vraie, il s’interroge — dans une forme faible —pour savoir si elle est seulement plausible, s’il peut y croire. Cette demande simple, la plupart du temps involontaire ou inconsciente, n’en est pas moins très puissante, elle constitue pour l’essentiel et en dépit des différences profondes d’écriture et d’inspiration, le critère favori du lecteur de roman : la narration. À cette métrologie est sacrifiée toute possibilité d’analyse, et supprimée par contagion jusqu’à son intention. Il suffira, par paraphrase anticipée, de décrire les personnages et raconter l’histoire, ce que font, inlassablement, toutes les présentations, et les présentateurs, de romans, incapables de dépasser l’exposé forcément aplati, pour ne pas dire écrasé par ce fil narratif.

    Dans son désappointement à l’égard de la trahison narrative de Graziella, G. Charlier donne un indice fort de son attachement à la fidélité — autre version de la mimesis — entre fictif et réel dans le genre romanesque, en saluant un livre anonyme*** et antérieur qui raconte les amours d’une fille de pêcheur napolitain et d’un jeune étranger. Aussi, il n’a d’autre solution que d’extraire de longues citations de l’un et de l’autre distribuant bons et mauvais points selon que tel est plus « dramatique » ou moins « enthousiaste ». Au fond, le préfacier reprocherait à Lamartine de s’être inspiré de ce roman précédent, tout en faisant croire que Graziella était un récit autobiographique (largement détourné). Lamartine se rendrait coupable d’avoir triché à partir d’un épisode vrai de sa vie, dont il fit une fiction, en imitant une histoire fausse. Le préfacier-enquêteur, in fine, reconnaît entre les deux une « parenté littéraire ». Nous retiendrons quand même le second terme, bien qu’il ne reçoive aucun développement.

    Qu’il nous plaise alors de terminer par cette image toute simple — vérité fictive ou fiction vraie — d’une phrase du poète échappée des Confidences et oubliée de cette Préface : « J’écrivais sur mon genou l’histoire de Graziella ».

 

*Procida, est aussi, est surtout celle d’Arturo, dans le superbe roman d’Elsa Morante, L’île d’Arturo, 1963 pour la traduction française, Gallimard, Folio.

**Alphonse Allais ne s’est pas privé d’en faire l’une de ses têtes de Turc, au célèbre cabaret le Chat Noir.  Passionnante époque ! On n’oublie pas que F. Sarcey était du groupe des Hydropathes.

***Charles Barimore, roman sentimental (1810).

[Pour les lamartiniens nostalgiques, lire Henri Guillemin, son précis, pointilleux, un tantinet suranné dans ses élans très lamartiniens, Lamartine -l’homme et l’œuvre- (1940) aujourd’hui aux éditions d’utovie, 2016 - l’un de ses nombreux ouvrages sur le poète-politique.]

           

Gravée à la pointe de diamant : Sèvre, Eaux Fortes.

17 Avril 2020 , Rédigé par pascale

        

     L’embêtant — mais quel délicieux agacement ! — à lire de grandes et belles pages et des phrases parfaitement écrites, vocabulaire infaillible, construction impeccable jusque dans les ruptures, l’embêtant vous attire au clavier tout en vous retenant d’y céder. Vous aimeriez tout dire à la fois, vous voudriez aussi prendre le temps du détail. Sèvre, Eaux Fortes, de Vincent Dutois*, ou l’eau, la terre et l’air, si l’on est bachelardien. Le regard, le toucher, l’oreille. Ensemble et séparément.

     

