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le Jour Un

1 Janvier 2018 , Rédigé par pascale

 

 

 

ΥΓΙΑ (= ὑγίεια), la santé ;   ΖΟΗ (= ζωή), la vie ;  ΧΑΡΑ, la joie ;  ΕΙΡΗΝΗ, la paix ; ΕΥΘΥΜΙΑ , la bonne humeur ;  ΕΛΠΙC  ( = ἐλπίς ), l’espérance.

(quelques différences avec les formes qui nous sont familières)

 

 

 

 

 

 

trouvée au pied d'un sapin éphémère, cette inactuelle, réfractaire, impérissable, dissidente, rebelle, têtue... menacée

Volupté, indolence et douceur ou la philosophie de Monsieur de Saint-Évremond

29 Décembre 2017 , Rédigé par pascale

 Ceux qu’on appelle libertins au 17ème siècle ne sont pas des débauchés. Erudits, lettrés, “extravagants” à l’occasion, élégants et  raffinés. A.Adam dit même âmes douces. Aussi, cette description tendancieuse mais tenace de nos jours encore aimant le plaisir, tous les plaisirs, sacrifiant à la bonne chère, le plus souvent de mauvaises mœurs, n’ayant autre Dieu que la nature, niant l’immortalité de l’âme et dégagé des erreurs populaires. En un mot, c’est un esprit fort, doublé d’un débauché n’est pas du tout recevable ici, où l’on retrouve Saint-Evremond*. Et dire que l’immense et indispensable travail de René Pintard, déjà évoqué** qui vaut d’abord comme exploration d’historien de la littérature, ne peut suffire pour décider entre la “libre pensée” de Théophile de Viau, “les activités philosophiques ou critiques” des frères Dupuy, le “libertinage flamboyant”, les “hommes plus positifs en général”, c’est-à-dire les déistes, ou les “fidéistes” dans la liste desquels il cite (enfin !) Saint-Evremond, également nommé auprès de ceux “qui se risquent aux travaux de la pensée”. Dans l’équivalence injuste entre libertinage et scepticisme, il évoque aussi l’ “incrédulité” du même. Finalement, les libertins érudits du sieur Pintard ont une attitude variable à l’égard du stoïcisme, mais aussi de l’épicurisme, l’atomisme est leur physique, et la dette revendiquée à l’égard de Machiavel ; dans tous les cas, une éthique indépendante de la religion. Il faut donc une extrême précaution et comme une réticence pour associer libertinage et philosophie, à propos des penseurs du 17ème siècle. Avec Saint-Évremond, cette pudeur de gazelle disparait. Il vaudrait mieux parler de libertinisme. Et revenir à l’étymologie, seul vrai juge de paix, en rappelant ce que libertin doit à émancipation et affranchissement. Mais affirmer qu’à cette seule aune –refus du dogmatisme et refus d’un pyrrhonisme total- Descartes aussi pourrait bien être libertin dans sa volonté farouche d’être conduit par la seule force de sa raison…

     Pourtant, et comme pour nous agacer d’emblée, Saint-Évremond se défend d’être libertin. Mais ne cesse de se vouloir libre et se pose en s’opposant à toute philosophie –entendons reconnue- affichant ce que pour lui philosophie veut dire, ou ne pas dire, ce qui revient au même, revendiquant la dénonciation de toute métaphysique, de tout dogmatisme, de toute tyrannie du raisonnement, bien qu’il accepte d’assez bonne grâce de livrer sous toutes leurs formes, ses réflexions de… philosophe voluptueux ajoute-t-il, il est vrai.

     Y a-t-il une valeur philosophiquement pertinente à l’impertinence de notre Normand** ? que traduisent si brillamment une écriture et un style qui contribuent intrinsèquement à l’élaboration de sa pensée*** ? Pour être libertin au sens du 17ème siècle, ne faut-il pas revenir à un mode de l’écrire inauguré par Montaigne pour qui le monde est objet de réflexion parce que conjugué à la forme réfléchie justement, le sujet revenant toujours et en fin de compte à lui-même. Insister et examiner dans sa pratique d’écriture comment Saint-Évremond sert une caractérisation critique ; rechercher toute possibilité d’explicitation de son discours implicite ; établir sa pensée philosophique en dépit même, en dépit surtout, de ses résistances, car elles font sens. Et notre homme est trop fin pour laisser là. Il propose à notre jugement, pour l’avoir lui-même éprouvée, l’aporétique confrontation des faits et des études : ‘on brûle un homme assez malheureux pour ne pas croire en Dieu, et cependant on demande publiquement dans les Ecoles s’il y en a un’. L’assertion est puissante, sa portée immense à qui veut bien lire chaque mot : la foi est affaire privée, elle relève du sentiment, la lier (et) à des apprentissages est hors de raison ; mais de la théologie on fait débat. En fin de son propos, il reprendra de Montaigne, sans le nommer, la formule fondatrice : séparer la personne du Magistrat. En cette chose (la religion) comme en tant d’autres, seules les “véritables impressions de la nature” peuvent nous guider, les débordements de curiosités des doctes, et celles des ignorants, ne sont pas de mise. Il y a un assujettissement –un conformisme- qui paradoxalement protège du fanatisme, protège notre liberté intérieure.

     Vingt ans après sa rédaction, Saint-Évremond se souvint de son texte L’homme qui veut connoistre toutes choses ne se connoist pas luy mesme comme d’un “petit discours”. Probablement écrit en 1647, c’est-à-dire avant l’exil, les pages sont contemporaines de la publication en français des Méditations et Principes cartésiens –mais lui qui lisait le latin, en a peut-être connu la version originale-, de la Vie d’Epicure de Gassendi, de la réédition de la Vertu des Payens de La Mothe le Vayer. Un aveu d’humanisme, au meilleur et premier sens du terme. Si l’on revient, encore et encore à Montaigne -ce que Saint-Évremond ne cesse de faire- pour qui la vie est un mouvement matériel et corporel, action imparfaite de sa propre essence et desréglée ou que l’homme étant tout occupé à part soy, le moindre bourdonnement de mouche (l’) assassine son esprit, on a une meilleure lecture du titre étonnant de ses pages : le désir de savoir ne coïncide pas avec son objet et c’est proprement dépasser ses limites et ses droits que de vouloir tout connaître. Il y a un au-delà de l’homme qui n’est plus humain. Pitoyable orgueil qui a quelque chose à voir avec le milieu entre perfection divine et néant d’animalité, formulé par Descartes : je suis comme un milieu entre Dieu et le néant et en écho au milieu entre rien et tout pascalien. A quoi le plaisir, ou plutôt les plaisirs, sont constitutifs d’une raisonnable réponse, non du fait d’une appartenance à l’animalité qui détourne d’une vocation spirituelle dont Saint-Évremond  ne parle jamais, mais parce qu’ils sont signes de l’humanité de l’homme dans toutes ses intensités, variétés, variations et interprétations. Saint-Évremond comme philosophe voluptueux établit des déclinaisons subtiles et jamais définitives, du plaisir au bonheur, à la joie, et maître mot, à l’indolence. Comprendre ce qu’être voluptueux veut dire, ou pourquoi la désignation négative du plaisir par l’absence de troubles, d’inquiétudes et/ou de souffrances, a pourtant semblé être la seule vivable, ou enfin, par un usage de l’oxymore qu’il affectionne ce qu’est une volupté spirituelle, ou une agréable indolence ou même pourquoi, plus étonnant, la volupté selon Epicure lui semble “sans volupté” car immobile, qui ne vise, à tout prendre, qu’atteindre la mort sans avoir goûté à la vie. D’où la distinction importante et rare, entre Epicure jeune et Epicure âgé, distinction qu’il reprend à son compte mais que tout (bon) lecteur de Montaigne a pu saisir dans Les Essais.

