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Une histoire vraie.

18 Août 2021 , Rédigé par pascale

(les expressions de l'été, 8ème)

Un après-midi d’une journée sans surprise, Marie-Thérèse entre à la Mairie, sans rendez-vous mais pas sans arrière-pensée ni détermination. La Mairie, l’une des grosses maisons du village réaménagée en bureaux précédés d’un espace d’accueil avec plante verte … naturellement ! certains mots s’adaptent aux situations en les tordant un peu.

Il n’y a personne ! Le lieu est déserté, pourtant il est ouvert aux administrés qui ont parfois l’impression de ne pas l’être tant que cela, ou, à l’inverse, de l’être un peu trop ; disons, qui ont des impressions … Celle de Marie-Thérèse, à cet instant, s’appelle déception, tant sûre et certaine que quelqu’un serait là pour elle. Peut-être la préposée à la réception des requérants s’était-elle brièvement éclipsée, la contrariété n’en était pas moins manifeste, contrairement à l’agent missionné et payé pour supporter, traiter et héberger les requêtes villageoises. Marie-Thérèse, qui s’était préparée depuis des années pour, un jour, faire sa demande en bonne et due forme, qui avait pris son courage à deux pieds pour franchir les trois rues qui séparent sa maison de la Maison commune, qui n’avait qu’une phrase à dire, Marie-Thérèse, digne mais un tantinet fâchée contre la fonctionnaire municipale qu’elle se promettait de morigéner, dimanche prochain quand elle la croiserait au marché, Marie-Thérèse ressortit, mille tracas dans la tête.

Longeant le balé qui jouxte l’Église, dont personne ne s’étonne ici qu’il tienne encore debout – il se dit qu’il serait bien plus vieux que Notre-Dame de Paris, qu’il aurait dû se faire charpir bien avant elle, que cent mille fois il menaça de s’écrouler et dix fois plus de prendre feu – trotte-menu poétique qui s’ignore, Marie-Thérèse, interrompue dans ses songeries par un roboratif et joyeux salut, reconnaît la « petite-fille » de sa grande amie d’antan et s’installe avec agrément dans l’espace ouvert par la sempiternelle question : « Comment allez-vous ? ». Bien plus jeune que cette aïeule-là, elles n’en avaient pas moins été très complices. Mais aujourd’hui, elle a le grand âge auquel celle-ci disparut. Un bref rappel, un effleurement à peine, de la question de la relativité restreinte aux généalogies des temps présents, nous fait comprendre que Marie-Thérèse a devant elle une « petite-fille » à l’âge d’être elle-même grand-mère, et qu’il y a, entre elles deux, autant d’années d’écart qu’il y en avait entre son amie et elle.

Quelques mots sans importance plus tard, Marie-Thérèse, avec la concision de ceux qui ont mûri longtemps une demande vitale, énonce la grande raison qui la fit entrer en Mairie : elle voulait acheter une tombe ! Elle ne confondait pas l’Hôtel de ville avec le magasin des pompes funèbres, elle voulait juste qu’on lui réservât, moyennant un paiement anticipé, une place vide au cimetière, mais aussi mais surtout, elle la voulait choisir à son gré. Il y a quand même des compagnonnages et des voisinages qui, insupportables déjà pendant la vie, sont inenvisageables pour l’éternité. Marie-Thérèse avait passé l’âge de faire un caprice. Sa demande méritait l’attention la plus prévenante, le soin le plus respectueux, le service le plus soigneux.

Aussi, la « petite-fille » dont la grand-mère fut, il y a si longtemps, la belle amie de Marie-Thérèse en sa prime jeunesse, la prit par le bras et les voilà toutes deux poussant la grille du cimetière – celui-là même qui fait prière aux entrants de porter un masque* – en quête d’un endroit calme, bien entouré, et aussi loin que possible des inopportuns et des fâcheux. Connaissant le cimetière par cœur, elle lui fit visiter, prioritairement, les endroits encore inoccupés, ou plutôt restés vacants auprès, à côté et parfois au-dessus, d’ascendants plus ou moins en ligne directe, mais toujours de l’arbre familial, que la branche soit principale ou secondaire. Rien n’avait l’heur de satisfaire Marie-Thérèse qui prospectait là en quête de sa dernière demeure, qu’elle voulait, ce en quoi elle avait bien raison, vivable sine die.

Elle était assez sourde. Comme on dit par ici, mais aussi ailleurs, elle entendait haut, en conséquence parlait de même. Tous les oiseaux – il n’y avait qu’eux pour fréquenter le cimetière cet après-midi là – purent l’ouïr récriminer contre le cousin Marcel, ou peut-être l’oncle, on ne sait plus bien, auprès duquel il restait encore quatre places ! Ni une, ni deux, pas trois, mais quatre ! Marie-Thérèse pouvait choisir sa chambre (funéraire) et décider laquelle se réserver ad vitam æternam. Mais elle ne voulait rien admettre, alors que les mondes céleste et souterrain réunis percevaient très distinctement ses refus au motif que même enterrés, ils se mettent au-dessus de tout le monde ! « Ils » désignait l’engeance, définitivement infréquentable de ces cousins et autres issus de germains qui, de leur vivant se prenaient déjà pas pour des riens ! des m’as-tu vu en quelque sorte. Pas question de se coucher là pour toujours. Marie-Thérèse était presque courroucée, elle était surtout inquiète de ne pas trouver caveau selon ses vœux anthumes, elle qui s’y prenait en avance, pour qu’on ne lui fît pas une entourloupe posthume, dont ses mânes ne se remettraient jamais.

Alors le Ciel consentit à l’écouter et, par une de ses grâces que l’on dit miséricordieuse – Dieu merci ! – mena les deux acolytes sans qu’elles s’en aperçussent, tant elles parlaient dans tous les sens, devant la tombe de Georgette, laquelle – sa petite-fille en était certaine, elle avait recensé tout le cimetière à la demande de la Mairie – laquelle disposait d’une place vacante à son côté droit. Marie-Thérèse qui ne voulait rien tant qu’être près de son amie pour pouvoir bavarder avec elle et bien rigoler comme avant, fit sa demande en bonne et due forme. Et l’affaire fut réglée. Pour le temps lui restant à vivre sur cette terre – elle a aujourd’hui 89 ans – elle n’a plus de souci. Quel autre, en effet, sinon de s’inquiéter avec qui passer sa perpétuité ? 

 

Et en souvenir de Georgette, ces lignes en caractères Georgia.

 

(*pour ceux qui passeraient par hasard, c’était le 31 Juillet, 3ème expression de l’été.)

Reprenons nos Ân(imal)eries,

14 Août 2021 , Rédigé par pascale

 

(les expressions de l’été, 7ème)

 

                                               là où une balade aléatoire, mais fort bornée – aux seules exigences de la philosophie et de la littérature – accosta il y a quelques jours. Devant nous un bourriquet, grusinant les fleurs de rhétorique à pleine dents. Caché à l’ombre d’un poirier – il faudra bien y revenir, mais le poirier a plus qu’une existence, il a un destin en philosophie – notre petit âne blanc, car telle était sa taille, telle était sa robe, apparut un certain dimanche d’un joli mois de Mai en ville. Le citadin n’en croyant pas ses yeux, mais le reconnaissant bien à ses oreilles, longues comme celle du roi Midas, fit masse avec ses semblables pour l’observer, sur un char, auguste version de la charrette et du charroi. Pour être véridique, ce qui se doit dans toutes les édifications morales, le véhicule avait forme d’urne. Non point un de ces vases funéraires affichant un étonnant souci de redevenir cendres, ce que nul vivant pourtant ne fut jamais, mais l’urne de la votation du peuple souverain depuis qu’il étêta le droit divin et ses retombées insoupçonnées ex cathedra.

Pourtant, le peuple de la capitale avait été prévenu. Ce passage en ville, un jour d’élection, lui fut annoncé par voix de presse, mais, l’incrédulité et la paresse ont leurs raisons que le militant ignore. Le bien nommé journal La Feuille – dans son édition du 8 avril 1898 – battait le rappel en termes énergiques, conspuant les votards et les abstentionnistes dans une commune harangue, mais pas du tout pour les mêmes motifs. Les seconds comme victimes d’un système qui ne les prend pas en compte, les premiers comme complices volontaires ou malgré eux, des pouvoirs. Aussi – et sans reprendre l’analyse politique méritante de Zo d’Axa, notre anar ânier du jour – revenons à notre blanc aliboron juché sur son urne. Blanc parce que Zo d’Axa réclamait haut et fort que le vote du même nom fût reconnu et compté dans les suffrages, mais aussi prénommé Nul, tout le monde aura compris la manœuvre sémantique. Jamais Alphonse Gallaud de la Pérouse à l’état civil, ne fut en reste de formulations : Je n’aime pas flagorner le peuple. Voilà le candidat qu’il mérite. À Rome, aux jours de la décadence, la plèbe acclamait un cheval consul.

