Au dernier jour de l'an.
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Quel ourdisseur superbe
a dérangé les fils et troué le tissu ?
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La grande attente de l’eau
Soleils à bout de mains
Soleils qu’explosent les espaces nouveaux.
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Clarté de soir immense
que n’accompagne pas le vent
lentement
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Dans une flaque d’eau
La bourbe
Et des bribes
De rien
Pour l’aventure.
(Gilbert Trolliet)
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Cueillir la terre et saisir l’air
déchirer l’espace, défigurer le temps qui passe
s’infinir mieux qu’une eau épandue
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Au compas strict et parfait de la fin du jour,
le point sous le i dessiné
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Il suffit de regarder pour voir
un point dans l’infini
changer le monde.
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Seul et gris,
Parfois l’univers rosit de bonheur
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J’ai souvent évoqué cette lune enchantée
Ce silence et cette langueur,
Et cette confidence horrible chuchotée
Au confessionnal du cœur.
(Baudelaire)
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Aussi ce point blanc tombé du ciel tenait le monde à l’envers.
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Toucher le réel,
étant le temps.
Etend.
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C’est comme si le jour était voilé par l’excès même de son éclat. Ce jour vaut nuit ce jour bleu cendres-là. Il tient son ombre estompée dans son éclat. Il tient son ombre dans les griffes de son éclat.
(Francis Ponge)
A tous & à chacun, ne vous souhaiter que le possible ; de belles heures, des moments volés à l'infinité, des solitudes partagées, des mots aimés, des Aimés dans les mots, des heures belles. Oui, juste cela, de belles heures belles de la beauté du monde & des mots pour la dire & pour l'écrire aussi.
Immense Merci à Stéphanie, conductrice patiente.
Les mots aussi pour gourmandises.
Prononcer coquille non comme quille mais comme île, non comme vanille mais comme gracile, nautile ou fossile, la « coquile » Saint-Jacques donc, car vous voilà en Cotentin, à Port-en-Bessin précisément, haut lieu, même à marée basse, de la drague, de la réflexion et de l’hermaphrodisme.
Voyons cela de plus près, c’est le cas de le dire. Vous ne serez pas déçus, deux cents yeux environ vous regardent. Périphérique et centrale, la vue de notre bivalve préféré — avec tous les autres — aurait donné des idées aux concepteurs de télescopes modernes, miroitiers toutes catégories. Ce que la coquile scrute dans les fonds sableux retournés par les flux et les reflux engrisés du poids des nuées roulant au-dessus des flots, personne ne (se) le demande, sinon moi en cet instant et avec insistance ; aussi, la réflexion intrigante de la lumière par le système optique surpuissant de la coquile saint-jacques de toutes les mers du monde, suscite mon étonnement.
Mais ce n’est pas tout. Draguée sans vergogne et sans distinction par des pêcheurs non repentis, son hermaphrodisme naturel abolit la ségrégation et la domination d’un sexe sur l’autre, lors, la coquile manchote est un coquillage normand universel et même universaliste qui aime qu’on l’aime sur tous les continents, décline dans sa grammaire gastronomique ses accords les plus subtils et conjugue avec bonheur les grands classiques et l’audace stylistique ; un tantinet masochiste, elle adore qu’on la cuisine et la questionne à condition d’user du raffinement dû à son rang, lequel lui vaut – et elle seule – de n’être pas vendue au Marché aux esclaves renommé et nommé en ces terres et surtout ces mers encore un peu vikings, la criée, où l’on s’arrache toute marchandise vivante sortie de la mer, à grand coups de hurlements compris des seuls initiés, dans d’immenses gueuloirs résonnant de la raison du plus fort qui l’emporte encore une fois, ici et partout. Foin de moralisme, de fable et de littérature, notre distingué mollusque s’échange de gré à gré contre de l’argent qui passe invisiblement de main(s) en main(s) ; est-ce pourquoi, sur la jetée du port comme ailleurs, on appelle en liquide ces transactions ?
Mais ce n’est toujours pas tout. Pour faire vos gammes, vos exercices et vos arpèges en maître queux du piano droit de votre étroite cuisine, en chef cuistot avisé et inventif, en coq, dédaignant momentanément les gallinacés, coquillages et autres coques de mer, vous vous souvenez : de Venus, de Botticelli, de la conquête de la Sicile par les Normands, des saveurs moyen-orientales et plus lointaines encore que les Arabes y portèrent. Votre hypermnésie gustative, votre fâcheuse tendance à convoquer la philosophie, la littérature et la poésie tout ensemble jusque dans vos casseroles, votre énervante propension à passer vos sens à la moulinette de votre entendement que vous assaisonnez en retour d’un doigt de mêlé-cassis pour le déséquilibrer, tous les ingrédients sont là pour détourner la coquile saint-jacques d’une tentation gratinée de béchamel, autre souvenir plus gâte-sauce celui-là, qui pendant des décennies a empoisonné votre instinct cuisinier et recouvert de buées, récriminations, soupirs et autres objurgations maternelles, votre goût de l’inattendu, l’invu, l’incréé, et transformé en lamentables fours la plupart de vos essais culinaires. Alors, réservons encore pour quelques lignes ma recette du jour.
