inactualités et acribies

Mélanges, miscellanées, miettes - 20 -

28 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

La barre des 500 – cinq cents – articles publiés est franchie depuis peu ! En nombre de pages tapuscrites au format A4, cela fait plus ou moins 2000 – deux mille - pages.

 

Commençons par un clin d’œil personnel :

De Eubule (fr. 138 Kock) : « Car m’ayant fait goûter un vin psithien, bien doux et tout pur (…) sans s’asseoir, (…) il attaque des huîtres.

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    Quelle formulation parfaite que celle-ci, entendue à la suite d’une interprétation pianistiquement réussie au-delà d’une articulation et lecture techniques réussies :

… et la musique vient depuis les notes ….

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Un Pater mais une patère.

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         Je rentre du Marché et rapporte des fraises (pour les sourcilleux de la saison, c’était il y a un petit moment) dans mon panier, avec en supplément : « on est sur un produit magnifique », « sentez leur odeur (parfum, arôme y’a vraiment pas moyen ?) – « vous auriez les 1 € ? », ma réponse, négative, alors … « y’a pas de souci » ! En moins d’une minute, j’ai défailli quatre fois, mais m’en suis assez bien remise en répondant au chaland qui proposait de mettre mes achats dans une poche (qui se dit sac ou sachet partout ailleurs en France, et pouche en Normandie) cette sortie impréméditée : « Non merci, plus j’ai de poches moins j’ai de mains ! » dont je souris encore ...

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Valéry : Mes vers ont le sens qu’on leur prête. Celui que je leur donne ne s’ajuste qu’à moi et n’est opposable à personne. (Cahiers)

                  Je suis comme une vache au piquet et les mêmes questions depuis 43 ans broutent le pré de mon cerveau. (idem ibidemque)

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         « Des quidams ordinaires » … : outre ne pas avoir la certitude que le « s » soit bienvenu ici, accroché à ce mot latin dont le masculin et le féminin nominatifs pluriels sont identiques – quidam -, la qualification par l’adjectif ordinaire ne sert à rien, puisque « quidam » contient cette connotation. Ergo, nous sommes, une fois encore, une fois de trop, en présence d’un pléonasme, sans ajouter inutile … c’est inutile !

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« Mais ce n’est pas pour rien que la chaussette a la forme d’un boomerang. Tu peux te lancer dans un grand voyage à travers le monde, tu finiras par rentrer chez toi. » Éric Chevillard, chaque matin avec gourmandise : humour, cynisme, tendresse, absurde, gros sel et même sel fin, insolence, découragement joyeux et joie exigeante, pessimisme effronté, même triste ne vous noie pas dans son chagrin, ni même la politesse du désespoir ou l’élégance du condamné.

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Les Nugæ — qui veulent dire « choses frivoles » — si vous soufflez délicatement dessus, deviennent des Nuage(s) …

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L’expression volets intérieurs est (aussi) un pléonasme, puisque à l’extérieur ce sont des contrevents.

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On aime – contre toute attente – musarder dans les Salons de Diderot. Dans Salon de 1767, d’un tableau de Fragonard – Tableau ovale, représentant des groupes d’enfants dans le ciel : « C’est une belle et grande omelette d’enfants » ; (…) « Cela est plat, jaunâtre, d’une teinte égale et monotone et peint cotonneux. Ce mot n’a peut-être pas encore été dit, mais il rend bien et si bien qu’on prendrait cette composition, pour un lambeau d’une belle toison de brebis, bien propre, bien jaunâtre, dont les poils entremêlés ont formé par hasard des guirlandes d’enfants. Les nuages répandus entre eux sont pareillement jaunâtres, et achèvent de rendre la comparaison exacte. Mr Fragonard, cela est diablement fade. Belle omelette, bien douillette, bien jaune et point brûlée ». (dans une note, on peut lire cette correction : bien brûlée).

Ce jour-là, Diderot voyait tout en jaunâtre, trois fois dans les 4 phrases précédentes, l’adjectif revient dès la première de l’article suivant : toujours Fragonard – Une Tête de vieillard.

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Autant ce mot est doux – murmurateur – autant son sens ne l’est pas tout à fait. Car murmurer est agréable, mais murmurer contre quelqu’un ou quelque chose ne l’est pas et c’est bien ce second sens qu’il faut « entendre » dans murmurateur. Thomas d’Aquin, Père de l’Église non taquin et très sérieux, s’en prend à eux dans son Traité De æternitate mundi, (circa 1270).

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Max Jacob : le romancier écrit une robe verte ; et le poète, une robe d’herbe.

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         De son éditeur (français) à Curzio Malaparte qui s’apprête à lui transmettre le manuscrit de La Peaudont on ignore tous qu’il fut préalablement intitulé La Peste – après le succès de Kaputt :

« Nous faisons un trop grand cas de votre talent pour ne pas accueillir avec plaisir n’importe lequel de vos manuscrits » (1947). [rapporté par Maurizio Serra dans sa formidablement documentée et énorme biographie ;  lire aussi du même son d’Annunzio et son Svevo.]. Quel éditeur, de nos jours, aurait assez d’esprit de finesse pour écrire (et à qui ?) tant son admiration que sa reconnaissance ?

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« Il est difficile d’apporter de l’aide aux vieux amis qui perdent le nord et se sont fait une carapace infranchissable dans leurs lignes de défense.

On ne sait rien du lourd losange des mots mal arrimés dans leur tête. »

Patrick Laupin (in La mort provisoire.)