Ce petit livre n’a aucun des défauts du siècle, que certains, mal-lecteurs, mal-voyants, mal-entendants des textes, s’obstinent à encenser, quand ce n’est pas à s’y commettre, avec l’approbation des foules : ni formulations mécaniques et attendues, surusage de verbes à tout faire, surprésence de comparaisons faciles et coupables, ou le goût assidu de la première personne et ses insupportables déclinaisons, sans lesquels, paraît-il, il ne saurait y avoir de véritable subjectivité. Le talent écrivain de Vincent Dutois tient dans sa résistance totale et imperceptible, justement imperceptible, à l’anonymat des tournures, la déliquescence de la mémoire, l’impudeur. Quasi vide d’indices temporels explicites — mais contredit par des indications ptoléméennes — le cours de la Sèvre serpente dans un passé proche, à portée de souvenirs vivaces que l’on comprend définitivement passés, hier, à peine, ce jadis récent. Comme l’eau du fleuve héraclitéen. Aucune histoire, ni régionale ni individuelle, ne saurait manquer une géo-graphie, γεωγραφία, dont le mot dit bien en quoi la terre, aussi au sens de l’espace, s’écrit se décrit même, par le regard acéré, attentif au minuscule ; tandis que tout s’inscrit dans le mouvement général des invasions qui font et défont les empires — 46° 21’ 21’’ nord & 0° 06’ 32’’. Les eaux sont fortes aussi de combats anciens et d’armées mémorielles, qui firent bouger la terre comme les enfants la boue, scène primitive et première du livre. Microscopiques mouvements en réplication des girations cosmiques, les eaux-fortes de la Sèvre, avec un trait d’union invisible mais non point inaudible, pour toujours gravées par aquatinte, dans la morsure acide des images d’antan.

   

     Voilà un petit livre de choro-graphie détournée, χωρογραφία, de géographie régionale mnésique, dont les méandres du fleuve familier font autant d’images sonores sans être bruyantes, palpitantes d’une vitalité qu’on dirait panthéiste, animiste athée pour le moins. Tout s’y passe, et tout passe le long du fleuve, en ras de terre, en rez et en trous d’eau. Peuplée d’authentiques riverains et de légendaires humains, toute une paléontologie de l’enfance s’est constituée là, de croyances et d’ossements sacrés mêlée, de petits mythes d’un bout de terre étroit accompagnant le fleuve dans une odyssée prégnante et définitive. Aussi, il ne faut pas compter sur des artifices narratifs complaisants pour rencontrer les hommes et les femmes dont la célébration est toute de retenue mais l’existence parfois seulement proverbiale. Dans le désordre, un clerc sale et silencieux, à l’oxymorique occupation d’enlumineur ; un moine hargneux, un pêcheur au sandre, ou un certain Lucien (incertain ?) irrésistiblement qualifié de vieil adulte incomplet. Trois femmes au moins font diptyques : une gardienne de la source, une toucheuse et la dame du pont. L’irritante et usée expression de « présence humaine » ne se comprend ici qu’en termes de souvenirs pétris au chaos primitif d’un brassage (maëlstroms) phylogénétique interminé à ce jour. Vincent Dutois s’est forgé un regard intérieur implacable par l’observation fine, acérée, insistante du monde du fleuve, à moins que ce ne soit l’inverse : Ce que je vais dire est authentique. Je l’ai vu (…). J’ai vu. Il ne le dira pas dix fois, ni même moins. Une fois suffit. Intensité d’un regard qu’accompagnent deux qualités extrêmes et conséquentes, une écoute mélomane du monde qui donne à son écriture si précise, une dimension musicale, longiligne, assurément fauréenne d’une sonate en mineur, le mode de la puissance et de la gravité, non de la tristesse. L’écriture de Vincent Dutois compose un chant de la terre et de l’eau aux accents harmoniques tout de rimes intérieures délicatement discrètes. : ils dorment au soleil blanc de janvier, au soleil frais après chaque averse de mars, au soleil dans le fil de soie des brouillards de mai et au simple soleil roux d’octobre ; sur les coteaux ombreux, l’été.