Le 3 mai 1898, le n° 11 de La Feuille présentait la profession de foi électorale de Nul, de vieille famille française (…) quatre pattes et du poil partout, l’âne blanc qui anathématisa l’électeur qui croit, bêtement, qu’on recueille son vote alors qu’on le cueille : Vous n’êtes que des fruits … des Poires. (ce n’est pas moi qui souligne). Deux semaines plus tard, Zo d’Axa revendiquait l’élection de l’âne au nom clair de Nul, par confusion synecdotique entre l’électeur et l’élu - ayant voté pour un candidat officiel le peuple se fit âne lui-même - et n’a pas de mots assez durs pour désigner cette abdication collective. Suivent des envolées audacieuses, ou totalement irresponsables en ces temps, contre le Suffrage universel.

Le 30 Août 1930, l’impeccable révolté mit, de lui-même, fin à son interminable insoumission sur cette terre.

 

La tombée du jour,

9 Août 2021 , Rédigé par pascale

                              

 

                             ou quand la clarté nous quitte et maintenant les mots nous manquent. Ce n’est pas une chute, plutôt une incontrôlable mais consciente descente et irréversible, vers les temps déjà passés et les temps à venir ; ne cherche à s’éloigner ni d’un lieu, d’un endroit, d’une place, mais du moment, de la multitude de moments tant insupportables que la vie n’en fut que lutte ; oui, la tombée du jour n’interroge que le temps – ou si l’on veut le lieu intérieur, le lieu de l’intime – quand toute lumière s’estompe y compris dans d’ultimes soubresauts.

            Sous ce titre parfait, qui, effaçant la lettre-mot qui l’aurait figée dans l’imminence métaphorique d’un achèvement proche – À la tombée du jour – et les mots d’Hölderlin pour armature tonale — Nous sommes un signe, plus aucun sens/Aucune souffrance nous sommes et nous avons presque perdu/Le langage en pays étrange — la vie douloureuse de Schumann, portée par une connaissance pianistiquement impeccable, m’arracha à l’ordinaire des heures. Le livre de Michel Schneider*sobrement sous-titré Schumann est de ceux qui reviennent un jour pour vous émouvoir jusqu’au dernier mot. Jusqu’à la dernière note, le silence de la dernière note qui retient ce son qui a parcouru l’univers avant de tomber sous les doigts, tel un mouchoir de soie blanche qui chute à terre lorsque l’on quitte le bal — le Carnaval — pour tout signe, pour tout sens – absurde, tragique – avant de passer sur l’autre rive.

            La douleur et la souffrance, en français, ne sont pas synonymes ; l’une dit une déchirure jusque dans ses consonnes, l’autre est … schumanienne. Comment l’exprimer autrement sans affaiblir la portée des propos de l’auteur qui nous rappelle avantageusement le bel article de J.B Pontalis – dans le recueil entre le rêve et la douleur**, relu pour saisir en quoi la douleur est irréductible à tout ce qui n’est pas elle. Qu’elle n’est donc pas souffrance même si elle peut cheminer avec elle. La douleur est incomblable, tandis que la souffrance (physique) hors des mots, se résout dans le cri, le râle ou les gémissements, la douleur (psychique) se manifeste par des édifications mentales – qui échappent évidemment à toute volonté consciente – mais peuvent mener à ce que Le Clézio fait dire à l’un de ses personnages, dont nous avons peut-être un jour tutoyé l’insupportable vérité : J’ai besoin de ma douleur, maintenant je ne suis plus rien que par elle, tandis que Schumann n’en fut jamais séparé.

            Michel Schneider tisse avec précision, délicatesse et assurance, les fils pourtant cassés, les lignes pourtant brisées, le texte pourtant disloqué qui fit de l’œuvre pour piano de Schumann, un ensemble incomparable. Il connaît l’alphabet, la grammaire, la syntaxe, l’architecture et l’écriture de ses textes, il montre comment un thème ou un motif est inlassablement répété sous des rythmes différents et accidentés, syncopés, là où un Beethoven et même Chopin, l’auraient développé, argumenté, épanoui ; comment la main droite brode un motif ignorant la main gauche et venant la cueillir au centre du clavier ; comment un morceau semble commencer sans véritable commencement, par une note incidente, une altération imprévue. Ou comment il écrit ces douloureuses étrangetés, ou hallucinées tensions entre mélancolie et ironie – dont seul le terme allemand Humor peut rendre compte, tandis que l’indécision de sa double signification française, saisissable au premier regard, trahit. L’humor, un des traits les plus frappants de l’écriture – et des notations – pianistique de Schumann, signe et signification de sa nature scripturale bifrons, si toutefois cette expression convient.

            Il me vient, soudain, mais évidemment après lecture, non point un autre titre mais le titre d’un autre, pour approcher ce que l’auteur de La tombée du jour montre quand il décrypte pour nous telle mesure, tel changement de tonalité, coupes sèches, chromatisme appuyé, ou plongées impréparées : cela procède d’un Précis de décomposition***, tant pour la féconde opposition entre les deux termes, que pour la résonnance en creux du seul dernier, dans les deux cas pour rappeler qu’il n’y a de désordre que relativement à un ordre possible, de l’indicible par néantisation de toute parole, ou des ruptures parce que rapportées à un ensemble concordant. Que seuls l’art et le génie, le génie de l’art, en résolvent les contradictions – ainsi cinq bémols à la clef (l’armature) anéantis un peu plus loin par quatre dièses forcément inattendus, dans Des Abends.

            Que cette connaissance intime, théorique et pratique, des procédés musicaux et leur analyse fine, soient portés au dossier du « cas » Schumann, sans que le mystère s’en trouve écrasé mais au contraire sublimé et fécondé, voilà qui est proprement fascinant. Que seuls les éléments biographiques susceptibles d’éclairer La tombée du jour soient invités, avec délicatesse, retenue et émotion ; que les rapprochements avec les poètes aimés et amis, les musiciens amis et aimés et la présence de celle dont le prénom – Clara – dessina un halo impuissant mais fécond dans cette déréliction sans fin, soient conviés avec ménagement, réserve et sobriété, donnent à ces pages une densité très particulière, une tension et une attention si poignantes et si belles qu’il me fallait tenter, si médiocrement, de les dire, peut-être pour m’en soulager un peu.

 

*La tombée du jour – Editions du Seuil (La librairie du XXème siècle), 1989 ; **Gallimard (Tel), 1977 ; *** titre de Cioran, bien sûr, dont on sait l’immense passion pour la musique.

« A la plage » et « dans un transat »

7 Août 2021 , Rédigé par pascale

(les expressions de l’été, 6ème)

 

                                  mais, sans parasol, ni short, ni tongs, ouf ! Cela aurait fait beaucoup sur la 1ère de couverture, il fallait loger aussi un dessin à coup sûr longuement pensé dans la meilleure adéquation possible avec le sujet, ou l’objet, c’est comme on veut pour une fois. Épicure glougloutant allongé sur un divan – exactement une klinê n’est-ce pas ? – ; Freud, son transat doté d’un repose-pied et lui-même d’un masque et d’un tuba ; Newton, accroupi dans le sable, semblant – ce n’est pas très évident – mesurer des distances, ou des angles, entre les boules d’un jeu de plage… Mais, au cas où nous n’aurions pas saisi, il est des librairies qui enfoncent le clou – on n’est plus à une approximation près, j’ose donc l’image – en présentant les nouveautés 2021 de cette collection, en vitrine, avec pelle et seau en plastique, le tout sur un mauvais tissu, la mer, des fois qu’on n’aurait pas compris la chose (non, non, pitié, pas le concept !) mais sans la moindre louchette de sable, ramenée en loucedé de la côte.

On me dira, bien sûr, que je n’ai aucun humour, que je suis de mauvaise foi, et que tout cela est du 2, 3ème ou plus degré. Sauf que, le propre d’un écart signifiant – ce qui est un des principes de l’humour – est de marquer la distance entre ce que l’on dit et ce que l’on veut dire. Or, ici, on se moque du monde à tous les niveaux. Restons devant la vitrine un instant, ce que je fis hier, saisie par la présence d’un seau et d’une pelle d’enfant, au milieu de ces livres dont aucun n’avait retenu mon pas, un peu pressé. J’avoue aussi – approfondissant mon enquête – que j’ignorais que ces racolages éditoriaux de l’été duraient depuis plusieurs années. Selon moi, la retape ostentatoire à l’endroit d’un possible client obtus, qui ne comprendrait pas ce que « à la plage » signifie, atteint des sommets, disons-le ainsi, et m’autorise, dans le même mouvement, à vouloir faire feu sur l’écho donné en vitrine à la stupidité de cette ligne commerciale, pour qui, bien sûr, été et vacances, signifient obligatoirement plage ; l’adhésion à ce lieu commun est immédiate, il faut donc installer un peu de matos… Un seau et une pelle chouravés à un enfant de deux ans, feront bien l’affaire. Pas plus quand même, et surtout pas mieux ! Mais qui a pu avoir et faire accepter tout ensemble cette lumineuse idée ? Espérons que ce n’est pas – dorénavant – ce qu’on apprend aux futurs libraires dans les écoles ad hoc et j’aimerais que ce fût l’objet d’un pari, d’un enjeu, d’un défi, que l’honneur des livres et des libraires fût sauf. J’ai comme un gros doute, car dans le cas d’un défi, d’une gageure, on se doit d’être inventif, malin, léger et de brouiller les pistes (de sable).