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         On me rapporta, il y a peu, cette appréciation relevée dans un livret scolaire : « A usé jusqu’au bout son droit à ne rien faire. »

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         Ma croisade sans fin : présentant un programme de deux séries, ou périodes de conférences et les appelant cycles, le Musée de la ville, termine ainsi son annonce au public : « Il reste quelques places sur les deux cycles » ! Je me suis demandée s’il s’agissait d’une erreur, la phrase pouvant avoir glissé de la rubrique sport à la rubrique culture, et inquiétée que quelques places fussent disponibles pour seulement deux bicyclettes, pour finalement envisager qu’il pourrait s’agir de tandems … mais plus sûrement de la dorénavant irrespirable densité de la préposition sur dans la langue française, laquelle devient intolérable à des oreilles de plus en plus délicates.

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Que ceux qui continuent à dire et écrire mail plutôt que courriel ne lisent pas ce qui suit. Nos amis et cousins québécois, à l’origine dudit courriel (contraction de courrier électronique, ce n’est pas si compliqué zut !) ont inventé aussi le Clavardage, pour les bavardages et autres parleries de clavier sur le Net ; bien vu, bien entendu, bien dit, bravo, merci et re-zut à tous les soumis et autres incurables grégaires. Et dire que les îlots de résistance sont implantés en plein camp adverse !

Dans la biographie de Rimbaud par Pierre Petitfils (Hachette 1962 – p. 58) : Volontiers, ils se rendaient au « Bois d’Amour », un charmant mail aux tilleurs séculaires. (Ils : Rimbaud et Ernest Delahaye)

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Les mots sont décidément sans pitié : « à la suite du dépôt d’une main courante, Untel reconnaît avoir giflé son épouse. » A défaut de courir, cette main s’était bien envolée.

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Qu’est-ce qu’un « silence horrible » me demandé-je, lisant cette expression selon moi oxymorique. Alors je m’interrogeais sur le poids de l’horreur, laquelle, instantanément, je rapportais à la terreur et à la cruauté : un « silence horrible » participerait de cette double calamité ; il serait particulièrement parlant, bruyant, insupportable surtout et avant tout à qui n’entend plus que le vacarme en lui de ses propres cauchemars.

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Grège : bel exemple de métonymie passée dans le langage courant, même si — il faut le reconnaître — ce mot est de moins en moins utilisé, il aurait pu faire une entrée de ma série « à la recherche de mots perdus ». Grège désigne dorénavant une couleur à part entière – entre beige, écru et gris, grège quoi !  — alors que l’adjectif était réservé à la soie brute ou aux fils confectionnés à partir d’elle, hors toute teinture pour résumer. Je me souviens l’avoir entendu communément prononcer pour la couleur d’un manteau, d’un chapeau ou surtout de gants de cuir fin, lesquels pouvaient aussi être beurre frais — ultime hommage en forme de dernier soupir envers un certain attachement au dandysme ?

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Georges Perros – Papiers collés I :

« J’ai conservé, sans le vouloir, cette naïveté : quand j’ouvre un livre, j’aime que ce soit un livre. Je m’attends à de la littérature. La vie, c’est-à-dire les autres et moi, la vie me suffit pour le reste. Mais lire, si c’est pour s’y retrouver, autant vaut téléphoner à son voisin et passer une soirée baliverneuse. ».

Approbation sans réserve pour cette brève philippique contre la lecture baliverneuse, mais, selon moi, les soirées de la même eau, pour s’y substituer – et dans substituer il y a tuer – ne sont pas un remède.

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Lâcher du l’Est ! (lu dans la presse, sans rire)

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Il me fallut, il y a peu, faire preuve d’une certaine diplomatie et patience – un exploit – pour corriger un interlocuteur fort sûr de lui, selon qui le mot empirique dont il usa plusieurs fois dans le même élan phrastique – mais pourquoi donc ? – signifiait impératif ou impérieux, supposant, j’imagine, qu’empirique contenait empire, donc empereur, donc pouvoir abusif… et bla. Le dogmatisme de l’ignorance est épuisant !

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           Toujours la presse locale : « L’association La Traverse accompagne depuis plus d’un an, sous forme de résidences, les territoires pour étudier leurs enjeux et renforcer leur résilience. » Au moins une chose est juste dans cette bouillasse indigeste, son nom : La Traverse ne va pas droit.

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Alétheia : Vérité en grec, i.e, privation — a — de l’oubli — Lethé — nom du fleuve qui efface toute mémoire. Une sorte de double négation conforme – notamment – à la conception platonicienne de la Vérité : non pas tant ce que l’on trouverait ex nihilo (si l’on peut dire) que ce que l’on retrouve pour avoir combattu et/ou vaincu l’oubli. Deux fois niante, par privation et par oubli, la Vérité, au sens grec, a toujours quelque chose à voir avec l’affirmation en sa forme mathématique : moins par moins égale plus, rabâchait-on à l’école. Reprenons : quand la langue grecque dit Vérité — Alétheia — λήθειαelle nous dit, à la lettre près, a, de nous jeter à l’eau.

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Ponge appelle la radio – nous sommes en 1946 – la radieuse seconde petite boîte à ordures ! ce sont les derniers mots, qui déversent Tout le flot de purin de la mélodie mondiale.

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Félix Fénéon (toujours in Nouvelles en trois lignes) : « Mariés depuis trois mois, les Audouy, de Nantes, se sont suicidés au laudanum, à l’arsenic et au revolver. »

 Question : Un par mois ? ou les trois  en une fois ?

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Je rappelle qu’en français – à l’écrit, comme à l’oral, il n’y a pas d’exception – on accorde avec le complément direct (d’objet ou de personne d’ailleurs, au fait !) le participe passé d’un verbe conjugué avec avoir, pourvu, pourvu qu’il soit placé devant … Appliquer cette règle est infiniment plus simple que la formuler, puisqu’il suffit de dire « les courses que j’ai faites », « les décisions que j’ai prises » et autres de même farine ! instinctif et spontané, depuis le cp/ce1 on l’a appris, et révisé ensuite, pour la vie, je répète pour-la-vie. Hé bé, j’entends en permanence le manquement à cette trouvaille heureuse et raffinée de la grammaire française – y compris par ceux chargés de la transmettre. Je sais, je me répète, répète, répète … mais les fautifs aussi et ils se reproduisent.