     Du moi montaignien à l’ego cartésien, il y a place chez notre voluptueux pour un je dont l’incertitude (il faudra entreprendre un jour l’étude du ‘je ne sçay quoi’ évremondien) n’engage aucun scepticisme militant, et si peu d’indécision, mais organise le principe de son autoportrait intellectuel mais pas seulement. Eloge des impressions legeres, qui ne font qu’effleurer l’âme ; je pense sur toutes sortes de sujets, je ne médite sur aucun. Intérêt ou plaisir qu’on se donne à soi-même, pour mesure de soi. En deçà, c’est l’ennui, autre manière de dire l’immobilité, autre dénonciation libertine, au-delà, le ridicule. Chacun reste juge de soi et pour soi, et l’établissement d’une normativité –l’ego cartésien par exemple- devient impossible. A l’opposé de tout fixisme ontologique, Saint-Évremond propose l’indolence qui a quelque chose à voir avec la douceur, bien plus qu’avec l’indifférence ou l’ataraxie, et l’absence de conflit et de crainte pour soi, plus encore qu’absence de douleur, qui provient du repos de la conscience et devient sentiment délicat d’un joye pure, se connaît dans le secret et se reconnaît dans le silence, revendications individuelles donc libertines, du philosophe-écrivain. S’obliger soi-même, obliger les autres, être obligé aux autres, autant d’assujettissements qui ruinent le sentiment de soi, c’est-à-dire la liberté, qui seule mérite qu’on lui sacrifie tout le reste, ou qu’on investisse dans le retrait. Ce qui est même chose.

*toutes les citations de S-E sont extraites de ses Œuvres (6 vol.). Paris. Didier **cf archives 30/08/2017 *** et 09/09/2017 (**** et pour les oublieux le 23/09/2017)

 

 

 

au menu du jour

23 Décembre 2017 , Rédigé par pascale

Je cherche huître, je trouve dinde, sur laquelle je rebondis. Qui me renvoie à huître. Qui me présente pintadine. Non point le petit de la pintade, mais l’huître perlière comme chacun sait. Là, je me dis qu’un esprit courtelinesque hante cet écran. Mais pourquoi chercher huître me direz-vous ? Bonne question. Je suis là, je prends. L’huître dans le creux de la main, l’ouvre. Apparition furtive. L’ai engloutie sur le champ.

D’un mot -d’aucuns le savent tant- tout peut venir. Et tout vient à point. De suspension. J’hésitai donc, et commençai ainsi, il faut être sacrément inconscient ou prétentieux pour parler des huîtres, après Francis Ponge et Denis Montebello*. Pause. Interrogation. Réflexion. Tout cela ne peut me mener bien loin. Suis-je rattrapée par l’angoisse de l’écran blanc ? Je change la couleur de l’encre. Bleue. Trop bleue. Verte,  à peine mieux, et 'ça' dit un peu l’huître... mais aussi que je suis rattrapée par mon Ça… Changer de couleur, vite. Passer au rouge. Mais du vert au rouge, c’est stop ! Message compris. On n’écrit pas dans l'arc-en-ciel mais dans la grisaille. La brumaille. Les nuances de la coquille. Cendreuses qui brillent.

Retombons à nos mots. Qui riment sans raison. La doublement alléchante pintadine me fait faux bond mais vraie surprise. Voyons donc. Recours au latin scientifique qui est au latin ce qu’est le latin de... cuisine, lequel nous était plutôt servi à la messe-qui-en-fait-de-cuisine-s’en-tenait-à-une-mauvaise-piquette-et-encore-pas-pour-tout-le-monde… re-stop ! La pintadine est bien du genre mollusque qu’on aime gober, tout en croyant le contraire. Mais puisqu’elle est perlière, elle enfile des histoires à n’en plus finir. Ainsi s’appellerait-elle aussi méléagrine par la volonté du bon Lamarck, qui a, sur nos bêtes, dit bien des sottises, et qui reprend la meleagrina en y laissant des plumes. Pourtant le grec disait clairement μελεαγρίς,  oiseau de Méléagre, pintade, et Méléargos nom d'un personnage dont les frangines ont été métamorphosées en… pintades ! Dixit. Deux fois.

La méléagrine est une pintadine, une huître pas un oiseau. La première s’avale, le second se mâche. Avec un peu de salade. Et un accent circonflexe, la tresse chapeautière de l’ignorance, comme il dit Queneau. Qui n’est pas péquenaud, et même le contraire. Alors je me demande si les huîtres poussent sur les huîtriers, comme le poivre sur le poivrier. Mais l’huîtrier est une pie de mer, entendez une bécasse. Pas une pintade. Ni une huîtrière, la sotte du ménage à trois des comédies de grand boulevard. Et voilà Courteline revenu par la fenêtre ce qui lui ouvre toutes les portes. L’huîtrier, lui, mélange les tons avec élégance, bec rouge-orange, plumage noir et blanc. Quatre couleurs montées sur une paire d’échasses jaunes. Ou rosées, c’est selon. Gribouille et farfouille dans les rochers ostréiculteurs. Jusqu’à dénicher de quoi se sus-tenter. C’est la tentation de l’huître.

Je plaide coupable. Du Jugement de Salomon le coquillage fait l’illustration. La Fontaine, Jean de son prénom, le dit bien mieux que moi. En une fable où Perrin Dandin fait deux dindons farcis de grugerie. Et en une autre où l'huître bien plus renarde que oie blanche attrapa un faux savant aux lacets de sa vanité. Qui eût jamais pensé qu'en cette simple coquille se nichât tant de subtilité ?

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*Fouaces et autres viandes célestes, éd. Le Temps qu’il fait. (je me permets d’ajouter mon grain de sel : indispensable lecture en ces temps de nourritures terrestres…. Les viandes –au sens ancien du terme- ici présentées sont de première fraîcheur, et le livre lui, date de 2004. C’est un régal. Depuis ce jour. Et sans faim.)

l'ami italien

17 Décembre 2017 , Rédigé par pascale

   Sur la toile cirée de la table de la cuisine, son doigt glisse. Il n’ose lever les yeux et regarder droit le visage de sa mère qui le blesse et le frappe. Qui ne sait pas l’aimer et croit qu’en en faisant son dieu elle le protège des hommes et du monde. Mais elle l’emmure vivant dans ses cris. Ses reproches tombent comme des lames.

   Le père est assis là. Absent. Pas un mot, pas un sourire. Qui ne se laisse ni regarder ni toucher. Tout près, mais si loin. Ailleurs. Nulle part. Plus tard, bien sûr il se souviendra du silence du père dans la maison d’enfance. Il me dira qu’il lui fallait de la grandeur d’âme pour traverser sans mot dire des journées toutes semblables et chaque soir rentrer, pousser le portillon et fatigué, emprunter l’allée vers la lumière imprécise de la cuisine. Il confondait tolérance et faiblesse.

   La mère, elle, elle veut qu’il l’admire pour tant de sacrifices et tant d’abnégation, mais oublie qu’il est un enfant. Il l’écoute. L’injuste, souveraine dans l’humilité. Jamais elle n’abdique sa discrétion qui l’écrase et le meurtrit. Elle le laisse, seul, dans l’incommunicable. Il trouvera bien vite une mère domestique pour remplacer l’autre, celle qui, même au-delà de la mort, ne capitule pas. Qui interdit si bien de grandir qu’il ne peut se passer d’elle et reproduit  la vie de l’enfance dans l’âge adulte, mauvaise représentation d’une pièce déjà médiocre, au texte sans grandeur. Sa vie est sans désir, qui ne sait point être insolente.

     Alors il reste l’enfant qui ment, qui continue de mentir, qui fait semblant. Et comme tous les enfants, veut un jour sortir de la maison, de la vie étroite, marcher dans un terrain vague, à découvert. Se faire surprendre et se faire peur. Se perdre, s’égarer. Fuir, s’enfuir. Un jour, comme tous les enfants, il veut savoir si les rêves existent bien, ou s’ils ne sont que des rêves pour rêver. Il lui fallut encore beaucoup de mensonges. Composer, composer toujours avec la vie restreinte, le faire-semblant. Sa vie. A force d’être rangée, pliée, ordonnée comme les piles de linge que sa mère repassait le soir, forcément le soir, pour oublier par fatigue et non par tendresse, que le fils adoré un jour sera parti. Sa vie, inodore, incolore, insipide jusqu’à la nausée. La nausée du propre. Très exactement propre et convenable. Pour être un jour  un adulte présentable, offrant une vie lavée, lessivée, soignée.