J’écoute en boucle Le clavier bien tempéré de Bach (sous les doigts de Tatiana Nikolaïeva, pour les connaisseurs) pour accorder mon esprit à sa pondération et nervosité retenue. Car il y a d’autres points dirimants à mon agacement. L’ambiguïté des titres : Untel à la plage (tout le monde pense aux séries d’un autre âge, Oui-oui à la plage, ou Martine à la plage, que sais-je encore ? et bien Bécassine à la plage !) où il ne s’agit, évidemment pas d’un essai sur le comportement de tel scientifique, philosophe, penseur, écrivain quand il est à la plage, ce que la formulation laisse entendre, mais, étant à la plage, ce qu’un vacancier installé dans son transat, peut apprendre d’Untel. L’indistinction entre le lecteur et l’objet de sa lecture n’est pas acceptable, elle est pourtant entretenue et confirmée par l’illustration, par ex. Freud en masque et tuba – sans palmes mais avec son cigare. On nous prend pour des truffes ! D’autant, on est prévenu, que le but de cet ouvrage est de vulgariser la pensée de Freud ; et sans la moindre honte ajouter, quelques mots plus loin, afin de (re)découvrir ou comprendre Freud et la psychanalyse. « Vulgariser » et « comprendre » sont dans un bateau : « comprendre » tombe dans l’eau, etc. et nous tombons de haut ! Mutatis mutandis pour les autres « personnages » dans la vie et/ou l’œuvre desquels nous sommes, bien sûr, invités à nous plonger !

Ce qui me fait aborder un autre point inadmissible : le raccourci des sous-titres qui, loin de rattraper le niveau général, n’hésite pas à mettre les pieds nus et faire splash dans les clichés les plus entretenus : Epicure, Le plaisir dans un transat (sic) ; Shakespeare, Être ou ne pas être dans un transat ; Platon, L’invention de la philosophie dans un transat. Réductions totalement fausses, puisque 1) la philosophie, en Grèce, est antérieure à Platon 2) Shakespeare, vaut mieux que cette scie, elle-même tout sauf légère – mais pour Einstein, on a, forcément droit à la relativité dans un transat – et 3) la philosophie d’Epicure, qui n’est justement pas un art de vivre – mais pourquoi donc pensé-je tout à coup, à une recette récente pour réussir son été ? – mais induit rationalité et raisonnement, et d’avoir étudié les préplatoniciens, comme dit Nietzsche.

N’en jetez plus ! du sable ou de la poudre aux yeux, c’est tout comme. Cela encore : si, comme il est souhaitable, le contenu est sérieux et que les auteurs  de ces livres de plage n’ont pas leur mot à dire sur la présentation commerciale, publicitaire et mercantile de cette collection, dont ils acceptent cependant le principe, alors de deux choses l’une : ou vous connaissez les vacanciers célèbres qu’on invite à la plage [notez quand même que pour certains, ils y allaient, ou en étaient proches, Colette (la Bretagne, Saint-Tropez), Proust (Cabourg), Platon lors de ses épisodes siciliens, Churchill sûrement sur les côtes anglaises, Pythagore, né à Samos, une île ! Napoléon ilien malgré lui, de Gaulle, une photographie désormais historique le montre arpentant les plages ventées d’Irlande lors de sa « traversée du désert » - quand on vous dit qu’on vous dit n’importe quoi ! Pour d’autres, en revanche, c’est peine perdue, Kant en haut de la liste.] et vous n’apprendrez rien que vous ne sachiez déjà, vous avez tout ce qu’il faut, les livres princeps et la littérature (essais) dite secondaire, ou vous n’en savez rien, et comme dans les publicités mensongères de pommade pour soigner un mal de dos ou une nouvelle voiture pour être heureux, votre vision du monde ne sera pas changée en vous relevant de votre transat, contrairement à ce qu’on vous promet.

Pour ceux qui n’aiment ni la plage, ni le sable entre les doigts de pieds ou entre les pages, qui préfèrent les lacs de moyenne montagne ou les forêts du Perche, aller titiller les écrevisses dans le Marais, ou rester chez soi quand tout le monde autour de vous est parti, ceci n’est pas pour vous, n’y pensez même pas !

 

Ranger la dérangeante Lou.

4 Août 2021 , Rédigé par pascale

 

 

(les expressions de l’été, 5ème)

Lou est une jeune femme intelligente et belle. Non seulement l’intelligence des autres ne lui fait pas peur, mais elle la recherche pour polir et faire étinceler la sienne. Un cerveau bien fait, c’est comme un cuivre, il faut le faire briller sinon il s’éteint.

Lou n’en est pas moins dérangeante et possiblement mal rangée. Voilà ce que je me disais, tenant en main sa Correspondance avec Nietzsche et Rée, sa Lettre ouverte à Freud, son livre sur Rilke, son autobiographie Ma vie, quelques essais rassemblés sous le titre Eros, son Friedrich Nietzsche à travers ses œuvres, le Nietzsche et Salomé de J-P Faye, le très beau ma sœur, mon épouse de H.F Peters, ou, Lou Andreas-Salomé, sa vie et ses écrits, par Angela Livingstone. Et tandis que, spontanément, je les rangeais à côté et même précédant les livres de l’auteur de Zarathoustra, lesquels précèdent à leur tour des volumes traitant de l’œuvre nietzschéenne (ou de certains de ses aspects, majoritairement les philosophiques) mon geste fut suspendu par un puissant doute taraudant l’alphabet français que je pratique, comme tout le monde, sans faute – merci l’école ! au moins là-dessus on ne s’embrouillera pas : où Lou von Andrea-Salomé est-elle à sa place ?

Après Montaigne et La Boétie, en quelque sorte, mes rangements suivent l’alphabet, en principe ; ces deux-là ayant été inséparables dans la vie de l’esprit comme dans le temps si bref où ils se connurent d’amitié, et le premier faisant de ses écrits un Tombeau – comme on dit en musique – au second, il ne se pouvait pas qu’ils fussent dissociés. Aussi, avec ce qu’il est convenu d’appeler « Philosophie classique » dans mes rangements linéaires, l’alphabet prévaut, celui des auteurs suivis des travaux qui les concernent. Ce qui donne des successions qui entortillent la chronologie, mais enquinaudent le regard, ainsi Bergson et ses commentateurs précèdent Descartes et les siens, idem pour Locke et Machiavel – dont je m’aperçois, à l’instant, qu’étant plus jeune que Montaigne et selon la règle de l’âge fixée seulement pour les antémontaigniens, par un décret de moi à moi-même, Niccolò ne saurait soutenir Maine de Biran. Ces embarras-là sont bien connus de qui, en changeant de coquille et d’escargotière, se trouve béer et bayer devant des pyramides de cartons dont on commet toujours la sotte imprudence de vouloir en ouvrir juste quelques-uns aux indications hasardeuses en raison des remplissages de dernière minute pour ne pas laisser de vide – pensées vers Aristote contredisant Démocrite ; ces embouteillages finissent par provoquer un Chaos (inutile d’ajouter indescriptible, n’est-ce pas ?) qui n’a pas encore trouvé le geste thaumaturge d’où jaillira son Cosmos. En voilà bien un (autre) titre très tentant : Le Cosmos de l’escargot. Et ne rien dire de ceux qui viendront après coup, désunir les mariages arrangés et les ménages de raison – une petite place pour Taine, entre Starobinski et Vico, s’il vous plaît, merci ! 

Dans cet étrange moment entre cacophonie et ordre, Lou a une place à part, car elle déjoue toutes les tentatives, nuageuse au sens de vaporeuse, aérienne, flottante. Elle restera, j’en ai là l’intime conviction, près de Nietzsche qui fit tout pour la retrouver sans la connaître, dans une chapelle latérale de Saint-Pierre de Rome au soir tombant. Mais qu’on la veuille placer auprès de Freud est d’une impeccable cohérence, elle fut une correspondante épistolière de premier rang, aussi théoricienne et psychanalyste, et lui, rédigea et prononça l’éloge funèbre de celle qui devint proche d’Anna, sa fille chérie. Qu’on la veuille aussi mettre au « rayon » littéraire, se défend bec et ongles, auprès de Rilke prioritairement. Mais il me faudrait alors la changer de pièce et, même sans changer d’étage, cela l’éloignerait trop de Friedrich qui l’a tant aimée et qu’elle a tant troublé.

               (…)

 Je voulais vivre seul ; – Mais le cher oiseau Lou a croisé mon chemin, et j’ai cru que c’était un aigle. Et j’ai voulu que l’aigle reste près de moi.

Venez donc, je souffre trop de vous avoir fait souffrir. Ensemble, nous supporterons mieux la douleur.

Lettre de Friedrich Nietzsche à Lou von Salomé

(Tautenburg, le 4 Août 1882)

 

- Ces mots ont, aujourd’hui, 129 ans - 

 

 

 

« Les lois de la physique en ont décidé ainsi. »

2 Août 2021 , Rédigé par pascale

(les expressions de l’été, 4ème)

 

         Certes, l’affirmation n’a aucun caractère estival, mais je la lis en ce jour deux – 2 – du mois aoûtien que j’ai décidé de consacrer, à débit fréquent et de façon décontractée à ce qui vient à ma connaissance par les moyens faibles, futiles et inattendus d’une oreille ou d’un œil qui traîne, et même les deux.

