Mélanges, miscellanées, miettes, XII
« Son âme marron clair nageait dans ses yeux », ce qui, en sus d’une splendide formulation – ce qui n’est pas une formule n’est-ce pas – fait un alexandrin sans le moindre heurtement ; encore faut-il user – avec plaisir – de la diérèse pour prononcer ces yeux qui allongent un regard dans lequel on se perd. Une trouvaille, une de plus, chez Michel Chaillou.
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Son fils, Louis, puis le fils de celui-ci, Louis, étant morts avant leur père et grand-père, Louis, ce dernier ne peut compter que sur son arrière-petit fils, Louis, pour prendre la relève, avant de mourir lui-même. Pourtant, on nous apprend à l’école que Louis XV a succédé à Louis XIV ; ce qui est une sorte de fausse vérité. Louis de France a 50 ans quand il succombe – 1711 ; son fils, Louis, duc de Bourgogne en a trente quand il trépasse l’année suivante, 1712 – comme quoi avoir eu Fénelon pour précepteur ne protège de rien ; Louis le Grand, leur survivra jusqu’en septembre 1715, ce que tout le monde sait, date à laquelle, à 5 ans et quelques mois, le petit Louis, sera le quinzième à porter et ce prénom et ce royaume en ligne … directe, puisque seul survivant de la famille. Sans oublier quand même que l’arrière-grand-père qui se disait solaire – 6 enfants avec Marie-Thérèse d’Autriche – endosse une multi paternité de 16 à 18 autres, dont 8 légitimés. Les petits cancans de la grande Histoire, prétendent que l’enfant ne voulait pas qu’on le nommât par ce prénom, il est trop triste, aurait-il dit.
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Chacun se dit ami ; mais fou qui s’y repose/Rien n’est plus commun que ce nom, /Rien n’est plus rare que la chose. (Jean de la Fontaine, Fables, livre IV, Paroles de Socrate, XVII) ; on peut aussi relire Plutarque : De l’inconvénient d’avoir trop d’amis. (in Œuvres morales) ; et se souvenir que Perros écrit amythié, pour marquer la part ogresse du mythe, de la légende, de l’illusion donc, dont l’amitié se nourrit – ou son nom – si souvent. Y revenir.
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Curieuse, crieuse, rieuse, la mouette, tout sauf muette : (illustration du procédé d’écriture appelé bourdon, déjà décrit)
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Un critique malveillant est, en français « vieilli » ou simplement cultivé, un zoïle, depuis le latin, par le nom d’un grammairien scrupuleux – 4ème siècle av. J-C – Zoïlus, lui-même provenu du grec. Et un pouacre (vilain pouacre faisant pléonasme), une personne dégoûtante, répugnante. Parfois, ils s’acoquinent en une seule : un zoïle pouacre ou l’inverse. Parfois, seulement, car chacun aura remarqué que la critique – l’examen minutieux – d’un ouvrage se doit, dorénavant, d’être bienveillante, et plus si possible.
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On veillera à ne pas confondre, à l’écrit, argyrophylle – qui se peut dire de la couleur de feuilles, par exemple, d’un blanc d’argent, un blanc argenté, avec argyrophile – qui est attiré, chimiquement ou biologiquement, par l’argent, Ag, ou les sels d’argent. Se peut-il néanmoins que des feuilles argyrophylles soient aussi argyrophiles ?
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« il a paru préférable, pour la diversité du récit, que le beau temps persistât une heure de plus. ». Formidable ! (Jean de La Ville de Mirmont)
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On aime toujours autant les Nouvelles en trois lignes – 1906 – de Félix Fénéon :
Pour avoir un peu lapidé les gendarmes, trois dames pieuses d’Hérissart sont mises à l’amende par les juges de Doullens.
Louis Lamarre n’avait ni travail ni logis, mais quelques sous. Il acheta, chez un épicier de Saint-Denis, un litre de pétrole et le but.
Allumé par son fils, 5 ans, un pétard à signaux de train éclata sous les jupes de Mme Roger, à Clichy : le ravage y fut considérable.
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J’ignorais que le Préfet de Paris, Eugène Poubelle, fût né à Caen. (1831). Et vous ?
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Menu d’anniversaire d’Alfred Jarry, le 8 septembre 1905.
En haut à gauche : Vin de première qualité, et à droite : liqueurs, Cassis violent, Marc, Pernod.
Hors d’œuvre : Cornichons du Jardin des Plantes
Entrée : Langouste Papesse Jeanne
Rôti : Entrecôte tripode verdoyant. Légumes : Croquettes de la trente deuxième
Entremet : Crème dentifrice maison chocolat
Fromage blanc Matador
Desserts : Fruits verts ; Ceux qui bisquent.
On raconte que sa dernière volonté – il meurt à 34 ans - fut de demander un cure-dent. Aucun rapport, ou presque, un autre cure-dent fut célèbre dans l’Histoire, celui que l’amiral de Coligny, mort horriblement la nuit de la Saint-Barthélemy, gardait sans cesse en bouche, y compris pendant les plus âpres batailles.
