inactualités et acribies

Une histoire célèbre mais inconnue

10 Septembre 2020 , Rédigé par pascale

 

Au fond, nous avons tous lu les auteurs grecs sans le savoir, ou presque.  En ayant fréquenté les bancs de l’école et quelques cours d’histoire dans notre jeune âge, nous savons que les Grecs pratiquaient le sport, ou dans un sursaut de précision, la gymnastique. Peut-être nous souvenons-nous que le terrain dévolu se nommait palestre, que toutes les villes avaient un stade, que la lutte (palé justement) y était favorite et le disque, (merci le discobole !) et le javelot les accessoires par excellence – que nous avons oubliés comme arme de chasse et de guerre pour le second. Certains aiment le joli mot de pancrace dont la réalité est pourtant celle d’un affrontement particulièrement brutal où presque tous les coups étaient permis, sauf les doigts dans les yeux ! Mais avec Marathon et Olympie, c’est à peu près tout…  Autant dire quasi rien, juste ce qui fait écho à nos mémoires scolaires, peut-être filmiques aussi, prolongements souvent déformés des premières.

         Commençons par revenir aux temps imprécisés où les récits relèvent de la légende, de la légende poétique, où les comportements, les idéaux, les exemplarités font référence. Patrocle, Ulysse, sont des combattants, des athlètes, des guerriers tout ensemble. Ajoutons, comme pour tant d’autres choses, des mythes, et gardons le pluriel ! Qu’ils aient été institués pour expier un crime 1 – un certain Péplos aurait obtenu la main de sa prétendante par la double faute d’une ruse et d’un meurtre – ou, selon une autre légende, par Héraclès lui-même pour rendre hommage à ce même jeune homme valeureux, ou qu’ils aient été fondés antérieurement à ce premier mythe, les Jeux Olympiques ont une origine supra-humaine. Ils s’enracinent dans le divin.

Ces Jeux qu’aujourd’hui nous appelons, à tort, olympiques étaient « installés » dans un sanctuaire réservé à des cérémonies religieuses toujours prédominantes : à Olympie, c’était celui de Zeus. Processions, rites et gestes sacrés accompagnaient les épreuves avec sacrifices et remerciements. Sacré et profane inextricablement mêlés. Paul Veyne2 fait à cet égard, une intéressante distinction entre ce qui est « consacré » à un dieu, qui permet la solennité pour le public qui ne vient pas nécessairement dans un acte de piété, et ce qui est « en l’honneur » d’un dieu, qui permet la religiosité, plus contingente en revanche et pour satisfaire aussi le plaisir du spectacle. Leur succès, dans le temps et dans l’espace, est total jusqu’au début du VIème siècle après J-C et ces origines légendaires ont fondé l’indistinction positive – donc culturelle – du sport antique. C’est la « même antiquité » dit toujours P. Veyne.

         Nous croyons que les Jeux Olympiques ne se déroulaient qu’à Olympie. Mais quatre sanctuaires très célèbres organisaient des Jeux à partir du VIème siècle avant J-C, époque où le déroulement des épreuves est quelque peu stabilisé : Olympie (en Élide) ; Delphes (Jeux pythiques) ; Corinthe (Jeux Isthmiques) et Némée (en Argolide). De tous, les premiers sont les plus prestigieux. Un seul vainqueur.  Être le premier ou rien. Seul il a droit aux honneurs, à l’acclamation de la foule, aux fleurs qu’elle lui jette, au bandeau de la victoire, à la palme enfin, et au dernier jour à la couronne d’olivier sauvage, coupé par une faucille d’or. Banquet est offert au Prytanée où un poète peut célébrer l’exploit, Prytanée qui l’entretient jusqu’à la fin de ses jours s’il est athénien. Certains, s’ils en ont les moyens, peuvent demander leur effigie à un sculpteur et la mettre dans le sanctuaire. Les anecdotes ne manquent pas qui rapportent comment telle ou telle magnificence fut faite par la cité à son champion, dont la gloire devient alors la sienne.

« Un concours de force, une émulation de richesse, un déploiement d’intelligence » dit Lysias (Discours, V-IV siècle). C’est toute la question : de la force à l’intelligence, nous parlons bien d’éducation et même de culture. En effet, la place du sport dans la Grèce antique et le lien que les Grecs ont avec lui, relève d’un très haut coefficient culturel.  C’est l’idéal de la paideia c’est-à-dire l’éducation. On honore ainsi et aussi sa famille et sa cité3.

La Grèce comme pays agonistique, c’est une évidence qu’il faut mettre au crédit de cette dimension paradoxalement culturelle. Organiser, dans leurs aspects religieux, matériels, humains, sociaux, tant d’occasions très précisément « institutionalisées » par le calendrier, les rites, les rencontres, les déplacements, les arts, les techniques, et tout ce qui les rend possibles, que ce soit, les banquets, les odes, les sacrifices, les accessoires, le personnel spécialisé ou non, les préparations des lieux, sur place, aux alentours… tout cela, dans sa dimension générale et détaillée, est bien la marque d’une culture. Paul Veyne (ibid) en parle même en termes de dignité sous le double point de vue social et culturel. Ce qui lui confère, au-delà de la diversité des pratiques, une certaine unité. Là où nos contemporains voient un « phénomène de société », autant dire une pratique grégaire, les Anciens en faisaient une activité porteuse de dignité au sens où il en va très précisément de leur honneur. Dans la Grèce antique, on vit plus souvent en état de guerre qu’en état de paix, contre les envahisseurs, contre les cités voisines.  Aussi, même si les Jeux doivent se dérouler en temps de paix, – il faut permettre aux participants et aux spectateurs d’y accéder sans risque –, même si cette trêve (un mois environ) se déroule dans la joie, il ne faut jamais oublier qu’il s’agissait surtout d’y entraîner, former et exercer les soldats aux dures épreuves de la guerre. Ou de leur ménager une pause. Impossible en effet pendant ce temps d’aller en expédition. On trouve même des témoignages de punitions, d’amendes infligées aux cités qui ne respectent pas la trêve. Sparte, par exemple, fut exclue des Jeux pour cette raison pendant la guerre du Péloponnèse. On le comprend, ce mois est sacré.  Il participe à la fois de la fête, de la foire, du pèlerinage, de la fréquentation des sophistes – hommes cultivés – ou des écrivains, des poètes, de la contemplation de peintures, sculptures, toutes choses quasi impossibles autrement pour les spectateurs venus de loin. Pour éviter tout anachronisme, Paul Veyne insiste : il ne faut y voir aucun caractère « national » mais un fort sentiment hellénique qui ne lui est pas substituable. Il ne s’agit pas d’aller à Olympie, ou ailleurs, pour constituer ou reconstituer une identité, mais une citoyenneté « œcuménique », « pan-hellénique » à la seule mesure du mérite ou du courage de quelques champions venus de partout, devant un public heureux, venu lui aussi de partout. Fierté, ferveur, honneur, voire privilège d’être là. Olympie – avec Homère – est une composante immarcescible de la « culture » collective des Grecs, deux points d’ancrage, deux phares.

 

1)Pindare : Odes, les Olympiques ; 2) Paul Veyne : Pourquoi Olympie, Varia n° 8 ; 3) Ce qui permet aux fils de souscrire à l’idéal de leur père lequel ne leur était pas souvent compagnon de vie. Cl Bernand in Guerre et violence dans la Grèce antique rapporte qu’à Athènes par ex, un citoyen est appelé à faire la guerre de 19 à 49 ans, et 10 années de réserve à suivre…

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