    Mais seul. Il était seul dans son inexistence. Effrayante solitude, vitale, incorruptible, desséchée. Pris au piège d’une image d’enfant qui triche journellement. Immobile dans le rien, l’indigence et la misère du vide d’amour, du manque de mots, de l’absence de cette éternité furtive qu’on se donne par l’autre, pourvu qu’il ne soit point là seulement par blessure de vie. Toujours il restera en lui une part oubliée, incomblée, quelle que soit son application à rassembler autour de lui des êtres, des choses, des souvenirs, indifféremment.

 

   Seule la tempête d’une rencontre désespérée pourrait créer l’insurrection. Et comme tout garçon un jour gagné à la cause de la rébellion adolescente, il se laissera aller pour un temps. Comme on dit. Sachant qu’il pouvait rentrer d’exil et répéter la fable de l’enfant prodigue et repentant. Non par amour, mais par fatigue. Sa vie immobilisée l’attendrait là où il l’avait laissée. Et comme il l’avait suspendue, faisant acte de résipiscence, il irait décrocher sa peur de grandir au porte-manteau de l’habitude, et pour s’en revêtir avec élégance, n’hésiterait pas à trahir son âme. Dans cette façon qu’il avait de faire croire qu’il touchait à l’idée du bonheur en conduisant sa voiture ou cultivant son jardin. Et s’en donnait  alibi pour faire diversion. Il était de ceux qui croient aimer quand ils n’aiment que la vie dévotement organisée autour d’eux. Et comptent sur le temps qui passe pour n’avoir pas à compter sur soi.

   Il construisait ainsi l’incroyable édifice oblique de son impéritie à vivre.  D’où ne restent plus que quelques feuillets vieillis et tombés à terre. Pour toujours.

 

Pensements la nuit

11 Décembre 2017 , Rédigé par pascale

 

Le philosophe en Méditation est rentré en lui-même. Autour de lui tout est obscurité et solitude. Et quand tout dort et se repose, le reflet scintillant de la lune dans un ciel sans nuage convient à son esprit recueilli. Sans violence, le soleil a disparu. Lui, il reste là. Ni hâte ni précipitation. Il doit reprendre son raisonnement.

La Clairvoyance* est intérieure mais l’image et le réel aident la pensée à mieux penser : si, d’un œuf, je pense un oiseau, c’est une  trahison féconde. Une part de la vérité de l’œuf se dévoile. Cela doit rester simple, observable. Tout le contraire de l’indifférence aux choses. La vision par l’esprit. Passer de la perception à l’idée. Concevoir ce que les sens ne désignent pas. Un défi que le philosophe prend un réel plaisir à saisir. L’expérience de celui qui pense les limites du réel, et rencontre, dans cette lutte, les limites de la pensée.

 

Les sensations les plus évidentes au service d’une pensée hardie, tel est le mécanisme par lequel le philosophe choisit d’exprimer sa conception du monde, qui appartient peut-être aussi à l’émotion, la poésie, la beauté, parce qu’il lui est indispensable, vital même qu’il en soit ainsi. Comme si le monde qui nous entoure se devait également de nous enchanter. Ne jamais accepter de renoncer aux visibles apparences, ni même de rompre avec elles. Il en a besoin pour pactiser avec l’invisible, s’y ancrer et rattacher le sentiment familier des choses avec celui de leur mystère. Les poètes savent trouver ces mots-là, les poètes seuls.  L’aurore est l’épousée de la lumière dit Mallarmé.

 

Autour de moi, l’insondable silence. Sur la terre l’ombre gagne, alors qu’au ciel, la constellation de l’Ourse nettement se détache. Un instant je m’attarde à la représentation de la terre comme un disque plat qui sur l’eau flotte, tandis que le ciel, vaste cloche, vaste couvercle, enserre le cercle de l’horizon. Je me souviens que l’ingénieux et perspicace Thalès l’avait décrite ainsi, et, pour un court instant,  me sens  complice de ce génial distrait qui trébuche quand il marche et tombe dans un puits. Je prends l’anecdote pour la métonymie du penseur avalé par l’infini tandis qu’il porte ses regards au-delà du monde.

 

Pourtant cet ordre apparent et visible, doit bien résulter d’une cohérence, une ténébreuse et profonde unité**, issue de sa multiplicité même. Autant je fus générée comme vivante par des éléments distincts mais naturellement identiques, autant l’univers conclut dans son aspect factuel, traite et résout, toute interrogation sur le changement, la variété mais l’unité de tout le divers et de tout le semblable. Il est brise-raison.

 

Physiquement sphérique, sans aucune cause extérieure nécessaire, sans finalité, il est sa propre raison d’être,  comme le plus beau des tas répandus au hasard***, ce qui ne le renvoie ni à la contingence, ni à l’indéterminé, mais seulement –du moins le dire ainsi- aux pouvoirs et à l’action motrice de forces, de puissances aux qualités et aux natures intrinsèques, en un mot, d’éléments primordiaux et incréés visant par eux-mêmes et en eux-mêmes une plénitude inévitable. Comme une masse éternelle, parce qu’elle n’appartient pas au temps qui n’en finit pas d’être. Aussi je peux me rendre aux arguments de la poésie, de la science et de l’expérience conjointes : l’impossible est plus vrai que le possible, l’invisible que le visible.

*Magritte**Baudelaire***Héraclite, cité par Théophraste

un conte vrai

7 Décembre 2017 , Rédigé par pascale

Le père Noël répond quand on lui écrit. Très féru de géographie astrale, il aime parler du ciel dans lequel il ne pense pas une seule seconde qu’il y ait du vide, sinon comment s’y promènerait-il sans que son traîneau ne chute ? et aussi, comment les luminescences des décorations urbaines lui parviendraient-elles, chaque rayon se briserait au bord des bords des abîmes ? Pour le père Noël un espace vide est une contradiction dans les termes, une insulte faite à son travail, une invention de mécréant. Le firmament illuminé, une nuit par an depuis la terre pour le guider, alors qu’il éclaire la planète toutes les autres nuits dans un mouvement inverse, cela ne montre-t-il pas qu’il y a des chemins, des routes, des rails, des couloirs, qui garantissent un chenal au moins, une cartographie routière au mieux où passent des ondes, des particules, peut-être les deux ? peut-être une circulation intense. Sauf, bien sûr, une nuit par an, où le père Noël a la concession pour lui tout seul.

Une des lettres du père Noël, bien que courtoise et fort bien tournée, n’en disconvint pas moins à la formulation d’un jeune savant qui osa le défier sur la question, lui retournant l’axiome le plus courant et pourtant le moins vérifié, la nature a horreur du vide. Le jeune homme ne pipa mot. On ne récuse pas le père Noël. Du moins sur le champ. Le champ de neige enguirlandé de loupiotes, de boules scintillantes, et autres imitations d’étoiles. Il attendra. Mais le père Noël, qu’on le sache, a parfois l’entêtement des célébrités. Il rumine près de ses rennes, remettant à sa période de congés la démonstration de ses certitudes forgées sur l’expérience de ses aller-retour innombrables entre nulle part et quelque part. Le père Noël n’a pas lu Hume. Personne ne lui a jamais commandé de laisser une telle œuvre pour cadeau ! Hume pour qui la répétition d’un fait, serait-elle constatée un nombre incalculable de fois, ne garantit pas la fois prochaine. Aussi, ce n’est pas parce que l’on suppute qu’un évènement se passe en raison d’un autre, qu’il y a quelque vérité en cette supputation, ferait-elle l’objet d’une observation permanente, selon l’observateur tout au moins….  Laissons tomber Hume. Dans le vide.

Donc le père Noël ruminait. En vue d’une réponse à venir. Il eût fallu conjuguer ce verbe au futur, se dit-il, et non user du passé. Passons, je m’enquerrai un jour de cette curiosité d’une langue hexagonale, vue d’en-haut, qui aime tant manier les surprises. Revenons à nos moutons intersidéraux, qui courent et roulent dans les cieux, comme autant de nuages, de nébuleuses et autres concentrations de matière. Sans compter  les moutons qui sautent par-dessus les insomnies de tous les agités de la planète bleue. Bleue comme un orange. Cette fois, ce père Noël-là avait lu Eluard. Feuilleté en tout cas un petit recueil joliment enrubanné qu’il avait une fois déposé au pied d’un sapin. Juste à côté d’un cache-nez de laine, qu’on appelle nuage dans une région d’un grand pays de caribous.

