inactualités et acribies

Les Menus de Marie.

27 Mars 2021 , Rédigé par pascale

 

J’aime bien aller voir Marie. Elle habite dans l'une des deux villes de sous-préfecture du département ; j’ignorais, jusqu’à l’écrire ici, qu’un département pût avoir plus d’une sous-préfecture ! Sur la fiche de présentation de la ville on peut lire : commune aux multiples facettes. Elle possède un patrimoine riche le tout dans un cadre naturel préservé. (sic). Autant dire que les 36 000 communes de toutes les France – y compris les métropoles qui doutent peu de leur cadre naturel préservé – répondent peu ou prou à cette description due au zèle écrivain d’un conseiller-au-conseiller-municipal-chargé-de-l’environnement-du-patrimoine-du tourisme-et-de-la-culture. Ici comme ailleurs, on ne recule devant aucun cliché – on fait du grand angle :

Les haies bocagères et les prairies caractérisent ce milieu naturel (…) et on préserve les sols et leur fertilité ainsi que la protection et la qualité des nappes phréatiques comme celle de la faune et de la flore. Un environnement paysager de type rural particulièrement protégé où les haies bocagères préservent la richesse de la vie animale et végétale. (re-sic !)

Préservation et protection sont les deux mamelles de ce coin d’hexagone, nonobstant quelque difficulté à l’écrire joliment. Je m’en voudrais de dénigrer ce qui tant me rappelle chaque brin d’herbe normand, chaque talus où ramasser – en équilibre au-dessus des fossés tout en évitant les épines dans la broussaille – noisettes et mûres dans mon panier. Le bocage, les pâturages, un environnement de type rural et, deux fois en quatre lignes les « haies bocagères » – cela se passe aussi au-dessous de la Loire, et fait pour moi une copie fort réussie, ma foi, de la campagne où je grandis ! Aussi, incompréhensiblement créés ou inventés de toutes pièces, les sentiers pédestres et autres voies vertes vous garantissent la nature en ville – c’est toujours la promotion municipale qui le dit – avec l’inévitable château ou ruines de château, des parcours de santé et espaces pique-nique aménagés  ou encore, ou bien sûr, les animations, évènements et autres rendez-vous culturels  [ici convoqués, sans rire, la Fête de la Musique et le Feu d’artifice du 14 Juillet, comme si ladite commune en était à l’initiative ] ; quant au « Festival Lettres et Sport » (diantre !) le lien qu’on vous invite à explorer, ouvre sur … une page blanche ! ce qu’on peut toujours interpréter comme un signe d’espoir. Restons courtois.

         Cependant, je persiste et signe, j’aime bien aller voir Marie, qui a l’immense privilège d’avoir deux demeures, l’une en cette ville-à-la-campagne où elle réside peu, l’autre à la campagne tout court, à l’écart du centre-bourg où elle vit de plus en plus souvent, se tenant loin non seulement des surfaces de jeux-tables-bancs-poubelles-toilettes mais du parcours à la découverte des éoliennes (re-diantre !) qui vous sont promis si vous voulez profiter du calme ambiant au bord de l’étang, les promesses n’engageant ici comme ailleurs que ceux qui y prêtent foi. Marie, quand elle habite là, à 10 minutes pas plus, virages compris, de la sous-préfecture, vit alors dans la maison familiale, un ancien café-restaurant, de ceux où l’on recevait les appels téléphoniques pour tous les voisins et leurs voisins aussi, qui a gardé la cour et le grand portail, le jardin, les hangars – où dorénavant nichent en paix des chouettes effraies – la distribution des pièces ; presque tout le reste désormais remisé aux greniers – notez le pluriel – on vous parle d’un temps que les moins de vingt, trente, et même quarante ans ne peuvent pas connaître. Certes, il reste dans les armoires du linge de maison, et dans les placards des assiettes et verres du temps du Café, mais aucun de ces appareils ménagers sans lesquels nous ne saurions même plus faire une vinaigrette ou fatiguer la salade n’encombre un plan de travail qui n’existe pas ; à quoi bon, la grande table suffit bien ! Le café dans l’ancien Café a le goût d’avant et les pierres de sucre (c’est ainsi que l’on disait n’est-ce pas, et plus joliment que les morceaux du même !) dans une boîte en fer avec couvercle, de la taille exacte du paquet acheté.

         Dans l’un des greniers de Marie, il fallait bien qu’il y eût un trésor, sinon l’histoire n’en vaudrait pas la peine, mais tarder aussi un peu est une technique de narration des plus élémentaires, contraindre ses effets, laisser venir. Certes, chacun pense qu’un trésor qui retiendrait mon attention à ce point, ne peut être que de papier. Bien ! et d’écriture. Encore bien ! donc de livres. Perdu ! de cahiers ? de correspondances ? de journal personnel ? rien, rien de tout cela. Depuis l’un de ses greniers, Marie descendit un jour au rez-de-chaussée des quantités de … menus. Menu : nom commun masculin, vous pouvez oublier l’adjectif, celui qui s’accorde en genre (grammatical) et en nombre avec le nom qu’il accompagne, ces menus n’étaient point menus, mais magnifiques, grandioses, touchants, émotionnants, émouvants, passionnants, oui, voilà, passionnants ! Concoctés pour des repas d’épousailles, parfois de fiançailles, par le grand-père et servis par la grand-mère de Marie, au début du 20ème siècle – le plus ancien revenu des soupentes (1902) tient en une dizaine de lignes sans compter les vins et se compose de Hors d’œuvre, Relevés, Entrées, Rôt, Entremets, Desserts, suivis de Café et Vins (dont Bordeaux-Champigny 1893). Aux Beurre – Crevettes – Radis plutôt modestes, répondent des Langoustes en Bellevue et Asperges en branches à la ligne des Entremets (oui, oui) qui achèvent l’ingestion des Galantine, Anguille, Pigeons, Faisans, Romsteack (sic) répartis en lignes intermédiaires aux appellations plus appétissantes les unes que les autres – truffée, salmis, béarnaise, des bois rôtis … Les temps n’étaient pas gourmands de sucre, Fruits et Gâteaux, cela suffisait pour desserts.

