inactualités et acribies

le parti pris des fleurs

31 Mai 2021 , Rédigé par pascale

 

Dans le passage des jours, il y en a qui trébuchent, un peu. Voici un bouquet de pivoines  - et une rose qui se trouvait là -  pour égriser le cours du temps, ce qui laisse une chance à d’infimes poussières de devenir précieuses : il faut juste les vouloir re-cueillir & regarder avec des mots. Une fleur qui éclate au ralenti, dit le poète*, il me semble. Il me revient aussi qu’il écrit quelque part l’ef-fleurement, parlant du lilas.

 

 

 

*Francis Ponge à propos du magnolia, il est vrai, mais comparant sa fleur à une bulle, je lie & lis dans les replis mnésiques de mes savoirs dormants, ceux où les pivoines rencontrent pour s’y refléter, toutes les vanités du monde.

 

« L’insignifiance sacrée des coccinelles. »*

23 Mai 2021 , Rédigé par pascale

 

 

Pour Mon Livre*, Patrick Laupin a reçu le Prix Max Jacob 2021.

 

 

Et si c’était un bâtiment, ce serait une gare. Une pièce, un parloir. Un morceau de la maison, sa fenêtre. Un objet dans la maison, un miroir. Le mystère, la mélancolie tendre de l’enfance. Oui, voilà, c’est cela. Peut-être, on ne sait pas vraiment. Ni comment le tremblé de ces mots simples nous touche à cœur, comment saisir une coccinelle et l’univers dans la même main, poser la plénitude du silence au centre de soi-même, avec des demi-mots effacer un peu de buée sur la vitre, porter toute misère au seuil de la bonté.

           

Où commencer et quand, la longue histoire des petites vies à jamais présentes en sa mémoire béante et blessée de souvenirs  ; et comment poser et retenir les mots qui peuvent vous lâcher à tout moment s’ils n’étaient maintenus par la puissante solitude de la maison des écritures, ouverte à toutes les paroles revenues d’où l’on ne parlait pas encore et arrivées où l’on a si peu à (se) dire – du parloir du devenir au parloir des égarés –  des enfants muets aux ouvriers mutiques ; comment avancer le long d'un filin ténu et résistant, tendu et retenu par la respiration pulsée de la phrase de Patrick Laupin : J’ai senti mon seul.

            Mon livre est de douceur – ce mot qui fléchit toute douleur – par le grain d’une voix dont la préface de contact et d’analyse d’Alain Borer, fait entendre les beautés sombres et les lumineuses, et dire comment pour mieux parler à l’âme, il faut les faire jaillir du sol, les éclairer et illuminer d’une réelle présence au monde. Seule l’écriture poétique peut toucher aux impalpables et d’une existence faire une apothéose, dans l’indénouable lien des mots à la conscience – terme si présent dans le texte – qui n’est rien d’autre, au fond, que nos infinies et variées visions du monde, traversées par cette double question qui n’en fait qu’une A quoi je tiens et qu’est-ce que j’aime au monde ? que Patrick Laupin se pose autant qu'à nous même bien sûr. La première personne fait une personne première, il n’y a que soi de soi à soi-même. Être ici me suffit. Entre la théière bleue – quelle beauté soudaine en ces trois mots qui résolvent ensemblement la terrible question de l’audace du simple ! – et ce trouble lancinant du vertige, Colette** et Baudelaire, déjà réunis en gardiens de ce livre qui, plus d’une fois, fera nos yeux s’embuer. Cela s’appelle aussi tendresse - merci à Alain Borer d’avoir nommé Renée Vivien*** la très oubliée.

On se trompera gravement – je me serais trompée, écrivant – si l’on pense que Mon Livre est porteur, portier, ouvre les portes, de l’accalmie paisible qu’il faudrait avoir atteinte tel le sage antique des sentences stoïciennes ; celui qui, après avoir parcouru les âges de la vie, revient à soi dans une contemplation que l’on dit pacifiée, alors qu’elle est juste devenue passive. Et, immobile, regarder le fleuve passer devant soi. Pour se prémunir de ce danger, le seul réellement mortel, Alain Borer prévient : « N’ouvrez pas Mon Livre dans un moindre but. »

