inactualités et acribies

Le petit peuple des limbes et des ronces.

27 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

Les écrivains savent-ils que, souvent et involontairement, leurs lecteurs bousculent l’ordre du temps ? qu’ils ne les lisent pas toujours dans l’ordre – la chronologie – qu’ils ont voulus pour eux ou que leur écriture a imposés ? qu’un livre, un livre qui (vous) marque, que vous allez garder en vous bien au-delà de toute mémoire pointilleuse, minutieuse ou méticuleuse, n’a pas toujours été (é)lu en raison de la loterie plus ou moins prédéterminée des contingences multiples qui nous menèrent à lui, dont une partie, une faible partie seulement, nous est connue ? et que le premier – pour soi – n’est pas toujours, parfois est rarement, le premier pour celui qui l’écrivit ? Ce petit chaos accidentel que le bibliophage impertinent introduit dans le cosmos d’un auteur qui trace son chemin, ledit auteur l’ignore le plus souvent … y pense-t-il ? même un peu ?

 L’inactualité étant de mon usage, je pratique avec une obstination certaine la lecture anachronique — qui ne s’attarde ni aux annonces, ni ne tombe dans le battage et matraquage des publicités « littéraires » qui mettent en joie les revues et émissions du même nom et les libraires. Et puisqu’à toute règle il faut exception pour être crédible comme règle, j’excepte des parutions récentes, qui me sont indifférentes, celles qui – possiblement assez loin du barouf et des consensus médiocres – me sont de plume et-ou de savoirs décisifs ; je peux dire avoir eu ces derniers mois, quelques bonheurs inattaquables, de ceux qui me font lâcher (un peu) les philosophes auxquels je suis accrochée comme une moule à son rocher.

 

Dans cette petite liste enchanteresse Jean-Michel Maubert apparaît ici pour la troisième fois non seulement sans avoir préconçu l’ordonnancement de ma lecture – quelle horreur ! – mais en ayant avancé à contre-courant, sans aucune volonté consciente, bien sûr : après Le Sacrifice du Géomètreparu en décembre 2022Décombresen novembre 2021* – je viens de refermer Limbes suivi de Roncesnovembre 2015.  Voilà peut-être l’enchantement de cette remontée, rien n’y est étranger quelle que soit l’étrangeté : elle est semblable – en cela il y a une œuvre – elle ne l’est pas – en cela aussi. Une question me taraude à laquelle je ne pourrai jamais répondre : et si j’avais suivi le sens de l’écriture ?

Limbes et Ronces** réunis dans le même volume se ressemblent par l’essentiel – l’écrivant, je mesure la sottise de cette formule – aussi je précise, l’essentiel maubertien, lequel sera – au futur des œuvres à venir – était – au passé proche de mes lectures antérieures – revêtu de noir, maquillé de gris, couvert de rouille – y compris dans le lumineux Sacrifice du Géomètre - ; les enfants sauvages, en ce sens qu’ils vivent à l’abandon et entre eux aussi avec quelques adultes, sont difformés,  malades, parfois déficients, toujours tendres ; les chevaux, rhinocéros, chiens font un bestiaire infirme et souffrant  ; les convois ou déplacements processionnels, les rêves, les cauchemars ; les obsessionnelles mécaniques et machines zoomorphiques ou anthropomorphiques ; les lettres, les carnets, les écrits, les masques, béquilles, amputations et un rapport effroyablement insuffisant, voire nul,  avec l’alimentation qui donne à la maigreur, à l’asarcie, une présence oxymorique ; les couloirs, labyrinthes, excavations, terrains abandonnés ou incertains ce que font entendre les deux mots « limbes » et « ronces », même si, sauf erreur de ma part, il faut avoir tourné cent quarante pages pour voir imprimé le premier. Tandis que le second est partout, ou presque.