         Il y a là un véritable sujet de thèse pour sociologue-anthropologue-historien-gourmand-gourmet-gastronome-maître queux et autres amoureux des mots des mets. Le 6 Mai 1944 – tout le monde ignorait qu’un mois plus tard, jour pour jour … les heures n’étaient pas encore aux réjouissances ; pourtant, le 6 Mai 1944 réunit une famille pour un déjeuner de noces (les initiales entremêlées le disent) où les viandes et légumes n’étaient pas de rationnement, mais venaient tout droit du jardin, de la basse-cour et de l’étable sans le moindre doute. Outre un potage royal pour se mettre en bouche (on notera qu’il n’y a jamais dans ces repas, y compris les somptueux, indication d’un apéritif ; les vins – ici blancs et rouges ordinaires, bordeaux, seuls signes peut-être de la misère des temps – sont servis à table) une triple entrée (Poularde à la Ravigote – Escalopes de veau Mascotte – Grenadins Mireille) précède les Légumes sans autre indication, suivis d’Émincés de Veau ; un seul Rôt au nom réjouissant de Cherche Grain dont Marie me dit qu’il s’agit avec certitude d’un poulet ou l’un de ses cousins ; les Entremets et Desserts alignent Crème à la Vanille-Gâteaux Secs et Coupes de Fruits dont on voit ce qu’ils doivent aux produits qu’on dit aujourd’hui locaux, pour bien signifier qu’on dispose dorénavant de produits lointains. Mais il nous revient que Laurent Tailhade dans son Petit Bréviaire de la Gourmandise se plaignait déjà (rédigé en 1914, paru en 1919) que la gastronomie succombât aux impostures de la mode, et réclamait des bouillons sincères*. Cet honorable repas de mariage à la campagne, en pleine guerre et en zone occupée à cette date, n’a rien à envier à certaines pages de Colette qui, aux mêmes heures sombres, écrivait à ses petites fermières bretonnes qu’elles lui envoyassent à Paris, des colis avec poulets, pots de crème et beurre. Quelques mois plus tard – en Novembre – un menu de noces affichera du Pâté de campagne, du Céleri, certes Pompadour, et des Fruits au Sirop, ceux qui furent mis en conserve pendant l’été dans des grands bocaux de verre et remisés au cellier, peut-être au bûcher, avec les confitures, souvenance d’une page de Colette encore.

         Un Déjeuner du 14 Avril 1943 émeut par une attention délicate à l’orthographe des Assiettes Anglaise que notre époque écrirait assiettes anglaises par facilité et sans se préoccuper de ce qui s’y joue, lors qu’il s’agit d’assiettes garnies à la façon anglaise, c’est-à-dire de la charcuterie et des cornichons, ou comment on ruse avec l’ordinaire pour le rendre exotique et – qui sait ? – avec un parachutiste allié, pour le moins avec un comprenne-qui-pourra. Un ajout manuscrit signale que le Filet Mignon – là encore une majuscule signifiante eu égard à sa préparation et non une qualité de gentillesse d’un filet de bœuf – est servi avec du Saint-Émilion. Les grands crus sont encavés depuis longtemps et les temps des guerres autorisèrent qu’on se servît dans les réserves plus souvent qu’à son tour. Là aussi, relire Colette et comment elle raconte que les grands vins de la maisonnée furent protégés des Allemands dès la guerre de 1870 par sa mère**, et qu’elle put, petite fille, les goûter tous pour des plaisirs qui l’accompagnèrent toute sa vie. Au printemps 1939, avant la catastrophe, la Galantine de volaille est truffée, et la ligne des légumes porte l’indication de Gerbes de Libbys à l’Angevine. Libby est une marque de conserve outre-Atlantique, un Menu de Noël dans un restaurant parisien en 1937 (date de la création desdites conserves) affiche : Asperges Libby’s vinaigrette. Il est bien possible que les gerbes à l’angevine servies en 1939 fussent des asperges enconservées par la marque américaine et parvenues comme un signe de modernité dans le bocage de Marie. A moins qu’il ne s’agisse d’asperges de saison ramassées au jardin, ou d’asperges en bocal de l’année précédentes, rebaptisées Libbys pour faire bath ! Je laisse ouvertes toutes les hypothèses, j’ai oublié de demander à Marie. Il est certain en revanche qu’en ville dans ces années-là, la presse le dit, « la mode » est aux légumes crus – radis, céleri en branches – et aux crevettes, lesquels et lesquelles on retrouve dans de nombreux menus, ces dernières parfois précisées de Cherbourg, ce qui fait une trotte !