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« il y en avait trois fois dix, je crois, ou cinq fois six ; ou deux fois cinq, puis dix et dix encore ; ou quatre fois six et deux fois trois ; ou quatre fois sept, plus un et un ; ou dix fois deux, et une dizaine ; ou trois fois quatre additionnés avec deux fois neuf ; ou deux de moins que quatre fois huit ; ou deux fois treize et une fois quatre ; ou six et neuf additionnés avec huit et sept ; ou deux fois sept complétés par deux fois huit ; enfin, pour ne pas t’ennuyer plus longtemps, il y en avait trente au total » (Lettre d’Ausone, gallo-romain du 4ème siècle à Théon, pour le remercier de son envoi d’huîtres, qu’il jugea suffisamment grosses mais insuffisamment nombreuses.)
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Dernières nouvelles des écrevisses, dont les espèces nuisibles – il y en a – sont à pêcher quelle que soit la saison. Retenons, l’espèce américaine, grossière et envahissante, comme chacun sait, qui, de plus, véhicule la peste des écrevisses – aphyanomycose astaci. Il est savoureux de savoir – et de rappeler – que la pêche à l’écrevisse se fait à la balance, laquelle est lestée avec du plomb. Une balance se doit d’être lourdingue, en effet.
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Pour finir, irrésistibles à nouveau, ces lignes de Chaillou : Elle dort avec tous ses diamants. Quand elle ronfle, un bruit de pierre et d’os.
J’ai tellement envie que la rue ressemble à ce que je lis que j’invente la boue aux jointures des pavés. La porte s’est un peu déhanchée, l’immeuble tassé.
Lire,
ce devrait être un événement provisoire mais accompli, s’achevant dans un sentiment d’inachevé ; éphémère par obstination : autant de mots accouplés à leur contraire pour, d’emblée, faire un sort à la facilité, indiquer que l’heure est venue de refermer les portes ouvertes.
Il y a bien des mystères que l’on ne veut interroger : pourquoi un texte, s’il est gardé par-devers soi n’atteint pas sa plénitude significative, herméneutique, euristique, émotionnelle, et qu’il lui faut la médiation d’un lecteur pour y parvenir, pour devenir – et par quelle transfiguration – ce qu’il veut dire ? En termes aristotéliciens cela signifierait que lire est l’acte de la puissance d’écrire, non dans un sens négatif mais exclusif : il n’y a rien d’autre qui permet cela. Rien. Rien – sinon (le) lire – ne donne à un écrit son sens, sa signification, sa justification, sa raison d’être. Nous excluons donc, ici, toutes les lectures de stricte information ou communication, nonobstant leur irrécusable dimension utilitaire, leur nécessité absolue tant dans la vie individuelle que commune ; avec elles, exclues aussi toutes lectures d’ouvrages dont le contenu est pré-adapté au goût et aux attentes de ceux qui les acquièrent par la sorcellerie des procédés de commerce, mais vont nous servir de contre modèle, d’indice ou de critère a contrario, de point de contact en creux. Nous anticipons là ce que nous voulons établir : toute lecture ne relève pas de ce que lire veut dire !
Nous sommes à ce point conditionnés à ne lire que de l’imprimé [cette transposition multitechnique de la trace si intime et quasi inimitable d’une écriture individuelle, avons-nous jamais pensé à cela ?] que nous escamotons, en amont, la valeur qualitative du travail qui permet de porter un écrit au rang de texte, parce qu’il détient en lui, le moyen de sa fin : être lu, au sens où nous l’entendons hic et nunc, hors de toute utilité ou intérêt dicible et jusqu’à penser que cet « escamotage » consubstantiel suffit. Pourtant, le livre, depuis que l’invention de l’imprimerie l’a disséminé dans le monde, le livre imprimé, en devenant un pléonasme est aussi devenu un objet autonome. D’aucuns parlent de métamorphose, serait-elle liée à des codes, obligations et savoir-faire strictement artisanaux ou industriels : choix typographiques, distribution spatiale du texte, parti pris de couverture, de titrage, de paragraphes, insertion de métatextes et autres caractéristiques qui présentent une œuvre sous un aspect unique à un lectorat varié et divers. Sans oublier que pendant quelques siècles au moins, un pouvoir nouveau supplanta celui des religieux et des politiques, le pouvoir des écrivains, depuis peu remplacé par l’omnipotence des commerçants-libraires, commerçants-diffuseurs, commerçants commerciaux, consommateurs-lectorats.