Ce n’est pas chez Simenon, qui séjourna à Port-en-Bessin pour y écrire La Marie du port, grand amateur de blanquette de veau, de pluies et d’ambiances troubles de fin du jour, d’été et de saison dans les petits villages, ce n’est pas chez Simenon qu’on découvrira la délicatesse latente de la coquile locale, ou plutôt de son muscle nucléaire, doucement extirpé de sa conque dont il faut répéter que seul le pouvoir d’une figure de style fait se confondre dans la même signification, le contenant et son contenu. Stricto sensu, nous parlons bien depuis le début, non de la coquille mais de la noix épaisse, nacrée, charnue, à chair longue et moelleuse qu’elle renferme, ébarbée de ses barbantes barbes et débarrassée de son corail qui, à contre-emploi de son nom, n’a vraiment rien de précieux, surtout pas le goût. Un cabochon d’or blanc qui repose dans une nef creuse au dos magdalénien côtelé, voilà de quoi justifier que les lieux de sa drague se nomment des gisements.
On se prend à rêver qu’Henri Calet eût pu nous offrir, à l’instar de son Musée de l’Asperge* un Musée de la Coquille Saint-Jacques – il en existe, dédiés aux pérégrins de Compostelle qui occultaient dans la douleur joyeuse le plaisir de manger pour celui d’avancer dans les chemins. On nous parle d’un à Vannes qui expose les squelettes coquillers d’individus très banals de l’espèce courante Pecten maximus, celle qui nous occupe précisément parce qu’elle se prête aux métamorphoses culinaires les plus fines. Calet nous aurait dit, sans risque d’être égalé, qu’il s’y serait promené – peut-être dans les mêmes mocassins rouges qui lui blessaient les pieds – comme devant des coquilles vides devant lesquelles nous éviterons de nous appesantir.
Ce n’est toujours pas tout. Il faut maintenant que la coquille livre ses secrets, ses mémoires séculaires, ses intuitions créatrices de celles qui relèvent du travail minutieux mais inconnu de soi en soi, construit de saveurs et de rejets, d’affirmations et de négations, de refus et d’acquiescements, de germinations et d’échecs, tous et toujours silencieux et invisibles. Selon le principe dialectique de l’engendrement de l’affirmation par tout dépassement de la négation, de l’harmonie par le chaos à son tour brisé, du bon par le mauvais anéanti, la coquile – et ses semblables – se nourrit du pire ; détritivore, tel est le nom de cette catégorie de vivants qui se font de ce qui nous défait, nous et les autres. Claquant des valves sauf quand elle se cache dans les fonds sédimentaires, elle avance en bondissant par la puissance motrice des crachats qu’elle expulse, tandis qu’à l’intérieur, elle s’efforce de filtrer, filtrer et encore filtrer les planctons et autres minuscules qui passent à portée de ses mâchoires. Personne ne nous dit la raison pour laquelle elle n’aurait qu’un unique ennemi, l’étoile de mer. Ce qui nous paraît un oxymore océanien avant de nous plonger dans une méditation océanique.
Toute chose ayant une fin, cette histoire bivalve s’achève par la résolution d’une faim sans faim, une faim feinte, autrement nommée gourmandise, qu’Épicure en personne condamnait fermement – contrairement aux contre-sens qui courent depuis 23 siècles – parce qu’une fois contentée, elle se présente à nouveau et encore et encore, insatiablement. A moins que les inconvénients – qui ne manqueront pas d’arriver sous toutes les formes physiologiques et mentales – n’obligent à la cessation de ce plaisir qui n’en est pas un puisqu’il engendrera, de facto le déplaisir, voire la douleur d'un nouveau désir insatisfait par l’absence, le manque, la cessation inévitables. Aussi, comme toute chose, la dégustation de la Coquille Saint-Jacques ne peut se faire qu’à certaines conditions très surmontables, dont l’une « ne dépendant pas de nous » est parfaitement épicurienne. Il faut attendre qu’elle ait atteint précisément la taille de 10,2cm à l’Ouest du Cotentin, contre 10,9 cm à son Est. Nous éviterons d’en tirer des conséquences du genre, mieux vaut la qualité que la longueur ! Ou de supposer que les côtes Ouest sont plus vivifiantes que celles de l’Est, car il arrive toujours un moment où, même à l’Ouest, on est à l’Est d’autre chose. Et qui a déjà pensé, envisagé, écrit, ou simplement vu que le Cotentin, observez-le bien, est une botte inversée ? Qu’il donne un coup de pied dans la mer, qu’il avance dans l’eau, large et solide, qu’il est un faux pas géographique, une ombre portée, déplacée, déformée, éloignée de nos italienne et latine mémoires, savoirs et attractions irrésolues. Alors, dans la jubilation gratuite que les mots écrits portent au crédit de ce qui est, et à ma façon en ces jours plus ternes que des paquets de mer aux crépuscules d’hiver, voici comment la noix d’une coquille saint-jacques devient un double plaisir colettien, écriture et dégustation :