Le père Noël s’attarde. Ce n’est pas bon pour ses affaires. Aussi, le jeune savant ne le relançant toujours pas, il retourne à la tâche, non sans avoir déposé la formule de sa réponse à venir en son atelier, suspendue à une décoration inachevée : Le Plein du vide. Ah ! ah ! verra bien qui aura le dernier mot. Je défendrai jusqu’au bout l’imposture des témoins qu’on (m’) oppose, il n’y a pas de vide, le vide est plein de tout ce qui existe ! je suis bien placé pour le savoir et pour le voir. Je vois les choses d’en-haut moi ! Et là, on soupçonne le père Noël d’avoir lu La Physique d’Aristote et les textes scientifiques de Descartes. Mais pas la Lettre à Pythoclès d’Epicure ni le De rerum natura de Lucrèce. D’un côté l’impossibilité du vide, de l’autre sa nécessité. Faut-il lui en vouloir ? après tout, le bon père Noël n’est qu’un apocrisiaire, mais je voudrais bien savoir de ce Père d’où lui vient cet ascendant qu’il a sur la nature se demande, in petto, notre jeune savant un tantinet agacé*.

Ce Père Noël-ci a bien existé. A l’époque, pas à la nôtre. Prénommé Etienne et Jésuite de profession de foi. A sévi au Collège de La Flèche, Descartes l’eut même pour répétiteur pendant deux ans. Mais c’est Pascal qui le rendit célèbre par les échanges épistolaires où le jeune esprit montre avec virtuosité, pugnacité et civilité sans pareilles qu’on peut être le Révérend Père Noël, et se tromper. Il avait 24 ans, Descartes 50, Etienne Noël plus de 65. Environ. On ne regarde pas aux mois. Homographe et homophone de notre commissionnaire d’un jour, ou plutôt d’une nuit. J’aime à lui rendre parfois visite  pour le plaisir de lire en tête de quelques missives signées René Descartes, le champion du rationalisme, et  Blaise Pascal, le scientifique mystique : au Père Noël !

 

* Pascal, O.C. Œuvres physiques : Expériences touchant le vide. Gallimard, La Pléiade, p. 387. Le Plein du vide cité plus haut est un écrit du vrai Père Noël, le contradicteur de Pascal, en français puis en latin. Vrai aussi que le jeune Blaise ne lui répondit pas du moins directement… mais on ne s’engagera pas dans cette affaire.

 

au fil (distendu) de l’histoire, petite suite*

3 Décembre 2017 , Rédigé par pascale

… comme mon nouvel ancien dictionnaire s’ouvre tout seul, me voici, un jour de gel et de froidure extérieurs, à l’article Femmes sans l’avoir cherché. Mais le vieil ouvrage suivait, lui, son fil invisible. Voyez plutôt.

Passons à grands pas sur les propos liminaires, généralités dans les platitudes et abysses de poncifs dans des océans de lieux communs : les femmes  travaillent dans les maisons pendant que leurs maris sont aux champs, et cela dès près de deux mille ans après le déluge ! Nous n’oublierons pas que le quasi-grimoire frise les cent cinquante ans –ce qui me paraît hier- et qu’il a pour recommandation en guise de sous-titre Ouvrage également utile aux Hommes du monde, aux Elèves des Lycées, des Collèges et autres Maisons d’éducation. Tout cela est bel et bon.

Mais les femmes, toutes les femmes, dans ces temps imprécisés où l’approximation le dispute à l’insu par d’aimables accommodations verbales, les princesses, les reines aussi, s’employaient à filer. Le lin, la laine, le bysse, dont j’apprends à la lettre « b » qu’il s’agit d’une soie pour les uns, d’un lin très fin pour les autres, quand ce n’est pas du coton… et renvoie au philosophe Vossius et son Dictionnaire étymologique, contemporains de Descartes. Les femmes homériques sont à leurs fuseaux, leurs métiers, leurs tissus. Pour preuve, les textes de Théocrite, ou Térence. Ovide et Virgile. Décidément Monsieur Chauvierre –et j’en profite ici pour lui rendre son orthographe patronymique exacte*- vous m’enchantez. L’acribie n’est point votre fait, l’inactualité si. Passements et passementeries font votre marque. Séduite par la richesse de votre glossaire, désappointée par tant d’inconsistance dans son usage. Mais je continue, j’aime aussi l’indécidable.

Où j’apprends que le temps d’Auguste était fort amolli, puisque –en voici donc la cause, la raison- les femmes de sa maison, épouse, sœur, filles, confectionnaient ses vêtements ordinaires. Rien de plus normal, n’est-ce pas ? et aussi que malgré leur vie austère, les femmes antiques ne rechignaient pas à plaire. La Bible, Homère, Plaute et les poètes en sont témoins. Et quelques considérations édifiantes plus tard, Monsieur Chauvierre se souvient que La langue latine n’a pas de mot pour dire une sénatrice, ni même, à proprement parler une impératrice, car l’expression Augusta n’était point un titre de dignité. Comme je suis d’une extrême méfiance, je me demande ce qu’il veut bien dire par dignité…  

Le temps d’avaler un café -soit deux lampées, ici le café est ristretto voire plus- et les pages de mon  bréviaire inattendu s’affranchissent de la pesanteur de ma présence pour se remettre en leurs plis d’habitude. Ceux des ficelles usées jusqu’à la corde qui leur servent de liens aléatoires puisqu’elles les disjoignent plus qu’elles ne les rassemblent. Le poids des ans fit souffler un vent léger, ce qui n’est pas toujours contradictoire…  aussi me voilà devant l’asbeste, incrédule et agitée comme un enfant le matin de Noël. Asbeste, nom d’une toile incombustible. Lisez, relisez Pline. On dirait un message promotionnel, anti-taches, résistant, blanchissant, l’asbeste est aussi le nom de la pierre qu’on tissait pour faire... l’asbeste. J’ai bien fait d’en appeler, même au risque de l’achronie, à l’esprit de Noël ! Nihil igni deperdit, dit-on, mais on ne nous dit pas qui le dit ! Le feu ne peut les détruire. Ni la toile, ni la pierre. Nous voici exactement parlant en présence d’amiante άσβεστος. Ouf ! non que la nouvelle soit réjouissante, mais au moins y a-t-il quelque ordre dans cette chute.

Père Noël qui êtes aux cieux, pour votre dégringolade par les conduits de fumées qui vous font Cendrillon –cul dans la cendre- bien plus que lutin malin, exigez de vos employeurs saisonniers, pour compenser les risques et la pénibilité, un tablier d’asbeste. Le pantalon et la veste aussi.

*cf  textures, juste en-dessous

textures

29 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

L’abolla, portée par les philosophes. Ou plutôt, ils affectaient de revêtir cette longue et ample robe, ce manteau, dit le Petit Dictionnaire pratique de l’Antiquité de Patrice Chauvière, M DCCC LXXV. Petit par la taille seulement. Une trouvaille, un trésor à quatre, 4€ ! Il faut pour cela être allée un dimanche matin de Novembre en Saintonge*, avoir laissé le véhicule musarder, perdre l’itinéraire officiel, oublier de tourner au bon carrefour, et manger plusieurs dizaines de kilomètres supplémentaires, mais pas inutiles. Des feuilles en virevoltage entre ciel et terre et des lumières qu’on dit d’automne quand on ne trouve pas l’adjectif qui les aurait qualifiées exclusivement.

 

Un peu chahuté par les ans, ce dictionnaire désormais mien. Les fils qui en relient les pages souffrent d’une usure certaine. Aussi je les tourne avec ménagement. Quand même, j’ai envie de prendre du plaisir. Il faudra bien concilier les deux. Et comme il ne s’agit pas tant de tourner les pages que de les laisser se poser calmement une fois l’ouverture pratiquée (comme on disait jadis des autopsies) des mots se présentent à moi dans l’indiscipline alphabétique, même si l’abolla a remporté la première manche. Normal pour un vêtement prétendument philosophique.