     Enfin, parce qu’il le faut bien, il faut laisser le lecteur à sa lecture, est-il encore la peine de rendre hommage — tout ce qui précède le fait implicitement — à la qualité d’un écrire parfait. Richesse du vocabulaire, précision on l’a dit, on le répète, distance infranchissable avec toutes formes de facilité, syntaxiques, sémantiques. Qu’on n’y voie surtout pas une recherche obstinée du pittoresque ou le geste têtu de l’archaïsme résistant, à défaut d’être triomphant. Rien de cela, n’en déplaise aux obstinés de la linéarité insipide, Sèvre, Eaux Fortes est écrit d’encre minutieuse, parce qu’il n’y en a pas d’autre possible, parce qu’on doit nommer à l’exact ce qui se présente (le noie-chien) ; parce que ce qu’on appelle « figures de style », sont figures du réel (Il cachait dans son dos un long couteau qui tremblait.) ; parce que les allitérations font écho à l’action (on poussait (...) dans les eaux poisseuses ; Le serpent circule sans crainte entre ses pas) ; parce que les formes ramassées sont les plus belles et précises (On y lavait jadis les nourrissons juste faits.) ; parce le rapprochement imprévisible d’axes du langage « normalement » écartés est la source de toute jouissance de lecture (Des ânes, tout en sciatiques, servent à la décoration intérieure des prés ras.). Et parce qu’il y a, ici, une perfection d’écriture : Tombe à l’eau tout ce qui fait ploc. À elle seule, mais elle n’est pas la seule, cette phrase dit le tout et le détail de Sèvre, Eaux Fortes.

 

*Editions le Réalgar, avril 2020 ; 44 p.

 

 

sortilèges

13 Avril 2020 , Rédigé par pascale

Femmes sauvages et louves blanches

faufileuses de nuées,

la ronce à leurs crins crochetée ;

 vents s’élançant tordre le silence,

  sorcières chasser le diable au collet,

garou le follet, lupeux voraces,

le fé des fontaines enfui.

 

Ci, l’âpre monde se mit à l’envers, 

là, l’écho avalé s’épuisait à se pendre ;

un demi-jour de grande lune, 

l’œil rond et bleu du lac regardait la montagne.

 

 

 

 

   

 Dans la démence des chemins creux

aux temps éployés imparfaits,

qu’on n’y perde, s’il se peut,

le goût des conteurs simples

des chiffonniers du soir

ni des sculpteurs de cendres.

 

 

(Photographies V.D)

De l'intérêt, ou pas, de son prénom.

11 Avril 2020 , Rédigé par pascale

 

     Depuis toujours et même avant, cette semaine est la mienne où j'entends mon prénom égrainé au chapelet des jours ; un septuor, lundi, mardi… jusqu’à dimanche, pascal, augmenté de la veillée, de l’agneau et du chemin de croix, le monde entier est pascal. Urbi et Orbi.

      En cette année maudite, la 20ème du siècle et même du millénaire, l’adjectif pascal est mis en sourdine, sous cloche, en-dessous de tout. Ne prenons pas de gants pour le dire, les œufs en chocolat, les poulettes qui vont avec, et les lapins pondeurs, vont demeurer en cage. Pour les fondus de truffes et autres crottes cacaotées, le bestiaire enchanté des gourmandises et la visite sanitaire — celle qui vous fait du bien — à son artisan préféré remisé est remise. 

     Ce n’est pas comme si l’on s’appelait Noël — ou qu’on ait eu quarante ans par temps de quarantaine. Le premier cas est une torture, un martyre, un calvaire : croiser son double mauvais, son sosie raté, son image défectueuse ; entendre son prénom à tous les coins de ronds-points et tous les magasins… en un mot comme en cent et en mille, il y a bien pire que les fêtes pascales pour en vouloir à ceux qui vous ont prénommé, pour leur satisfaction bien avant la vôtre. D’autant que je ne me plains pas, pas du tout, même si j’ai la certitude que la mode et la tendance ont fait bien plus en cette affaire, ou leur contraire, la recherche d’originalité, que la lecture des Pensées de Blaise, œuvre absente d’une bibliothèque familiale réduite à une étagère exclusivement chargée de Jules Verne, sous couverture rouge et tranche dorée. Un poids.

     Retombons à nos confiseries — lesquelles viennent tout droit de l’art de confire ou de conserver. Dans du sel, ou du sucre. Aussi du vinaigre. Mais qu’on se rassure : tout ce qui est confit pouvant être déconfit, les confiseries en ces jours de déconfiture n’ont pas dit leur dernier mot. Car on appelle un confit, l’eau sure dans laquelle le chamoiseur* plonge les peaux minces. Mince alors ! vous m’en voyez toute quinaude. Chamoisage, foulage et corroyage font attelage : assouplir, étirer, dégrossir ou pétrir, tout l’art du malaxage qui convient, qui confine, aux préparations de conserve. Aussi au chocolat. Gardons l’idée. Éloignons le mauvais sort et les sorties mauvaises, et suspendons dans nos maisons des oscilles — n’hésitons point — des petits masques consacrés à Saturne. Ainsi faisaient les Anciens.