         Je le dis sans barguigner, cette affirmation est de celles – il y en a beaucoup – qui m’exaspèrent comme symptôme des ravages que font à la précision, à l’acribie, les formulations les plus éculées en même temps, c’est logique, que les moins informées. De ce qu’on ignore on ne devrait rien dire. Wittgenstein me/nous fait un clin d’œil, qui passe à la moulinette autant ce que nous disons, que ce que dit ce nous disons. C’est très clair ! Une fois encore, c’est un titre d’article qui me donne matière à dézinguer ces propositions empiriques générales qui valent pour nous comme certaines, (Wittgenstein, De la certitude, § 273) surtout si l’on croit qu’elles ont valeur scientifique.

         La physique n’a et ne constitue aucune loi. Voilà un préalable apodictique et impératif. La physique n’a ni conscience ni langage, ce sont les humains qui les lui donnent, qui l’habillent de leurs mots et de leurs chiffres, lesquels d’ailleurs, au cours des âges n’ont pas toujours dit la même chose. La Physique ne se connaît pas elle-même comme physique, premièrement. Elle ne décide de rien, deuxièmement. Et même elle n’est rien, troisièmement. Il eût suffi d’autres signes arbitrairement inventés par les hommes – chiffres et lettres – et autres systèmes de références, pour que la Physique ne soit pas ce qu’elle est (nous avons au moins une analogie avec les géométries non-euclidiennes, mais il s’agit de mathématiques). Tout ce qui échappe à l’humain n’est rien, puisque sans conscience immédiate, ni évidemment conscience réfléchie pour s’en saisir. Aussi, la Physique – qui est l’étude et/ou l’observation de la nature, n’est rien. La même phrase, les lois de la nature etc. plus fréquemment entendue encore, est tout aussi fautive. La nature (on se souvient du mot grec qui la nomme, phusis) n’est qu’une lecture, un déchiffrement, un travail de la rationalité, une signification parmi tant d’autres de ce qui nous entoure – mais c’est immense, et désigne bien la puissance de l’esprit de l’homme eu égard à tout ce qui existe ! – elle n’a inventé ni ne connaît aucune loi, per se, par elle-même ou d’elle-même, celles dont on dit, pourtant, qu’elles sont les siennes. Il n’y a que des phénomènes humainement observés, étudiés, traduits soit en expérimentation, soit dans le langage abstrait de la théorisation. La physique, la nature, ne connaît ni la loi de la gravitation, ni de la chute des corps, ni l’influence de la lune sur les marées, ni le point de température auquel l’eau bout, qui n’est pas le même avec Celsius ou avec Fahrenheit, tandis que l’eau commence par frémir puis frissonne puis bouillonne, parlez-en donc aux écrevisses. Seuls des hommes qui se sont dotés eux-mêmes de moyens pour mesurer, calculer, raisonner, traduire en lois (ah ! le pouvoir de ce mot qui arrête toute analyse ! dès qu’on l’affuble visiblement ou de manière sous-entendue, de l’adjectif scientifique, qui, c’est quand même un comble, agit alors de façon magique !).

         Qu’on ne se méprenne pas sur mes propos, les lois de la physique ne sont pas fausses, elles ne disent pas n’importe quoi – y compris la biologie, la chimie, et tout ce que les sciences expérimentales les plus pointues comptent pour objets d’étude – mais l’expression tant rabâchée comme un mantra, ne dit pas ce qu’elle devrait dire, laissant entendre que par autonomie, la Nature détiendrait, invisiblement, des/ses lois, que l’humain aurait découvertes, et dont il se réclamerait pour justifier les évènements – macro et micro – qui arrivent et qu’il appelle, ici, Physique. Or, ce qui arrive, et aussi ce qui n’arrive pas, n’est saisissable que par une intelligibilité dont seul l’homme a montré qu’il en est pourvu. La physique, la nature, n’a pas rédigé les lois qu’on lui rapporte, n’a pas calculé les chiffres qu’on lui attribue, n’a pas concocté les axiomatisations qu’on lui destine. Et aucun des traités d’épistémologie que j’ai à ma disposition – encore en vrac, mais je reparlerai de ce traumatisme livresque qu’est un déménagement – n’a été écrit par un non-humain : un nuage pour fixer les lois climatiques ; un neutron pour les lois atomiques ; une pierre (merci Spinoza !) pour celle de la chute des corps, ou une feuille d’arbre pour la fonction chlorophyllienne ; un grain de sable pour la réverbération du soleil sur les micas de la plage ...

"Prière de mettre son masque".

31 Juillet 2021 , Rédigé par pascale

(les expression de l’été, 3ème)

Affichage authentique à l’entrée des cimetières – tous, je ne sais pas, mais ceux que Marie fréquente autour de chez elle. Mémoire vive des oubliés-là et des autres aussi, elle est préposée, gracieusement cela s’entend, par les pouvoirs conférés à la municipalité du bourg où elle réside à rechercher des plus disparus que pourtant bien morts, renommer des anonymes dont elle seule connaît les noms, recoudre les filiations usées par des frictions et des tensions d’un autre âge, empêcher que d’aucun soit viré de sa place pour en mettre un plus récent ou assouvir une vieille vengeance, et même, cela s’est vu, sauver in extremis, un crucifix ou une pierre tombale au titre du patrimoine rural, ce dont tout le monde se moque ici, sauf elle. Et Marie gagne toujours à la fin, puisque toujours elle obtient l’approbation, l’assentiment ou l’homologation ad hoc des fonctionnaires élus ou non, plumitifs devenus navigateurs d’internet où l’on ne voit que pouic. Pour tout équipement, un cahier, un crayon, ses souvenirs directs et les souvenirs de ceux qui les lui fabriquèrent, Marie remonte les allées plates du cimetière, seule à savoir et pouvoir authentifier, tel nom, telle ascendance ou généalogie, telle histoire de famille, tel drame, telle anecdote. Tout, elle sait tout sur tout, tous et toutes.

Il arriva qu’elle m’y menât et me fît la visite, ni plus ni moins que dans un musée, où les morts, cette fois, sont bel et bien à l’horizontal comme il se doit, parfois entassés, et non suspendus ou pendus à des cimaises, des clous, des pointes, surveillés et préservés de la curiosité dévorante et grégaire des visiteurs payants. Ici, la visite est gratuite, il y a donc nettement moins de monde. Ce jour-là, sur le seuil d’un des cimetières de Marie plus vide qu’un bénitier par temps de canicule, je me suis tout de go demandé :  à qui s’adresse cette prière au seuil d’un champ de marbres de pleine terre, tels ces plants résistants à toutes les saisons, de ceux qu’on appelle vivaces ? Aux entrants qui ne ressortiront plus, ou à leurs visiteurs qui ne peuvent plus les contaminer de rien, pas même de leur irréligion ? La première hypothèse est de loin la plus tentante, selon moi, toujours prompte à suspecter que les mots fabriquent entre eux de ces cachotteries qui n’apparaissent qu’à la faveur d’une mauvaise foi, pourtant nantie d’une légitimité rétroactive.

Quel masque celui qui franchit la grille d’un cimetière peut-il bien devoir porter, sinon le mortuaire ?        

 

"Réussir son été".

29 Juillet 2021 , Rédigé par pascale

(les expressions de l'été, 2ème)

Un qui se dit philosophe depuis des décennies — après avoir tout tenté pour réussir dans la carrière en rapportant sa qualité d’intellectuel au nombre de ses livres graphomaniés à la vitesse du son et des passages sous les spots de la culture intensive expresse, la seule qui a droit de parole aujourd’hui — un qui se dit philosophe, pratiquant assidûment exposition, confession et narration publiques de ses maux et de ses biens, rédige* il y a peu, cette scie démagogique à laquelle un penseur digne (de ce nom) ne se laisse pas aller : Le petit guide philosophique pour réussir son été.

Entreprise calamiteuse qui vient se loger entre réussir sa mayonnaise ou son entretien d’embauche – ou la nouvelle version par l’éducation nationale, réussir son grand oral ! L’été, devenu occasion de recettes par personne autorisée, l’été consommable à bon goût en y mettant les ingrédients, l’été qu’il ne faut pas rater. Parce qu’en y réfléchissant – oups ! – s’il y a nécessité de réussir au point que cela vaille un articulet public, (mais payant quand même pour le lecteur forfaitaire persona grata aux conseils hermétiques de l’Initié) c’est que le recalé en subirait des embarras ou des mécontentements irréversibles, voire des contraintes insupportables. Et, allons plus loin, approfondissons, raisonnons – oups, oups ! – il s’agit d’indexer une valeur intrinsèque à l’été, contrairement à ce que profère le philosophe sur/en/de papier glacé dès les mots d’entrée, autrement dit qu’il soit essentiel. Sinon quoi ?