Lucas est mort ce matin. La phrase si camusienne dans sa forme et en sa place — la première du livre — installe un décor, un « intérieur » un mouvement, presque un récit, mais la lectrice – instruite depuis deux livres déjà – comprend qu’ayant les clés de son appartement, celui qui parle, ou écrit, use(ra) de mots de passe, mieux, de révélations, ce qui veut dire de secrets, de mystères aussi, et qu’il nous faut entrer dans l’univers onirique de l’auteur, c’est-à-dire fantomatique et mythique, qui ne tient que par une logique sans le moindre rapport avec le monde réel dont pourtant il vient. Nous sommes en ville, les tours, le béton, les toits, les murs de briques, sont là pour nous en convaincre, seraient-ils labyrinthiques et d’une ville-machine.

Mona aussi n’est plus. Avec Lucas disparaît une enfance de tendresse réciproque, incomprise hors d’eux. Peut-être vivaient-ils – Lucas certainement, J-M Maubert le dit – dans une sorte de Purgatoire, mais les Limbes, ce non-lieu entre Enfer et Paradis, cet entre-deux entre néant et éternité, ce bout de rien réservé, dans la sémantique chrétienne qui n’a plus cours, aux Innocents au sens biblique, ceux qui n’ont pas péché, les Limbes leur vont mieux, bien mieux. Car enfin, quelle fut leur faute qu’un baptême de quel ordre eût pu racheter ?

Souvent dans le récit – on cherche en vain quel mot serait le meilleur ou le moins mauvais – les uns en rencontrent d’autres qu’ils suivent un temps et laissent sans pour autant les abandonner : tel homme maigre, qu’on croirait sur le point de se métamorphoser, tel employé d’une boucherie chevaline, qui anticipe ou joue prémonitoirement la scène nietzschéenne d’un cheval roué de coups ce qui le mène à l’internement et à être poursuivi dans ses rêves par d’incessantes images en fragments

Toutes ces zones en friches dessinent autant des paysages « réels » bien qu’ils soient d’abandons, de misères, de maladies et de mort, qu’« irréels » parce que rêvés, souvenus, décrits ou écrits sur la ligne étroite et quasi invisible entre démence, déraison, spectres, mirages, chimères et précisions quasi narratives : incroyable plasticité de l’écriture de J-M Maubert nourrie d’un univers visionnaire infini où tout existe puisque les mots sont là « pour le dire » – quelque chose en moi pense. Qui a mis en moi cette pensée ? se demande étonnamment celui qui parle avec l’accent du Descartes des Méditations – à cette nuance près que les mots qui naissent pour le dire se décomposent en poussière. Ce monde, jonché lui aussi – cf Décombres – d’os, de crânes, de squelettes, d’animaux crevés, tanières, boues, bunkers, tunnels, est noir, tout noir, noir partout. Pas une seule page où le mot ne soit conjoint à un objet, une sensation, une impression, une vision, une idée et si ce n’est lui c’est le gris, la grisaille, les ombres, l’ardoise … Nous arpentons la nuit – nous qui sommes de la chair grise faite de nuit. Pas une page où il n’apparaisse, multiplié, surnuméraire, hanté, hantant jusques aux cendres elles-mêmes. Un monde où les portes n’ouvrent pas sur la lumière ou le jour mais sur des trouées d’ombre.

J’ai tout marqué à la pointe grise de mon crayon, il y faudrait des longueurs qui desserviraient le travail maniaque – au sens d’exclusif – de J-M Maubert. Une page m’a retenue – au sens de ralentie dans ma lecture, devenue plus paresseuse alors – par sa beauté simple ; est-ce parce j’y ai retrouvé le regard d’Actéon fasciné par Diane au bain ? une page qui ferait de chacun un parfait anagnoste, où Mona se baignait nue dans le lac.