       Défaut de chocolat pascal et toutes autres béatilles, ces menues viandes délicates garnissant les pâtés, pascals ou non. Enfermées, recluses, cernées. D’aucuns usent du même mot quand il s’agit de fruits. Ce qui arrange nos affaires culinaires, car enfin, nous revoilà du côté des confits, trois petits tours — dans le sucre. Sachez aussi, ce n’est pas tout, que les nonnes, confites en dévotion, qui font des petits ouvrages de rien mais de béatitudes, les appellent aussi des béatilles.

 

*les lecteurs deux-sévriens, il y en a, oui, oui, apprécieront, les autres apprendront là qu’en ce département ignoré de (presque) tous, la spécialité des peaux de chamois, fit, en son temps, aujourd'hui dépassé, sa réputation !

 

"L'écrivain est un excavateur".

6 Avril 2020 , Rédigé par pascale

     

      Avant de le savoir mort, nombreux ignoraient qu’il vivait.

     L’écrivain dont je n’ai pas envie de vous persuader qu’il faut le lire ; pour qui j’ai rapetassé des vieux chiffons sans âge et lui faire couverture ; l’animal, un cheval indompté au poil noir foncé, ce que moreau veut dire ; pour qui ne connaissaient ni son nom ni ses livres et apprennent, ici, qu’ils étaient contemporains d’une pointure, d’un monument, d’un géant aujourd’hui disparu ; dont jamais ils n’ont vu les livres en vitrine de leur librairies ni sur ses étals — l’insupportable petit carton d’invitation agrafé au col, gribouillé à la va-vite et piqué d’exclamations adolescentes, pas moins de trois, ça fait plus convaincant. Marcel Moreau n’est plus. Il était bien vieux déjà, bien malade aussi. L’époque est sans pitié pour les haridelles morelles. Il était sans pitié pour les humains mortels.

    On pourrait reprendre le plus poncé des poncifs et dire qu’il ne laissa personne indifférent. On évitera ces notations de midinette, l’homme était un ogre, d’où il est il nous croquerait ; ce serait aussi se contredire, son image, ses livres — plus de soixante quand même — sont restés inconnus, en ce sens indifférents, à ceux qui n’achètent que les livres qui se vendent. D’aucuns comprendront cette formule qui n’est pas une lapalissade. Alors, pour caparaçonner de lumière la bête rétive ; lui rendre un peu de l’éblouissance que son écriture mit en nous ;  intensité provenue tant de la puissance du verbe que de l’effondrement de l’homme ; de la folie de l’une, des fêlures de l’autre ; de l’outrance des deux ; leur rage jusqu’au délire ; alors, j’ai joint, cousu point à point, tricoté maille à maille, des petits bouts dans le lot lui aussi foisonnant de ses lecteurs vrais, ceux qui donnent toujours raison à la déraison d’un texte. J’ai composé les lignes ci-dessous, on l’aura compris, exclusivement par arrangement — ainsi devenu anonyme — de termes, expressions, bouts de phrases, recueillis, mis en pièce, tailladés, triturés, bouturés, entés, accolés, pour ne faire plus qu’une seule voix. Nul ne saura s’y retrouver précisément, puisque de chacun — écrivain, poète, critique, universitaire, lambda, Marcel Moreau lui-même, alors en italiques — il reste moins que des bribes ; chacun pourra croire cependant que l’ensemble est de lui : sorcellerie fascinante dont les livres de Marcel Moreau sont — pour toujours désormais — capables.