la laisser quelque temps, celui de rédiger une lettre par exemple, ou de lire quelques pages, dans un endroit où le grand froid la saisira pour la transformer en un petit diamant luminescent. L’en sortir, la coucher sur la tranche pour la découper en feuillets aussi fin qu’un papier pelure, les disposer calmement sur un plat plat. Atteindre avec reconnaissance le bidon d’huile d’olive réservé aux préparations crues pour ne pas en gâcher le goût ; elle peut avoir été pressée soit en Sicile, soit en Grèce. Dans les deux cas, elle est douce à vos souvenirs. Laissez tomber avec lenteur sans la quitter des yeux, une goutte, une goccietta vraiment, depuis la pointe d’une pipette – mais pourquoi donc ai-je ripé et écrit pipelette ? Et, parce que la bergamote est votre agrume fétiche**, parce qu’elle est un bonbon littéraire et d’enfance venu d’une Lorraine passée par l’Italie, parce que d’Italie justement, elle est originaire, sans l’être de Bergame, vous saisissez le fruit rond qui parfume déjà votre paume, râpez finement, très finement, son écorce au-dessus de la feuille de noix devenue translucide à la température ambiante et à votre regard. Vous n’avez pas omis, bien sûr, plus rapide dans sa chute, une autre goutte, voire deux ou trois, de citron vert versées en son cœur, bien que j’aie oublié de le dire juste avant. Et parce que les pistaches de Sicile sont les meilleures du monde et les plus rares, que les Normands du XIIème siècle, de ce coin du Cotentin où l’on drague les gisements de coquiles depuis toujours, les ont bien sûr mangées, qu’elles arrivèrent assurément dans l’île avec les Arabes, qui y firent tant de belles choses, vous avez trouvé – vous ne renoncez à rien dans les circonstances essentielles – des pistaches sans leur coque – impératif kantien dans un clin d'œil orthographique, on est gâté – et surtout, surtout, non salées (hérésie absolue que ce sel malévole). La pistache ressemble alors à un gros grain de riz d’un vert profond, forestier et luisant comme après la pluie. Vous la déposez délicatement. Les émincés de coquiles – car le singulier n’était d’usage que par majesté – que vous allez laisser se reposer tandis que vous poursuivrez votre lecture ou commencez une nouvelle correspondance amie, vont passer de l’état de crudité à celui de semi-cuisson par la magie de l’acide citrique, sans que la moindre flamme, sinon celle de votre énergie propre – ἐνέργεια – les y ait conduit.
[Et si vous vivez dans une région de fromages de chèvre, soyons fous en ces temps malveillants, sans les passer par le grand froid, vous découpez de même votre bûchette, vous posez la tranchette sur une rondelette de pain légèrement grillée seule et au préalable, ensuite frottée à l’ail et sur laquelle vous avez laissé tomber la même goccietta de la même huile préconisée, grecque ou sicilienne. Sur ladite rondelette vous lâchez aussi une gouttelette de miel, elle descend plus lentement encore que l’huile, et posez une pistache semblable à l’autre et quelques ciselures de basilic, ce qui est l’opération la plus délicate, le basilic ne survivant pas à l’hiver, soyez inventifs.]
Ce 25 Décembre de l’an 2020, avant couvre-feu.
* cf archives, 02 Août 2020 : Les petits musées d'Henri. ** cf archives, 26 Août 2017 : 2cm x 2cm = 4cm2 de pur bonheur.
Veilles
Je raccommode mes pensées
au fil du temps.
Écrire,
tenir les mots par la taille
et danser.
L’encrier, renversé
dans le cendrier,
urne funéraire
pour un poème devenu.
Poète, brise-raison
laisse tomber les mots,
pulvérulents à la surface des choses.
Incandescente,
la lumière à blanc
en tombant
rougit.
Désirables
érables
mémorablement.
Mille ballons bleus lâchés
ont pris au ciel sa couleur
et l’éclat de rire
du peintre.
Absence, fleur fanée
silence,
tige brisée du roseau.
« Nettoyez-nous de cette vilenie »
On ne sait plus très bien combien il eut de noms ni lesquels. Qu’il soit né en 1811 et mort tout juste 64 ans plus tard et paralytique, ne fera pas indice au plus grand nombre. Le 19 février 1875, Auguste-Marie Dondey dit Théophile Dondey de Santeny cessa définitivement de jouer avec son nom en l’anagrammant, cryptant ou inventant pour l’effacer sine die de l’état civil des vivants.