Malebranche aurait écrit quelque part, on se met à lire comme on se met à prier, ce qu’un inspecteur de l’Education nationale aurait rapporté dans son Journal pédagogique à la fin du 19ème siècle. Bien mal lui en prit, car il n’est pas certain que l’assertion soit féconde, sinon à ceux pour qui lire relève du suprahumain et le livre, objet chamanique ou gri-gri. Or, il n’y a rien dans la confection d’un livre, depuis son écriture jusqu’à sa lecture qui ne soit pas de facture strictement humaine. Rien. Mais au moins ce discutable rapprochement a le mérite de pointer la difficulté jamais résolue – l’aporie – qui enveloppe le rapport entre texte et lecture de texte, le passage de l’objet externe à l’effet intellectuel, cérébral, sentimental, émotionnel, en notre intériorité, notre intimité. Si l’on pouvait saisir ce point de basculement, on saurait peut-être, mais ce n’est pas certain, ce que lire veut dire. Nombreux ceux qui s’y collèrent, qu’il ne faut surtout pas confondre avec les bibliomanes, bibliophiles, bibliolâtres – qui adorent les livres à l’égal d’un dieu ; non point les livres – une catégorie de vrac – mais les enmaroquinés, les reliés de maroquins, qui vous transforment un homme en bibliofol endolori. *
Il y a d’abord une mauvaise manière de lire qui s’ignore : elle est due au recouvrement mnémique des textes (anciens, classiques) par des couches explicatives superposées jusqu’à la réduction, rendant impossible l’accès à une explication ou un sens différent, mieux, différant – pour le dire comme Derrida. Ainsi, Antigone, Créon ou Héraclite, sont respectivement devenus pour tout lecteur non spécialiste, la famille, l’État, le fleuve. ** Or, la lecture philologiquement herméneutique qu’a faite Jean Bollack d’Héraclite (mais il fit la même d’Empédocle), montre sans renoncement et même en recourant à la technicité du texte, que l’effacement par la substitution est encore la forme la plus puissante de l’oubli, autrement dit, qu’une lecture paresseuse, passive, installée sur de traditions fautives ou semi-fautives devient une lecture défectueuse, erronée, d’autant plus condamnable qu’il y a du vrai en elle mais définitivement bloqué, empêché par, et c’est paradoxal, la force des simplifications successives. C’est pourquoi, Bollack, et d’autres, ne savent pas lire sans un crayon en main. Non pour relever telle phrase qui ferait citation ou tuteur à la mémoire une fois reportée sur un autre support – ah ! qu’ils sont touchants les petits carnets, feuillets, cahiers, bouts de papier, des écrivains/lecteurs – mais pour travailler (sur) le texte, rapporter tel mot à tel autre, croiser tel et tel paragraphe, retenir telle difficulté, expression, obscurité … ou signaler un autre passage, livre, auteur. Dans Sens contre sens, *** Bollack encore développe comment il a longuement lutté contre l’idée fort répandue qui voudrait que tout texte – nous parlons toujours des classiques, des Anciens – est porteur de son sens comme s’il allait de soi ; cette doxa universitaire, imbriquée à la précédente – simplification à force de lectures non critiques (on rappelle ? que critique, signifie étymologiquement, précision, discernement) - mène immanquablement à des déviations, des significations qui font obstacle au sens. En exergue à la deuxième partie de ce livre d’entretiens titrée « Comment j’ai recherché le sens : l’art de lire », il cite Spinoza **** pour lequel il est impossible, lisant un livre difficile (dans des termes extrêmement obscurs) si nous en ignorons l’auteur – qui il est vraiment et non comment il se nomme – en quels temps et occasions il fut écrit, d’en connaître le sens. Voilà pourquoi lire, est un accomplissement, une construction et même une reconstruction. Parce qu’on entre dans une syntaxe, des relations, une sémantique, des fonctions, structures, un ordonnancement, parce que des mots, certains, font insistance et rayonnement ; que la constitution du sens ne se peut offrir mais doit se dégager en luttant contre ses propres lenteurs ou ses légèretés, ses rapports avec les interprétations traditionnelles, ce qu’il nomme le stade de la non-connaissance, une facilité qui se contente du sens attendu, celui dont on s’est satisfait parce qu’abusivement légitimé et contre lequel il faut appliquer un doute féroce et instruit, féroce parce qu’instruit. Et Bollack de défendre et revendiquer la lecture comme travail technique et oser affirmer qu’elle se doit d’être savante. Sinon, elle est occupation de temps disponible.
Lire – les classiques et les Anciens – c’est aller à la recherche du sens d’un texte et le construire, c’est le produit d’un savoir-faire et le résultat d’un jeu savant. Voilà pourquoi on peut légitimement parler du travail de lecture, celui qui met à jour tous les principes de la composition d’un texte, laquelle va nous mener – pourvu que nous pratiquions l’exercice avec compétences – à la magie d’une mathématique mystérieuse, expression remarquable qui autorise l’analogie avec la musique, dont la connaissance des complexités techniques et strictes, non seulement ne fait pas obstacle à la passion et l’admiration qu’elle suscite, mais l’amplifie. Ainsi, il n’y a de lecture digne de ce nom sans une fascination pour les mots, leur pouvoir de faire sens en s’organisant en texte, dont les parties et les moindres composants – mots, placements, choix, étymologie, ponctuation, conjugaison, concordances, préfixes, suffixes, synonymes, décisions syntaxiques – sont, séparément, sans la moindre charge ni portée, mais l’agencement calculé, fin, volontaire, décidé, obtenu de haute lutte parfois, fait œuvre, opus.