L’article étant réservé aux abonnés, je n’en ai lu que les lignes premières, celles qui s’estompent bien moins joliment que l’eau de la marée descendante dans le sable des plages bas-normandes, et je vais, pour une fois qu’on ne s’avisera pas de me reprocher, parler de quelque chose dont je n’ai pas épuisé, essoré, criblé le tout. Et reprendre d'urgence, une fois ces mots posés, Sénèque, Épictète, Marc-Aurèle et tant d’autres qui ne mettaient leur âme, leur esprit, leur pensée, leur réflexion pas plus au service de l’éphémère – stricto sensu – que de leur propre célébrité, renommée, publicité, notoriété en un mot, de leur personne. Et puis, cette foutaise du titre – on me dira que c’est plus le fait du journal que du pisse-copie*** (celui qui a toujours une copie à placer) – qui confond l’été – une saison qui dure un trimestre – avec la vacance des occupations ordinaires – quelques jours, trois semaines au plus. A moins qu’il ne s’agisse d’une synecdoque qui s’ignore, pourrait aussi répondre celui qui a réponse à tout. Mais une synecdoque qui s’ignore n’en est pas une.

On le voit, on le sent, on le lit, ma deuxième expression de l’été me met en colère. Grave. Il y a cumul de manquements tant à la philosophie qu’au respect du lecteur-passant-par-là**. Aucune philosophie, aucun philosophe digne (de ce nom) ne peut se prétendre être (un) guide pour quiconque, a priori, cette dernière expression, cardinale, pour dénoncer la posture de surplomb, dominante, dominatrice, celle qui n’a rien à voir avec la conversation, l’accompagnement, l’échange, le dialogue philosophiques, y compris entre celui qui dispose d’un savoir et celui qui n’en dispose pas, chose courante dans tous les domaines de la vie ordinaire où ce que l’on maîtrise est toujours moins important que ce qu’on ne maîtrise pas.

M’enfin ! comment oser ! Prenons les termes un par un avant d’en finir, je promets que ma prochaine expression de l’été sera ou drôle ou légère, ou folâtre, insouciante, alerte, déliée, désinvolte, pétillante, guillerette, pour réussir contre les pisse-froid et les pisse-vinaigres, feraient-ils un effort incommensurable en guidant les autres, pour descendre à leur niveau et leur tenir la main pour passer l’été :

                                         Le / petit/ guide/philosophique/pour réussir/son été/ se présente en toute immodestie comme n’étant pas un parmi d’autres, mais le / il use de la litote (petit) dont on sait – au moins depuis Corneille (Va, je ne te hais point !) quel est son redoutable pouvoir de persuasion / je pense immanquablement et alternativement soit au guidon de la bicyclette soit à tous les Guides prétendument Suprêmes, passés, présents et à venir de la planète, dans tous les cas, à ce qu’il ne faut pas lâcher pour ne pas chuter (ou pécher ?), diantre ! ; la qualification de philosophique tient de l’usurpation d’identité ou de l’oxymoron en proximité du précédent, au choix ; à propos de la charge conquérante, triomphale, victorieuse du verbe réussir on précisera que dans cette tonalité performative, l’échec n’est donc pas envisageable, puisque le guide vous mène au succès, quoi qu’il arrive. On peut donc supposer, i.e croire, qu’il n’ignore ni l’avenir, ni l’impondérable, ni l’inattendu, le contingent, le hasard, les aléas, imprévus à venir, forcément. Enfin, l’été, est devenu par la décision d’un archipatelin de papier, le nec plus ultra de notre présent, mais chacun le sien, son été, et tant pis pour les autres.

Que va-t-il se passer quand l’été – réussi, forcément réussi après cette lecture édifiante – laissera inévitablement la place à l’automne ? Faudra-t-il résister au changement de saison ou quitter un tel éden et pour quelle géhenne ? ou attendre, dans l’impatience, la recette suivante ? Et chaque année quatre guides chaque fois différents, pendant combien de temps encore ? L’inquiétude gagne certains, je le sens. Moi, je fuis. 

 

* dans un « grand » journal « national » dont les analyses, publicités, conseils à l’endroit des nantis font la réputation. **abandonnons les abonnés. ***celui-ci, livrant son « texte » accepte, de fait, de droit, implicitement, ou explicitement, comme on le titre ; il se peut aussi que ces mots soient extraits de l’ensemble. C’est un accord tacite.

La brosse en soie était au milieu des casseroles,

26 Juillet 2021 , Rédigé par pascale

 

ou le régal de faire titre avec des mots échangés en situation limitée et délimitée, en les en extirpant pour les lancer sans filet dans le monde. Ç’aurait pu être aussi : la brosse était en soie au milieu des casseroles, un tour de passe-passe laissant indifférent aux inépuisables ressources du langage en général, de la langue française en particulier, ceux qui s’obstinent à les confondre avec un outil de communication et méconnaissent que le syntagme langage humain fait pléonasme. Mais, l’entendant avant de l’écrire, l’oreille de mon cerveau avait aussi saisi la brosse en soi, expression audible aux lecteurs (assidus ?) de Platon et ridicule aux autres :

si l’Intelligible – saisissable hors de toute immersion et même compromission dans le monde sensible, empirique, le monde des brosses et des balais, toujours changeant et pluriel – si l’Intelligible platonicien est ce qui, transcendant les conditions innombrables des apparences, permet de les com/prendre dans une Unité supérieure – ainsi le Beau pour tous les objets beaux ou le Juste pour toutes les occasions de justice – se peut-il que l’Être – l’Essence – l’Idée* – le Concept* fassent archétype pour une catégorie banale, voire triviale, vulgaire. Se peut-il qu’il existe une Brosse en Soi ou en elle-même, dont toutes les autres brosses (en soie, en arenga, en paille de riz ou coco) seraient à l’imitation, la ressemblance, la copie, plus ou moins bien réalisées. La même qui entend Brosse en soi quand on lui dit brosse en soie se souvient que dans le livre 10 de la République, Platon faisait dire à Socrate** qu’aucun menuisier ne pourrait fabriquer un lit, s’il n’y avait une intelligibilité du lit qui, ne représentant nul lit en particulier, permet cependant et nécessairement que l’artisan ne confonde le meuble qu’il façonne avec ce qu’il n’est pas.

Il y a une autre leçon qu’ontologique – ou la supériorité de l’Être sur le Paraître – en cette affaire soyeuse. La soie, que mon oreille philosophique ouït soi, fait la preuve par la faute, qu’un e muet ne devrait jamais l’être, et que le vidimus est au sens ce que la brosserie est au fauteuil, nécessaire pour lui rendre son chatoiement et sa patine. La soie – légère diérèse à l’oral – qui sert à faire les brosses, possède racine*** et résilience****, on aime ces mots ici, et aussi tirure, réservé à l’indication de la longueur des tiges. Et si les poils de chèvre sont, dit-on, affectés aux brosses et pinceaux de maquillage, ce n’est pas une raison pour faire semblant d’oublier ce que le rasage doit au blaireau.

 

La petite série des expressions de l’été commence aujourd’hui. Je sais, c’est un peu tard, mais il y a une explication rationnelle et simple : la translation du contenu de ma demeure dans une autre, qui est presque-mais-pas-encore-pas-du-tout-même-selon-certains-critères finie. Aussi, fallait-il urgemment retrouver la brosse en soie dont personne, n'est-ce pas Stéphanie ? n’avait envisagé qu’elle se perdît au milieu des casseroles. Il y aura bien d’autres surprises, notamment dans le déballage des livres, je m’y attends et m’en réjouis à l’avance, n’ayant pas toujours respecté l’ordonnancement de départ – alphabétique – chronologique – thématique – déjà fort délicat par temps calme. Aussi, tenterai-je de brosser des portraits ou des accointances inattendues, tendues aussi peut-être.

 

*ces deux termes, bien sûr, dans leurs sens grec et platonicien, et non l’insupportable approximation qui les fait servir pour tout et n’importe quoi, surtout n’importe quoi. ** quelqu’un qui voulait faire son malin, (me) dit récemment avoir lu toutes les œuvres de Socrate ! mais bien sûr ! *** c’est le poil du porc, parfois du sanglier, ni plus ni moins. **** parole de fabriquant : la capacité à revenir droite.

Portraits minuscules – 6 –

18 Juillet 2021 , Rédigé par pascale

 

Il n’avait qu’un œil, ce qui ne suffit pas pour faire un cyclope, car non seulement il ne l’avait pas au milieu du front, mais surtout, cyclope signifie d’abord et avant tout, qui a l’œil rond, ou qui tourne son œil, qui le roule.  Κύκλος première partie du motn’a jamais voulu dire autre chose, selon le contexte, que : ce qui se rapporte au cercle ou à la circularité. Polyphème, n’était pas cyclope (ni encyclopédique, lui, bête comme ses pieds !) en raison de son unique globe oculaire, mais parce que, rageur comme … personne, il devait le tourner de façon terrifiante ; pour avoir une vision panoramique avec un seul œil facial, il faut consentir à bien des efforts de rotation, et cela lui joua des tours. Exeunt Polyphème et les autres cyclopéens célèbres de la mythologie, les redoutables ouraniens ogresques, que seul Zeus parvint à calmer un peu et surtout – autre légende, autre merveille – ceux qui devinrent d’habiles et puissants forgerons, assistants d’Héphaïstos, en tapant comme des sourds sur leurs enclumes enterrées sous l’Etna.