Parce qu’entre les pages 108 et 109 il y a plus de vide que de plein, le livre s’ouvre tout seul et se pose tranquillement,  se met en repos  et  m’invite.  Caracalle. Robe célèbre dans la partie des Gaules habitée par les Atrebates-Morins ! Je poursuis. Ce fil-là est d’or. Et moi je festonne, je tisse, je couds, je sais tout de cette mise, sa forme, ses plis, ses fentes, ses teintes, de l’écarlate à la pourpre. Je passe l’embaumement, un peu trop précis à mon goût, les parfums et les arômes ne couvrant pas les manipulations hygiéniques et autres arrangements cosmétiques. Et puis, bandelettes et langes pour seuls linges me laissent sur ma faim. C’est moi qui décide maintenant d’avancer au gré des résistances d’un papier lourd, collant, jauni, taché,  je n’ai pas toujours le dernier mot. Normal pour un dictionnaire.

Que les factions des jeux du cirque se divisassent en groupes distincts par leur couleur, oui bon… je passe, que ne ferais-je pour qu’une consonance tombât en ma besace! Dans laquelle, au passage je range une collection de fibulӕ et autres agrafes, on ne sait jamais. Mais l’œil de mon cerveau -comme j’aime nommer la curiosité infuse qui me porte d’abord au peu ou mal connu, ensuite à l’inconnu- mon cyclopique instinct se fixe sur Flamines. Non pour le détail des privilèges accordés à ces prêtres romains, mais parce qu’une dissension étymologique inaugure l’article. Je me délecte. Nos flamines, frappés aussi de bon nombre d’interdictions, les prérogatives dans l’ordre du sacré se doivent d’être contradictoires… nos flamines dis-je, porteraient ce nom soit parce qu’ils se couvraient la tête d’un flammeum, ce qui fait un peu court le foulard, serait-il un voile, soit, parce qu’ils nouaient leurs cheveux avec un fil, filum, un fil de laine, filamine, qui, oubliant, un jour de précipitation –là c’est moi qui zigzague à gros points- le ‘i’ d’entrée, devint le prêtre que l’on sait, filant à l’office.

Mon nouvel ami n’est vraiment pas souple. Un peu plus de fréquentation arrangera nos affaires. Mais je le crois déjà très facétieux. Puisque, juste après les rhompheæa  et avant les robigalies –où l’on voit que ce dictionnaire n’en est pas un- s’étale la Robe, la toga grecque, le pallium latin. C’est lui qui le dit. Une page et demie de détails flous, ici comme partout. Juste de quoi donner envie de soulever les bords, former le pli, sinus, amplifier les formes, colorer les trames, arranger les mises selon les circonstances, passer sur les sordida, désirer les tenues de triomphe. Préférer l’ordinaire.

Paumoyer les mots, rapiécer les verbes, repriser le sens, ourler les phrases, raccommoder le vocabulaire, passefiler, rapetasser. L’écriture comme une filature.

(A suivre)

*salon du livre d’Aulnay*et en clins d’œil pour Stéphanie

 

Ce qu’on appelle avoir une vie intérieure.

25 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

Puisque que personne ne saurait demeurer longtemps dans sa chambre sans s’y ennuyer, il faut  meubler. Occuper l’espace vide. Remplir ce qui résonne faute de raisonner. Et qu’elle soit camera obscura aggrave la question puisqu’aucune lumière ne vient y réfléchir ni éclairer les choses. Résumons, dans une pièce vide livrée au noir complet, que faire ?

Abstraction. Faire abstraction diront des âmes charitables ou des esprits badins. Mais c’est déjà fait ! Je suis à moi toute seule le centre du tableau et le tableau lui-même, un Carré noir qui aurait recouvert son fond blanc. Et l’alpha rimbaldien, le A noir qui lui sert de chevalet. Qu’on ne vienne pas me dire, morose, que le noir n’est pas une couleur. Ou que dans le noir, on n’y voit rien.* Ou dans un mauvais élan, qu’il pousse à la mélancolie comme un soleil noir. C’est faire pléonasme, seuls les poètes le peuvent. Qui la font rimer parfois avec la discrète ancolie,  bleue si elle est commune, vulgaris ; noirâtre si elle est atatra.

 Revenons à la muette et double supplication du plein et de la couleur, comme s’il fallait barioler la robe des choses pour nous dévêtir d’insignifiance. Et agir en maître des pigments et des teintures. Revenons à l’injonction de meubler notre esprit pour en chasser les idées. Noires ? Si l’on s’en tient aux mots, et à quoi d’autre donc ? tout bien meuble, tout mobilier se distingue par sa capacité à pouvoir être déplacé, aller d’un endroit à un autre,  vider un espace pour occuper mieux un lieu. Et repeindre, un mur, une façade, une pièce, c’est aussi la rafraîchir. Comme une page de l’ordinateur qui n’aime pas que l’on s’y attarde sans la relancer. Rafraîchissons-nous, et le monde. On ne tient pas aux mots, ce sont les mots qui nous tiennent.

On savait Nietzsche et Pascal irréconciliés. Etre cul-de-plomb, voilà, par excellence, le péché contre l’esprit !  dit le premier dans le Crépuscule des Idoles, ce qui ne veut pas dire au pied de la lettre que seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose. A défaut de nous dégourdir les jambes, décrassons notre cerveau, nos pensées n’en seront que plus vives, non qu’elles passeraient d’une idée l’autre, comme la maclotte qui sautille**, mais à l’opposé de l’agitation au contraire, elles s’affûteraient à la pointe de l’exercice d’immobilité. De la possibilité de la réflexion en péripatétisant, ou du besoin de la pièce vide, nul dogme. Aristote parcourait les rues athéniennes, Socrate l’avait fait avant lui. Et tout le monde feint de croire la légende selon laquelle Kant aurait modifié sa promenade quotidienne par deux fois seulement : se procurer le Contrat Social rousseauiste, aller chercher le Journal annonçant la Révolution en France. Descartes qui a traversé l’Europe, y compris en morceaux après sa mort***, loue la tranquillité d’une retraite studieuse dans son poêle où il rédigea parmi les pages les plus profondes de sa métaphysique. Et non, promis, juré, je ne parlerai pas d’Empédocle. Car c’est ici****

La philosophie de l’ameublement est encore à faire, j’en présente mes excuses à Edgar Poe. Et celle du noir, seule couleur susceptible de coïncider avec le vide qui n’est jamais le rien en philosophie, mais la possibilité de quelque chose qui n’est pas. Où je maintiens mon intuition récurrente : de la physique à la philosophie il n’y a qu’un pas.

(Je dois mon titre à Ponge, en me promenant, encore une fois, dans sa Rage de l’expression.)

*titre d’un livre indispensable de l’irremplaçable Daniel Arasse **Apollinaire ; ***ibidem, 8,10 et 14 Mai 2017 ; **** ibidem, inactualités et acribies de la Marche, 6 Juillet 2017

 

quadrature du cercle et puissance de l'imperceptible

20 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

   On attribue le succès multiséculaire de la géométrie euclidienne à sa parfaite conformité aux données de l’expérience immédiate. L’intuition spatiale juste!... Les lignes sont des droites, et les parallèles ne se rejoignent jamais, même si je promène un regard circulaire sur l’horizon courbé, et qu’au bout d’une longue ruelle aux côtés bien rectilignes, je ne perçois pourtant plus qu’un point! Sous cet aspect, le monde est polygonal. Foin des Pythagore, Parménide et autres Empédocle qui l’affirment rond. Car la Sphère, qui enferme la totalité des existants et en porte toute la sacralité, la Sphère est... sphérique, arrondie, rebondie dans ses rondeurs.* Mais que deviennent les droites qui parcourent ses surfaces, interne ou externe? des cercles! Et quand ils sont plusieurs à passer par le même point ? ils dessinent une gerbe ! Les mathématiciens modernes –Riemann, Lobatchevski- ont découvert ce que les physiciens grecs savent depuis deux mille cinq cents ans, et les aventuriers depuis bien moins : la curvité de notre monde. Une révolution, en somme! D’un point à un autre, le chemin de la ligne reste le plus efficace mais collée à la surface de notre globe, cette droite est géodésique, curviligne, elliptique! et autour d’elle qu’y a-t-il ? De l’espace, disent les physiciens. Pourvu qu’il soit rempli ajoutent certains. Einstein. Démocrite, Epicure. Un espace vide est un non-sens dit Empédocle. Ou comment on rencontre les particules des uns, et les atomes des autres ...