On trouvera cela fort éloigné de ce que chacun entend et pratique sous le nom de lecture, jusqu’à n’avoir rien à y voir. Envisageons d’inverser ce grief plutôt que le retenir sans lui porter argument, les habitudes les plus courantes et les plus partagées s’auto-légitimant sans peine : ceux qui revendiquent la pratique de la lecture comme essentielle, vont plaider contre une sévérité de mauvais aloi, austérité, intransigeance, rigorisme et autres rigueurs : lire est un plaisir, un loisir, une passion qui (nous) fait du bien, dont nous avons besoin, qui (nous) change les idées, nous ouvre au monde ! Les stéréotypes persistent qui poussent à acheter les « meilleurs » romans de la saison, biographies et livres de confidences, d’intimités, d’exploits ou d’aventures, pour passer le temps ou se divertir. Lire ainsi, c’est ne pas prêter attention à cette incroyable alchimie qui, par les mots, les syllabes, les ponctuations, la grammaire, l’agencement des phrases, fait du sens, mais laisser dérouler devant ses yeux une histoire, une narration, un récit, dont l’intérêt est d’autant plus grand – et trompeur – qu’il sert de miroir, parfois inversé, à son lecteur, qui, se croyant passionné de livres et de lecture, n’a fait qu’y entrer passivement et en sortira réjoui. Il serait injuste en revanche, d’imputer cette faute majeure au seul lecteur. Sa soumission, son inertie, sa servilité qu’il appelle lecture, sanctifiée à tous les étages et sans raison patente, ne sont qu’adhésion à des écrits indigents dans lesquels, à l’exigence portée aux mots, leurs synonymes, leurs nuances, leur rythme on oppose, dans les faits, sinon dans les déclarations, le refus des difficultés sémantico-syntaxiques, le rejet des mots rares, le choix de la narration ou de l’intime individuel exposé au monde entier, désormais seules offres possibles, un terme mercantile dorénavant assumé.
*in Bibliophiles et lecturomanes – éditions Plein Chant – 2017 ; **Jean Bollack in La Grèce de personne – Seuil – 1997 ; *** sous-titré Comment lit-on ? Presses universitaires du Septentrion 2018 ; **** in Traité théologico-politique.
bien fol qui s’y fie
Dans le Figaro du 17 août 1856, on apprend que Charles VI (1368-1422) « ayant établi des foires à Niort, Fontenay et autres pays, quantités de colporteurs vinrent s’y installer. »
Il n’en fallait pas moins pour intriguer, à l’heure du café noir et d’un mauvais grain attardé depuis la nuit dans le ciel de ce matin de Septembre. Passe encore que la presse ne s’en tint pas à rapporter les nouvelles fraîches, mais qu’elle fît des chroniques historico-locales âgées d’environ un demi-millénaire a de quoi piquer un esprit fouille-au-pot. Las ! cette entrée en matière n’était que d’artifice pour parler d’autre chose, car des foires de Niort, de Fontenay ou d’ailleurs ; de Charles, très fol de temps en temps, père des 12 enfants qu’il eut avec son épouse Isabeau de Bavière, et d’une fille, Marguerite, avec sa maîtresse Odinette, Odette de Champdivers ; qui connut la révolte des Maillotins, qui tuaient prioritairement les collecteurs d’impôts avec des maillets, de fer ou de plomb, c’est plus efficace ; ou des Marmousets qui l’entouraient de très près : rien, pas un mot, une poussière, un souvenir, une allusion, pas une raison, une relation, une explication : mais pourquoi donc Charles VI était-il convoqué là ? celui dont Michelet rapporte, un brin lyrique, sinon la première du moins l’une de ses plus célèbres crises de démence dans la forêt du Mans. C’était le milieu de l’été, les jours brûlants, les lourdes chaleurs d’août. Le roi était enterré dans un habit de velours noir (…) à peine une métaphore, certes vivant il était, il tua quatre de ses hommes, mais dans son inconnue maladie, c’était un mort-vivant. Un autre trait de sa folie, et ce n’était pas le plus fol, c’était de ne vouloir plus être lui-même, point Charles, point roi. Michelet toujours.
Il fallut bien, dans un mouvement de frustration légitime, abandonner et le fol et les foires, pour rencontrer les colporteurs, eux aussi prétextes de l’article dont le premier mérite, mais non le seul, fut de nous détourner d’un lambinage dominical annoncé. A la quatrième phrase, j’apprends, les lecteurs du journal du 17 août 1856 aussi, que les négociants sédentaires en furent fort marris et s’organisèrent. Marcelots, pêchons, melotiers-hures, ainsi se nommèrent-ils entre eux pour n’être compris de personne ; ainsi font tous ceux qui se veulent protéger des intrus, ils verrouillent les moyens d’ingérence, les mots, le vocabulaire, les noms, en premier. Ce ne fut pas sans réplique. Le petit monde et nouveau venu des gens sans aveu et d’abord sans domicile fixé, que ceux d’en face s’empressèrent de baptiser les larrons en foire, ces colporteurs et autres bateleurs venus d’ailleurs s’appelèrent, en retour, marcandiers ou cagous, et de bien d’autres blases encore ; le papier du Figaro, visait une petite ingérence dans le monde argotique à destination de son lectorat profane. Manière de s’encanailler à peu de frais. Aussi le même, ne manquant pas de (nous) rappeler les origines, maintiens et déclins, déformations et corruptions de tel ou tel vocable, dans une démarche didactique qui ne dit pas son nom mais ne cache pas ses intentions, le figaro de ce jour-là, par un petit toilettage, rasage, ébarbage et frisottage dans et entre les mots pour l’édification de ses lecteurs, rappelle avantageusement à l’heure du café crème et des croissants chauds ce que la pègre doit au latin peregrinus – le voyageur étranger qui, parfois pèlerin en pérégrination religieuse ou avec esprit de légèreté qu’on appelle pérégrin – et qu’il suffit de relire Rabelais, Marot, Villon, Ronsard et Montaigne, que du beau linge en bibliothèque !