Joseph connaissait-il toutes ces histoires ? Ce n’est pas sûr du tout. Né en Lorraine annexée, à la fin du XIXème siècle d’une mère et d’un père italiens arrivés là, poussés par la misère ou lui donnant la main, Joseph Osella-Malanotte, est mort en février 1944. Voilà ce que j’en sais, et qu’il avait un œil de verre, qu’il n’avait qu’un œil. Il avait épousé une jeune femme d’origine allemande. Ils eurent cinq enfants, l’une était ma tante Colette, la tante aux mirabelles. On ne nous dit jamais de ce grand-père d’un autre monde, ni de quoi il mourut, ni pourquoi ni quand on l’énucléa. Mais je réalise maintenant – thaumaturgie non point des souvenirs mais des mots qui font les souvenirs – connaître de lui deux choses véritablement essentielles : ce faux cyclope de presque légende, travaillait dans les hauts-fourneaux des aciéries du bassin mosellan, chaudronnier à la gueule d’un brasier infernal, aussi lointain et infatigable qu’Adnanos, Pyracmon ou Acamas. Est-ce à la suite d’un accident du travail qu’on changea son œil gauche pour un faux, aussi brun foncé que le vrai ? ce que la photographie en noir et blanc ne laisse pas deviner dont je ne sais comment elle est restée dans mes affaires ni surtout comment elle y est arrivée – les dissensions familiales ayant répliqué des schismes générationnels irréversibles. Sa femme – la grand-mère Jeanne – qui lui survécut très longtemps et que j’ai connue, ne disait mot de ce mari trop tôt parti la laissant seule avec sa progéniture, en pleine guerre et forcément après l’exode, à tel point que dans la niaiserie de l’enfance, je n’ai jamais pensé qu’elle pût avoir un époux, dont pourtant je savais de source sûre qu’il avait bien existé puisqu’il avait un œil de verre.

Joseph avait aussi une moustache. L’air triste. Le regard vide, bien sûr. De son existence qui ne croisa jamais la mienne, il me reste des noms qu’on a bien tort d’appeler propres, tant ils étaient enfumés, fuligineux – ce mot inconnu de tous là-bas – tant ils poissaient à la mémoire de celles qui les disaient devant moi, Jeanne, la grand-mère, Colette, la tante : Longwy – que mon cerveau enregistra pour toujours long oui, ainsi fallait-il prononcer – Thionville – Forbach – Bitche – Sarreguemines – avec une forte pression sur les ‘t’ et les ‘r’, ce qu’on appelle l’accent de l’Est. Personne ne me dit qu’il y avait aussi, dans les mêmes usines à feu et aux mêmes dates, des ouvriers polonais. Les Italiens, dont il ne restait dès la deuxième génération, celle de Joseph, que le nom de famille et l’œil noir, étaient traités de « macaroni ». Je n’en saurai jamais plus, il fallait comprendre à ce seul mot, que les mirabelles et les quetsches avaient eu tôt fait de remplacer les figues. Et pas seulement pour le goût. Pas de commentaires. Jamais de commentaires.

Joseph muet pour l’éternité, probablement mutique pendant sa vie, ou seulement taiseux, Joseph aura toujours pour moi, un œil non pas de verre mais de porcelaine, comme celui des poupées, et le prénom d’un santon de crèche.

 

 

 

Convertir les cloches en canons !

13 Juillet 2021 , Rédigé par pascale

 

                                               quand j’ai lu ces mots, j’ai d’abord cru – on ne se refait pas – à une double métaphore et un travail stylistique léché : les cloches étant majoritairement logées dans les églises et autres chapelles, l’idée de les convertir ne pouvait relever que d’une ironie teintée – tintant, tintinnabulant – d’un iota de litote. Quant aux bouches à feu, on pouvait y voir, dans un excès de pudeur, ou mieux, d’économie verbale, un cortège de verres de gros rouge sur le zinc (il ne vint pas à l’esprit qu’il pût s’agir de canons de beauté !). Aussi, cette terrible injonction devint, pendant quelques secondes, une invitation à pratiquer la métamorphose tant lue dans les textes anciens, légèrement rafistolée au goût d’avant-hier, étant donné, quand même, que de canons canonnant il n’y en a plus guère (guerre) dans nos cités.

Si Lucius fut âne devenu, chez Apulée, il ne serait pas incongru que les plus sots des piliers de bar devinssent, à force de se contempler dans leurs godets aussi ronds que les panses des plus grosses cloches, il ne serait pas incongru, pensais-je par caméléonisme verbal, qu’ils s’y noient et disparaissent. Et convertir les cloches en canons se devait comprendre au pied du verre ballon, bien que pour l’admettre je dusse opérer une légère torsion de mon entendement comme aurait dit Descartes, qui avait bien rêvé, lui, une nuit de grande tempête onirique, qu’un étrange homme lui offrait des melons !

Sauf à appartenir à une congrégation de campanophiles -— puisqu’il n’y a plus ni campanier ni clocheteur — tout le monde ignore que toute cloche dispose d’un cerveau. Pour être anatomiquement précis, ajoutons l’épaule et la lèvre inférieure. Et revêtons-là de sa robe avant de lui donner un prénom, dont l’option fille ou garçon demeure un mystère. Autant de termes réservés, qui transforment la description en une quasi envolée lyrique. Je n’aurais jamais cru qu’une portion de phrase, certes suffisamment ambiguë pour me porter aventureusement aux nues, puisse renvoyer autant d’échos, et de balancer entre apprendre et rêver. Lors, une petite voix bourdonna à mes oreilles : les deux ! Dans l’instant je fondis et coulai tout ensemble mes réserves de curiosités – que je ne savais pas avoir – pour le monde campanaire.

A Villedieu-les Poêles, en Basse-Normandie, lieu de passage obligé pour qui se dirige depuis le Calvados jusqu’au Mont-Saint-Michel, le cuivre et les cloches se disputent la vedette. On dit que c’est en raison du bruit aussi incessant qu’assourdissant montant des ateliers où l’on frappe le métal rouge que les habitants s’appellent des « Sourdins » ; il est vrai que les cloches dans la Ville Dieu n’y sont qu’en fabrication : elles carillonneront partout en France et en Europe seulement une fois livrées et pendues, même si aucune ne part avant que la note dans laquelle elle retentira – do, la dièse, fa dièse, mi bémol – ait atteint sa perfection par la grâce d’un accordeur spécialisé. Puisque nous sommes en terre connue, sachons que depuis peu – la précision vaut son pesant de bronze, en tout cas à Villedieu – les plus grosses cloches sont coulées dorénavant tête en bas. De l’avis des connaisseurs, la musicalité de leur son s’en est trouvée améliorée, ce qui ne manque pas de susciter en nous une espièglerie optimiste : heureusement que les humains ne marchent pas sur la tête, nous serions tous dans un chaudron tonitruant ! 

À propos de chaudron, une ou deux choses encore pour continuer d’alléger le décor. Si vous vouliez fabriquer une cloche dans les règles de l’art, sachez qu’il vous faudrait de l’argile, du crottin de cheval et des poils de chèvre, afin que votre moule réfractaire — quel magnifique oxymore ! — qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’a rien de commun avec un creuset de sorcière empli de grigris, reçoive le métal en fusion dans les meilleures conditions de résistance à la fournaise. Tout cela est attesté, bien sûr, dans les meilleurs livres. L’opération de fonte restant toujours extrêmement délicate, sa réussite donnait lieu, il y a peu de décennies encore, non seulement à un Te Deum, c’est le minimum, mais — selon le bon Joseph Berthelé (in Enquêtes campanaires – 1903) qui savait tout sur toutes les cloches de France qu’elles soient de belle notoriété ou de petite extraction —  à une grande fête qui, du côté de Poitiers, se nommait grande « beuverie », où mon rapprochement initial un tantinet intrépide entre les cloches et les canons à boire, trouve peut-être là un heureux dénouement.

C’est le 23 Février 1793 — an second de la République Française — que fut décrétée par la Convention, l’autorisation à faire convertir en canons une partie des cloches des églises des communes de tout le territoire national. L’exécution provisoire fut demandée, et la publication et l’affichage exigés. Ce n’était pas la première fois que l’État se donnait à lui-même le droit de se servir chez les autres, mais le chiffre de 100 000 cloches « disparues » est avancé pour la seule période révolutionnaire : cent mille cloches ! je ne sais pas combien ça fait de canons, mais cela fait, à coup sûr, un grand, un très grand silence. Un silence d’effroi dans tous les beffrois. Il fallait bien que le mot, et non le bâtiment, contribuât un peu à l’ambiance de ces lignes, plutôt détachée…

Dans la Lettre-Préface à son ouvrage précité, J. Berthelé écrit à un certain Jardat : « Vous savez mieux que moi — vous, mon aîné — quelle place les cloches sont en train de conquérir dans l’érudition contemporaine. » Ah ! Joseph ! on jalouse votre naïveté qui confine à la balourdise, mais plus sûrement encore à la lucidité des innocents-les-mains-pleines. Car on me raconta, qu’il y a quelques années déjà, trois notables de la République cinquième – qui n’étaient point des érudits, certes, certes – dont deux ministres, venus inaugurer la grosse cloche d’un carillon d’une ville de province, y laissèrent chacun leur nom gravé. Pour atténuer ma stupeur face à ce triple orgueil qui dit tout de leur outrecuidance, on cherchera à me convaincre qu’ils furent peut-être mis devant le fait accompli. Tss, tss, tss… ces trois-là, qui vivent encore aujourd’hui de nos deniers laïcs et généreux, ne pouvaient pas ne pas savoir ce qu’on leur allait faire. Ma seule consolation devant tant de vanités est de vouloir pour eux, chaque coup du battant comme un coup d’assommoir ; mot qui dans une acception légèrement argotique désigne aussi le troquet ou le cabaret où l’on boit tant qu’on en reste complétement sonné !