   Remarquable le vocabulaire qui prétend rompre avec l’ancienne physique et qualifie de quantique la “nouvelle” mécanique du monde -M. Planck, 1924-25- eu égard au quantum d’action qui intervient comme constante non négligeable de tous les phénomènes matériels. Une certaine quantité d’énergie! Mais comme toutes les conditions requises pour son observation, sont si concrètement inaccessibles, elle serait bien en passe de devenir une véritable qualité de la nature! Heisenberg. Pas une illusion, ni une erreur. On a même parlé de variables cachées ! Et certains scientifiques -B.D’Espagnat- acquiescent timidement à l’idée d’une réalité double : celle que l’on peut observer et connaître, et l’inconnaissable, indépendante, celle des particules élémentaires… d’Empédocle? Disons-le autrement : il reste dans la connaissance du réel, une part égarée, irrégulière. Tous les évènements élémentaires favorables à la construction et à la régulation du monde s’organisent, ils sont donc passibles d’intelligibilité majeure, mais quelques-uns résistent que n’absorbe aucune logique, ni aucune instrumentation suffisamment secourable.

 

   Une échappée belle, qu’Empédocle a toujours adoptée comme irréductible, essentielle et interdite d’heuristique. Un mur de briques ne sera jamais une mosaïque!

 

   Les atomes ont des propriétés, des qualités qui, comme telles, doivent les rendre stables. On le sait depuis que le principe d’un mécanisme matériel fut pensable. Leucippe, Démocrite. Détermination et probabilité épuisent le sens du réel. Il n’y a de place pour rien d’autre. Ou l’ignorance. Sauf pour Empédocle, ou les quantistes, pour qui une réalité indépendante de nos facultés ne peut que s’entremêler à un réel plus simple dans sa description locale. Les atomes des anciens sont passés d’une géographie quasi immédiate, à une moderne suggestion régionale. Les physiciens se sont-ils faits poètes pour autant? et Empédocle est-il leur génial cacique, qui, à l’idée de connaître le monde, préfère celle de le comprendre, et encore! Si l’univers n’a pas de modèle, en revanche il est lui-même modèle, et notre aptitude à l’observation et au raisonnement ne doit jamais être en sommeil. La stabilité des atomes, de l’homme, partant, du cosmos tout entier, n’existe pas comme un état, un fait ou un bilan, mais s’atteint au point fragile d’une absence de collision et de chocs, impossible à envisager sans la notion d’énergie (νέργεια, la force qui agit) qui maintient le tout en équilibre, mais pas en permanence, ni au même moment pour toutes choses. D’où la turbulence cosmique qu’Empédocle a toujours privilégiée -une force si douce mais absolument inévitable- qui réalise le rassemblement des atomes en inventant la diversité des êtres. Alors la machinerie universelle ne fabrique pas seulement du semblable par addition d’unités de base. Il ne suffit pas, reprend Cicéron, de chercher l’origine de la matière, mais quelle force fait qu’elle advient. D’où vient l’énergie qui fait que les choses sont, question redoutable à côté de laquelle disparaît celle de savoir si elles sont. L’être est puisqu’il est l’Etre, répète inlassablement Parménide!

 

   Qu’il y ait des unités discrètes ou des infiniment petits ; que les atomes soient formels ou de subsistance ; que des impressions insensibles d’abord, fassent naître des perceptions ensuite ; que toutes ces portions ou proportions du monde se nomment monades, atomes ou corpuscules ; que des  paquets d’ondes, des spins ou mouvements de rotation partout s’agitent ; et que des quasars, objets quasi stellaires nous fuient à une vitesse approchant celle de la lumière... Encore une fois, d’où provient tant d’énergie? Pratiquant l’autopsie, au sens étymologique l’observation directe, comme moyen de la contemplation et non comme fin en soi, avec nous Empédocle laisse irrésolue la question de savoir quelle est la plus incommensurable, de la pensée humaine ou de la réalité? Laquelle puise ses forces dans les forces de l’autre?

 

*ibidem, 19 avril 2017

 

équilibres

17 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

 

 

autant de sable que de parole perdue

mais je suis retenue

au toujours

même

fil

il

file

mon rêve

tout le jour

une main me regarde

me perdre sur la plage insaisissable solitaire.

 

 

  •  

 

                                 je marche

                              sur les mots

                           comme

                         on monte

                       un escalier

                     le long de la descente

                   vertigineuse

                des ombres

 

    il écrivait à l'encre violette

    12 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

    Deux jours, trois parfois. La politesse de la conversation, comme au Grand Siècle. On ne fait pas attendre qui vous a écrit, c’est-à-dire parlé. On lui répond. S’il s’en allait à Rome, ou Athènes -où aller sinon ? je recevais une carte postale. Je viens d’en feuilleter la pile. L’autre pile, il y en a une autre, souple comme l’écriture qui en brodait les lignes invisibles, retient par la cicatrice couturée du temps une correspondance indicible. Celle des lettres.

    Il n’aimerait pas le Vieux, comme nous n’étions que deux ou trois à le surnommer (Jerph. pour tous les autres) que je nostalgise. C’est simple, il m’engueulerait ! La mélancolie, pas son truc. Tiens, je me mets à écrire comme lui, voyez donc : Lisez Saint-Augustin. Ça va vous requinquer, je ne vous dis que ça ! Surtout le De musica, le soir avant de vous coucher. (sans blague, lisez plutôt les Confessions !) . Et quand je lui écris pour lui parler d’une émission où il présentait avec grand sérieux le toujours même Augustin, il me répond : vous avez donc écouté cette émission vaseuse avec L… J’avais l’impression que ce type n’y connaissait rien, et s’en foutait : il aurait tout aussi valablement reçu le PDG d’une firme de croquette à chats.

    Dès que j’avisais l’impérissable Ma chère Pascale  festonner de violet la page blanche -ce pouvait être deux fois dans le même mois comme deux fois dans l’année, ça ne dépendait que de moi- je revoyais alors, oui je revoyais,  les silences dans lesquels il enroulait ses mots à venir, fermant les yeux. Parlant enfin d’une voix basse qu’il pouvait un court instant porter à un aigu longuement respiré. Du spécialiste de Plotin à l’épistolier généreux et frivole –je savais les visites médicales, les disparitions des chats, une remarque fâchée sur la sotte saillie d’un politique, et quelques confidences familiales- la même sagacité, acuité, lucidité. Quand vous aurez une minute, vous m’expliquerez ce que vous allez f… à Hong-Kong alors que Rome ou Athènes sont si près… Pas une lettre sans un titre de livre, sans une référence, sans un bon mot. Faites régner la terreur (oderint dum metuant) au lendemain d’une rentrée scolaire à l’effectif pléthorique. Mais j’aime bien celle-là : son agacement, toujours soluble dans l’humour, relisant une traduction augustinienne où on lui propose, à l’évidence malencontreusement, le terme “oxygène”, comme ça, ajoute-t-il, sans malice… à propos d’un type qui ne manquait pas d’air !

     Ni spleen, ni consentement au tædium vitae du stoïcisme trivial satisfait à peu de frais de mépris hautain et lointaine froideur. Que la vie soit incompréhensible pour la raison, la rend admirable tout autant que détestable, jamais haïssable. Il faut la traiter comme elle nous traite : insolence et impertinence. Légèreté. Commémorons ces bonnes vieilles années où j’expliquais le Parménide au 5ème étage…. Intensité inoubliable de ce qui passait là. Ineffaçable. Ce que doit être le travail de la pensée. Le contraire du laisser-aller à ce qui se présente, mais le difficile tête à tête avec les textes,  la lenteur pour aiguillon. Et recommencer. C’est ardu. Calé. Duraille. Coton… Alors il levait la tête, un peu comme une pietà, dans l’imploration de quelle force  supérieure qu’il voulait désincarnée, purement intelligible, théorétique, dégourdissait ses jambes qu’il avait longues et osseuses, et revenait à soi et à nous. Posant fermement ses mains quasi squelettiques sur la table. Il y avait quelque chose du Bernin, ça me vient à l’instant, une statue marmoréenne irradiée par la grâce. Le surnaturel en moins. L’humilité en plus.