         Finissons par le premier nommé, le plus ancien, bientôt 120 ans d’âge, le Déjeuner du 21 Avril 1902 : mets de luxe à n’en pas douter (galantine truffée et langouste) côtoient les increvables crevettes et radis qui me rappellent, à l’instant même, que sur la table familiale – et je garantis que ce n’était pas dans ces décennies mais de très nombreuses décennies plus tard, il y avait toujours et immanquablement, pour le quotidien il est vrai non plus pour les cérémonies, radis et crevettes – grises de la Manche, du beurre pour accompagner. On ne s’en lasse pas, je parle des menus de Marie. Aussi faut-il en garder pour la bonne bouche, faire des repérages, retourner interroger la mémoire vive de Marie qui en connaît autant sur les mariages que sur les enterrements et chaque occupant de chaque tombe du cimetière, y compris ceux qu’elle n’a ni connus ni côtoyés, tant elle en a entendu des histoires, des potins, des commérages, tous parfaitement véridiques comme il se doit dans tous les bocages.

        

*cf archives, 14 sept. 2018 : l’Anarchisme est-il soluble dans l’assiette ? **Archives 7 février 2017 : La petite fille et les grands vins : « l’enterrer [le vin] est la première des préoccupations de sa mère à l’arrivée du soldat allemand en 1870. »        

« Jules emporte un mauvais souvenir de la terre. »

20 Mars 2021 , Rédigé par pascale

 

D’abord, on ose à peine ouvrir un livre qu’on a cherché longtemps et redouté un peu, tant ce qu’on en savait sans l’avoir jamais lu, faisait obstacle à toute précipitation tout en le rendant désirable. Ensuite, on tourne quelques pages, lentement. Enfin, on ne le ferme ou plutôt ne le quitte qu’à son ultime mot. Nulle aventure, ni narration, enquête ou autre récit, ni roman, ni romance, et l’on se moque bien de savoir s’il convient à un genre. Il ne se raconte, ne se décrit, sinon en le paraphrasant, ce qui est le manquer, un risque que je prends à cet instant même. Qu’on m’en absolve, je ne serai ni la seule ni la première. Quand il le reçoit pour le recenser — c’était aussi son premier article du genre — Maurice Nadeau comprend, mais l’écrira presque vingt ans plus tard, qu’il tient entre les mains Un livre à propos duquel je me sens incapable de dire quoi que ce soit.

Édité en décembre 1945 Les Murs de Fresnes* d’Henri Calet, sera réédité en 1993 par la maison Viviane Hamy qui en modifiera les aspects typographiques, photographiques et la mise en page d’origine. On hésite et on renonce à écrire « un livre-d’Henri-Calet » ce qu’il est un peu, sans l’être exactement ni même tout à fait. Sa contribution personnelle sera jugée (trop) brève par les uns, voire inutile par d’autres, la valeur testimoniale de ce qu’elle accompagne pouvant paraître se suffire à elle-même, paraître en effet, car ce n’est pas le cas. Henri Calet érige ici le monument le plus humble s’il se peut, pour ces hommes, ces femmes, ces presque-enfants ou pas encore-adultes, qui passèrent des jours, des semaines et des mois entre les murs des cellules de la prison de Fresnes pendant la guerre que l’on dit seconde et mondiale. Dénoncés, arrêtés, torturés, jugés, exécutés, disparus, Français, Anglais, Américains, Canadiens, Autrichiens, Espagnols, catholiques, juifs, athées, résistants, ils ont laissé une trace de mots et de chiffres — leurs prénoms, noms, surnoms, celui de leurs aimées, amours, amis, enfants, parents, celui de leurs traitres, les dates de leur naissance, du jour de leur arrestation, de leur arrivée, du procès, de leur départ, un numéro de téléphone, une adresse, parfois plus, souvent rien de plus ou si peu en quelques bouts de phrases, de slogans, des initiales, des signes de croix, des faucilles et marteaux, des signes d’engagement, d’activisme.

Les murs de Fresnes — trois fois cinq cents cellules — se sont couverts, puis recouverts, palimpseste fragile et périssable, des signes de l’inhumaine condition qui fut faite à des vivants par d’autres vivants. Ce que l’on doit à Henri Calet : leur lecture comme autant de scarifications sur un corps supplicié. Sur les parois carcérales, mais parfois aussi quelques objets affreusement dérisoires, les mots, les dessins, gravés par des stylets d’infortune, clou, épingle, ongles, un manche de cuiller ébréché** ; souvent, très souvent, les mots font échec aux phrases — « cond. à mort » — ceux-là, si fréquents de cellule en cellule, emportent avec eux toute écriture possible. Jaconelli-le-Valeureux — cellule 35 — est de ceux dont Calet fera un portrait plus épais, il aura laissé aussi plus d’indices. Mais l’écrivain, dont on connaît par ailleurs le talent à saisir au plus juste les individus [il faut, relire, par exemple, Les deux bouts dont cette phrase est extraite – c’est dans l’avant-propos : Je vais dire au jour le jour ce que j’ai vu, entendu, qui devient rétroactivement et fictivement une altération de « je vais dire de cellule en cellule ce que j’ai lu ».], l’écrivain Henri Calet retient sa plume : il n’y a que du vide, du silence, du froid, du figé. Ils sont tous identiques, par le destin, la souffrance, mais ne se ressemblent pas. Ils sont parlés, écrits, dessinés, graffités, pleurés. Henri Calet n’a pas la main qui tremble, mais il s’efface, il a compris qu’ici, l’écriture, le rapport aux mots, deviennent la seule respiration possible. Aussi, il recopie inlassablement, aussi nuement qu’ils ont été gravés sur le crépi pustuleux des murs, ceux qu’il peut ainsi sauver d’un effacement déjà à l’œuvre. De cellule en cellule, toutes répliquées exactement, chacune retenait d’humbles et incomparables hommes et femmes d’exception. Ce serait leur faire injure que de les recouvrir d’autres mots que les leurs propres, ce serait se placer en surplomb, ce serait une ignominie ajoutée à l’abjection de ce qu’ils ont subi.