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A une époque où certains se demandent pourquoi il faut encore lire les textes de l’Antiquité, il ne semble pas inutile de rappeler pourquoi il est encore possible de les lire.

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L’écriture inclusive passera : ainsi en fut-il du tutoiement révolutionnaire avec injonction d’appeler chacun « citoyen »

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Le désir de voir Naples a été érigé en proverbe, à l’échelle européenne, par Goethe. Ainsi écrit-il dans son Voyage en Italie : « Von der Lage der Stadt und ihren Herrlichkeiten, die so oft beschrieben und belobt sind, kein Wort. “Vedi Napoli e poi muori!” sagen sie hier. “Siehe Neapel und stirb!” »

 Sauf que, la traduction en italien ignore le jeu de mots qui consiste dans l’homophonie de « muori » – « meurs » – et « Mori » – un village à la périphérie de Naples …

Ne jamais, jamais, donner son blanc-seing à une traduction.

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On propose : Un atelier pour partager des idées et bâtir le centre-ville de demain. Donc, et si j’ai bien compris, il est question de construire (bâtir) un centre-ville dans un atelier. La coordination et autorisant le lien logique, chronologique et sémantique. Z’en ont pas marre d’écrire n’importe quoi n’importe comment pour mieux proposer le vide … en partage ! A cette fin, il faut s’inscrire auprès d’un(e) lambda ou d’un(e) quidam, qui, avec ses références, laisse ses titres : « manager de commerce à la communauté de communes » – beaucoup de c-o-m pour rien, non ?

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Tout or est déjà contenu dans le trésor

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(Chose promise : la parution, ce jour, de ces nouveaux mélanges etc., attendue avec impatience par Aurélie …)

« Ô très paisibles photographes » *

21 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

Pour A.

Entre Richelieu et Descartes, j’avais rendez-vous avec les nuages.

Le premier disparut un peu avant le second, lequel je laissais à main droite, avançant tout devant, lentement.  Il n’est pas si facile, ni si prudent, de regarder le ciel en observant le sol ; des énergies telluriques se chargent de vous porter là où vous devez aller – par un impératif catégorique d’affectueuse nouure – tandis que votre esprit flânoche en bord de firmament. Ce jour-là, jour anniversaire de la naissance de Rimbaud – 168 ans et toujours 17 ans – les bleuités, les figements violets, le ciel rougeoyant, les immobilités bleues, * achevaient en mille élégances un été dramatique, chuchotant aux arbres étonnamment reverdis mille questions/Qui se ramifient, je voyais l’absence des oiseaux, j’entendais le silence, je suivais la ligne médiatrice des avions monter à la verticale dans le ciel bleu-turquin.

la main de la campagne me tenait par le cœur, le chœur des mots, calme et beau ; j’entendais au loin une cloche de feu rose dans les nuages. Et je passais un pont, un de ceux, ordinaires, qui protègent un peu les alentissements d’une eau millénaire que l’on croit d’un instant ; celui-là, aucun autre, qui vous fait vous arrêter, vous pencher au-dessus de cette eau qui n’est là que pour vous sous des ciels gris de cristal aux reflets bleus. Mais vous avez peut-être inversé les reflets. Le Cher est un cours d’eau qui porte bien son nom quand il passe en Touraine. Il glisse au pied des vals et des vallons, indifférents sauf au poète qui de vos forêts et de vos prés est démiurge quotidien. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le temps a pris la forme du large buffet sculpté, impassible dans son chêne sombre  le temps, un peu pongien aussi, puisqu’avec lui je tiens l’huître calée dans le creux de ma main, je veux dire qu’une fois ouverte, des ciels infinis et blottis contre un plafond nacré jouent à échanger mille verts pour un empire. Sous la treille éternelle, nous gobons des souvenirs, buvons le vin doré.

 

A l’aplomb de la ligne courbe et arborée qui sépare doucement le ciel de la terre incurvée, deux segments blancs coupent à angle acéré et droit le premier plan élargi, l’écran lumineux d’un petit théâtre d’ombres. Ce promontoire devant l’infini — observatoire de l’éternité, baignoire de méditations devant le ciel étoilé — pénètre en s’acuminant dans le paysage ; sur sa rampe, une main bienveillante déposa deux tasses simples et semblables, à moins qu’elles n’y fussent depuis la nuit des temps.

 

Démonstration a contrario d’une des plus célèbres leçons de la philosophie platonicienne. Le muret qui, dans la fameuse allégorie dite de la caverne,** le muret qu’on oublie un peu trop entre la paroi du fond et le soleil régnant en maître de vérité et en hauteur, nous y sommes. Nous y sommes très exactement. Il y a, dans le texte platonicien, des montreurs de marionnettes et des feux intermédiaires pour illusions d’une supériorité encore inaccessible à ce niveau. Ces « détails » ne sont pas souvent retenus, tant les lectures ont été simplifiées, si loin de l’original. Mais enfin, ils sont. Et nous avec. A cette différence déterminante près, qu’ici, les ombres sont, évidemment, plus réelles que la réalité même, qu’il n’y a point de vérité solaire, mais le déploiement de nuances infinies qui – malgré tout – nous dépassent ; ce « malgré tout » fait tout. Notre point de vue, le point de notre vue. Nos mots, la fabrique d’un silence aussi vrai que le ciel, à cet instant, contenait tous les mots de la langue.