Partout sont les ronces dans le second texte – et plus court – elles étaient déjà très présentes dans les limbes – insuffisamment hospitalières sous cet aspect, on n’en retient que l’innocence et la tendresse de ceux qui les hantaient. On sait, par la 4ème, que Ronces nous porte dans la vie – mais plutôt dans la tête de Georg Trakl et ses broussailles. On savait depuis Décombres aussi que là où il y a la sœur, Grete, il y a le poète. Ici, la parole est portée par l’aimée à la folie qui parle à et de son frère-amant-amour de sa vie. Celui dont la lecture – l’écriture ? – donnerait à penser qu’il l’aime plus follement qu’elle ne l’aime qui pourtant l’adore. Je ne sais. Et qu’importe au fond, J-M Maubert écrit avec passion tant les étranges et forts sentiments de ces deux-là que leurs hallucinations, leurs visions, leurs rêves aussi, bien sûr. Ici encore les eaux sont noires, le métal noirci, noirs les sillons, les arbres, noires les phrases, les racines, les bêtes et la rouille envahissante. Georg parcourt – du moins c’est une errance que J-M Maubert écrit pour nous – les champs de bataille de la guerre, celle qu’on dit la première mondiale. La biographie du poète confirme ces moments qui durent être au-delà du pensable tant les atrocités y culminèrent. Une page – là aussi inoubliable pour la raison inverse de celle que je nommerais d’ Actéon – tant le fracas des mots – importance de la ponctuation – en petites expressions courtes nous arrivent aux yeux et au cerveau par rafales : « l’inquiétude d’un pauvre chien – pluie lourde, tourbillons d’eau noire — lumière d’ardoise — opaque, dure, coupante — un amas de pierres gris anthracite sur le bord du chemin — la route — dans la poussière, les corps raidis d’un essaim de corneilles — ils jetèrent les cadavres dans une fosse boueuse (…) » ; la tête de cendre d’un cheval congelé dans la glace à peine le temps de nous étreindre, remplacée par celle d’un cheval amputé et d’une jeune femme, ensanglantée, à demi nue, comme crucifiée au milieu d’un tas de ronces … une contre-nativité – elle est entourée d’un âne et d’un bœuf – pour faire obstacle et offense à toute bonté divine dans ces champs de la mort.

Une autre page, magnifique, est mémorable – un récit de rêve, comme tant d’autres – parce qu’elle nous porte à nos propres mémoires de lectures et j’ai la conviction chevillée au cerveau qu’aucun grand texte n’existe seul, mais qu’il a – l’ignorerait-il et il l’ignore parfois – des béquilles au-delà de lui ; quand j’écris texte, je dis auteur ; ce peut être un tableau – la contre-nativité rassemble contre elles toutes les Nativités de la Renaissance – ce peut-être un récit qui a traversé les âges duquel ce texte est un bourgeon, un drageon, un rejeton, un scion, une greffe : nous sommes à Pompéi, au terrible matin où la ville a disparu sous la cendre, même la mer est grise, Pline ne reviendra pas, son corps dans la lave pour toujours. Georg fait de manière réminiscente et labyrinthique ce rêve où, étendu sur un rivage (…) le sable de la rive était gris (…) ce qui fut autrefois une peau d’homme n’était plus à présent qu’un mince voile de chair grisâtre (…) tu reposais sur un lit de galets noirs.

Texte où « les gueules cassées » nommées bouches fracassées par J-M Maubert nous percutent sans nous effrayer bien qu’elles soient effrayantes. — pouvoir absolu des mots justes — qui s’achève par l’inattendue découverte d’une petite hermine au dos marron, au poitrail et au ventre blanc, laquelle gisait dans un roncier mortel ; l’hermine – qu’il fallut achever, le mot est doublement juste, tant elle souffrait – peut-être pour préserver son innocence christique. N’avions-nous pas quelques pages auparavant touché du bout des mots et des vieilles mémoires qui nous constituent bien plus et mieux que nous ne le pensons, n’avions-nous pas frôlé cette présence et ce drame ?

*in Archives : 13 janvier 2024 : "tracer une ligne dont il faut penser la brisure serpentine" ; 28 février 2024 : "le désespoir d'être un mutant dans l'insomnie du monde ; ** Jean-Michel Maubert, Limbes suivi de Ronces, éditions Maurice Nadeau - 2015

Rimbaud, « vaste vates »

23 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

Vates, mot latin qui signifie le devin, le voyant - "Tu vates eris "-

Vaste, son anagramme exact, l’adjectif qui convient à ce piéton de la grande route, cet homme du vaste monde.