Quand on s’adresse aux murs il convient d’être bref dit Calet avec ce ton inimitable qui fait tout son talent, qu’il ne faudrait surtout pas prendre pour de la désinvolture, ou alors, mesurer à quel point — s’il n’y a pas d’autre mot — elle est travaillée, volontaire, forcée, et devient, sur le champ, le contraire de la désinvolture. On pourrait colliger ainsi un petit bouquet d’apophtegmes et croire discréditer Calet, en faire droit pour un procès en cynisme, en indifférence. Quelle erreur ! Dont la première est de logique : l’indifférence s’oppose à l’intérêt et même à l’observation. Or, on a oublié, ou plus sûrement on ignore, qu’au début de 1946, soit quelques semaines après la parution des Murs de Fresnes-1945, *** Henri Calet accepte pour France-Soir de chercher à savoir ce que sont devenus les détenus disparus de Fresnes. Il y aura au moins quatre numéros, en février 1946, consacrés aux résultats de ses enquêtes, en première page. Et en juillet de la même année – dans la toute nouvelle revue Hommes et Monde – il en fera encore un compte-rendu. Il faut chercher ailleurs une signification plus généreuse à certaines formulations — pour autant typiquement calettiennes, contre lesquelles on ne peut pas toujours retenir un très léger agacement (sauf pour les calettiens pratiquants intégristes, avouons-le). En effet et par exemple, que faire de telles assertions : Fresnes est, paraît-il, une prison modèle. Modèle de quoi ? je le demande ; ou on a tout vu déjà ; on ne rougit même pas, on ne sait plus ; ou encore achever par ces mots, secs comme un coup de fouet : La visite est terminée.

Henri Calet, l’anti-lyrique, sait ô combien ! qu’il n’écrit pas Les Murs de Fresnes, qu’il n’en est pas l’auteur, qu’il lui a juste été donné de le faire connaître, qu’il lui revenait d’en être le scribe, le greffier, le plumitif un brin paresseux****, un brin calettien pour tout dire, plus attendrissant encore que tendre. Ici, profondément ému, il n’en faut pas douter. Mais, peut-être lire le tout d’un trait, d’un seul tenant, ne pas détailler sa lecture. Alors on saisira à quel point, et presque en catimini, Calet adosse sa visite sinon à l’argument littéraire du moins à la question du sens de l’écriture, dans ce reste à vivre d’une dernière hurlade avant le départ. Les mots gravés à l’étroit et à l’épreuve sur les murs de Fresnes, ne sont pas « commentés » par Henri Calet*****, ils sont mesurés à l’aune irréconciliable des éphémérides et de l’imprescriptible, laquelle n’est accessible paradoxalement que par eux : ceux de l’écrivain qui en a une conscience probablement plus aigüe d’une part, d’autre part ceux du détenu condamné, qui en a l’instinct et donc l’impulsion, irrépressibles. Écrire, encore et surtout.

Je m’en voudrais de ne pas souligner suffisamment, dans ces interstices où Henri Calet glisse ses propres mots près de ceux qu’il a détachés des murs pour les consigner dans ce livre, l’enjeu d’un sous-texte plus littéraire. Non que les graffiti s’élèvent — par la seule autorité de leur nature tragique — à l’art d’écrire, donc à la nécessité de lire, mais en raison des imperceptibles insistances que met l’auteur à nous ramener sans cesse à ce double impératif.  Une division intitulée Nacht und Nebel commence par un petit développement linguistique à propos de ces deux termes –Nuit et brouillard – dont il soulignera indirectement la poésie, en la rapportant à l’infâme usage du terme Meerschaum – l’écume de la mer – pour indiquer qu’un prisonnier exécuté ne sera jamais retrouvé. « La langue française, dit Henri Calet en cette division, ne dispose pas de mots pareillement durs et froids (Zum Tode verurlteit – condamné à mort – et Urteil vollstreckt – sentence exécutée -) topiques, en fer de couperet, ou de canon de fusil ». Il dira des deux lettres que Juliette** écrivit à ses parents avant d’être exécutée : « Je n’ai jamais rien lu de plus simplement beau ». C’est moi qui souligne, tout est dans ce simple simplement, qui en dit tant, il suffit de relire la phrase en le supprimant, elle devient plate et insipide.

Je m’en voudrais encore de ne pas reprendre un autre moment, comment dire ? livresque, au cœur de ces pages d’abomination et de dignité. Entre les murs de Fresnes, ou plutôt entre les mains des emmurés, circulait un livre venu de l’American Library de Paris, crasseux, taché, déchiré. Une sorte de polar apparemment. Il servit de support pour communiquer par code inventé à partir des phrases en américain. Quelques déchiffrements purent être résolus, dont Calet donne la traduction : les bonnes nouvelles de la mort de Rommel, d’une blessure d’Himmler, de la présence des Russes en Allemagne et des Alliés en approche de Paris. Wild Justice, c’est le titre de ce livre probablement revenu à l’état de presque chiffon, dont la présence réelle et symbolique fait une raison supplémentaire pour donner au Murs de Fresnes, sa juste dimension, c’est-à-dire grande.