*les mots ou expressions en italiques sont tous de Rimbaud, y compris le titre. **Rép. VII

        

Le pamphlétaire (suite).

17 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

Quand il rentra en France, en 1812, après avoir servi de façon parfois distraite, il faut bien le dire, les armées napoléoniennes, il s'occupa de ses domaines, forêts, fermages, vignes, et ses affaires, vendre, acheter, recouvrer ses dus, toutes occupations auxquelles un propriétaire de province se devait de consacrer son temps, son argent et son énergie. Il tenait ses biens et sa fortune de son père qui les avait constitués au service du duc d’Olonne dont il avait été le lieutenant des chasses. On a peu repris, me semble-t-il, l’incroyable analogie de parcours entre le père et le fils, une sorte de réplication des destins, à ceci près que le père de Paul-Louis – Jean-Paul Courier – échappa à sa mort préméditée, alors que son fils fut réellement assassiné : huit ans avant sa naissance, se joua le 1er acte de la pièce dont Paul-Louis fut le héros tragique du second et dernier. Cela ne fut pas remarqué : Jean-Paul Courier, amant de la duchesse d’Olonne, aurait dû périr, sur ordre du mari jaloux, si le soldat soudoyé pour accomplir cet assassinat n’avait tourné casaque et dénoncé ce vil projet à la force publique. D’Olonne, tout duc qu’il était et mari trompé, mourut engeôlé pour avoir fomenté ce plan funeste, tandis que la duchesse fut recluse en un couvent d’où elle finit par sortir, et trépasser douze ans plus tard. En Touraine, soixante ans après sa naissance environ, Paul-Louis fut assassiné dans l’une de ses forêts, par le fusil de l’amant de sa femme – ou l’un de ses amants – jaloux du mari ombrageux. Un biographe taquin risqua, à propos de ce mariage avec la (jeune) fille d’un ami et érudit helléniste alors que Paul-Louis remettait sans cesse un voyage en Grèce qu’il désirait ardemment : « Il la demanda en mariage. Il l’obtint. Il l’épousa le 12 mai 1814. Il eût mieux fait d’aller en Grèce ». En effet. A moins que l’on y voie la résolution psychanalytique d’un destin complexe : il fut son père tué !

Retombons aux pamphlets, un genre foudroyant pour Marc Fumaroli, dont Courier est le maître incontesté, auteur magnifique d’insolences en langue et sel attiquesFumaroli encore – qu’il déroule depuis ses terres en direction des autorités locales mais pas seulement, au nom de sa qualité de Tourangeau – j’habite Luynes, sur la rive droite de la Loire – contribuable – Messieurs, Je paye dans ce département 1.314 francs d’impôts – suppliant – On recommande à vos prières le nommé Paul-Louis, vigneron de la Chavonnière – étonnant – L’objet de ma demande est plus important qu’il ne semble – sincèrement insincère – Monsieur, Je suis … malheureux ; j’ai fâché M. le maire ; il me faut vendre tout, et quitter le pays. C’est fait de moi, monsieur, si je ne pars bientôt – plaisantin et menteur audacieux – Nous possédons en manuscrit, et publierons, quand la censure sera rétablie, différentes brochures de Paul-Louis, toutes excessivement utiles et prodigieusement agréables – direct – Conseillez-moi, je vous prie, dans un cas extraordinaire. Je serai bref, la vie est courte. Toutes ces formules sont des premières phrases, des entames, des entrées. Courier, à la presque fin du Pamphlet des pamphlets (1824, soit un an avant sa mort) promet ce qu’il fait déjà depuis des années : Je serais la mouche du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement. Comptons sur ce conditionnel initial – je seraiS, Courier n’a jamais aucune approximation d’écriture – pour comprendre que, pourvu qu’on le laisse écrire, pourvu qu’il le puisse, rien ne l’arrêtera, dût-il payer le prix de l’indifférence, elle est à la mesure de l’instant, tandis que le coche fait image pour le monde qui avance lentement Mais que de chemin il a fait depuis cinq ou six siècles !

Les occasions de pamphlets ou de correspondance pamphlétaire – sont aussi nombreuses que variées, et pourtant se ressemblent. Le ton, bien sûr, le style, à n’en pas douter, la vivacité, l’intensité, l’ironie, le culot, l’aplomb, la fausse modestie dont voici un des meilleurs échantillons : Courier est à Sainte-Pélagie [convaincu d’outrage à la morale publique et religieuse — il faut lire ce dossier, c’est un festival, un monument, une précellence, l’accusé devenant accusateur] il parvient, du fond de sa cellule à faire éditer sa version complétée du Daphnis et Chloé de Longus traduit par Amyot l’incontesté (1513-1593) – toute une histoire, il faudra bien sûr y revenir avec d’autres anecdotes savoureuses réservées. Il signe : « Paul-Louis Courier, Vigneron, Membre de la Légion d’honneur, ci-devant canonnier à cheval, en prison » !