Voilà un livre d’heures. Un Livre d’Heures majuscule. Le contraire d’un ouvrage pour occuper le temps vacant, pour se changer les idées, le contraire de ces moindre(s) but(s) que nous prenons pour des obligations, vanités des heures vaniteuses de nos vaines agitations. Quelque fois la page s’enlumine de ce qu’on appelle, en musique, une altération accidentelle, qui, l’espace d’une mesure ou deux prête à la mélodie une tonalité modifiée de diversion. Alors la page abrite un mot rare ou inconnu ou inventé ou emprunté – chevanceaquiger, silencier, je silencie en bergesouventement ; ou ce magnifique j’encielle qui enferme toutes les lettres du silence à l’exception de la première, alors doucement glissée à l’oreille en son centre. Du chapelet du temps égrené/égrainé au mot à mot des enfances souvenues, réparées, raccommodées, recousues et des vies mal-traitées, chaussées de godillots, aspirant la limaille dès l’entrée de l’usine, Patrick Laupin déroule et enroule le rosaire inachevé des très pauvres heures des ouvriers porteurs de musette, ou des petits, ainsi nomme-t-il souvent les enfants, ceux qui ont attendu toute leur vie que le marchand de sable vienne leur tenir la main.

A l’encre de ses mots, noire du charbon des mineurs de fond, ocre est le chagrin, pâles les roses d’automne, Patrick Laupin se disant pauvre de tout bagage fait de chaque atome de suie et de larme, un flamboiement dans l’univers. Que pour chacun ce livre soit le sien.  

 

*Mon Livre. Patrick Laupin, éditions le Réalgar, 2021. 15 € ; ** tout lecteur chronique jamais rassasié des textes colettiens, aura retrouvé -p.27- les sourciers chers à ses vœux ; *** de si belles lettres entre elle et Colette.

Étonnants attachements.

17 Mai 2021 , Rédigé par pascale

           

On se souvient des longues tribulations posthumes du crâne de Descartes*. On sait moins que dans le lot des hypothèses d’authentification, il y a le moulage en plâtre du crâne déclaré garanti et, à ce titre, engagé dans le buste réalisé par Paul Richer en 1912, lequel reproduit une célèbre copie du tableau original (vers 1649)  de Franz Hals, perdu. Soit une rocambolesque poupée gigogne constituée depuis le 17ème siècle aux Pays-Bas, arrivée à l’École supérieure des Beaux-Arts de Paris au début du 20ème. Parce qu’il le valait bien.

Qu’on ne croie pas cette aventure unique ni cette fascination exceptionnelle, car seules les circonstances diffèrent pour tant d’autres rapts, vols, amputations, découpages et conservations inattendus de fragments cadavériques humains de nos génies. Nous avons en magasin et en vrac si l’on peut dire, un cerveau, un doigt puis deux, une dent, un autre crâne, cela pour les reliques retrouvées ; mais nous cherchons encore la tête de Goya disparue on ne sait ni où ni quand, entre le cimetière de la Chartreuse à Bordeaux et l’Espagne, mais assurément à Bordeaux. Soixante-dix ans et quelques difficultés administratives après la mort du peintre (1828) **, le gouvernement espagnol réclame sa dépouille à la France mais la reçoit incomplète ; il transmet sur le champ le télégramme suivant : « squelette de Goya sans tête. Expliquez, SVP » – on aura beau dire, les moyens de communications modernes ont considérablement appauvri les correspondances diplomatiques ! – La réponse de la France fut à la hauteur : « Envoyé Goya, avec ou sans tête ». Cet échange pour le moins sommaire n’est pas attesté dans toutes les versions. En revanche, il est certain 1) que Goya fut inhumé auprès de son ami et beau-père 2) que lors de l’exhumation on retrouva, bredi-breda, deux dépouilles mais une seule tête 3) que le tout fut indistinctement envoyé au-delà des Pyrénées.