En revanche, la pégraine – le mot – a disparu ; pas ce qu’il désignait apertement dans sa construction, mais avec une sorte de poésie en creux, une mélancolie dans le ton, la misère de la pègre ambulante – un pléonasme dorénavant indécelable – plus nombreuse que les graines jetées au vent des semailles. La réputation du penaillon, descendant miséreux de Penia Penia, déesse de l’indigence, s’attachait à la tolle, la maison où l’on peut toller, tollir, c’est-à-dire enlever, dérober, voler – relire Rabelais puisqu’on vous le dit. Dans un souci d’économie inconscient mais volontaire dans tout usage des langues, la chute de la finale du verbe fait ici d’une maison où l’on entre pour chaparder, chiper, faucher, une tolle, occasion qui fait le larron, pour rappeler aussi que cambrioler signifie, tout ce qui se fait dans la chambre !
De l’article qui faillit nous mener aux foires de villes et de villages sous le règne de Charles VI le Fol, saisissons ce joli et rabelaisien verbe, otolondrer, pour dire ennuyer, qui tourne autour de ses trois O comme autour du vide ; que si l’on s’otolondre dans la maison, taciturne, celle-ci devient une turne ; et qu’au lieu d’écrire qu’il pleuvait dru ce matin, il eût été élégant, sobre et assez incisif de dire il lancequinait et faire écho ainsi aux hallebardes qui tombent du ciel et en désuétude.
JOIE
Mon émotion & mon plaisir sont grands de vous présenter
Ce beau silence de flocons et de plumes
recueil de Noèmes
qu'Alain Borer m'a fait l'honneur & l'amitié de préfacer.
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Cet ouvrage (95 p) est une édition originale limitée & numérotée réalisée avec grand art, par l'imprimerie de Cheyne sur papier de belle qualité – Munken crème 100 g.
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Pour savoir comment l’acquérir à son très raisonnable prix, il vous suffit de m’écrire, soit par courriel privé, soit en laissant un message par la touche « contact » ou dans l'espace des commentaires ; sous réserve d’une adresse électronique valide je vous répondrai assurément, rapidement et privativement.
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(un léger problème technique ne permet pas une photographie de bonne qualité ; je tente, autant que cela m'est possible de le régler. Merci pour votre indulgence.)
Lucien, Empédocle, les autres et moi…
S’il faut honorer ses promesses, certaines s’y prêtent bien mieux que d’autres parce qu’elles ont été engagées pour des motifs égoïstes. Le mot peut choquer, il ne devrait pas : il signifie ici qu’en la formulant pour et devant d’autres, une promesse oblige et l’on n’a pas trouvé mieux pour se contraindre à la respecter soi-même. On est embarqué pour le dire comme Sartre.
En Juin dernier*, j’avais reproduit des extraits de trois lettres de mon Maître Lucien Jerphagnon. En voici d’autres, plus courts mais plus nombreux et divers, tandis que les lignes, qu’à l’époque j’écrivais en exergue, pourraient être recopiées à la virgule près. Pêle-mêle, et c’est volontaire, j’ai laissé parler le Maître, l’Ami, le Sage, l’Impertinent, le Complice. Ce qu’il était. J’ai supprimé en partie les dates mais j’ai respecté la chronologie. Et je garde pour moi-seule, définitivement, tout le reste.
*ibidem : Trois lettres – 12 juin 2021.
Le 6 janvier 19 ..
[…] Je ne suis pas en train de m’arranger : crèves à répétition (alors que j’ignorais pratiquement les misères de ce genre) et autres qui plus enquiquinants qui me valent moult indiscrétions de la part des toubibs. Ne vous pressez pas de vieillir.
Très affectueusement à vous.
L. Jerphagnon.
Le 12 octobre 19..
[…] Empédocle est le dépositaire d’une masse de symboles – à vous de fouiner. Une figure d’initié en même temps que de phusikos : de son temps, cela marchait très bien ensemble. Quant à sa doctrine… Tant de modernes ont cru pouvoir y inscrire leurs propres raisons !
Tel ou tel point de votre lettre. Dionysiaque ? Je dirais plutôt prométhéen. Dumont a un très beau mot « l’exilé de Dieu » (Éléments, p. 91 et s.). Empédocle in/quiétant ? – Je me dis qu’il serait plutôt porteur d’une « bonne nouvelle », en ce sens qu’il révèle, et que les hommes sont censés, l’ayant lu, savoir où ils en sont par rapport à tout ce cosmos, et par rapport aux dieux. Ils savent maintenant comment tout cela aurait été fait « au commencement », comme dans tous les mythes. « Au commencement », dans « ces temps-là », qui ne sont pas les nôtres.
Vous me citez vos lectures sur Empédocle. Il doit aussi y avoir quelque chose dans l’Histoire de la philo de Hegel. N’en manquez pas un : en toute hypothèse, c’est de la reconstruction, mais vous devez tout savoir. Voyez aussi Denis O’Brien, la pauvre mère Ramnoux aussi, et Burnet, et… Vous en avez pour un sacré bout de temps.
J’oubliais : la consolation ? Ça me fait drôle. Savoir, pour ces gens-là, ne console pas : cela illumine, plutôt. Ils ne sont pas (encore) assez individualistes pour s’occuper de leurs états d’âme.
Tout cela m’est une occasion de vous redire ma vieille amitié.