Ce matin, une pensée fugace pour le Lycanthrope.

9 Juillet 2021 , Rédigé par pascale

 

Le 17 Juillet 1859, il y aura 162 ans dans quelques jours, Pétrus Borel mourait en Algérie, au pied de la maison qu’il avait bâtie de ses mains et nommée Castel de Haute-Pensée.

A l’été 1831, il y a 190 ans, ils s’installaient – ses joyeux drilles d’amis et lui – en haut de la montagne Rochechouart, dans une maison louée pour y écrire, peut-être, y rêver certainement, narguer le bourgeois assurément. Cette dernière occupation étant, de toutes, la mieux réussie. Le Camp des Tartares – ainsi appelèrent-ils le lieu – devint très vite honni et maudit des habitants du quartier qui s’empressèrent de porter plainte, la nudité bien trop exhibée à leur goût par ces barbares-tartares qui vivaient en plein Paris sous des tentes et fort bruyamment, portait préjudice à l’idée qu’ils se faisaient de l’existence et de celle de leurs proches qu’il fallait urgemment éloigner de : Bouchardy, Philothée O’Neddy, Piccini, Jules Vabre, Jehan Duseigneur, Gautier, Gérard, Auguste Mac Keat, dont ils ignoraient tout, à commencer par leur nom.

         Le commissaire de police, assourdi par les bouchers, les huissiers, les médecins, les notaires, les avoués, les quincaillers et les apothicaires, se crut obligé de faire une descente au Camp des Tartares et d’ordonner des caleçons. La chose fut solennelle.

         Ainsi l’écrivait Marc de Montifaud – de ses nom et qualité véritables Marie-Amélie Chartroule de M. née bien après qu’ils rigolbochaient là – et rapportait (in Les Romantiques, 1878) qu’une fontaine en pierre, au milieu du jardin, portait cette inscription : le mauvais temps me fait cracher, ou plus exactement, le ma.uva.iste.mps.me fa.itcrac.her. « Comme une monnaie de fous » dit-elle ingénument, tandis que notre pensée va à Jean-Pierre Brisset, né quelques années à peine après cet été-là, le reclus magnifique dans sa maison de mots (re)constitués de haute lutte, de longs temps et d’obstination linguistique mystique, déjantée et co(qu)asse, les fidèles comprendront.

         De l’avis de tous et de Marc-Marie-Amélie, Pétrus était le centre d’attraction et même de gravitation de la petite communauté ; elle rapporte – comme tant d’autres – sa vêture, sa coiffure, sa barbe en pointe d’un poil noir impénétrable. Mais nous sommes saisis par cette phrase : Il y a bien à travers les tristes évolutions de ces yeux là une révélation d’homme aimant à nomadiser, épris de l’exotisme des verdures et des torrents dont les chamelles boivent l’ombre. Voulait-elle faire entendre qu’au Camp des Tartares, l’autre Pétrus, celui de Mostaganem et du Castel, était déjà là, ou succombait-elle à cette faiblesse de l’entreprise biographique, pour ne pas dire cette faute, qui décrit le sens d’une existence en marche arrière ? comme si, du Castel de Haute-Pensée à la montagne Rochechouart, l’itinéraire ne se pouvait parcourir que rétrospectivement ? Aussi, ces tons chaudement fauves de son visage étaient plus sûrement de l’Algérie de ses dernières années que du Camp retranché parisien.

         Sur ce point les biographies sont formelles : le jeune Pétrus fréquenta l’architecture, avec quelques déboires judiciaires, en la personne de Garnaud puis de Bourlat, ce qui mériterait un développement à soi-seul, la métaphore existentielle de la demeure, constitutive de la construction de soi, ne nous laisse pas indifférent. Mais nous retiendrons surtout que ses parents tenaient une sparterie ce qui le plongea très tôt dans la pâte à papier, et qu’il dut plus souvent qu’à son tour, pousser et tirer l’alambard à l’atelier*, en jeu ou pour de vrai. Prenant les choses par le commencement, comment ne pas succomber à cette interprétation intuitive de l’imprégnation par la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, quelque chose de bachelardien qui s’ignore. Mais on ne suivra pas Marie-Amélie de Montifaud qui le fait revenir en France à la fin de sa vie. On la préfère jetant ses mots acides sur les maltôtiers ses contemporains et les dissoudre, tous confondus, dans sa haine du bourgeois rentier.

         Ses vocables insolites et phrases martelées, ni son exultant langage, n’auront suffi à contredire et anéantir le destin cruel et bouleversant de Pétrus Borel qui, tel le loup de Vigny, meurt sans jeter un cri, le 17 Juillet 1859.

*les hasards heureux que (nous) font les mots : cf Archives 26 Juin 2021 (A la recherche de mots perdus – 5)

 

Mélanges, miscellanées, miettes - XI -

2 Juillet 2021 , Rédigé par pascale

 

« Je devais être dans une phase basse de ma situation psychologique ».

(peut-être Alphonse Allais, je ne retrouve plus, mais c’est si joliment dit !)

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Lorsque, en 1588, l’invincible Armada de Philippe II menaça les côtes de l’Angleterre et jeta les Anglais dans un grand émoi, la femme du ministre anglican accoucha de frayeur, avant terme, de Thomas Hobbes. Malgré la faiblesse initiale de sa constitution, l’auteur du Leviathan vécut quatre-vingt-douze ans. Si l’on pouvait de cette histoire vraie formuler un apologue, il faudrait, certainement, rappeler que des conditions de la naissance on ne peut tirer aucune leçon de vie. Mais qui oserait ?

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Les routes sont devenues carrossables depuis qu’il n’y passe plus aucun carrosse.

*

Dans Portraits de Cingria, ce terrible-là : « des dames qui ressemblent à un portemanteau que l’on promène. ». Et dans le même esprit – enfin, si l’on peut dire – de Michel Chaillou, avec toujours autant d’invention : «  la finesse de son pied qu’on chausserait d’une exclamation » (in Le rêve de Saxe). Nicolas Edme Restif de la Bretonne est peut-être, là, dépassé …

*

Le décret 2021-547 du Journal Officiel du 3 mai dernier est passé inaperçu. Ce serait une faute contre l’information civique de ne pas en donner l’essentiel ici : la taille de la médaille du grade de Chevalier des Palmes académiques est portée de 30 à 35 millimètres afin qu’elle soit en harmonie avec celle d’Officier – on peut y voir, assurément, de la part des grands serviteurs de l’État un refus courageux de toute discrimination jusque dans les récompenses dues aux citoyens les plus valeureux. Mais comme, en même temps, il ne faut pas aller trop loin dans les mesures égalitaires, le ruban, lui, sera dorénavant de 37 mm de long au lieu de 11, pour les chevaliers, et de 22 pour les Officiers. Il a fallu pour cela modifier plusieurs dispositions du Code de l’Éducation. (je crois bien ne pas savoir dissimuler là mon mauvais esprit.)

*

Gilbert Trolliet. (in L’Inespéré – 1949)

Je me rappelle un morceau de silence

Cloué sur un tesson de gel.

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On connaît cette phrase, on ne s’en lasse jamais : Montaigne – Essais – II, 19 : Les rois de France, « … n’ayant pu ce qu’ils voulaient (…) ont fait semblant de vouloir ce qu’ils pouvaient ». Efficacité absolue de l’analyse politique formulée avec l’art consommé de la synthèse.

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Le même mot anglais, « romantic », traduit deux termes pourtant bien distincts dans cette phrase du Dernier amour de G. Sand : « J’avais été romantique comme tout le monde ; j’étais, je suis resté romanesque » (c’est moi qui souligne). Aussi, on ne peut qu’approuver l’affirmation suivante : « la langue anglaise crée en littérature les conditions d’un grand défi pour les traducteurs de Sand ! » qui conclut un article de haute tenue consacré à la bonne dame de Nohant, il y a quelques années.  Et n’y a-t-il pas là, un critère raisonnable de distinction entre (être) écrivain d’une part et écrire de l’autre ? Si le premier (l’être écrivain) donnera toujours du fil à retordre à la traduction – et des traductions différentes à partir d’un seul original – en revanche, les textes du second (celui qui écrit) n’opposent aucune résistance à aucune traduction puisqu’ils n’usent que de termes plats, convenus, stéréotypés, sans nuance ni inventivité. Si nous donnons tous les chefs d’œuvre de la littérature et de la poésie depuis Homère pour illustration du premier cas, charitablement nous nous abstiendrons de donner des noms pour le second.