Comme il était arrivé, avec son art du mine-de-rien quand il va quelque part, serait-ce à Fresnes, mais aussi quand il s’en va, Henri Calet quitte et les lieux et le livre qu’il écrivit par effraction : « Le cimetière de la prison où les tombes ont poussé parmi les carrés de choux. »

 

*éditions des Quatre Vents, très proche du milieu surréaliste par son directeur. **pour Juliette son nom de « geôle », Huguette Prunier, à l’état civil, épouse d’un rédacteur de l’Humanité. *** son titre exact. **** se souvenir de ce titre L’Italie à la paresseuse. ***** qui écrit d’ailleurs après une énumération d’une douzaine de cellules : « pas de commentaire » !

(Dans "recherche" en haut, à droite, on peut "taper" Henri Calet pour faire apparaître tous les articles le concernant - ou dans lesquels il est cité.)

Mélanges, miscellanées, miettes -9-

14 Mars 2021 , Rédigé par pascale

Avec ces miettes, mélanges et autres miscellanées je vais de soque et de besoque. Comme il est réjouissant que ces mots inconnus nous disent pourtant ce qu’il nous faut entendre !

*

Toute échéance n’est-elle pas un échec ?

*

Il pleut à toute écrase. Le ciel se moque de nous, cumbeli-bordaine ! On croyait bien pourtant, selon le calendrier lunaire, que cela allait changer. Las ! Le temps s’embrouille à cœur de jour, ce qu’on appelle le débat de la lune. Mais il existe un mot, un seul pour dire tout cela – trois syllabes, rythme syncopé, c’est bien – qu’on ne brinotte mais écarbouille – oui, écarbouille – entre ses dents : le hernuement.

*

Les références ostréicoles (suite) :

« D’une argentine coquille/Qui fais endurcir la peau/D’une perlette d’eslite/Et la franche marguerite/Prendre couleur de son eau » (Remy Belleau – 1527-1577 – in Huistre)

Et aussi :

« (…) où l’huître gris pomme/exhale sa saveur entre deux diatomées/écho lointain et mol du béryl émeraude ». (Raymond Queneau in Chêne et chien.)

*

Idem ibidemque : (ils) gambillaient les étoiles.

*

La bibliuguiancie répare et restaure les livres précieux endommagés, un art bien plus beau que son nom.

*

Etymologiquement, l’incandescence porte toute chose à blanc. Comment est-on passé au rouge ?

*

Si on lui rabotait son ventre rond, la mouette serait-elle muette ?

*

Je ne suis pas loin de penser que Valéry a raison de dire « Dans les plus grands émois, respecter les subjonctifs » (in Cahiers -II- Pléiade p. 1169) : une maîtrise de soi qui éviterait bien des excès (voir plus bas).

*

Au fond, l’araignée vit dans le vide – grenier.

*

Le darwinisme est recalé dans les questions de style où le mot le plus fin l’emporte toujours sur le gros.

*

Douer, un verbe à sauver pour que nous douassions nos écrits d’intrigants nuanciers.

*

Quel magnifique, élégant et délicat hommage celui de Gérard Macé à Starobinski, dans une lettre du 9 novembre 1989 (il y en a 25 conservées aux Archives littéraires suisses de Berne) : « (…) j’admire [la façon dont] votre savoir (qui m’intimide et m’enchante à fois) ne fait jamais obstacle à la vibration de l’écriture ». J’appelle cela une rencontre définitive, il ne peut y en avoir qu’une ou deux dans une seule vie. Elles décident de tout le reste.

*

         Exercice de style (1)

         Ils en étaient baba ! Nana arrivait dans le froufrou d’un tutu couleur bonbon, un bibi sur la tête ; même au milieu des flonflons, elle détonnait ; ni tam-tam, ni gri-gri, elle se dirigeait dare-dare vers la cabane à joujoux, et là, sans faire de chichi elle avertit du tac au tac : c’est donnant-donnant, le chow-chow en peluche contre le Dodo en plastique !

Mon autocommentaire : et bou et ba, turlututu (ces derniers empruntés à Aragon, in Traité du style)

*

La robe de chambre de Diderot, la redingote à jupe de Barbey d’Aurevilly, la sandale d’Empédocle, le vêtement de lin blanc de Pythagore. Mais l’habit arménien de Rousseau, citoyen de Genève ?

*

Du XVème au XIXème siècle, la Morgue de Paris est un lieu ouvert à tous. Les badauds peuvent y observer les dépouilles non identifiées exposées derrière des vitrines, des verrières, à la prison du Grand Châtelet, où, lorsqu’une personne était trouvée morte en dehors de son domicile, ou qu’une identification était impossible, sa dépouille était entreposée à la vue du public dans une petite pièce à l’entrée de la prison. Cette salle portait le nom de « morgue », qui signifie « visage », puisqu’on pouvait y venir jeter un œil par une petite ouverture pratiquée en rez de la chaussée et tenter de reconnaître – dans le meilleur des cas grâce à son visage – un proche ou une connaissance disparus. Ce but de promenade très couru des familles fut déplacé au quai Marché-Neuf, n° 21, au début du siècle 19ème (d’après un texte de 1860).