L’une de ses trouvailles onomastiques, voire anthroponymes, lui fut plus heureuse que les autres, en cela qu’on la retint en dépit de son aspect déconcertant : double anagramme dans un double effet visuel et sonore des plus inattendus — Philothée O’Neddy — qui n’hésitait pas à se qualifier fréquemment de vieux Philothée ou de vieil O’Neddy, en sa qualité de burgrave. Ainsi commence la lettre qu’il adresse le 23 Septembre 1862 à Charles Asselineau – l’ami de Baudelaire – qu’il remercie d’avoir rédigé une notice à propos d’un chapitre de son recueil Feu et Flamme, mais auquel il tient à apporter des remarques, renseignements et observations, sachant que son correspondant écrit à ce moment un ouvrage sur les romantiques.
Des romantiques, Philothée O’Neddy en fut, de ceux qu’on appela frénétiques, dont l’excellent Pétrus Borel* deux fois en exergue dans le volume ci-dessus nommé (Nuit Première et Nuit Quatrième). Dans cette lettre – où Philothée parle d’O’Neddy à la troisième personne — et après quelques précieux renseignements autobiographiques et rappels littéraires et éditoriaux du passé, Théophile Dondey de Santeny, entreprend donc de rectifier plusieurs des inexactitudes trouvées chez son correspondant, dont l’une – majeure – est d’affirmer Pétrus Borel chef du groupe (…) dit des Bousingos nom qui fera l’objet, entre autres, d’un rappel orthographique. Nous avons donc regardé à la loupe cette affaire, le nom de notre lycanthrope préféré nous fait toujours lever le sourcil. La dénégation de Philothée O’Neddy envers Pétrus étonne, quand on sait que Théophile Gautier le considère comme l’individualité pivotale du Petit Cénacle, groupe constitué en 1829 à l’instar du Grand, l’hugolien. Petit, il ne l’était ni par le bruit ni par les manifestations : ils s’en prennent aux bourgeois, qu’ils essaient de choquer par leurs excès, et n’hésitent pas à se mêler à des chahuts, voire à en provoquer, ce qui les conduit parfois à faire de brefs séjours en prison. **
Philothée O’Neddy (ou Dondey), Pétrus Borel et les autres (dont Nerval et Gautier), se lisent et se citent, et de ce Petit Cénacle une émulation réciproque et énergique jaillit avec frénésie. Ils s’appellent « Jeunes-France » mais on les appelle « bousingots » mieux « bousingos ». Nous y voilà. Le bousingot est un chapeau de marin. On dit que les volontaires accourus, en vain, au secours des Parisiens à l’été 1830 depuis le Havre le portaient. Et par un de ces glissements magnifiques dont la langue française a le secret, le mot désigna les groupes républicains d’agités, de ceux qui font du bruit, du boucan et si l’on va à l’argot du bousin.
Il faut attendre la moitié de la lettre pour savoir ce qu’O’Neddy considère comme essentiel, la rectification maîtresse, ce qu’on appelle une mise au point : ni Bouzingotisme, ni Bouzingots ! ces appellations méchamment bourgeoises, directement reprises d’une anecdote d’un soir et destinées à conspuer ces très-bruyants, ils ne peuvent s’en saisir eux-mêmes pour se désigner, mésusage qui pourtant, se répandra progressivement. La vérité est tout autre. Alors qu’un soir certains d’entre eux revenaient d’un dîner assez vif (nous aimons bien cette expression) et chantant à tue-tête dans les rues de Lutèce (dixit) le refrain Nous ferons du bouzingo, la maréchaussée intervint fermement. Nerval fut même brièvement mené en geôle à Sainte-Pélagie. Voilà pourquoi, les oreilles délicates de ladite bourgeoisie parisienne ayant entendu un peu trop fort et trop longtemps à son goût le terme de bouzingo, elle s’en empara pour surnommer, définitivement semble-t-il, ces tapageurs-là et pour couronner le tout, ces ânes de bourgeois (Théophile Gautier) l’orthographient de travers.
Enfin, comme il semble que Monsieur Asselineau parle un peu trop favorablement de Borel, Philothée lui rappelle que la sincérité était le partage de tous et non du seul Pétrus, bien qu’il fût sincère au-delà de tout par son dandysme et son donquichottisme en particulier. Tous ces bons jeunes gens ne méritent certainement pas l’accusation de « ridicules » qui leur est faite. Par la mort-Dieu ! c’étaient nos adversaires, les bourgeois et les chiffreurs, qui étaient ridicules ! La lettre (l’épître, dit-il) qui se termine quelques phrases plus tard, revient sur le terme Bouzingotisme, qui, décidément, ne passe pas, même après 30 ans !
*Pétrus et Philothée sont parfaitement contemporains, (18 mois d’écart) ; **Michel Brix, in Introduction, Œuvres poétiques et romanesques de Pétrus Borel. Editions du Sandre.
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La lettre de Philothée O’Neddy a été rééditée, en 1993, par l’excellente et si élégante maison Plein Chant — imprimeur-éditeur à Bassac, sur vergé Ingres d’Arches, grâce lui soit rendue et pour l’ensemble de son catalogue — sous le titre intégral et original de l’édition de 1875 (18p).