L’histoire est têtue, c’est le moins qu’on puisse dire ! celle des pillages de sépultures et enlèvement de leurs crânes. La même affaire arriva à Haydn dans son tombeau ; sous sa perruque il n’y avait plus que du vide, ce qui est fâcheux pour un si grand génie. Une fois encore, c’est à l’occasion d’un transfert des restes que le pot-aux-roses fut découvert, un cadavre raccourci, décapité. Pourtant, Joseph Haydn mourut à Vienne (1809) paisiblement nous dit-on, tandis que Napoléon occupait la ville ; il avait toute sa tête. Une dizaine d’années plus tard, son maître et protecteur, le prince Esterhazy, le voulut faire reposer en l’église du Calvaire*** – ce qui ne manque pas de sel pour épicer un peu ces récits funestes – et fit opérer le déplacement. L’affaire fut plus rondement menée et heureusement achevée que pour Descartes et Goya : la capitale autrichienne disposait d’une police secrète bien renseignée sur les mœurs thanatophiles des étudiants, dont un dénommé Rosenbau, chez lequel et contre toute attente elle ne trouva rien, sinon une épouse prétendument malade et assurément alitée... Grand prince et fine mouche, Esterhazy propose le rachat du crâne supposément sous la paillasse ; l’étudiant, décidément fourbe et déloyal, lui refila le crâne d’un inconnu inhumé le même jour que notre musicien. Voulut-il mettre sa conscience en paix ? Toujours est-il qu’il fit promettre à son complice d’alors de léguer à un Musée viennois et à sa mort, le véritable crâne de l’immense compositeur. Il y demeura jusqu’au milieu du 20ème siècle, quand un Esterhazy-nouvelle génération fit le nécessaire pour qu’on le rapportât à son corps ou ce qu’il en restait dorénavant.

L’admiration légitime que l’on doit à nos semblables si éloignés de nous par leur génie confine parfois au raffinement sordide. Le sort réservé à la cervelle d’Einstein en est, hélas, une illustration supplémentaire, soluble dans l’alcool … de cidre ! Commençons au commencement, c’est-à-dire, au décès de celui que ses contemporains et les autres jusqu’à la fin des temps, ont transformé en tic de langage, estompant au passage ceux qui, près de lui et souvent avec lui, ont fait travailler des neurones tout aussi puissants. Il faudra bien un jour leur rendre justice, non point dans les communautés scientifique et philosophique, c’est déjà fait, mais dans le (grand) public, celui qui sait tout ce qu’il ignore, capable sans avoir jamais fréquenté la moindre ligne du moindre de ses écrits – et il écrivit beaucoup et bien – de corner à la compagnie et à tout bout de champ que tout est relatif !  Donc la cervelle d’Einstein. Mot choisi à dessein, bien sûr, d’abord pour signifier une différence remarquable avec les pratiques précédemment rapportées, ensuite établir comment d’un mot – cervelle plutôt que cerveau, ce dernier que l’on trouve pourtant dans tous les récits – on change la représentation de ce que l’on dit. Il y a un côté charcutier et comestible avec cervelle, une carnation, un marquage quasi anthropophagique digne de sorcelleries sans âge et des mythologies les plus élaborées, pour lesquelles le corps de l’idole vaut pour réceptacle de sa puissance. Plus étonnante est la caution scientifique – de pacotille – qui fut attachée à la conservation de ce cerveau ; mais, en y pensant bien, s’en étonner ne convient pas, ce serait minimiser la part rugissante mais-enfouie-mais-latente depuis la nuit de temps de notre inconscient cannibale et collectif ; retenons donc cette hypothèse herméneutique.