*

Une seule chaussure est-elle impaire ?

*

Selon le pape Pie X qui le reçut en audience privée en 1912, un curé qui s’appelait authentiquement Louis Bethléem aurait accompli une œuvre magnifique — opus mirificum, en langue vaticane. De quoi s’agit-il ? Sous le titre qui fait déjà programme et presque pénitence Romans à lire et romans à proscrire il rédigea environ 450 pages de classements « du point de vue de la religion » de tous les romans – c’est lui qui le dit, mais surtout de leurs auteurs. A parcourir ce monument de censure – il est en effet impossible d’en venir à bout – on se demande si l’abbé Bethléem a lu tout ce qu’il a ordonné : Sade n’y est, par exemple, pas si mal placé.

*

Il y a peu de temps, dans le journal local et la même journée, on parlait, pêle-mêle, de grues cendrées, hérons, du sticliit et didelitt du chardonneret ; de l’ambroisie à arracher sans barguigner – pourtant ! avec un si joli nom ! – de la menace du xénope lisse et de l’écrevisse américaine qui l’emporte depuis peu sur celle de la région. Cette dernière, l’écrevisse yankee, retint mon attention parce qu’elle fait métaphore pour la langue française qui, par la toute-puissance des imbéciles, mériterait leur moquerie haineuse. Pensez donc ! on peut écrire en français correct qu’il eût fallu qu’ils écrivissent. Quelle marrade ! alors qu’on dispose d’expressions toutes faites (OK !) et de pouces levés pour signifier au monde entier qu’on est unis dans l’inscience.

*

Et puisque le ton est donné – toujours dans la presse – on a pu lire, il y a peu, les âneries suivantes : « (après les) inondations sur la Charente une lente décrue s’amorce. » Notre embarras atteint des sommets : la préposition sur ayant évincé toutes les autres (écoutez bien comment on n’a plus qu’elle désormais quoi qu’il se dise) les effets seraient cocasses s’ils n’étaient aussi stupides, voici la suite : « sur la ville de 25 000 habitants, quelque 680 personnes évacuées sont passées par la mairie pour une aide au relogement ». J’ai, immédiatement, envisagé le dessin de presse suivant, genre Cabu : survolant une ville et le fleuve (la Charente) lui-même inondé (et pas inondant !) 680 personnes s’engouffrent dans une mairie et ressortent de l’autre côté. On ne sait pas, finalement si l’aide au relogement y était.

*

Villiers de l’Isle-Adam affirmait déjà (in Poèmes pour assassiner le temps) : « Moins on parle français/Plus on a de succès ».

*

L’inscription à la base d’une stèle, ou hypogramme, dans les dictionnaires de grec classique, terme qui désigne aussi le pigment utilisé pour le maquillage au-dessous de la paupière.

*

« Le mur mange peu à peu les mots qu’on lui confie ». Henri Calet in Les Murs de Fresnes – 1945. Un livre dont les pages se tournent dans l’émotion lente et retenue de qui visite le lieu de tous les désarrois, de toutes les détresses. Livre auquel je reviendrai. On revient toujours à Calet. (Merci à qui me l’a offert, il y a peu, et se reconnaîtra).

*.

On perd toujours à la fin.

8 Mars 2021 , Rédigé par pascale

 

Et si l’on vous disait qu’aujourd’hui, le 9 du mois, ne sera pas suivi de demain ? Inenvisageable, pensez-vous in petto et en vous-même, nul n’est maître des horloges n’est-ce pas — sinon Jules César imposant en son temps, le calendrier julien. L’expression toutes affaires cessantes prendrait alors un sens que personne n’avait sérieusement envisagé : interruption du cours des choses, gel du fleuve qui passe, cessation du flux héraclitéen du monde, sa fin, son tarissement, son terme. Pourtant le 9ème jour d’un mois de décembre lointain, devint, sur un claquement de doigt ou presque, la veille du 20ème dans le même mois. Onze jours disparus à tout jamais. En fin de compte — et même de décompte — le doigté fut un peu gourd et le tour de passe-passe prit plus de temps qu’on ne le crut, mesurons l’ironie de cette dernière formule. La soustraction eut cependant bien lieu, à des échéances différentes certes, mais suffisamment rapprochées pour que l’évènement — dont on peut difficilement écrire qu’il fit date — soit ramassé sous le même récit, ce n’est pas si souvent que l’erreur est juste ou que 4+1 = 15. Explications.