*

     Obsédé par et de l’écriture, il confesse volontiers sa soumission. Comme un fort alcool — il savait de quoi il parlait — l’écriture le possédait, il se tenait sommé d’écrire. L’encombré monstre de lui-même et des mots, c’est tout un, ne soufflait ni l’insouciance ni le repos. Mais l’incandescence, le brasier, et c’est encore trop peu, ses fulgurances même, ses convulsions, comme autant de chants dionysiaques de qui reçut la lecture de Nietzsche comme une illumination. Le philosophe qui parle des instincts ne fit pas seulement qu’attacher cet immondain à ses orages, il le mit sous l’autorité pulsionnelle d’une Lecture irrationnelle de la vie. S’autorisant toutes les créations verbales, les maltraitances de syntaxes, les violences d’écriture, Marcel Moreau invente une poésie gigancielle du chaos, principe de toute connaissance corrosive, la chaonaissance, comme il l’appelle. Écriture de spasmes, de rythmes, de grondements laviques, la démesure est sa mesure même, son souffle celui de hordes mongoles, les paroxysmes sa norme. Bien sûr, on ne pourra pas ne rien dire de son verbe-chair-sang-matière, qui transporte une carcasse verbale radioactive, brûlante, qui domine et écrase chacun de ses jours, et ses nuits avec. Ce sont les mots qui me réveillent dit-il. La souffrance n’est pas le contraire de la jouissance, elle en est l’envers nécessaire. C’est un cas de possession.

     Marcel Moreau écrit viscéralement des incendies charnels en courant vers l’abîme. Phrasé tellurique, force chtonienne, œuvre excessive, monstresse, monstrueuse, érotiquement vibratoire, sombre et radieuse, livres d’éruptions, de transes, ce mot de son ami Dubuffet. Commotion et corrosion cérébrales assurées.

*

    On déconseillera donc vivement cette expérience d’une écriture-limite à tous ceux qui n’aiment point être dérangés, ni dans leur corps ni dans leur esprit ; à tous ceux pour qui la lecture — c’est-à-dire au fond l’expérience de l’avalage d’une écriture jamais encore rencontrée — n’est qu’un passe-temps, un agrément, un dérivatif, et non un saisissement, une constriction monstrueuse ; à tous ceux qui ne savent ni ne veulent se mettre en danger par les livres ; à tous ceux qui font de l’écriture un divertissement, une occupation, et ne sauraient s’y laisser broyer.

 

*

On dit que Marcel Moreau avait préparé de longue date son épitaphe :

Je suis heureux pour la première fois de ma mort.

Libres !

4 Avril 2020 , Rédigé par pascale

 

     Il va falloir choisir ses mots. C’est l’exact et seul enjeu tandis que chacun a son mot à dire, y va de sa « définition » : illogique démarche aveuglément pratiquée dans les instances formelles de l’éducation nationale et informelles de nos bavardages en tous genres, puisqu’une définition préalable à tout débat le clôt avant même qu’il ait eu lieu et l’annule ipso facto. Aussi, la pseudo-méthode circulaire qui prône la fécondité d’un tour de table initiant toute « discussion », présupposant que chacun a forcément une idée sur la question, est une sale manie, qu’il est mal vu et venu pourtant de critiquer. Mais il faut relever le paradoxe : quand on met en examen une notion — ici et maintenant la liberté — pour apprendre de chacun ce qu’elle est pour lui, le verrouillage est à double tour, même si la table est carrée. A partir de là il y a deux options : le compromis ou le compromis. En partant de la définition personnelle de la liberté, on attend une nouvelle définition acceptable par négociation artificieuse afin que chacun y retrouve sa mise. Pas de gagnant, mais surtout pas de perdant ! Chacun repart avec et comme il était venu.

    A-t-on remarqué cependant que le mot définition a comme un arrière-goût de définitif, qu’en cela il contredit l’invitation à réfléchir — suspendre son jugement, disent les philosophes — examiner les choses de près, première signification du mot critique — passer au crible, au tamis des arguments rationnels les motifs avancés pour prétendre savoir. D’autant que la plupart du temps, la conviction que l’on a d’être libre ou de ne pas l’être, s’adosse à des écarts de signification creusés par des approximations sémantiques, voire des ignorances étymologiques et/ou conceptuelles, un vrai pataugeage qui satisfait en nous le goût de la précipitation, du résultat facilement obtenu.