La phrase du titre lui est empruntée.
Mélanges, miscellanées, miettes -7-
Ne jamais cesser de relire Barthes pour qui l’écriture est une « tâche qui porte en elle son propre bonheur » et qui cite Montaigne cité par Chateaubriand : « Les hommes vont béant aux choses humaines ». Comment dire tant en si peu de mots ? Voilà pourquoi des phrases d’une telle beauté traversent les siècles. (cf. Essais, I,3 et Mémoires d’Outre-tombe, II)
*
En ses commencements, le café arrivé en France ne fut pas servi à forte dose. Un Annuaire Almanach de l’Eure de l’an 1864 narre comment les marins normands en améliorèrent et le goût et la puissance, le mêlant d’eau-de-vie. Tant que cette addition n’était pas faite, ils disaient que le café n’était pas dans toute sa gloire qu’il atteignait une fois l’ajout accompli. Par une synecdoque qui s’ignorait, le mot gloria finit par désigner les contenus confondus de la tasse et du verre, chacun de petite taille, et se répandre, aux sens strict et figuré dans toute la Normandie qu’il conquit. Les foires et les marchés en firent le signe accompagnateur de toute transaction. Aussi, il n’est pas interdit de penser que certaines furent durablement allongées et qu’on n’hésitait point à … glorifier un peu trop confusément gloria et transactions, Ce qui autorisait à en redemander pour faire monter les enchères, les prix et les affaires. Encore une rincette, qu’ils disaient, une rinçonnette…
*
J’ai toujours bien du mal à entendre cette sempiternelle faute de concordances des temps, qui fait user d’un imparfait (donc un temps du passé) pour dire un présent (ou un futur proche au présent). Ainsi : il me dit qu’il allait sortir, au lieu de : il me dit qu’il va sortir.
J’ajoute ce non moins ahurissant solécisme : « ses 1 an » ou « les 1 euro » (je rappelle que Euro est invariable, vous pouvez vérifier sur vos billets de Banque). Mais surtout qu’un singulier se dise au pluriel, cela heurte et mes oreilles et ma logique, et apparemment, je suis la seule.
*
Consentir à sa propre présence au monde, rien n’est plus difficile certains jours. Il faut désarmer tous les dieux, briser les décors, faire silence, vider le ciel enfin.
*
Y a-t-il une malédiction frappant le crâne des génies trépassés ? Celui de Haydn — comme celui de Descartes 150 ans plus tôt environ — fut disjoint de son corps post mortem, mais rendu quelques 150 ans plus tard. Il faut creuser.
*
« Je passe mes journées dans la robe de chambre brumeuse de la fatigue ». (I Kertész).
S’il se peut que nous ayons ressenti parfois quelque chose de semblable, il fallait que ce fût écrit ainsi pour l’avoir ressenti ainsi exactement.
*
Ce que nous appelons fréquemment pataquès, croyant désigner une difficulté, une embrouille, un embrouillamini, un imbroglio, signifie pourtant et précisément une faute de liaison (dans la prononciation.)
*
Raymond Queneau, inconditionnellement et au hasard mais dans Les enfants du Limon : « elle sortit enlarmée » ; « Puis ils bavardèrent chacun de leur côté jusqu’à une heure avancée de la nuit. »
*
Il n’ira jamais de soi que le monde existe. C’est la raison d’être de la poésie.
*
Et si nous adoptions hiémal plutôt qu’hivernal, de temps en temps ? Et même hyémal, plus rare, plus ancien, mais tellement mieux dessiné ?
*
La belle expression, malheureusement galvaudée d’être usitée trop fréquemment : nous sommes des nains (juchés) sur des épaules de géants, doit être rendue à son siècle, son auteur et sa langue. XIIème, Bernard de Chartres et le latin, soit : « nani gigantum humeris insidentes ».
*
L’enlaçant lasso de la lassitude.
*
Stricto sensu, il est impossible de prendre le temps de s’arrêter. Relisons ces cinq termes et mesurons bien ce qu’ils disent : prendre-le-temps-de-s’arrêter.
*
Le comble pour un géographe : entasser les lieux communs.
*
A la recherche délicieuse de tout passage et/ou phrase ostréicoles dans la littérature, pour aujourd’hui je relève :
« Les huîtres d’Ostende furent apportées, mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés. » (Maupassant in Bel-Ami.)
J’en demande pardon aux non amateurs.
*
Avec l’autorisation de son auteur — qui se reconnaîtra — et ma gratitude, je recopie cette phrase si bien vue, venue et tenue : « Je ressens comme une fatigue qui se loge derrière mon entendement. »
*
Si l’on vous demande un jour — nul ne sait ! — s’il faut croire au libre-arbitre, retenez cette réponse pleine de malice et de logique tout ensemble : Oui, nous n’avons pas le choix ! Elle est attribuée à Isaac Bashevis Singer, prix Nobel de littérature (1978) qui l’aurait dite après une conférence, à un imbécile qui se prenait pour un subtil.