Soyons légers, l’affaire fut grave. Il y a 439 ans, le 24 février, un Grégoire, 13ème de son nom et pape de son état et en ses États, usant comme tous ses collègues passés et à venir de pouvoirs temporels à la mesure des spirituels, c’est-à-dire incommensurables, décida qu’il était grand temps de remettre les pendules à l’heure, les calendriers à jour, et les points sur les i. La Terre, dont on apprenait tout juste qu’elle tournait sur elle-même et la lune qui lui tournait autour — et nombreux ceux qui ne le savaient pas encore ou en refusaient la vérité — la terre avait des révolutions de retard. De l’un à l’autre astre, la différence, qu’on appelle épacte, se comptait en jours, selon les mathématiciens et autres savants fort instruits du ciel à l’époque : des jésuites à n’en pas douter. On décida donc de modifier le nombre et le rang des années bissextiles mais pas seulement. Là, il me faut avouer une légère incapacité à suivre ces esprits puissants, de la Terre à la Lune passant par le Soleil, suivant que les rotations des unes autour de la nouvelle fixité de l’autre, avaient trompeusement allongé le temps, chacun sachant, bien sûr en 1582 ! qu’un an est plein de 365,242 189 jours exactement ! Face à une imprécision aussi spectaculaire, le miracle supplémentaire de l’abrogation d’une année bissextile tous les quatre ans (sauf les années des centenaires à moins d’être divisibles par 4, ce qui est fort simple à suivre comme calculs …) pouvait ramener tout le monde à la raison. La raison de Grégoire le treizième qui fit connaître la nouvelle de sa décision au monde entier, par l’envoi d’une bulle, son moyen favori de communication toujours en vogue de nos jours. S’il ne s’était agi que de réajuster le placement des années bissextiles, la réforme grégorienne n’eût pas fait couler autant d’encre : notre intérêt de curieux nantis d’écrans qui changent la date des jour, mois, année sans nous demander notre avis, porte essentiellement sur ce saut en avant d’une décade —histoire de recaler les équinoxes depuis … douze siècles, soit depuis le concile de Nicée ! 

En bon fondé de pouvoir du temps humain et de ses contingences — la disposition de l’éternité revenant à Dieu seul — Grégoire XIII le Pape cacheta donc sa bulle avec de la cire le 24 février 1582 avec effet le 4 octobre suivant. Ce jour-dit devint alors le dernier d’un temps échu dont le lendemain – 15 octobre – fut le premier d’un temps nouveau. Entre la volonté papale et sa réalisation, il fut accordé plusieurs mois pour réorganiser le calendrier des fêtes chrétiennes qui rythmaient les travaux et les jours même les plus païens ; il fallait réaménager toute la vie commune publique et privée, des humbles et des repus, des croyants et des laïcs, qu’ils fussent de l’Ancien ou du Nouveau Monde, et rien de cela  ne pouvait se réaliser sans les imprimeurs, autres derniers arrivés dans une époque de chambardement intellectuel prodigieux, seuls à pouvoir faire connaître à tous et en tous lieux les exhortations et autres jussifs pontificaux. Et puisqu’en cela comme en toute chose, il fallut récompenser ou favoriser tel ou tel, que l’on soit roi ou pape, français ou italien, d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, rien ne se passa selon les directives officielles. On peut manipuler les jours, les dates, décider de faire disparaître le lendemain de sa veille, dissimuler l’aujourd’hui à l’hier et biffer d’un trait de plume d’oie onze jours de la vie du monde, on n’est jamais le maître absolu de qui l’on protège qui toujours vous montre que le protecteur dépend, finalement, de son obligé, et que le plus important des deux n’est pas toujours celui qu’on pense. A pressé et pressant, pontife et demi.

Le roi de France – Henri III pour mémoire – ne fut pas le meilleur de la classe des états catholiques. Il traîna les pieds dans ses mules voire ses escarpins, soit que l’imprimeur lui fît quelque lenteur, soit que le Parlement de Paris n’y mît pas l’entrain requis. Le premier, Antonio Lillio, ne dépendait pas de lui, mais d’un privilège pontifical mâtiné de favoritisme successoral, auquel tout souverain de France qu’il était, il devait se soumettre pendant dix ans, nonobstant la très mauvaise coopération de l’Italien ; le second rechignait à adopter un bouleversement qu’il n’avait pas initié, d’autant que les protestants protestaient, qui pour des raisons qu’ils disaient savantes, qui par refus somme toute compréhensible de se soumettre au pape catholique. Italie, Espagne et Portugal firent allégeance de suite, la France dont pourtant les rois étaient « fils aînés de l’Église » depuis Clovis au moins, mais point encore elle-même sa « fille aînée » * se fit attendre. Réalise-t-on bien ce qui put arriver entre des royaumes voisins, voire parents par intérêts matrimoniaux arrangés, qui commerçaient tant en marchandises qu’en savoirs en tout genre, se faisaient et la guerre et la paix, mais n’écrivaient pas en haut de leurs missives les mêmes dates pour les mêmes jours et cela pendant des semaines ? Henri mit la France au diapason le 9 décembre qui devint par décret royal la veille du 20. D’aucuns ont dû, parfois, recevoir des courriers avant qu’ils ne fussent expédiés. [Un pli papal pour reporter à plus tard en France, la suppression des dix jours excédentaires au nouveau calendrier**, arrivant après le 20 décembre devint caduque de facto.]

Tout fut tourneboulé, les dates de termes contractuels, les paiements à échoir, et bien sûr, les fêtes des saints toujours occasions de réjouissances populaires. On s’inquiétait : supprimerait-on, cette année-là, la Saint-Nicolas, le 6 décembre, fête des marchands de vin, huiliers et autres bateliers, avocats et notaires ? Pour ne rien dire du très suivi surlendemain, le 8, fête de l’Immaculée Conception… Le choix de la tranche 9-20 décembre, fut déterminé en raison de ses moindres dégâts eu égard à ces considérations *** même si, en période sacrée de l’Avent, le scandale tourna au cauchemar. Tout ce que Paris connaissait de clergé, de prêtrise et de théologiens multiplia les rencontres pour satisfaire les nouvelles exigences : on avança l’Avent, qui, d’office, s’en trouva deux fois mieux nommé (on rappelle l’étymologie, adventus, arrivée). Le Roi fit, en qualité de roi, ce qu’il devait (octroyer un privilège à un garde de la Bibliothèque royale pour imprimer le calendrier en français) car le préféré du pape et italien Lilio tardait toujours, on ne savait et ne saura jamais pourquoi. Aussi, Henri cassa son privilège : les imprimeurs français eurent le champ libre. D’ailleurs il ne s’agissait pas d’organiser le nouveau calendrier mais juste de le mettre sous presse, en quoi cela relevait-il de Rome ?