Les qualités de vigneron et de paysannous autres paysans – et de peuple sont revendiquées par Courier, individuellement et collectivement, avec insistance. Il ne se reconnaît et ne reconnaît les siens qu’à cette aune, il s’en revendique, elles sont et font l’exacte contre-mesure à sa haine de tout nantissement, qu’il soit matériel ou immatériel comme on dirait aujourd’hui. Comprenons, qu’il s’agisse de biens, d’autorité, de pouvoir. L’époque lui fut – si l’on ose – généreuse, pour dénoncer tous les privilégiés et leurs privilèges, les courtisans et leurs singeries lamentables – chacun se lance ; non, : à la cour, on se glisse, on s’insinue, on se pousse – les méprisants et leurs mépris, pire leur indifférence – Sans humeur, sans honneur – mais moi, petit propriétaire, ici je taillerais ma vigne, sans crainte des honnêtes gens. Aussi il y a dans ses pamphlets de véritables chroniques de la vie rurale ; et revenir à des textes aussi tendres pour les paysans qu’intransigeants pour les maires, préfets, curés, ministres. L’un d’eux, mais l’un seulement parmi d’autres, la Pétition pour des villageois que l’on empêche de danser. (1822), n’a rien d’une fiction : dans la commune d’Azai par le passé on dansait le dimanche sur la place de l’Église. Ce que le préfet – souvenons-nous qui dota la France, et quand, d’un corps préfectoral – interdit. Tout simplement, parce que l’interdiction d’un préfet vaut pour elle-même. Nous, gens de Véretz, ne pouvons plus aller danser à Azai, dont les habitants sont nos meilleurs voisins. Mais depuis l’interdiction les violons et les gendarmes (viennent) en même temps. Suit un bref développement faussement savant sur l’instrument qui animait – jusqu’à l’opposition funeste – les parvis dominicaux pour s’achever, royalement, par cette affirmation aussi simple que casse-cou et même franchement imprudente, osons, culottée – nous dansons au son du violon, comme la cour de Louis le Grand. La comparaison a de quoi laisser coi même un gendarme d’Azai en 1822. Mais, Courier ne serait pas Courier s’il s’arrêtait là, et c’est exactement ce franchissement que l’on aime, admire et applaudit, il poursuit sans reprendre souffle ; aussi, il faut citer sans quoi on manque l’esprit, l’art, la manière Courier, l’authentiquement pamphlétaire qui ne s’arrête jamais à la première salve mais en a toujours une, et même plusieurs à venir  – dans son autre vie il fut canonnier  – : Quand je dis comme, je m’entends ; nous ne dansons pas gravement ni ne menons avec nos femmes, nos maîtresses et nos bâtards.

Ce qui ne l’empêche pas de glisser des questions véritablement politiques et graves sous les aspects les plus légers, incongrus, naïfs. Ici, celle de savoir quelle peut bien être la nature d’un pouvoir (d’un gouvernement) qui s’intéresse aux danses du dimanche dans les petits villages et demande à son préfet d’en rendre compte au ministre. Tout cela est beaucoup plus sérieux qu’il n’y paraît et va bien plus loin que le son du violon. Il s’agit aussi de se rencontrer, de boire ensemble, de parler, de jouer – au palet, à la boule, aux quilles ; on peut même y faire des affaires ; et des mariages. C’est l’antidote à la violence ordinaire qui se danse là. C’est une petite économie locale, c’est un mélange des générations au centre du village. Aussi, l’interdit de danser – qui dans sa grande hypocrisie n’est pas une défense de faire la fête – fut bravé par certains qui sortirent du village, pour danser quand même au bord du Cher, sur le gazon, sous la coudrette. Mais l’encre n’était pas encore sèche. Jamais Courier ne cesse sur une note nostalgique, jamais il ne s’arrête sur une désolation, ses plaintes sont accusatoires et non de geignements. Il pratique la dénonciation, non la complainte, ni le thrène. La danse sous la coudrette c’est-à-dire hors la place commune, excentrée du cœur battant du village, n’est qu’un pis-aller, pas même une consolation. Tout juste bonne pour une églogue. Tandis que chez nous, paysan ne rime pas avec pastoral, danser c’est manger une omelette au lard, dans le cabaret prochain.

Suit, dans la même pétition – mais qui n’était pas annoncé dans le titre – un développement truculent et hardi à propos des jeunes séminaristes qui confessent les filles sans qu’on y trouve à y redire. Mais ce serait trop de joie en une seule fois, non que l’on soit rabat-joie, c’est plutôt l’inverse. Mais Paul-Louis Courier, Vigneron, se boit à petites gorgées.

 

L’épistolier.

11 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

Le point commun entre Viollet-le-Duc (Viollet-Leduc), Stendhal, Chateaubriand, Sciascia, Fumaroli, Sainte-Beuve, Robert Desnos est d’avoir cité nommément, à plusieurs reprises ou peu souvent, ce canonnier, vigneron, propriétaire, écrivain, helléniste. Surtout. Avant tout. Par-dessus tout, helléniste. Porteur d’un patronyme à ce point prophétique, oraculaire, préliminaire, prémonitoire à une consonne près, que personne n’ose le signaler en présentation : sa Correspondance fait la part belle à ses œuvres complètes. J’ai nommé, Paul-Louis Courier (1772-1825).Tourangeau en Italie, ayant échappé à plusieurs morts militaires, il succomba à un coup de fusil assassin, sur ses terres revenu.

Bougon et soupe-au-lait, irritable, procédurier, d’aucuns s’en réjouissent : il nous a donné, pour ces motifs, des textes effrontés, désinvoltes, sévères, très sévères à l’endroit du régime des nantis et autres privilégiés, irrévérencieux et satiriques ; Courier, fou de la langue et des textes grecs, qui faisait l’armée buissonnière et aurait donné son cheval pour un manuscrit ancien. Tant « soldat sans vocation et, par suite, sans ferveur » * qu’il pouvait rejoindre un régiment sans monture … ou, pour aller d’un poste à l’autre, prendre six mois – là où il fallait quelques jours – mais, que voulez-vous, il y avait en chemin, des bibliothèques avec des livres grecs ! Il frisa l’accusation de désertion, étant parti sans demander son reste pour rentrer en Touraine, on la lui évita de justesse ; ou envoya sa démission et partit avant de recevoir l’acceptation ; revint un peu plus tard sur cette demande ; réintégra l’armée ; manqua être tué et fut sauvé pour avoir ramassé « un rouleau de louis tombé de sa sacoche » **, son officier n’eut pas cette chance ; quelques mois plus tard – septembre 1799 – ce « déserteur par insouciance »** ignorant le danger pour cause de travail à la bibliothèque Vaticane, ne dut son salut que par l’intervention d’un ami ; de passage à Paris, il travaille à des traductions et rencontre des savants de sa trempe ; retrouve de temps à autre sa compagnie ; écrit tout ce qu’il pense de mal à propos de Bonaparte ; repart en Italie – 1804-1809- où il est à la fois le pire des officiers et l’homme le plus heureux et le plus libre ; l’édition de la BnF, dans la présentation de Coquelin, a cette formule : « fort partisan de l’équitation, telle qu’elle se pratiquait au temps de Xénophon » ; rien à ajouter.