*
Le Messager d'Aphrodite
Autour de lui, sur la terre, l’obscurité gagne alors qu’au ciel, la constellation de l’Ourse se détache nettement. Empédocle sait que l’on doit cette découverte au plus instruit et au plus savant des anciens physiciens (Thalès). Un instant il s’attarde à sa représentation de la terre : un disque plat qui sur l’eau flotte comme morceau de bois, tandis que le ciel, vaste cloche, vaste couvercle, enserre le cercle de l’horizon. Ingénieux et perspicace, Thalès avait trouvé le moyen de calculer la hauteur des pyramides à partir de leur ombre portée, et correctement prévu une éclipse de soleil. Empédocle ressent une sorte de complicité avec ce génial distrait qui trébuche et tombe dans un puits (Platon) ou un trou, (Diogène Laërce) parce qu’on ne peut marcher et en même temps observer les astres !
Avant lui, Thalès de Milet avait détourné le cours d’un fleuve pour que l’armée de Crésus pût passer sans encombre, découvert les solstices, les mouvements des étoiles, et réalisé tant d’autres spéculations – notamment par l’art de la géométrie – qu’Apulée dira divins ses calculs. Mais Empédocle l’Agrigentin n’arrive pas à donner sa pleine adhésion à ce point de vue. Pour lui, le sphérique est supérieur à toute autre figure puisqu’il n’est pas composé, et en accord sur ce point avec Anaximandre et Parménide, il sait que les astres passent sous la terre parce que celle-ci est ronde et en équilibre, insérée dans une Sphère beaucoup plus vaste où tout évolue.
La fixité de la terre au centre de l’univers est bien conforme aux données de l’expérience, mais ce repos, cette immobilité apparents sont-ils réels, mieux, sont-ils vrais ? Empédocle ne le croit pas, qui les pense comme une déficience, une privation, car cet ordre sensible et visible résulte de la cohérence d’une ténébreuse et profonde unité (Baudelaire) provenue du Multiple lui-même, du Chaos. Il le sait, souffrance et tristesse, douleur et mélancolie, trop souvent dé/jouent l’harmonie de l’univers, et là où elles sévissent, Philia manque et Neikos l’emporte, représentation hantée de monstres, corps et cœurs mutilés. Empédocle ne le cède à personne dans cette description tragique : le chagrin, l’affliction, les malheurs et les luttes, l’errance, les maladies, la mort. La Haine toujours mal/veillante, veilleuse, ne trouve pas le sommeil dira le poète (Baudelaire) et s’il était peint, ce monde serait de toutes les variations des ténèbres, espaces défectifs et visages qui charrient le malheur comme du limon. Toute lumière absente des paysages et remplacée par des pluies de cendres tombées d’un ciel éteint, gris et bas, et partout le silence in/humain à ce point qu’il ne pourrait exister, incapable de s’engendrer par excès d’immobilisme. Un in/vivant. Même Jérôme Bosch pour peindre les monstres et les désespérés, l’atroce et l’épouvante, choisira le registre onirique, renonçant à la réalité.
On associe souvent l’idée grecque de Nécessité - Ἀνάγκη - à celles de destin, d’unité ou d’ordre. Mais ce n’est pas parce que le monde est, qu’il est un ou qu’il est simple, ou même simplement et toujours un. Y a-t-il seulement comme le veulent obstinément les esprits finalistes, un substrat, un substratum, indépendant, prépondérant (Aristote) pour l’expliquer, le justifier, une cause unique qui préexisterait aux apparences et en rendrait compte (Platon) pour éviter une folie (Heidegger) ? Seul Empédocle accomplit l’expérience personnelle et totale de la pensée et de la poésie, du beau et du savoir, du savoir poétique. Que la Nature soit Feu, Terre, Eau, Air, qu’elle soit atomes, particules, c’est savoir. Que l’existence soit ouvrage d’Aphrodite, assemblage ou séparation, c’est poésie. Expression. Qui jamais pourra dire ce qu’Empédocle voulait dire, révéler, enseigner, suggérer ? Sa parole nous reste comme un sillage d’Iris (Callimaque) déesse messagère chaussée de sandales ailées qui tracent une écharpe opaline, un arc nacré, quand promptement elle descend de l’Olympe vers la terre. Qui jamais saura la part du rêve, l’heureuse nécessité de Nietzsche, et celle de la sagesse, du sens raisonné ? Qui, du scandale ou du génie, de l’observation ou de la méditation ?