     C’est vrai, ce que vous dites-là, ma chère Pascale, “nos cours“ des années –biip- (pas vrai que ça fait biip ans… ?), mes garçons, mes filles, toujours aussi présents que si je venais de finir sur le rituel “je vous remercie”. Touchée. Mais touchant. Je vous revois très bien au premier rang, avec celui que gentiment nous appelions “Beynier-à-roulettes”, à cause de sa petite voitured’invalide.

    Je vous embrasse affectueusement. Moi aussi. Moi aussi.

    Surtout ne pas chercher ni pourquoi ni comment l’impérieuse nécessité de (me/vous) parler de mon vieux maître Lucien Jerphagnon, s’est infiltrée pour s’imposer, un dimanche après-midi de Novembre.  

    récréation incluse

    9 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

    Je me suis appliquée à écrire –les profs disent ‘produire’ maintenant- quatre versions de la même demande, bien sûr totalement fictive, la demande, on respire ! puis  je retournerai illico à mes amours verbales, philosophiques, littéraires, inactuelles et acribiques. Oui, amour est bien féminin au pluriel, et on en tire quelle conclusion ?...

    Voilà le travail :

    Message normal, peu pratiqué, en voie de disparition…

    Chers collègues,

    Comme moi, vous avez dû recevoir la convocation nous intimant l’obligation d’être présents à la journée de formation prévue par l’Inspection Générale, pour initier les enseignants à l’écriture inclusive et aux nouvelles règles de la grammaire française récemment promulguées.

    Il me serait agréable de trouver une petite place dans un véhicule qui s’y rendrait. Le mien étant, malheureusement,  en réparation.

    Je vous remercie à l’avance pour vos gentilles propositions. Bien sûr, je participe aux frais.

    Bien à vous,

     

     

    Message standard encore rédigé par les plus de 30 ans. Non dénué d’un brin d’humour- enseignant.

    Cher(e)s collègues,

    Je reçois, comme vous, une convocation  pour  la journée de formation à l’écriture inclusive, dorénavant obligatoire. J’ai un problème pour m’y rendre, ma voiture est au garage. Je ne doute pas qu’une âme généreuse* aura à cœur de me faire une petite place dans son véhicule. Je vous remercie de votre réponse.

    Cordialement,

    *comptez sur moi pour demander comment ‘âme généreuse’ pourrait ne pas afficher  son appartenance exclusive au genre féminin !

     

    Message soumis aux injonctions idéologiques…. mais maniant (encore) la liberté de ton, seule individualité praticable, pour combien de temps ?

    Cher-ère-s collègues,

    Quelqu’un-e serait-il-elle  assez sympa-e pour m’emmener à la Journée Pédago de Formation à l’écriture inclusive ? C’est obligatoire, même si les frais de déplacement et la  bouffe n’est pas prise* en compte, comme d’hab. les professeur-e-s sont des vaches-bœufs** à lait.

    *accord dorénavant selon la “proximité” dans la phrase.**là, j’ai un problème : l’expression ‘vache à lait’ ne pouvant représenter les collègues masculins, je la ‘virilise’ en la bovinisant, du coup, les bœufs donnent du lait ! mais non les collègues-hommes ne sont pas des bœufs!

     

     

    Message SMS, le plus pratiqué. (l’usage des sms et autres raccourcis, étant encouragé par les nouveaux pédagogogues)

    Salut !

    Qqn pourrait me covoiturer pour la réunion pédago sur l’écriture inclusive.

    D’avance merci.

    Cdt

     

    Retour de réunion. J’ai un problème, je n’ai pas tout compris. Voici l’entraînement pour être au niveau la prochaine fois  (j’affiche ma mauvaise volonté en inclusivant les mots dorénavant interdits) :

    Comment écrire traduire la phrase suivante  en écriture inclusive ? Cet exercice doit être sous peu soumis proposé aux élèves, filles et garçons-garçons et filles : les auteurs de romans policiers sont-ils des écrivains de théâtre qui s’ignorent ? certains personnages, leurs commissaires-vedettes, tenant leurs  rôles comme de véritables acteurs. (comme d’habitude, on ne s’occupera  pas du sens de la phrase ; il n’y aura aucune sanction, note, évaluation).

     

    Je propose : les auteur-e-s de romans policiers sont-il-elle-s des écrivain-e-s de théâtre…. Certain-e-s personnages, leur-e-s (seule solution pour inclure les filles !)commissaires vedettes’,  tenant leurs rôles comme de véritables act-eur-rice-s.

    Ou faut-il écrire : les auteur-trice-sOu, autrice-teur-s -pour que le masculin après nous avoir dominées ne se retrouve pas encore à la première place ! et pareil pour actrice-teur-s ? et le pluriel, faut-il le mettre à la fin, pour les deux ? ou à chaque proposition  pour ne pas, même au pluriel, mélanger les femmes et les hommes (j’ai bon là ?) ce qui fait, par exemple : actrice-s-teur-s ?

    Après bien des sueurs froides, la peur des remontrances aujourd'hui exclusivement réservées aux enseignants et interdites envers les apprenants, voici mon résultat définitif jusqu’à la prochaine réunion de formation :

     Les auteur-e-s de romans policiers sont-il-s-elle-s des écrivains-e-s de théâtre ? Certain-e-s personnages, leur-e-s commissaires-vedettes, tenant leurs rôles comme de véritables acteur-trice-s.

     

    et mon commentaire, refusé par les agent-e-s de formation : c’est encore loin de satisfaire les exigences de la revanche féministe touzazimuts (qui rime avec Belzébuth), étant donné que les marques du féminin sont la plupart du temps indiquées en seconde option ! il faut exiger que tout mot féminin ou féminisé d’office, soit placé avant  tout mot masculin. Pour le neutre, circulez, y’a rien à voir….

    Codicille.  Juste pour trouver une place à ce joli mot affreusement passé de mode, sauf chez mon notaire, qui refuse que je l’appelle Maîtresse…. : je lisais, hier dans la presse et au hasard : Les Sud-Coréens sont partagés sur l’attitude de Trump etc…  Faudra-t-il écrire dorénavant  et systématiquement : les Sud-Coréen-ne-s sont partagé-e-s etc…

    Enfin, si l’accord suit la règle de proximité comme certain-e-s l’exigent,  la phrase, Jean et Marie sont venue est-elle maintenant correcte [mais en affichant Marie après des siècles de domination, j’exclus Jean qui se la ferme pour le moment] ou Jean et Marie sont venu-e-s? Ou demander à Marie et à Jean de ne plus venir ensemble ?

    Merci pour votre aide.

    (j'aurais dû titrer : désaccords des accords)

    En finir avec la philosophie de comptoir !

    5 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

    Me faut, ce jour, rapporter une affaire commune, qui met chaque fois mon cerveau à rude épreuve, et pis encore mon humeur.

    Qu’à l’occasion on me demande la raison que tel ouvrage se trouve entre mes mains, j’y consens. Que je réponde qu’à la philosophie il oblige, et un mauvais vent courtisan se lève. Quelle affaire, quelle aubaine ! enfin l’on va pouvoir s’accoquiner de bon aloi. Las ! je ne monnaye point, ou plutôt ne solde ni ne brade, ce à quoi  les années, les efforts,  le travail et la solitude du travail, l’acharnement passionné et la passion acharnée, m’ont menée. Il faut se montrer ferme et dire qu’autant le musicien son art, la philosophie a son solfège, ses instruments, ses gammes, ses exercices, ses partitions, innombrables, diverses, complexes. A qui viendrait-il à l’esprit de croire que commercer avec un violoniste infuserait la maîtrise du violon et l’interprétation des œuvres.