L’acte initial et fondateur repose sur une transgression, une désobéissance à un tabou majeur : le respect d’une parole anthume pour le repos posthume de qui la profère. Einstein ou pas, personne ne devrait s’octroyer le droit de passer outre la volonté d’un futur mort – dans les limites de la raison humaine, cela va de soi. Celle d’un physicien, serait-il hors norme, ne doit être enfreinte. Albert avait tout simplement demandé et écrit qu’il voulait être incinéré afin que personne ne puisse idolâtrer (mes) ossements. Ces quelques mots d’une clarté élémentaire, n’avaient pas à être soumis au très relatif désir d’un imbécile, ils affichaient une lucidité parfaite, à moins que le cerveau ne fût pas considéré comme appartenant aux ossements – en matière de justification crétine et arrogante, le pire est toujours à venir. Aussi, après l’autopsie autorisée du corps par T.S Harvey, celui-ci dérobe le cerveau. Croyant n’avoir pas outrepassé les demandes du mort de son vivant, les restes sont retournés à la poussière du monde sous forme de cendres, peut-être dans les eaux du fleuve Delaware, mais les versions divergent. Harvey est convaincu de vol, mais Einstein Junior – Hans, 1904-1973 – se laisse berner par l’argument minable d’un usage exclusivement scientifique de l’encéphale paternel et l’abandonne aux mains du rapace. Pesé – 1230g contre les 1350 g d’un cerveau moyen – mesuré au compas, photographié sous tous les angles de ses circonvolutions, puis découpé en tranches, qu’on appelle des coupes histologiques, exactement en 250 morceaux qu’il fallut bien cacher en évitant qu’ils se détériorent. Et pendant 30 ans, les neurones d’un des esprits les plus puissants du siècle, furent répartis dans des bocaux, comme de vulgaires haricots de saison. Harvey ne produisit aucun article, ne fit paraître aucune étude jusqu’en 1985. Il est vrai qu’il n’était pas neurologue ! Il disparut de la circulation pendant des années, jusqu’à ce qu’un journaliste les retrouva, lui et ses bocaux, ces derniers dans une caisse portant la marque Cidre Costa planquée sous un petit frigo. La fièvre médiatique reprit un peu d’agitation et notre conservateur en chef se fit distributeur-répartiteur du cerveau d’Einstein, dont on ne peut pas dire, si toutefois Harvey eût quelque velléité semi-avouée d’en tirer parti, qu’il lui rapporta un iota d’intellect supplémentaire.

Avec un zeste ou une pincée de celloïdine, à portée de la main de tout médecin légiste, préparation contenant entre autres, un mélange d’alcool et d’éther, les morceaux de cortex pouvaient en effet se conserver. De là à penser qu’il s’agit de cidre, au si faible titrage … cela s’appelle élaborer une légende, même si nous savons que des thanatopraxies très élémentaires ont permis de maintenir des restes et des corps tout entiers plongés dans de l’eau de vie !**** les mots ne nous déçoivent jamais ! Profitons-en pour glisser que l’expression mise en bière, provient d’un mot franc bera, planche ou civière dans la circonstance. Passons. Enfin, une micro parcelle fut envoyée à une neuroanatomiste, et des photographies à un anthropologue. Il semble que la complexité moyenne de certaines zones spécifiques du raisonnement et/ou de la vision dans l’espace et de l’abstraction mathématique, soient, chez Einstein, plus élevée que la normale ; que la densité de certains neurones à certains endroits soit plus haute ; que certaines cellules soient plus larges etc. Il ne s’agit pas de remettre en cause ces mesures et ces ultra précisions, mais, qu’on veuille bien m’excuser de faire remarquer qu’il ne s’agit là que d’observations – seraient-elles très affinées par des techniques de pointes – a posteriori. Autrement dit on décrit ici, le cerveau – ou des bouts de cerveau d’un génie scientifique avéré ; ce qui ne permet en aucun cas d’établir le lien de raison entre ces éléments constatés et son génie, lequel nous était connu bien avant qu’il fût mort. La question du pourquoi est toujours pendante. Pourquoi, avec un cerveau dont on peut établir qu’il est comme-ci et comme-ça (ce qui n’est pas exactement parlant scientifique, relire Bachelard), Einstein put formuler (et non découvrir, mais c’est un autre développement) la théorie de la relativité restreinte puis générale entre 1905 et 1915. Fin de l’histoire, laquelle n’a jamais eu lieu.

Avouons notre préférence pour la sentimentalité de qui, tel Anton Francesco Gori, un peu moins d’un siècle après la mort de Galilée et une fois encore à l’occasion d’un transfert, détache de sa main droite, son majeur. Le doigt passa de … main en main jusqu’à résider dorénavant en majesté – albâtre, marbre, verre et dorures – au Musée Galileo de Florence (anciennement Musée d’histoire des sciences) tandis que tous les autres ossements sont à Santa Croce. On ne sait ni pourquoi ni comment, deux autres doigts et une dent sont apparus dans une vente aux enchères. Mais l’histoire finit bien puisqu’ils sont tombés dans les … mains d’un acquéreur honnête qui les rendit au Musée. Le doigt de Galilée, celui que Gori emporta pour qu’il ne fût pas enfermé pour toujours dans le tombeau mais porté à l’admiration de tous, raconte l’histoire la plus émouvante et la plus symbolique : le doigt Majeur de Galilée, vainqueur du doigt, index, accusateur et inquisiteur, pointé sur lui par des doctrinaires péremptoires et pédants, dont il ne reste aujourd’hui que le déshonneur de l’avoir condamné à la relégation. Aveugle à la fin de sa vie, Galilée ne pouvait plus voir qu’au bout de ses doigts.