L.Jerphagnon.
Le 30 décembre 19..
[…] Ne bousculez pas Empédocle. Attendez qu’il « vienne ». Il faut du temps pour faire du solide et il vous est mesuré. Mais je vous connais : entêtée comme vous l’êtes, vous y arriverez !
Chaleureusement à vous, et à votre phalanstère (ça doit grandir, non ?)
L.Jerphagnon.
Le 19 mai 19..
[…] Tiens X … ignorait ce vice de jeunesse qui vous poussait à fumer la pipe en écoutant un cours im…pénétrable sur la seconde partie du Parménide, ou des choses de ce genre ?
[…] Bien pour « la grosse avarie ». Je ne savais pas que le joint de culasse entrait dans les péchés capitaux (de l’Eglise romaine) [Allusion aujourd’hui opaque pour moi, mais assez drôle].
Fidèlement à vous,
L.Jerphagnon
PS. Pierre Grimal vient de m’envoyer son Procès de Néron (de Fallois) avec « à mon complice et ami L.J en hommage ». Il a maintenant 81 ans et il continue, imperturbable. Ce fut, il y a de cela des années, une chance pour moi de le rencontrer. Rappelez-vous : « Toute hypostase procède de soi en même temps que de son principe ».
Le 19 juillet 19..
Chère Pascale,
Vous vous trouviez ce matin dans ma boîte aux lettres avec un prof. de la Fac de Lille et… le nonce apostolique, qui rentre à Rome et que j’aimais bien, pour avoir bricolé avec lui tel dossier délicat. Cela dit, votre idée est bonne de venir me voir à l’occasion. Ma femme vous invite à déjeuner. […]
Le 21 octobre 19..
Ma chère Pascale,
Vous savez qu’il a un charme fou, votre bouquin ? Je… comment dire ? j’avais une petite appréhension, du genre : « comment va-t-elle se tirer de ça ? » – Et puis, j’ai été embarqué par votre histoire, qui est une lecture « enthousiaste », au sens grec, d’Empédocle. Bref, je suis « parti ». Bon, il y a l’éclat d’une culture, avec ces mille et un reflets, si bien qu’on ne s’ennuie jamais. Il y a une insondable mélancolie. Revers de l’exultation. Des formules, parfois, qui coupent le souffle, et qu’on aurait envie de vous emprunter (mais on ne « pique » rien dans un temple…).
[…] Tout cela est original, originel. Vous êtes restée la même. Encore une chance. Ma femme et moi vous redisons notre bien fidèle souvenir.
18 juillet 19..
[…] Oui, soignez vos bleus, lisez, mais ne marinez pas dans des choses sinistres. L’idéal est de prendre un billet pour un autre monde, avec un roman policier aussi agathachris…tique que possible. Tenez, tapez-vous toute la série des Ellis Peters, en 10/18 : le frère Cadfael, qui vit au XIe siècle, (en même temps, tiens, c’est vrai, que mes ancêtres ! Ça, alors…) vous plaira. Allez tout de suite acheter La Vierge dans la glace, ou ce que vous trouverez. Dommage que l’auteur, une vieille dame, ait cassé sa pipe. Je ne m’en console pas. Je vous promets d’éviter cela, autant que possible.
Nous vous embrassons tous les deux, nous aussi.
L.Jerphagnon
Le 11 août 19..
[…] Calderón ? (…) je vous conseille de filer le thème qui apparaît chez Descartes, chez Pascal, chez Schopenhauer (qui étudie longuement Calderón dans Le monde comme volonté… I, 5, dans l’éd. des P.U.F., c’est p. 40- 44), chez Jankélévitch aussi, à propos de Platon (dans Philosophie première, P.U.F. 1954 p. 253-254). Et ailleurs… Bon courage !
Nous vous embrassons tous les deux. L.J
Le 15 février 19..
C’est une bonne idée de faire du Montaigne, précisément parce que « tout a été dit ». Tâchez de découvrir quelques échappées sur ce paysage si souvent parcouru. Et puis, cela va vous entraîner vers l’avant et vers l’après. Vous me raconterez ça.
Ma moitié s’est bien amusée, quand elle a appris que vous aviez retrouvé votre vieille pipe des années (…) – vous étiez, précisément, « la-jeune-fille-qui-fume-la-pipe » dans nos éternelles conversations sur nos étudiants. Moi, cela fait bien huit ans que j’ai « renoncé au péché ». Bien, votre choix en Term. L. et votre rapprochement Eros/Harmonie n’est pas hérétique, à mon sens.
[…] Nous vous embrassons tous les deux, vous souhaitant, à vous aussi, bon courage.
L.Jerphagnon.
Le 16 juillet 19..
[…] Attention, vous évoquez, à propos de la douceur, celle que Hadot, après Porphyre, prête (généreusement) à Plotin. J’ai pondu là-dessus un article (je crois que c’était dans les Mélanges P-M. Schull) démontrant le contraire, et nul ne m’a contredit. Il faudra que je vous retrouve ça, même si c’est un point de détail. [Précision manuscrite dans la marge : « Je l’ai retrouvé… »] Investissez-vous là-dedans. Cela vous aidera à vivre d’autres histoires. Je suis de votre avis touchant cette question de « style », et considère que Sartre a écrit là une connerie. Mais, bon, que celui qui n’a jamais… etc.