    Arrogance et fatuité. Suffisance et vanité, me souffle-t-on ! Je connais l’air et les paroles, on me les a infligés sans ménagement. Mais de son office, personne ne conçoit qu’en bavardant, devisant, parlotant et papotant à propos, il l’enseignerait. Qu’on me dise pourquoi au seul mot de Philosophie d’aucuns estiment qu’en parler, sur le mode du bavardage curieux, intéressé,  dit-on à tous les coups, suffit. La chalandise croit qu’on peut tout acquérir à bas prix.

    Tout récemment j’eus à connaître deux épisodes dont la contiguïté a déclenché mon ire. Aussi je change de ton, de mots et de saison.

    Il y a peu, sous le toit d'un voisin lointain, je lis la formule, une grille de lecture philosophique, et la question de savoir si elle peut s’appliquer à un genre particulier d’ouvrages (non philosophique, cela va de soi, ou comment transformer une tarte aux pommes en gigot d’agneau). On parle de la bande dessinée. Mais enfin, que veut dire poser une grille de lecture philosophique, sur la BD ou sur la commode?certainement pas, comme il est suggéré avec jobardise, poser des questions fondamentales. Ça, le bon sens, le scientifique, le poète, le romancier, le jeune enfant, l’adolescent, le curé et ma boulangère le font très bien ! Donc, Lagaffe Gaston, mouliné à la sauce Lévi-Strauss, laquelle sauce est un brouet clairet, j’ose le pléonasme car je lis aussi anticiper l’avenir, qui m’énerve passablement ! Gaston n’a pas besoin de Claude pour être enfermé dans, derrière, sous, une grille, aux barreaux tellement larges qu’on aurait pu tout aussi bien y mettre Heidegger, sur la question de la technique, concomitante au rapport du savoir-faire et de la pensée, ou le Platon du livre X de La République qui montre ce qu’il faut d’usage de l’abstrait pour réaliser un objet fabriqué. Un certain brio, ou le traitement fort habile d’une question ne fait pas philosophie, et encore moins grille de lecture. Tout le monde sait qu’un bricoleur adroit et malin, s’appellerait-il Lagaffe ou Tartempion a besoin d’une bonne dose d’agilité de la tête, la jugeote en quelque sorte, en sus de sa dextérité manuelle. Point de philosophie pour cela. Cette manière à réméré, de faire son savant à peu de frais énerve passablement les pratiquants de la philosophie qui sont  -on parle si fort au fond de la salle que je ne m’entends plus- d’épouvantables, détestables, effroyables et invivables bégueules. Rigoristes, austères, raides et roides tout ensemble. Je voudrais voir qu’un historien longuement et dûment formé à sa matière, un historien quoi ! se contente de l’évocation générale d’un évènement, en lieu et place du travail de constitution des faits, gagnée de haute lutte intellectuelle. Et, bien sûr, on ne pratique pas la physique quantique [une de mes analogies préférées, car je prends pour établi que la philosophie dans sa pratique ‘professionnelle’ donc normale,  est une discipline très pointue] sans s’y frotter toute une vie.

    Justement ! et j’en termine. Enfin presque. Pas plus tard qu’il y a peu, une cliente de la librairie où j’ai mes habitudes et mes complicités, voyant le livre que je venais d’acquérir -après commande- s’insinue entre lui et moi. Vous faites quoi ? ou comment un titre fait signe et convainc d'être en face d'une martienne. J’avoue. Mon compte est bon. Au sens positif, de son point de vue. Et de faire assaut de propositions toutes plus intrusives les unes que les autres, pour ne pas dire indécentes. Il eût fallu que je distraie de mon temps, des moments de bavardages, de discussion, pour lui parler (de) philosophie… comme on parle tricot. A l’instant, je veux dire en l’écrivant, je pense à Jules Tricot, spécialiste reconnu d’Aristote, dont je croise la traduction et les notes de l’Ethique à Nicomaque avec d’autres, en vue d’un cours. Émersion du préconscient mnésique dans le conscient.

    Il me revient qu’un jour on me demanda de dire, rapidement, en quelques mots, la différence entre Platon et Aristote ! ou, une autre fois, d’expliquer rapidement, en quelques mots, ce que Ontologie et Métaphysique signifient exactement ! Tout cela, bien sûr, sans recourir à la moindre fréquentation, par les demandeurs, ni des œuvres, ni des appareils critiques. Et, si possible, avec des mots simples ! autrement dit hors pratique assidue, rigoureuse, exigeante et conditionnée à des apprentissages, de la philosophie ! Autant demander à une dentellière normande de former quelqu’un au Point d’Alençon* par tutoriel via internet !

     

    *lequel apprentissage nécessite de 8 à 10 ans. Pour un motif de 1 cm2  environ, de sept -pour le motif le plus simple- à quinze heures de travail ! (renseignements Musée de la Dentelle d’Alençon).

     

    une enfance

    2 Novembre 2017 , Rédigé par pascale

    Il n’y avait jamais rien à lui dire, à lui redire. Satisfaisante et satisfaite. Le monde aux dimensions d’un grand cartable, lourd de petits cahiers pleins d’encre, qu’il faut porter d’une main puis de l’autre. Qui se traîne. Livres d’Histoire de France, de Leçon de choses. Et le cahier de dessin. Magnifique. Des frises géométriques à quatre couleurs. Et puis les rédactions où bat très fort le cœur des petits oiseaux en cage, et les nuages. Qui courent dans le ciel. Forcément. Quand on a dix ans. Ou moins peut-être.

     

    Pour elle, les récréations sont toujours interminables. Trop de gravier dans la cour. Crissant, grinçant sous les semelles. Trop d’enfants. Trop de bruits. Trop d’agitation. Des cris, des cris encore, une sirène de cris qui assomme ses oreilles, de tous côtés. Hurlements écroulés rugissant sur les petits cailloux. La cloche résonne. La classe reprend. Soulagement. Elle n’a pas de place, de bureau, de table d’écolière pourtant dans sa mémoire. Pas de salle pour le tableau. Pas de phrases. Pas même la couleur d’un tablier de rentrée… Des enfants chantent peut-être. Mais elle ? Tout fait  événement. Tout fait contretemps. Quasi tourment.

     

    Mais les vacances. Une si longue et épaisse suspension dans un vide abondant. Des semaines, et encore des semaines. Qui lui font aujourd’hui la cueillette des mirabelles comme un mirage, un songement, un mirement impérissable. Et le ramassage des fraises. Un bout de soleil entre le brun si sale des murs.  Dans la grande ville des si grandes vacances, tous les gâteaux ont un goût amer, et les boutiques un air étrange. On y va pour acheter le journal. De temps en temps, qui porte alors bien mal son nom, le journal. Elle s’affole que tous les pigeons ne se fassent jamais bousculer par les gros autobus, quand ils redémarrent tous ensemble de l’arrêt à la cathédrale. Affreusement noire et sculptée. D’où s’envolent des bataillons d’ailes bruyantes et enténébrées de sa mélancolie. Tout ce temps d’avant. Tant de temps. Passavant.

     

     Les mots flottent dans la carrière, au fil de la ressouvenance, où ne reste plus rien de l’enfance qu’une enfance oubliée. Sans trace. Sans drame. Sans audace. Calfeutrée, emmitouflée, elle chemine à nouveau et à pas studieux vers l’école. Qu’elle touche du bout de ses petits doigts inutiles, étend les bras, et ne s’arrête pas avant d’avoir effleuré la pierre des bâtiments qui chaque jour tous les jours, la protègent un peu quand même. Vite, vite. La cloche déjà résonne à nouveau. Tinte sans tintinnabuler. Quatre fois le jour ce même chemin, même route, même rue toute droite, sans un détour, son itinéraire de petite écolière.

     

    Savoir avancer, un pied devant l’autre, dans la neige des hivers toujours longs de l’enfance, c’est une affaire de grande personne. Travestir l’insouciance et l’inattention en une importante légèreté. Fausser, bosseler, manquer peut-être le sens des choses par la seule séduction de mots venus bien après. Polissage du mot à mot du temps dans les plis de la parole d’ensuite.

     

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