 

 

*Archives 8, 10 et 14 Mai 2017 ; **d’une attaque cérébrale, ça ne s’invente pas ! ***Calvaire : étymologiquement, le crâne. ****ainsi l’amiral Nelson, dont le cadavre pour être rapatrié sans trop de dommage fut plongé dans un tonneau rempli d’eau de vie (épicée de camphre et de myrrhe) hissé en haut du mât. On ne peut s’empêcher de penser que cela était inutile, Nelson ne succomberait pas au chant des sirènes ! Une fois à Gibraltar, on mit le corps de l’amiral dans un cercueil lui aussi rempli d’eau de vie – mais doublé de plomb ; il fallait qu’il arrivât le moins endommagé possible à la maison, en Angleterre.

Addendum : la dépouille de Lénine fait l’objet de soins constants et réguliers. Elle est conservée dans une solution d’alcool et d’acide d’une part, ses organes et viscères dans de la paraffine, glycérine et autres … de l’autre. Pour l’éternité !

 

 

le temps le long des mots

11 Mai 2021 , Rédigé par pascale

 

 

J’entends à chaque instant

le grincement aigu de la Terre

        sur son axe

*

 

L’isoletta

        posa sur l’eau bleue

        son nom de fruit rouge

       

*

 

Autour du rouet

tournent les heures

        filent les ans

        choient les fondrilles

 

*

 

L’étrange silence de la pluie

au-dessus des nuages,

certains matins d’hiver

même le vent est gris

*

 

Je regarde le mot passer par la fenêtre,

et vois le ciel brisé

filer vers l’infini.

*

 

J’ai mis plus de silence entre mes mots

Qu’il n’y a de bleu dans les ciels d’été.

*

 

Je n’eus pas le temps d’écrire

Le mot

              N

V e

                     T

Qu’il fila, ébouriffé

         P

                      ttttt

F

*

 

Chaque jour, proème de son lendemain

jusqu’au dernier.

 

*

 

Du sol au soleil,

je vais franchissant l’arc-en-ciel

 

*

 

Le temps,

un vieillard qui naît chaque matin

 

 

 

La langue verte ou l’éblouissante faconde

6 Mai 2021 , Rédigé par pascale

 

 

On ne pourra pas dire qu’il fait triste, gris, mélancolique, que les temps sont ennuyeux et les heures maussades ! Pourtant, ce futur cache un passé, et s’il arrive dans votre présent, vous êtes assuré de vous payer quelques bonnes tranches de relâche, sans recourir à aucune technique préalable, sinon celle dont nous avons oublié qu’elle a presque notre âge : savoir lire.

           

Voici donc pour la première fois réédité depuis 1930, par les éditions La Mèche Lente, le livre de Pierre Devaux – La langue verte – petit monument mentholé au poivre, à la gloire du parler argotique de ces années-là, qui ne manque pas de nous rappeler qu’un idiome parallèle, c’est comme un circuit du même nom, ça s’organise, disons que c’est tout sauf le chaos … ou le foutoir si l’on veut encanailler le propos, il faut bien se préparer. Pour nous, Devaux aplanit un peu le terrain et commence par une sorte de glossaire réjouissant, histoire de ne pas nous laisser nous dépatouiller avec des pratiques et des usages de paroles mal connus de certains – l’écrivant, je me demande s’il ne pensait pas qu’un jour il faudrait initier ceux qui n’entraveront que pouic à cette langue pourtant rutilante telle l’herbe rafraîchie par une pluie d’orage. Aussi, ce glossaire n’en est pas un bien sûr, il vous envoie directement dans le grand bain, lisez un peu : « Putain de moine, y a du linge ! » vous écriez-vous en apercevant une jeune femme élégante. On n’abusera pas des extraits, tel un fruit défendu, La Langue verte pour être dégustée doit succomber à ce qu’il faut de tentations – je m’y emploie – sans céder à la révélation, le plaisir en serait tout ramollo.