Une de ses lettres les plus célèbres ou connues (mai 1804) – au destinataire non identifié – commence ainsi : « Nous venons de faire un empereur, et pour ma part je n’y ai pas nui. Voici l’histoire. » Suit un petit récit bien léché et ses presque derniers mots : « Voilà de nos nouvelles ; mande-moi celles du pays où tu es et comment la farce s’est jouée chez vous. A peu près de même sans doute. ». Il raconte : le colonel d’Anthouard ayant avisé son régiment de la chose, Courier rapporte son sentiment : « Un empereur ou la république, lequel est le plus votre goût ? comme on dit rôti ou bouilli, potage ou soupe, que voulez-vous ? » Après un moment de gêne, il prend la parole et prêche l’indifférence au nom de la volonté de la nation. Ce qui eut pour effet de rompre l’assemblée de sorte que chacun s’en fut. « On se lève, on signe, on s’en va jouer au billard. » qui était le seul enjeu valable. Car enfin « Bonaparte, soldat, chef d’armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu’on l’appelle majesté. Être Bonaparte, et se faire sire ! Il aspire à descendre*** : mais non, il croit monter en s’égalant aux rois. Il aime mieux un titre qu’un nom. Pauvre homme, ses idées sont au-dessous de sa fortune ». Quelle férocité réjouissante ! il nous semble entendre déjà un certain Hugo …

Les courriers de Courier sont un régal, un délice, une friandise : ou comment être correctement fort incorrect et incisif ; l’art et la manière de l’aigre-doux poli et joliment maîtrisé par la pratique supérieure d’une langue astiquée aux textes anciens, l’air de rien. Quelques semaines après avoir essuyé de rudes batailles dans la région de Naples (lettre du 9 mars 1806, qu’il faudrait recopier tout entière), il écrit à une dame inconnue de nous, avec l’élégance indépassable de la fausse légèreté (ah ! plus personne de nos jours ne pratique cela – ou quelque rareté, bénie soit-elle !) : « Pour peu qu’il vous souvienne, madame, du moindre de vos serviteurs, vous ne serez pas fâchée, j’imagine, d’apprendre que je suis vivant à Reggio, en Calabre, au bout de l’Italie (…) » ; « car le peuple est impertinent ; des coquins de paysans s’attaquent aux vainqueurs de l’Europe ; quand ils nous prennent, ils nous brûlent le plus doucement qu’ils peuvent » ; et, enfin, redoutable, percutant, définitif : «  On ne songe guère où vous êtes si nous nous massacrons ici. Vous avez bien d’autres affaires : le cours de l’argent, la hausse et la baisse, les faillites, la bouillotte ; ma foi, votre Paris est un autre coupe-gorge, et vous ne valez guère mieux que nous. » ; à un général, en septembre de la même année, le remerciant de la chemise qu’il lui aurait offerte – on sent, à la lecture, comme une moquerie – Courier rapporte qu’il ne fallait pas qu’il se gênât pour lui, car de chemise, il en avait bien une, «  à laquelle il manque, à vrai dire, le devant et le derrière, et voici comment : on me la fit d’une toile à sac que j’eus au pillage d’un village (…) » qui fut peut-être volée mais rachetée pour un écu à un soldat. Cette anecdote recèle une dimension politique indéniable, pourvu qu’on ait (un peu) parcouru les pamphlets, un tantinet plus connus de cet admirable méconnu. En deux phrases ou plutôt en deux mots bien placés, nous savons et avons tout ce que Courier pense, qu’il dira par ailleurs, de la Révolution : je devins propriétaire (de ce morceau de toile) qui permit aux paysans d’accéder à la propriété – serait-elle très modeste – par l’abolition du système féodal et la vente des biens nationaux. Cette toile déchirée et acquise pour un écu, vaut plus que toutes les chemises neuves et propres qu’un Général pourrait offrir. Elle fait allégorie.

Une conviction aux développements parfois paradoxaux que l’on retrouvera dans les Pamphlets, une fois prochaine.

*in l’Introduction à ses Œuvres Complètes en Pléiade, l’un des volumes de la prestigieuse collection qui se serait le moins bien vendu, dit-on. ** Louis Coquelin, in Lettres écrites de France et d’Italie (Édi. 19e) – Hachette-BNF ***Corneille, Cinna II, I

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une archive judiciaire ou presque

6 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

     

 

            Il faut faire le ménage et le vide au moins une fois par siècle. Ce que je fais parfois. Et je retrouve ceci que je recopie sans en avoir rien modifié mais avec les précisions préalables suivantes :

            - Cette lettre n’est pas fictive, je l’ai rédigée et transmise à un ami de Jojo connu de moi ; celui-ci la trouva et la lut le jour même où mon ami la recevait, il venait le voir.