Bien, votre acceptation d’une participation à ce truc à Fontenay [i .e la présentation, à l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay-aux-Roses de mon travail : « Raison et Passion chez Saint-Evremond »]. Il faut devenir incontournable sur tel ou tel point, sur tel ou tel type.
Nous aussi, nous vous embrassons bien affectueusement.
L. Jerphagnon
Le 29 octobre 19..
[…] À propos de X, je lui ai écrit au sujet de ce dont vous me parlez. Curieux qu’il investisse tant, affectivement, dans une question qui pour lui, et il le dit, fait partie de ce que les Stoïciens appelaient adiaphora, les « indifférents ». Pour lui, pas pour les Stoïciens, qui étaient panthéistes (et qui croyaient donc, si j’ose dire, à un gros bon Dieu…). Curieux aussi qu’il ait une certitude là-dessus. Moi pas. Est-ce universalisable ? Pour moi, non. Et je me dis que si vraiment il était athée, sûr de l’être et tout (ce qui est une position dogmatique), il ne mettrait pas cette sorte de … comment dire ? – d’exaltation répétitive à ce propos. Il s’en foutrait. C’est pourquoi je ne suis pas le seul à porter ce jugement. D’autres m’ont fait la même remarque. Et je vais finir comme Paul Valéry quand il s’était bien empoigné à un dîner à propos de ceci ou de cela : « Et puis, après tout, on s’en fout… ». A chacun de voir.
[…]
Le 8 décembre 20..
Carte Bristol : Lucien Jerphagnon, Professeur émérite des Universités, Membre correspondant de l’Académie d’Athènes
Ma chère Pascale,
N’engueulez pas cet article [Il s’agit de la retranscription de la communication présentée à l’ENS. : « Passions et raison chez Saint-Evremond »] : il est très bien, avec même des bonheurs de plume.
Un souvenir chaleureux des Jerphagnon(s).
L.J
10 Janvier 20..
Carte postale : « Nîmes. Musée de la Maison Carrée »
Merci pour votre gentille carte, vos vœux, votre fidélité. A vous aussi, bonne année, et une santé inoxydable : le reste, bof, on s’en arrange ! Sérénité : ce serait le mot d’ordre, non ?
Très amicalement à vous,
L et Th Jerphagnon.
Le bonheur de parler français
Comme toujours revenons aux racines et balayons les croyances. Le sens commun, oublieux des premières et se réfugiant dans les secondes, se satisfait à bas coût de significations imprécisées et finalement erronées, usant de termes eux-mêmes usés au laminoir de l’à-peu-près, l’un des moyens les plus efficaces pour que tout le monde y trouve son compte, ou que personne n’y trouve rien à redire. Ainsi vont désormais un certain nombre de termes qui fleurissent avec d’autant plus d’aplomb qu’on ne les arrête pas, parce qu’il n’est pas convenable de corriger son prochain serait-il fautif et parce qu’il est bien vu et bien venu de barboter dans la même double néo-communauté linguistique : celle qui reprend jusqu’à la nausée et systématiquement les mêmes termes défectueux – la liste s’allonge chaque jour – et celle qui tresse dans la honte nos formulations les plus simples, les plus spontanées, les moins techniques – de termes anglais rafistolés entre eux, sans la moindre logique, oublieux – ce qui est fort pratique – des articles, des accords, et du sens en français de ce qu’on voulait dire, du moins le croit-on.
J’entendis, il y a peu, en restai sidérée et coite sur le moment tandis qu’elle me taraude depuis, l’expression free hug dans un échange par ailleurs linguistiquement satisfaisant ; ce qui montre le degré d’acceptation et donc d’intériorisation auquel les plus nombreux – y compris les moins soupçonnables a priori de brutaliser la langue - sont dorénavant parvenus, conséquemment, le rejet accompli, à peine voilé, et toute honte bue, de la langue française. Le pire, peut-être, en cet instant précis, est d’avoir éprouvé la gêne de celui/celle qui ne se sent pas à sa place, devant qui la complicité de la transgression heureuse s’accomplit mais sans vous, signifiant ainsi qu’on vous laisse à vos vieilles lunes, qu’un jour, vous finirez par comprendre que vous êtes, définitivement … has been ! Passe encore qu’on se fasse ajourner pour abus de mots français choisis hors des petites réserves courantes ; mais, qu’on vous reproche, y compris tacitement, d’assumer votre refus de l’anglobal, de l’anglolaid – parce qu’il y a, toujours, partout et à chaque fois, des mots (en) français parfaitement convenables, finit par user, voire attrister. Ce n’est pas comme si nous évoluions dans un parler pauvre, dépourvu de synonymes, de nuances, sans passé, sans racines, sans textes, sans littérature, sans grammaire, sans articles, sans genre, sans mode ni temps conjugués à toutes les personnes, sans exceptions remarquables, sans figures de rhétorique, y compris les plus fixées par l’usage … mais parfois on se le demande ! Il est vrai que embrassade, cajolerie, bisous, accolade, et aussi câlin, sont à proscrire puisque nous disposons de hug, n’est-ce pas, et qu’en l’accoquinant avec free, nous évitons d’avoir à choisir entre spontané, machinal, direct, impulsif. Il va falloir s’excuser de disposer d’une langue riche, bien trop riche, tellement riche, qu’on ne sait plus comment dire, et que, pour remédier à cette pénurie des pénuries, on n’hésite pas à se jeter dans les bras du premier venu, free hug !