            Cela n’exclut pas de dire que ce baptême bien peu religieux, plus vaillant que verdelet, dans le ton vif intense de l’ensemble, est à lui seul déjà un régal. Les phrases y sont court vêtues sous lesquelles passent un petit zef malin-coquin. Il précède Les Propos de l’Affranchisous-titre « Aventures de Pierrot-les-grandes-feuilles » – concocté d’illustrations en saynètes, mises en musique, travaux pratiques et dirigés, et autres écritures d’application. Et là, on dira pour rester pudique, que Pierre Devaux, s’en donne à cœur joie. Chaque petit récit, aventure, chaque invention de son cru – vert cru – dédiée à un contemporain, ramasse sous un pinceau en double et triple teintes – cela pour faire obstacle aux mots en demi-teinte – des situations aussi abracadabrantesques qu’il se peut, cousues par un fil rouge qui n’est ni de honte ni de timidité, mais d’effronterie appuyée. Très alerte dans le maniement du parler argotique, cela va de soi, Pierre Devaux excelle dans l’invention écrite des mauvais accents étrangers, anglais et italien, tels qu’ils se parlent en français des faubourgs mais par des hommes politiques qui n’y pigent rien, autant dire que le seul effort à fournir est de se laisser glisser. Les évènements, circonstances et personnages s’y prêtent, ces derniers de chair, d’os et de condition réels – au hasard pas moins que la british family royale. Sur les tapis de Buckingham Palace, le narrateur appuie (ses) pingots comme vous et moi sur le sol de notre cuisine.

            Des anonymes célèbres, des célèbres oubliés et même des inconnus de tous, font de ce petit livre heureusement exhumé, un cortège magnifique de forts en gueule – non qu’ils seraient des braillards institutionnels, ou auto-proclamés, de ceux qui s’autorisent de leur propre vulgarité pour attirer d’hypocrites hommages – mais d’authentiques usagers d’une langue forte, aux règles établies, dont le louchébem est probablement la plus connue, mais il y en a d’autres, le javanais par exemple ou le larteaumic. Paradoxalement la langue verte de ces années-là est fragile, Pierre Devaux l’avoue, ses mots se démodent dit-il, ce qui sonne comme une perte, un appauvrissement, un déficit, quelle que soit par ailleurs leur crudité flagrante, laquelle est loin d’avoir été euphémisée dans ces pages, et c’est un euphémisme justement ; qu’on se le dise !

Il y a dégradation, dépérissement, voire extinction, si, d’une langue vivante on oublie les usages les plus créatifs, inventifs, qu’ils se rétrécissent au point de disparaître ; ceux de la langue verte sont indéniables, n’omettant ni les métaphores, elles sont légion, ni les déplacements de sens, ni les effets de sons, ni les redondances volontaires, les accumulations de synonymes (ah ! que de leçons d’abondance et de prolixité !) ou le surusage des écarts avec la norme instituée et apprise officiellement, leur caractéristique linguistique la plus évidente. L’argot phagocyté par le système, comme on dit de nos jours, n’est plus l’argot mais une affectation mal venue. Ce livre ressuscité a au moins trois mérites : le premier, celui de la bourrasque d’un jour d’hiver en bord de mer – clin d’œil au texte Le Grand Prix de Deauville – démontée, embruns, écumes et sable, cela ravigote ! et nous sort, si toutefois nous y mettions même un orteil, de l’univers raplapla des succès de librairie pré-servis. Le deuxième : nous rappeler qu’une langue n’est vivante que par création, créativité – et là, nous sommes en excès favorables – et non par abandon. Ceux qui me connaissent un peu savent que c’est mon combat absolu - je n’y reviens pas ici comprenne qui sait, qui peut, qui veut. Le troisième : montrer comme il faut maîtriser les règles pour pouvoir les dézinguer (contamination argotique !), ce que Devaux fait admirablement, voilà pourquoi en lisant ces pages, on en oublierait presque que cela est écrit ! Aussi, puisque j’ai tenu promesse de ne pas abuser des citations ni même des extraits, voici, juste pour finir, comment Pierre Devaux parle de Rome avec une lichette de tendresse qui ne dit pas son nom, au début d’un chapitre totalement iconoclaste, effronté, inconvenant, politiquement très incorrect ; bis repetita, qu’on se le dise !