     S’il y a, par hypothèse, au bout du chemin que vous venez d’emprunter avec votre bicyclette, un énorme rocher qui le rend impraticable et votre balade impossible ; si, par une hypothèse contraire, vous envisagez de faire de l’escalade et êtes sorti de chez vous équipé des piolets et autres crampons nécessaires à votre projet, votre choix non seulement n’est pas entravé, mais facilité. Les exemples sont sartriens — dans L’Être et le Néant — pas leur restitution volontairement plus agile. Ils servent l’explication d’un raisonnement fort simple : nous sommes toujours et totalement libres ; un obstacle n’existe qu’en raison de cette affirmation apodictique. Parce qu’être libre ne signifie pas, comme le pensent les adolescents en mal de limites, faire tout ce que l’on veut — exemplaire dépendance et soumission à ses caprices et autres désirs — Épicure, sur ce point est indépassable, et tant d’autres avec lui. Ni même comme le pensent les adultes oublieux de leurs lectures édifiantes, pouvoir choisir entre plusieurs options. Il y a erreur de raisonnement, de méthode ; c’est prendre les choses à l’envers. C’est parce que nous sommes libres que le monde, les objets, les circonstances… se présentent à nous marqués d’un coefficient d’adversité plus ou moins variable. Reprenons l’exemple sartrien : eu égard au projet de faire de l’escalade, le rocher est faiblement coefficienté comme obstacle, il est même totalement favorable ; chacun peut achever la remarque en sens inverse pour la promenade à bicyclette. Sartre poursuit — toujours dans L’Être et le Néant : la liberté ce n’est pas la victoire contre l’impuissance de telle ou telle situation ; ce n’est pas la lutte, le combat, contre des déterminismes indépassables*; le rocher est neutre, ni adversaire ni auxiliaire, puisque seule une liberté préalable constitue, ou non, les limites auxquelles elle semblera s’opposer, ou non.

     Ceci change profondément le sens — la direction et la signification — de la question ; qui n’en est plus une, si l’on a compris que la liberté est inhérente à l’homme, parce qu’il est homme**. Il peut en mal user, il peut la nier, il peut la réfuter, encore faut-il être un être libre pour croire ne l’être pas… On ne peut, non plus, être plus ou moins libre, ni disposer d’une liberté variable selon les petits arrangements ou les satisfactions qu’elle procure ; il est, à ce titre, tout à fait étonnant que la liberté soit reconnue quand on l’estime favorable, et niée dans le cas inverse, alors qu’elle nous est coexistante, tandis que nos désirs, nos caprices, nos dépendances sont changeants. Disons qu’elle s’y heurte, signe évident non pas qu’elle disparaît avec eux, mais qu’elle est. Ainsi, plus encore que la disposition de la liberté nonobstant les contraintes qui semblent lui faire obstacle, c’est la signification que nous lui donnons qui la détermine ; parce qu’il n’y a pas contradiction entre liberté et contraintes, parce que la liberté n’est pas le conflit épuisant de l’homme avec l’extérieur, mais son combat avec, ou contre, lui-même, justement parce qu’il est libre !

     Alors, libre comme un oiseau ? Certainement pas ! L’oiseau n’est ni libre ni pas libre, cela n’a aucun sens. Ni comparaison, ni analogie, ni symbole de liberté ; celle-ci n’entre pas dans la nature de l’oiseau, bien incapable de s’y intéresser, de le savoir, d’y réfléchir. Tout simplement la question ne se pose pas. Faux problème : l’oiseau ne peut, ni ne peut pas, faire (tout) ce qu’il veut : il n’a ni volonté ni entendement… relire encore et sans fin Descartes : Sartre n’y a jamais renoncé, mieux, il le revendique. Et si, à l’inverse de son grand modèle, il n’affirme pas que l’essence de l’homme précède son existence, non seulement il n’y voit pas la condamnation de la liberté, mais la raison même de la dire totale et absolue — au risque d’ailleurs de frôler de bien près la revendication d’une nature humaine que par ailleurs il refuse ; ce qui est un autre et passionnant débat. Du point de vue de l’existentialisme sartrien, que chacun, ayant ou non lu Sartre, peut cependant rejoindre ici, toute expérience ou situation précise n’est au fond que l’occasion d’engager sa liberté — toujours déjà-là, comme pourrait le dire Merleau-Ponty. Les exemples ne manquent pas dans les textes sartriens : la maladie, la prison, un projet. Il faut n’avoir pas fréquenté ni étudié avec précision sa pensée pour s’offusquer d’une phrase, certes provocatrice, mais philosophiquement sans contradiction : « Jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande. » (In La république du silence). Car, si le coefficient d’adversité des choses était alors, on peut le dire, maximum, c’est exactement là que l’existence de la liberté prend sa dimension, immense, totale. Dans une telle situation, tout est possible, résister, collaborer, fuir, se supprimer, et à l’intérieur même de chaque option, d’autres options s’ouvrent encore. Qu’on le veuille ou non, c’est alors un face à face avec sa liberté, avec sa conscience. Et refuser ce face à face, refuser cette réflexion est encore signe de liberté, elle n’est pas une option. Nous sommes condamnés à être libres, telle est la condition humaine. Un terme — condition — dont on aurait tort d’ignorer ou de minimiser la charge, puisqu’il dit tout de nous. Notre possible grandeur autant que toutes nos petitesses.