            - Georges Courtois a passé plus de la moitié de sa vie en prison, visitant de temps à autre le quartier de haute sécurité pour l’ensemble de son œuvre d’escroc et braqueur en tous genres. En 1985, alors qu’il comparaissait avec ses complices devant la Cour d’Assises de Nantes, il prend en otage le prétoire et le public, autant dire tout le Tribunal, aidé d’un comparse lourdement armé venu de l’extérieur (sauf exception de huis-clos, en France, les procès sont publics et les portes ouvertes ; à cette date, il n’y avait aucune vérification de sécurité pour entrer dans une salle d’audience). C’est lui qui exige la présence des caméras de télévision pour que tout soit filmé en direct qui dura 34 heures, intérieurs et extérieurs. Monsieur Georges est mort en 2019.

 

 

Monsieur Georges et Cher Jojo,

 

            Je viens de lire votre bouquin, Aux Marches du Palais*. J’ai tourné les pages du même geste hâtif que l’avalage d’un ballon de rouge sur le zinc. Et de celui qui en r’demande, dès la dernière goutte en vue. J’en suis sortie sans tituber, sinon de régalade et de rigolade, mêlées d’un coup de chapeau, bien bas, et d’une onomatopée non encore répertoriée par l’Académie à ce jour.

 

 Ma première idée : en parler posément. Le témoignage est formidable. Mais, voyez comme ce mot « formidable » n’a strictement aucun sens, aucune portée, comme il n’est pas à la hauteur. Exit donc cette approche, après une tentative honnête (oui, oui …). Tiens, je l’avais même titré mon truc « Grande Gueule et Courtoisie » et la première phrase était : « Ce temps-là, les moins de vingt ans, et même de trente, ne peuvent pas le connaître. Mais leurs parents, oui. ». Mais, il n’y a pas que ça. L’écriture, jubilatoire. Les dialogues, épatants. Les récits exaltants. Les suspens, permanents. L’émotion, à bord de paupière. L’exclamation, incessante. Oscillant entre « il pousse un peu, Jojo » et « faut mettre ça au programme des concours d’entrée et épreuves d’accession aux métiers de la Pénitentiaire, de la Police, de la Gendarmerie, de la Magistrature, de l’Avocature, de l’Éducation » – ah ! vous en touchez du monde ! - et, pour autant, je savais que mon plaisir n’était pas seulement dû à mon intrusion par effraction dans le monde inconnu des bandits de haut rang, des voyous  classieux, et des anti-héros magnifiques, car, j’en suis certaine, croix de bois, croix de fer, seules la mise en mots, la mise en texte, donnent leur véritable existence à ces faits, je veux dire cette existence-là. Étonnant non ? alors que tout le monde a, chevillée au corps, la conviction que seuls les faits sont concrets, réels, j’affirme, mais c’est mon dada, que seuls les mots font les faits, et même les fondent. Non, non, je ne m’égare pas. Vous me suivez, Monsieur Georges ? Votre bouquin, fallait l’écrire quoi ! Et surtout l’écrire ainsi. Pour que les choses soient.

 

Après, il me reste bien quelques remarques … Mais ce n’est pas ce qui compte, même si elles ont de l’importance, extrême parfois, je ne vous le cache pas, franchement, ce n’est pas le moment de faire une dissertation.  Je vous en lâche juste une, Monsieur Georges, qui me tient un peu à cœur, perso, celle de la datation, pour le dire avec sérieux. Aux débuts de votre carrière, les magistrats avec qui vous eûtes de belles joutes, pour peu qu’ils n’eussent pas trop été juvéniles (est-ce que je suis pas en train de me casser la gueule avec la concordance des temps et des modes ?) ont dû faire leurs études dans les années … 40 … Ça donne une idée de la distance révolue dans laquelle on peut injecter quelques différences – euphémisme – dont il n’est pas question de parler ici, parce que je voulais juste, Monsieur Georges et Cher Jojo, vous assurer de ma très sincère sympathie, et vous remercier pour ce maniement des armes hautement efficace qu’est votre écriture, témoin à charge d’un esprit de belle facture.

             Respectueusement.

 

*Georges Courtois, Aux marches du Palais, Mémoires d’un preneur d’otages. Ed. Le Nouvel Attila, nov. 2015

 

Peindre et mourir.

2 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

Si je pratiquais la manière journalistique culturelle, j’écrirais : il est trop tard pour New-York, allez à Wien ! Et j’ajouterais, histoire de rendre la suite désirable, que l’exposition fut très en-dessous de l’artiste parce qu’à trop vouloir faire agiobiographique, il y avait bien peu d’art ; nous serons donc consolés à peu de frais – dans tous les sens du mot – de n’être pas allés visiter non point la rétrospective de l’œuvre, mais la vie domestique, familiale, livresque, chosiste, amicale, anecdotique aussi, anecdotique surtout, d’un artiste que le décès précoce rendit sa famille reconnaissante posthumément que l’un des siens fût aujourd’hui glorieux et célébré. Peu encline à la discrétion qui devrait seoir à des proches admiratifs de ce que rien ne laissait prévoir pour l’un de ses rejetons, les sœurs – pourquoi ai-je eu envie d’écrire les « frangines » ? – ont installé un immense et très luxueux agencement de ses carnets de notes d’école, son passeport ou son imperméable – que l’on nomme trench-coat de l’autre côté de l’océan – ses (quelques) livres, des meubles de familles etc.  sans oublier les inévitables séries audiovisuelles sans lesquelles, de nos jours, il n’est plus d’admiration esthétique possible. Tout cela nous fut fort heureusement épargné, le mot est juste, nous n’y sommes pas allés !