 

Il n’est que 10 plombes et déjà, protégé par des légions de salade romaine, ce trèpe* moitié mandoline et moitié limace noire s’écrabouille sur les sept collines de la Ville Éternelle, au risque de les faire s’écrouler dans le Tibre, cours d’eau crachoteur et triomphant, témoin des horreurs de Néron et de la môme Pompeïa. *public, attroupement.

*

 

La langue verte, les éditions La Mèche lente, 2021, 96 p. 16 €, port gratuit.

On peut s’adresser directement à l’éditeur, en allant sur le site : https://editionslamechelente.fr/ ; (ou me joindre ici par le courriel de « contact » je ferai le nécessaire pour que ce livre vous parvienne.)

On lira avec grand plaisir la présentation de l’éditeur, Vincent Dutois, qu’on remercie vivement de son abnégation pour avoir mené à bien cet herculéen travail par les temps qui courent … (et m’avoir permis de commettre quelques très très modestes lignes en avant texte dans l’ouvrage.)

           

Broquille du lundi. Le doux son d’un « e » muet et masculin.

3 Mai 2021 , Rédigé par pascale

 

Les élèves se préparaient à la prochaine visite culturelle. Claude, qui les accompagnait, ne goûtait guère les animations qui les sortaient du lycée, on ne savait jamais comment cela pouvait tourner. Il était loin le temps où, pour échapper un peu à la morosité des cours, on se contentait d’attraper des scarabées pour leur arracher les ailes. A l’apogée de sa carrière, l’illusion avait bel et bien disparu. Après avoir passé l’essentiel de son temps à enseigner les sciences naturelles, rebaptisées plus tard biologie… androcée et gynécée n’avaient pour lui plus aucun secret, ce qui n’était pas tout à fait le cas pour ses élèves. Mais, qu’importe ! Sigisbée honnête de l’instruction publique, pas question d’en être aussi le coryphée, ni mourir au colisée de l’ignorance… encore moins qu’on lui érige un mausolée. L’empyrée qu’on lui avait promis en entrant dans la carrière, était un mirage définitif pour l’athée de l’enseignement qu’il était devenu, ne croyant plus à rien, renonçant à peu près à tout. Il fallait, dorénavant, emmener les élèves à l’athénée, au musée… que sais-je encore ! Toute son éducation au prytanée lui avait au moins appris à jeter un conopée pudique sur ses ambitions, et se sentant doucement glisser dans le ténébreux hypogée de la rancœur et des regrets, véritable macchabée de la cause enseignante devenu, ses cours demeuraient tout aussi inconnus à son auditoire que le lépisostée à spatule au commun des mortels, ou la machine à laver au pygmée de forêt équatoriale.

 

Reste impossible à caser tout un petit inventaire (non, qui n’est pas à la Prévert, Claude n’est pas prof de français grrrrrr et même !) je dirais mieux, un tout petit inventaire des noms masculins porteurs de ce ‘e muet’ final qui fait la gracieuseté même de notre langue française, sans condition ni genre. Mais voilà, autant je peux agrafer un camée au revers de ma veste en pongée de soie et en remonter le col pour ne point subir les attaques glaciales du borée hivernal, autant je ne sais pas quoi faire du caducée qui me tombe des mains, un trophée ? du trochée claudicant, une longue/une brève, du spondée qui se traîne, une longue/une longue, et quelques autres encore qu’on m’accusera à juste titre de maltraiter pour le plaisir de ma juste cause… laquelle est en train, doucement, doucement, de tomber à son périgée. Certes, je ne suis pas futée futée, de mener jusques en mes propylées vos périssables bonnes volontés.

 

[comme tout Exercice de Style, celui-ci exige charité et indulgence de la part de ses lecteurs ; l’idée – détournée – m’en vint à la question que me posa l’autre jour Éléonore - bientôt 7 ans-  : pourquoi le mot fleur, qui est féminin (bravo !) n’a-t-il pas de « e » ? (in petto, je me dis : ciel ! qu’a bien pu te dire la maîtresse pour en arriver là ?) ergo, par esprit de curiosité (autre mot féminin sans 'e' final) constructive, j’ai cherché des mots masculins – non épicènes – porteurs de ce « e » si mélodieux.]