On ne saurait dire si la grande procession décidée par sa Majesté pour le 9 décembre devait marquer la fin du temps julien ou le commencement du grégorien, mais elle traversa tout Paris dès potron-minet, les reliques des saints, Paxan, Avoye, Opportune et bien d’autres, portés dans les rues boueuses et sales ; les hermines, les hoquetons, les robes de velours, de soie et de dentelles suivaient, y compris les souverains – chose rarissime – tous les grands et beaux messieurs du Parlement et des Ambassades étrangères. On reconduisit, à la fin du jour, Sainte-Geneviève en sa châsse et en son église. Le nonce n’en revenait pas « si fece la più solenne processione che si posa fare in questa città » s’exclama-t-il, pas fâché d’avoir désigné Lilio responsable d’un imbroglio franco-italien qui dura des mois, mais permit – les voies du ciel sont décidément impénétrables – de sauver la fête de Saint Denis que le passage du 4 au 15 octobre décidé par Grégoire XIII, aurait fait passer à la trappe ! Impossible n’est pas français monarchique, cette fête est la plus haute cérémonie catholico-royale.

Mais, pour peu qu’on soit un peu toqué de philosophie, dans cette prestidigitation qui fit perdre et/ou gagner dix jours cette année-là, le paradoxe est flagrant entre visible bricolage et invisible défaite : le temps ne se maîtrise pas. Si, par de grandes enjambées – ou tout déplacement mécanique – il se peut que l’on gagne du terrain, en revanche, on ne gagne jamais de temps, qui avance continument hors de nous, sans nous, quelles que soient les conditions de la dépense, de la mesure, de la codification dans lesquelles on le range ou l’on croit le ranger. L’exaspérante question de savoir si l’heure d’hiver qui disparaît avec les beaux jours, ou l’heure d’été qu’on semble nous confisquer à l’entrée des jours gris, ou l'inverse on ne sait jamais, ajoutera ou retranchera une heure à notre existence, n’est qu’un jeu dans l’artificielle maîtrise des agendas, montres, calendriers, horaires auxquels nous sommes assujettis mille fois par jour. Aucun de ceux qui ont cru avoir « perdu » 11 jours cette année-là, aucun n’a pourtant vu sa vie écourtée, aurait-on oublié de rapporter cette onzaine manquante à la fin de son existence, puisque nul ne sait jamais ni le jour, ni l’heure.

Et dans l’inévitable fracas de cette affaire bien surprenante, qu’on se souvienne de deux sagesses opposées : celle de son contemporain Montaigne qui sobrement écrivit : « Ce fut proprement remuer le ciel et la terre à la fois, (Essais III, 11) » qui pourrait passer pour un pied de nez à l’orgueil humain ; celle de Pascal au siècle suivant et sans y faire référence, méditant sur la condition tragique de l’homme : « Pourquoi (…) ma durée (est-elle bornée) à cent ans plutôt qu’à mille ? (Pensées, I). Oui, pourquoi ? Mais bornée dans tous les cas.

 

*les débats autour de cette appellation font florès depuis le 19ème siècle qualifié haut la main pour cette reconnaissance. ** pour une meilleure harmonisation des fêtes religieuses en Europe dès l’année 1583. Sans entrer dans les détails, l’unification des calendriers ne se fit pas, loin s’en faut. Elle s’étala même, dans certains cas, jusqu’aux 18 et 19 siècles. *** il est attesté que certaines missives n’arrivèrent pas en temps et heure, dans les endroits les plus reculés du royaume.

Doucement le silence se tait.

4 Mars 2021 , Rédigé par pascale

 

Après la pluie,

des cygnes nagent dans les champs

mais un héron.

 

Tout le long de la louange

passe un désir.

 

D’être une question sans réponse

une feuille tant morte d’avoir épongé

tout l’encre de ses mots,

une simple histoire,

Épuisée, je suis.

 

Sous le regard feuillu de l’arbre

j’attends de voir le temps repasser

l’eau du fleuve couler à l’envers

et mes doigts effacer les lignes

de ta main

 

Divagation des nuages

fait le ciel s’étrécir

S’entorser

rêche et rude

sec des pluies qui tardent.

 

Un coup de pied dans les mots

devant soi

un trou bée.

 

J’ai trop puisé dans mes réserves de vie

aux temps de ma mémoire,

l’inachevé s’esquisse depuis le premier jour.

 

De la nuit ou de moi

qui aura le dernier mot

aux premières heures du jour ?

 

La main du peintre

s’estompe

dans les couleurs.

 

Chirico

Moins leurs ombres,

les ruelles dépeuplées et les places désertes,

un enfant solitaire

pousse un cerceau en vide d’être.

.

Qui efface mes mots

dès que je les écris

pour les jeter aux chiens ?