Ici, en terre de Sicile, île déposée au royaume de Nestis, les pierres, les arbres, les êtres ruissellent comme l’argile au soleil. Une sueur salée circule, source intarissable que rien ne retient, ainsi la pensée de l’homme qui rêve devant l’eau. A quelque distance de la plage, les cristaux de sel se sont figés. Les marais salants et les mines si célèbres d’Akragas font la preuve que l’eau douce charrie de petites particules de minéral salin, qu’elles durcissent sous l’effet de la chaleur et forment des structures maclées dont les innombrables facettes catoptriques scintillent au soleil. L’eau probablement était douce à l’origine se dit Empédocle. Mais, suintant à travers l’écorce de la terre sous laquelle elle est aussi répandue, elle emmena avec elle, par drainage, de minuscules éclats de gemme, et devint salée. Salées aussi les larmes des hommes et des femmes trempés de pleurs par une belle et profonde communion avec la nature tout entière. Unité, perfection du monde à l’intérieur duquel Neikos ruine et détériore ce que Philia toujours restaure. Le monde, l’univers sont continus parce qu’au-delà de l’humain, il y a les puissances cosmiques et la force d’Aphrodite la déesse. Telles les vagues de la mer, les brisants de la vie renaissent indéfiniment. Jamais les Néréides ne cesseront de hanter les océans, les Nymphes, les fleuves et les eaux vives. Pour Empédocle, la mer est sueur de la terre qui, travaillée et incendiée par le feu, se craquèle et transpire. Héphaïstos à l’œuvre à l’origine, dut bientôt laisser place à l’eau qui, en jaillissant, envahit toutes les cavités, tous les plis de la terre, et repose aujourd’hui, calmée de ses primitives violences. Noire est la couleur de l’eau, noire la mer reflétée par l’astre de la nuit, et tout autour les étoiles fixées au cristal de la voûte céleste.
Aphrodite invincible et nécessaire, tout le reste est paraphrase. Empédocle l’appelle tour à tour, Cypris, la reine, Harmonie, Philia ou Philothès, l’amitié ou l’amour. Les hommes, dit-il, la surnomment l’Allégresse, la Tendresse. Tout ce qui est bon vient d’elle, tout plaisir. Donneuse de vie, filandière, ouvrière, démiurge, Aphrodite est désir. Le désir d’où vient le monde, qui permet l’accord des choses entre elles, faute de quoi c’est le règne de l’éclatement, la dif/fusion, la Haine, au pouvoir triste, Discorde, Neikos, l’Obscurité aux noirs cheveux. Amour et Haine ne comparaissent pas comme deux présences incompatibles, l’univers serait alors contradictoire. Elles ne sont pas le Mal, mais l’échec, le manque, l’impossible union par trop plein de diversités, comme et à l’inverse, il se fait que le monde existe par une absolue densité d’être (Merleau-Ponty) quand les affinités, les amitiés vraiment sérieuses (Goethe) à l’instar d’une alchimie mystérieuse mais puissante, transforment le désir d’être en être de désir par l’existence.
Les humains ne viennent pas au monde, ils viennent du monde, du monde d’Aphrodite, et les Muses se portent garantes de la vérité déposée en leur cœur. Le mythe, parole révélée d'une déesse, plus vrai que tous les mots humains, pluriels, confus, illusoires, le mythe et sa poésie seuls mènent au dévoilement. Aléthéia.
encore quatre photogrammes
Suite – annoncée le 1 Novembre dernier – de l’exposition des photogrammes de Pierre M. Il y aura une troisième visite commentée.
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Ligne de faille ou faute
Faut-il prendre au mot le titre de ce photogramme* qui porte à notre regard jamais vide d’intentions herméneutiques traditionnelles plusieurs démentis ? Une ligne de faille, expression de la géologie, laisse présager sous la fêlure, sous la fissure, le désordre en raison duquel l’entaille fait signe. Sous quelque aspect qu’elle se présente, la ligne de faille révèlerait une déficience, une faillite du sous-sol affleurant au sol par la griffure, la blessure, la balafre qu’elle lui fait, sous laquelle et invisiblement se prépare un cataclysme tellurique de fin du monde. C’est une déchirure qui inquiète, à première vue.
Parce que le photogramme arrêtant un mouvement volontaire n’en immobilise que l’achèvement, il en va tout autrement. Cette Ligne de faille est non point une défaillance dont il aurait fallu saisir la violence qu’elle recouvre, mais une construction parfaitement équilibrée, souveraine et maîtrisée. Le contraire de ce dont elle semble si proche, les désormais célèbres incisions de Fontana – la série Concetto Spaziale (1949) finement sous-titrée Attese (l’Attente), que faire d’autre en effet qu’attendre le séisme, qu’attendre la catastrophe ? – parce que l’artiste italien taillade pour de vrai la surface monochrome de ses tableaux, d’un coup de cutter ou autre objet pointu, opérant une lacération, une mise en lambeaux prospective peut-être d’un désastre à venir, mais aussi rétrospective et mimesis pour toujours d’un accident passé**.