*

Humour, bon sens et logique sont rarement contradictoires, bien que tout le monde le croie. Illustration par cette petite scène d’un paysan sicilien s’adressant en ces termes à un poirier stérile dont le bois allait être façonné en crucifix :

« Tu n’as pas fait des poires et tu veux faire des miracles ? »

(en sicilien : pira 'un facisti e m'raculi vòi fari ?)

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Colette. « Je pensais à une petite église de village dans laquelle, enfant, j’allais jouer, avec d’autres petites filles, à « mettre un masque » en passant et repassant devant les vitraux. Sans respect pour le lieu consacré, nous criions à mi-voix : « J’ai le nez bleu ! J’ai le front jaune ! Une, plus effrontée, s’écria : « J’ai le derrière rouge ! »  et les autres lui promirent qu’elle irait en enfer … »

(mais qui se soucie encore de bien orthographier le verbe crier à l’imparfait de l’indicatif – criions – et marquer la diérèse à l’oral – cri/ions ?)

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Des nouvelles de nos amies les écrevisses américaines, celles qui envahissent éhontément notre vieux continent. Des études ont montré qu’étant massivement exposées aux antidépresseurs très présents dans les eaux usées, elles sont devenues plus efficaces, « téméraires » dit l’article fort documenté, plus rapides aussi. Ce qui se voit – à qui les observe patiemment – dans le temps plus court qu’elles passent à sortir de leurs cachettes mais plus long à chercher de la nourriture, un double exploit, accessible semble-t-il à des individus quelque peu « dopés ». Cette sérieuse et première remarque visant « à étudier la façon dont les écrevisses répondent aux antidépresseurs à des niveaux représentatifs de ceux présents dans les cours d’eau (…) où elles vivent » fut réalisée, il y a peu, à l’Université de Floride. Elle corrobore l’intuition puissante de leur nature très résistante, pour ne pas dire invasive – pour ceux qui suivent ce feuilleton métaphorique depuis le début – mais me fait m’interroger sur la manifeste discrimination dont sont victimes les autres espèces de crustacés. On retiendra cependant que c’est bien à la sérotonine – ou « l’hormone du bonheur » – ou encore Prozac – que contiennent les eaux usées que l’on doit ce stupéfiant changement de comportement, dont on est loin d’avoir épuisé – il n’y a pas d’autre terme – toutes les conséquences.

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Sacha Guitry, se réveillant d’une opération qui s’était bien déroulée, aurait dit au chirurgien : « Ah, docteur, j’ai bien failli vous perdre ! ». Je ne sais pas vous, mais moi, cet humour dans l’économie des moyens, me ravit.

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À un journaliste imbécile lui demandant, après une représentation : « À quoi attribuez-vous ce renouveau, cette jeunesse du Cid ? » Gérard Philippe répondit, cinglant mais magnifique : « À Pierre Corneille. ».

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Chez Pascal et Baudelaire, Cioran admire « ce sens qu’ils ont de la déchéance bien dite. » (in Cahiers). Je sens que je vais me répéter : toujours avoir Cioran à portée de main, génialement désespérant.

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Dans la presse (qu’on dit locale) : « Participez au recensement des abeilles sauvages ». J’en suis restée bouche bée, au risque d’en avaler une. 1) comment savoir quand on voit passer une abeille près de soi si elle est sauvage et donc, recensable, ou pas ? et 2) quelles sont les limites de ce recensement, dans le temps et dans l’espace, où, quand, comment, pourquoi, qui ? Il y a quand même des annonces d’autant plus généreuses pour l’interprétation qu’elles sont radines en explication.

La suivante n’est pas mal non plus avec sa grossière faute de grammaire – Gagnez un bouquet de fleurs livré chez soi ! Enfer et damnation :  il sera livré chez vous scrogneugneu ! – on rappellera avantageusement que gagnez, 2ème personne du pluriel et soi, 3ème du singulier, ne se peuvent ni se doivent tenir dans la même proposition, cela fait tout bancal.

*

Madame du Deffand écrit à Montesquieu (1753) : « Rien est heureux depuis l'ange jusqu'à l'huître » ; réponse du Baron de la Brède : « Vous dites, Madame, que Rien est heureux depuis l’ange jusqu’à l’huître : il faut distinguer, les séraphins ne sont point heureux, ils sont trop sublimes (…) l’huître n’est pas si malheureuse que nous, on l’avale sans qu’elle s’en doute. (…) Elle est malheureuse que quand quelque longue maladie fait qu’elle devient perle : c’est précisément le bonheur de l’ambition. On n’est pas mieux quand on est huître verte ; ce n’est pas seulement un mauvais fond de teint ; c’est un corps mal constitué. ».

*

De nos jours, on préfère se gausser des imparfaits du subjonctif des autres plutôt qu'avoir conscience de ses propres insuffisances.

*

De son ami Henri Calet, Henein dans un texte de 1940 : « Et dans l’art difficile de refaire, à partir de la moindre cicatrice, l’histoire des blessures humaines, Henri Calet s’est réservé une place remarquable ». Nous le savons ô combien ! Mais pourquoi ne cite-t-on jamais la phrase cicatricielle qui précède les trop fameuses dernières de Peau d’ours (Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes.) : « C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides. »

*

A la recherche de mots perdus -5-

26 Juin 2021 , Rédigé par pascale

 

Partie en ambalard, je me suis fait balader. Il y avait de quoi, même le dictionnaire de l’Académie – remonté jusqu’aux générations anciennes – l’avait éteint, retiré, écarté, distrait. Égarée moi aussi, je retrouvai cependant mon chemin en empruntant celui du bon Monsieur Littré, rarement pris en défaut d’errance, et l’ambalard se remit en travers de ma route, brouette servant au transport de la pâte à papier, je m’en saisis à bras le corps. Tout disait, intuitivement, qu’il y avait là de quoi me faire marcher – et pas seulement ambuler, déambuler, pérambuler – pendant des pages, d’autant qu’une belle générosité alphabétique de voisinage m’offrit, atrament ou encre pour écrire, noire, très noire, disons noir cirage, autre signification possible dé-coulant directement du latin atramentum qualifié selon l’usage de librarium – dédié à l’écriture – sutorium – teinture réservée au cordonnier – ou tectorium – usité par les peintres pour rendre un aspect légèrement vernissé. On est gâté ! Au point de rôdailler, tournailler et tourniller dans les allées pourtant bien droites et balisées des glossaires et autres thesaurus que la grammaire latine m’invite à écrire thesauri, mais pas l’ordinateur qui le réfute, n’hésitant pas – horresco referens – à le chapeauter d’un accent !

J’avançai ab hoc et ab hac, bien loin de mon alambard ; il est vrai que l’écran distribue des pages à jet continu, ignorant tout de la sparterie, l’art de fabriquer de la pâte à papier, sans lequel point d’alambard, ni en mot ni en chose. Et je retrouve le bon sens, en 1878, avec la 7ème édition académique qui commence par le commencement – alfa, ainsi écrit pour venir de la langue arabe – ah ! les facétieuses trouvailles ! – et désigne une graminée avec laquelle on fait du… papier. Avouons que le papier alfa pour cheminer par (par-chemin renaude J-P Brisset à mon oreille, oui, oui) les ambages des dictionnaires, c’est pain bénit ou du tout cuit, comme on veut ; les circuits de paroles et autres circonvolutions se nomment aussi ambages chez Molière, j’en pimpenaude tout mon soul, mon soûl, mon saoul. Que je souloisse avec délectation battre la calabre de tout ce qui porte mot, personne ne s’en étonnera, je crois. J’indique que souloir – ici au subjonctif présent (identique à son imparfait) est un repêché de dernière minute*, car au 17ème siècle déjà, il passait pour vieilli, dixit Vaugelas ; je n’ai en effet aucun souvenir de l’avoir lu ni chez Monsieur de Saint-Evremond, ni chez Descartes ; on a pu le trouver une fois ou deux chez Monsieur de la Fontaine. Il signifie avoir l’habitude de, avoir coutume de.

Inactualité et acribie d’un verbe que cette inattendue promenade en alambard a permis de re-cueillir. Ainsi faisait le tafouilleux, autrefois chargé de ramasser ce que la Seine charriait. Il m’a toujours semblé qu’on ne pouvait ni ne devait s’autoriser à écrire** si l’on ne ressentait l’urticante nécessité de se faire mener en bateau, par le bout du nez, berner, séduire, enjôler, amignarder, pendre aux basques, tyranniser, par les mots qui passent les bornes, donnent le change et battent la mesure pour mieux noyer le poisson, dans la Seine ou ailleurs. Tapabor rabattu sur les oreilles, avançons d’un pas sûr, et, vartigué ! foin des lantiponnages*** !

 

*sans le moindre rapport sémantique avec les précédents, mais par la belle injonction homophonique ; **au-delà de la stricte communication ; *** un ou deux « n ».

 

 

 

Orages

24 Juin 2021 , Rédigé par pascale

                                         

La nuit

           pousse

                       le jour

                                  chasse

                                             le rêve

                                                          ronge

                                                                       l’ennui

      hante                                      

     la vie

                                           noie  

                                 le ciel

                         brûle

                                 la pluie

                                              mange

                                                        la nuit.

                 Photographie VD

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