C’est à Wien, où je suis retournée il y a peu pour peu de jours et d’heures, que Jean-Michel Basquiat nous fut rendu tel qu’en son art, sans falbala, ni frou-frou, – et sans baratin – pour moi qui ne lis jamais les tartinées introductives aux tableaux – seuls les dates (très importantes les dates pourvu qu’on les mette en perspectives multiples) et les titres quand il y en a – mais Basquiat pratique le sans-titre, l’untiltled, à grand débit et à foison. Ce prénom doublement français, provenu d’Haïti, et ce nom si peu américain font illusion, Jean-Michel Basquiat est bien étatsunien de la Grosse Pomme, né à Brooklyn et mort à Manhattan 27 ans et quelques mois plus tard, après avoir consommé et consumé toutes ses énergies à vivre dans la ferveur de l’instant, l’effervescence et le tumulte de ces années follement déjantées, où il fut l’ami de Warhol, tout le monde sait cela, y voyant de façon simpliste comme dans une causalité élémentaire, les raisons des excès qui le menèrent à griller l’enfant radieux en lui. Un Soleil noir incandescent. Brûlé vif au feu de ses propres démons.

L’Albertina Museum de Vienne, blanc, lisse, sage, doux et propre, aux parquets silencieux et blonds est l’antinomie absolue des murs, trottoirs et fébrilités de New-York ; et ses visiteurs, aux postures faussement captivées, réellement fascinées, peut-être hypnotisées, certainement éblouies, petit regroupement silencieux aux antipodes des clubs et cercles remuants et tonitruants de la mégapole yankee des années 80 du siècle passé. Pourtant, si l’on (se) pose – furtivement – la question de la correspondance du temple autrichien avec l’idole abritée là pour plusieurs mois, on la ramasse et range dans l’instant, réalisant qu’elle est non pertinente, telles ces interrogations incongrues qui vous viennent uniquement parce qu’il paraît plus judicieux de formuler n’importe quoi plutôt rien. Époque salement bavarde. Nous avons cependant quelque chose à y répondre : oui, mille fois oui, ou plutôt cinquante fois soit le (petit) nombre d’œuvres exposées, oui : la violence, la révolte, l’intensité et la profondeur des griffures, des écritures, des ratures de Basquiat n’en sont que plus puissantes, plus prégnantes.

Et ses enluminures.

Un terme qui s’impose à mon goût prononcé pour les échos et rimes intérieures, aussi pour ses lumières encloses, ses courbures, arcures et cambrures magistrales et baroques. Soit ma fascination pour les Vanités – si souvent exprimée ici – a encore frappé, soit Basquiat a frappé au cœur métaphysique – un oxymore – de ma lecture du monde, ce qui pourrait bien revenir au même.

On m’opposera ses couleurs vives, ses teintes acryliques et nouvelles, ses angles et ses traits d’enfant en colère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ses écritures – mots, noms et dates – sur les tableaux noirs de rage de chagrin de révolte de douleur de préconscience – peut-être, mais personne ne peut le dire – que l’accélération subite d’une existence tourbillonnesque ne pouvait que rencontrer une fin précoce ; ses écritures hachurées pour lointains rappels d’une ritournelle qui ne nous quitte pas – sic transit gloria mundi – échoués sommes-nous dans l’inanité de nos vies achevées depuis le premier jour.

    

 

 

 

 

              

 

         

 

 

 

 

Crânes, os, mots jetés non sur un support destiné à les recevoir, mais sur une surface assignée à les ex-poser, les montrer, crier, hurler - ils nous ressemblent ! - les renvoyer comme dans un miroir, à nous qui ne les aurions jamais saisis sans l’excessive puissance de cet enfant perdu, jeté, dans un monde si violent, lui si fragile, rattrapé par des passants pas toujours honnêtes, l’enfant désarmant-désarmé, revenu à l’origine du tout à partir de rien.

Il est des cris et des silences qui valent même douleur, et le noir incarné pour tatouage de son destin. Basquiat qui fut aussi de tous les combats et luttes anti-racistes,

 

 

 

 

 

 

 

donne au policier noir un crâne pour tout visage et le mot Irony pour légende d’humour de même couleur,  n’est ni drôle, ni fade, ni mou, mais impossible, stricto sensu in-vivable ; noire n’est pas la couleur de la force, noire sera la couleur de la révolte. Il faut de solides appuis pour tenir son destin. Celui de Basquiat, inscrit dès sa venue au monde, c’est le sens de ce mot, a le poids du métal – Iron man – peut-on lire aussi sans changer aucun mot. Et toujours, regardons bien, ces fils en guirlandes et volutes dont on ne sait s’ils tiennent une marionnette intérieure ou s’ils en montrent les veinures.

 

Chevalier de toujours, de nulle part, déjà mort au combat ou revenu d’outre-tombe, blessé, pansé, ouvert, disséqué, toute chair disparue comme un gant retourné, sauf un lambeau rose au bout de son pied gauche… le combat de Basquiat était perdu d’avance, tant de fragilités à dire dans l’en-deçà des mots. Intensité du tacite en soi. Et ces aplats gris-bleus-gris-blancs-gris qui tant (me) rappellent l’autre douloureux à vif de tout, Nicolas de Staël.

 

 

 

 

Les deux qui se regardent sans pouvoir se voir et pourtant se répondent. Masques mortuaires en diptyque flottent au-dessus des eaux dangereuses où rient les crocodiles que les enfants adorent autant qu’ils les redoutent, dont ils ne peuvent s’empêcher de parler, comme du loup… 

 

 

 

 

 

 

 

Intensité du Noir. Cérébralité du Noir. Invisibilité du Noir. Luminosité du Noir. Matité du Noir. Profondeur du Noir. Le noir est, évidemment, une couleur. Il est celui de la peau, de la vie, des combats, de la pointe des choses et du monde, du pinceau et de la plume.

 

 

AH ! je sais que rien de ce que j’ai écrit ici, ne trouverait grâce auprès des experts, et cela me ravit.