Le même jour, mais c’est chaque jour, je relevais en moins de deux minutes : trois manquements flagrants, à l’oral – je n’ose imaginer l’écrit – à l’accord du participe d’un verbe conjugué avec avoir (les propositions que j’ai faitES etc.) et le remplacement du mot récit, - le plus court – ou anecdote – c’est plus long ! – ou histoire – le plus proche – par story ! La story du jour ! Idem (pardon pour le latin, il va bientôt falloir faire repentance, mais je l’ai trouvé, sous mes yeux ébahis orthographié idaim !) pour votre vie, devenue votre life. Si les adultes, donc les parents et les enseignants compris, commençaient par proscrire ce genre de laisser-aller, les enfants, futurs adultes, n’ingéreraient pas cette bouillasse infâme, dont l’un des effets, mais l’un seulement, est le rejet de l’écrit français bien écrit.
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Il faut quatre générations pour qu’une langue s’écroule. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Alain Borer qui poursuit : les deux premières étant largement à l’œuvre – par oralisation, changement d’oreille, compénétration et imitation (…) de la langue-du-maître. Ce qui comprend, lexique et grammaire, représentations et comportements, lesquels subissent ce travail de sape depuis deux générations déjà. Filons la métaphore : d’une maison effondrée, il ne reste pas rien, mais un tas in/forme de morceaux qui, bien que l’ayant construite, sont cependant incapables, une fois à terre, de la redresser. Fin avril 2021 paraissait dans la collection TRACTS*, chez Gallimard, et pour 4.90 € ! une presque cinquantaine de pages sous titrées Pourquoi renoncer au bonheur de parler français ? question faisant sellette à l’objurgation terrible et retentissante, terriblement retentissante « SPEAK WHITE ! ». Ce n’est pas que je le découvre là, je l’ai lu dans son encre à peine sèche. Mais j’ai laissé passer l’actualité, il y eut de beaux et complets articles et entretiens ; alors, que dire de plus ou comment le dire autrement ? ce serait faire offense à cette démonstration précise*, brillante, parfaite, et je me suis auto-absoute de mes insuffisances un peu vite, je le confesse... Certes il n’y a que de mauvais coups à recevoir en défendant notre langue, et ce free hug me revient en pleine figure, additionné aux life, story, et autres sorry, closed, à longueur de journées – il est vrai que désolé et fermé sont offensants, n’est-ce pas ? – j’ajouterai, solécismes, impropriétés, en un mot, massacre de la langue française. Fermez le ban.
Et relisant une fois encore – j’ai toujours été scrupuleuse avec les textes – j’arrive à ces lignes où, avec raison et passion, Alain Borer admoneste, empoigne et engueule : tant qu’il s’agit de montrer, même dénoncer, mieux encore, réveiller, il se trouve des parleurs et des phraseurs, et plus on nous parle de haut – les politiques et autres responsables prenant dorénavant fait et cause pour la langue française, comme pour la planète et pour la santé – moins on agit, plus on trahit ses engagements, plus on ne bouge pas ! Et ce – c’est moi qui l’ajoute – jusque dans les vitrines des librairies, où ce TRACT aurait dû se trouver, dès fin Avril et en nombre, sans jamais en disparaître, au profit d’improbables et sottes lectures d’été, et, bien sûr, des romans-de-la-rentrée.
Lire ce Tract n’a pas de prix. Il vous en coûtera, même non-fumeur, la moitié du prix d’un paquet de cigarettes, ses lignes ne partiront ni en fumée ni en cendres et allumeront des étincelles dans votre cerveau. Vous comprendrez, d’entrée, pourquoi il ne faut ni dire ni accepter que l’on vous dise que la langue évolue laissant entendre qu’elle doit se transformer pour son bien et pour le vôtre, que c’est une nécessité, certains qui osent tout, disent même que c’est naturel ! Sauf que, évoluer ne contient pas dans sa signification une intention et encore moins une progression, un progrès – et de quel ordre, s’il vous plaît s’agissant de la langue française ? en revanche, et cela est au-delà de remarquable et peut être montré, établi, développé, illustré, mis en évidence, enseigné, transmis et honoré, la langue française – Le parlécrit – nuance & acribie – Esthétique – Pas de sol – La littérature – La difficulté – Prestige des écrivains – Le Vidimus – les Idéalisations insues – telle une partition pour flûte et hirondelles, doit être traitée et chérie pour et par elle-même, son solfège, ses règles d’harmonie, de compositions, ses tonalités, ses exceptions, ses nuances, ses accords, ses discordances sublimes, ses œuvres grandioses, ses œuvrettes fluettes, ses improvisations réussies et les ratées, sa musique de chambre et ses grands orchestres. Je voudrais qu’on me dise un jour pourquoi en rougir, s’en détacher, en avoir honte, oui, qu’on me le dise, enfin.
*les 72 notes et références, généreusement disponibles, hors commerce, sur le site d’Alain Borer.
Cf, ibidem et pour compléter - pour l’amour de la langue française, Janv. 2017 – ce beau français que ne daignez apprendre, Avril 2018 – de la langue française, Nov. 2020 –