 

 

*[on notera que, dans la liste de ses exemples Sartre nomme la tuberculose : qui connaît l’histoire tumultueuse de la relation Sartre/Camus (atteint de la maladie) ne peut croire au hasard] 

**L’Existentialisme est un humanisme. Le titre de cette conférence publique de 1945, (noter la date !) publiée en 1946 ; petit livre réédité sans discontinuer depuis, avec raison. Lecture faussement facile, mais facile !

Du savon, des dauphins, des confins.

1 Avril 2020 , Rédigé par pascale

   

     Ou de l’usage du monde sur le mode du retirement. L’agitation n’est plus, les rues, les villes, les champs, désencombrés, détassés, on n’entend plus qu’un seul bruit — un frottement plutôt —d’Est en Ouest, continument puisque la terre est ronde et revient à son point de départ sans fin, qu’accompagnent les grappes explosives1 des savons qui écument sous l’eau.

     Le retirement du monde2. Belle et nostalgique expression à l’image d’une plage d’où la mer s’est éloignée sans pourtant avoir disparu. Repliée, plissée, ridée, poussée, retenue au bout de l’horizon. Et devant nous dorénavant, tout ce qu’elle cachait, qui était là, qu’on ne voyait pas — alors que la reprise du cours des choses, le retour du même nietzschéen, n’est ni saisissable ni même pensable. Depuis peu le monde entier se livre frénétiquement à la même activité — au point qu’il s’y trouve englobé — un seul geste qui le désigne uniment (entendez-vous là un « enfin » de soulagement ?) dans son appartenance à la même espèce, l’humaine3. Depuis peu l’ère smectique est advenue ; on remercie Alain Borer de nous offrir ce mot qui dit tout de notre condition, ces temps-ci4, devenue double, devenue trouble : responsabilité et culpabilité.5

     Que des dauphins nagent dorénavant dans les eaux sérénissimes ; que les confins ne soient plus nos lointains mais nos angles aigus ; et le savon notre exercice contraint, font autant de questions à ce jour insolubles tant le renversement des puissances nous saisit : ou comment un élément minuscule, pas même un animalcule, moins qu’une particule nous engage à désirer le meilleur de et pour l’homme. Tel est le sens profond de ce qu’Alain Borer écrit en des phrases toujours portées à l’élégance comme à son naturel obligé7.

 

1) Francis Ponge, Le savon. Gallimard, Collection L’imaginaire, 1967 ; 2Alain Borer – La maison Gallimard offre la lecture gratuite de ses « Tracts » de crise : parution(s) quotidienne(s) de textes courts qu’elle demande à ses auteurs et dont il serait fort insensé de se priver. https://tracts.gallimard.fr/fr/pages/tracts-de-crise ; 3) On se souvient que c’est le titre — L’espèce humaine — du livre que Robert Antelme écrivit, rentré de la déportation concentrationnaire par les nazis. 4)5) ; 6) :  F.Ponge, ibidem. 7) On remercie aussi Alain Borer de nous faire oublier les insupportables néo-diaristes qui se répandent en ces temps de confinement... comme ils disent tous !