Ici, le photogramme, dont on rappelle qu’il se passe de tout objet et objectif photographiques* ce qui ne l’exempte ni d’un regard ni d’une vision, bien au contraire, ici, la Ligne de faille ne coupe que l’ordinaire horizon des lignes et points de fuite de l’espace classiquement promu à un traitement iconique. Et l’organisation de cette césure verticale et apaisée résout toutes les tensions de l’invisible qui, contre toute attente, n’existe pas.
*cf Archives – 27 Juin 2019 – pour le procédé et l’intention des photogrammes présentés. **c’est bien l’endommagement d’un tableau devant être exposé à Paris, qui fut à l’origine de la série.
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Massacre
Mais si, de part et d’autre de cette ligne, ont été déposés de petits paysages de sels* qui, au gré de leurs formes ou de leurs masses, se sont rapprochés ou écartés, l’esquisse d’une carcasse apparait, incomplète charpente ou désassemblée ossature. On appelle cela un "massacre" quand il s’agit d’un trophée de chasse dont la préparation est tout sauf improvisée. Le photogramme Massacre ferait-il alors trace de cette proto-activité culinaire, cuisson d’un crâne de cervidé suivant des recettes ancestrales, faisant récompense ou souvenir de captures chasseresses, et même, si l’on s’attarde un peu, l’évidente silhouette d’une sagaie qui scinde en deux demi-faces le museau de l’animal.
Toute stricte description littérale faisant paraphrase et pléonasme, il n’y aurait – sauf à s’émerveiller encore de l’ingéniosité objectivement technique et manuelle des photogrammes – aucun discours possible et l’adhérence de ce qu’on voit à ce qui est à voir, parfaite mais impuissante. Il y manquerait le regard. Ce dont l’artiste – héritier rayonnant et radieux de Man Ray – donne la preuve. En donnant à être non pas ce qui est celé ou latent, mais ce qui, sans lui, n’aurait pu être, ne serait pas. Aussi, au risque d’une recherche exégétique surévaluée de l’intimité entre l’œuvre exposée – le texte photogrammique – et le nom qui la nomme, j’affirme qu’il faut tendre l’oreille et comprendre ce que massacre nous laisse à perce-voir : le geste sacré qui, telle une massore, retient, relie et rassemble tout ce qui, par perte ou ruine anéantirait toute transmission. Massacre, un photogramme qui consacre l’intemporelle mémoire.
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Savoirs – Connaissances
Bien sûr, bien sûr, ce que nous regardons est un cylindre, une bobine, un barillet, qui sait ? Pourtant, nous sentons qu’il n’en est rien, tout en ne sachant pas ce qu’il en est. Et dans une sorte de réflexe muséal, nous cherchons le titre – comme un indice : soit il conviendra à l’œuvre comme le verso d’une feuille à son recto, soit, il nous mènera – nous perdra ? – au cœur profond de l’art qui, s’il ne se dépasse pas lui-même, n’est pas.
Savoirs – Connaissances, les deux mots ne sont ni séparables, ni séparés ; aussi fermement serrés que les fils de soie d’un cocon porteur de promesse. Le parti-pris de composition est dynamique, cinétique. Saluons, toujours sur ce fond impeccablement noir, le nuancier des nacres grises et blanches, coquilles fragiles qui protègent sans enfermer. L’irisation autorise la métaphore perlière : comme elle, nos savoirs, nos connaissances, grandissent et se fortifient en s’autophageant, s’étirent et s’allongent d’eux-mêmes. Le geste qu’on sent preste et précis, n’a pas installé, il a posé puis déroulé une idée simple et sans fin. Quelque chose de Pierre Soulages était passé par là, au cœur profond de l'art.
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Sans titre
mais pas sans polysémie, comme presque tous les titres des photogrammes de P. M. Dés-intitulé ou in-intitulé, rendu accessible à toute proposition pourvu qu’elle dise la profondeur de la matière noire de laquelle un univers atomistique surgit – de ceux qu’il affectionne parce qu’ils sont de grains de sel et de sable d’avant la naissance du temps – saisissement de la création d’un monde parmi des milliers d’autres possibles, ex nihilo, poussières jetées dans l’abîme par la main d’un semeur modeste et thaumaturge.
Sans titre appartient à une petite série* ou une grande famille, si l’on veut, où par agencement aléatoire – oxymore assumé – de cristaux, des abstractions objectives apparaissent ; et l’informe prend forme, sans pouvoir être nommé dans les temps lointains d’ante langage. Vide des hommes et sans titre de gloire, sans titrage ni sous-titrage lisible, la sphère photogrammique parle plus qu’elle n’en dit, le photographe aussi, le minuscule fait sens. Voyez-vous bien à l’Ouest qu’un monde nouveau déjà paraît derrière l’autre, et l'imperceptible solitaire – pierre précieuse – qui s’en détache un peu ? **
*cf Archives Juin 2019, où le dernier photogramme est à la fois très proche et différent, mais aussi l’avant-dernier ; et récemment, 1 Novembre 2020, Autoportrait et Décrochage – ici même Massacre. ** marque ou signature ?