 (rapprochement qui m’a frappée et que je n’ai pas pu ne pas faire, pas ? …)

 

 

 

Aux Sept considérations sidérantes au sujet d’Arthur Rimbaud d'Alain Borer* j’ajouterais — un peu imprudemment mais bien volontiers — une huitième qui engloberait et recouvrirait les autres alors qu’elle leur est, d’une certaine façon, extérieure : n’être sidéré par aucune en particulier ni toutes en général, c’est (encore) le cas, semble-t-il, de ceux qui ne voient ou n’ont vu en Rimbaud qu’un « immense poète » sans jamais le sortir du rang, l’exclure de toute norme, préférant l’inclure, certes, certes, en belle place, mais l’inclure, dans l’ensemble présentable d’une « histoire de la poésie ». A ceux-là ce texte s’adresse en tout premier lieu — c’est ma partialité avouée et avérée — ceux-là qui ont institutionnalisé Rimbaud et le trouve ainsi très bien servi.

Plus ma lecture avançait, plus j’étais convaincue que ces pages étaient à destination — non explicitement bien sûr mais si nécessairement — de ceux qui, pratiquant le métier d’enseigner, satisfont aux obligations académique, officielle et pédagogique, tout à rebours de ce que Littérature et Poésie, (aussi la Philosophie) doivent susciter : l’étincelle, l’éclair, le choc, la fulguration, l’illumination, l’ardeur pour toujours, jamais la froideur. Or il y a un Rimbaud bien rangé dans les cases et les casiers de la scolarité obligatoire desquels quelques poèmes – Le Dormeur du Val ou les Voyelles ? – rabâchés sans élan, affleureront parfois, encore y faudra-t-il trouver les occasions ; l’enseignant se sera efforcé, certains dans la douleur, d’autres dans la routine, de dire … quoi au juste, quoi e-x-a-c-t-e-m-e-n-t ? Rimbaud est sidérant, foudroyant, il nous laisse sur le flanc, allez donc rédiger quelque chose de construit avec ça ! C’est pourtant par cette collision enchantée que nous entrons dans un texte impeccablement précis et grisant, un texte superlatif et rigoureux, décisif et fervent.

Dans sa Critique de la faculté de Juger Kant ose et pose l’apparente antinomie que serait l’universalité d’un jugement subjectif si elle n’était résolue dans le seul cas du jugement esthétique. Les raisons particulières (au sens de motifs) que l’on a de juger (au sens d’affirmer en vérité) de la beauté d’une œuvre d’art ne pouvant être déterminées par quelque intérêt individuel, sauf à s’anéantir comme esthétiques, peuvent prétendre à une universalité (indépendante de toute connaissance intelligible i.e nouménale, laquelle reste inaccessible à notre raison limitée). Les sept considérations objectives déclinées par Alain Borer pour développer son argumentation – ce terme, bien trop désincarné, préférons lui expertise – sont, évidemment et à la fois imparables et saisissantes. Il faut tenir et maintenir le cap entre ferveur, ardeur et précisions, les unes singulièrement partagées par le plus grand nombre dont pourtant peu ont cette aisance et facilité à se mouvoir dans les autres : la raison, peut-être, pour laquelle Rimbaud est un sujet d’exclamations et un objet de renommée (de mythe et de légendes pour ne rien dire des erreurs) permanent. Ce texte évite ce redoutable grand écart comme piège, non en l’ignorant – l’envolée de Félix Fénéon en exergue en est le signe – mais, comme toujours, en le dépassant.

Aussi, pour échapper à la paraphrase de ces huit pages si construites et si enthousiastes que reste-t-il à ajouter, au fond ? – j’ai trouvé une parade qui me laisse fort quinaude, en m’inventant un petit exercice d’écriture selon ces consignes à moi et par moi concoctées : « reprenant les termes les plus importants du texte proposé, repliez-le en une phrase, 6 lignes et 60 mots au maximum, et moins de 400 caractères » : précoce artiste de la langue à la maturité quelque peu effrayante, inventant avant tous les formes modernes de la poésie et absolument seul dans cette expérience déterminante mais indifférent à sa valeur incommensurable au point de lui imposer un silence définitif, renoncement plutôt qu'abandon pour mieux inventer une Oeuvre- vie, une poévie, une liberté guidée seulement par elle-même.

Certes, ce n’est vraiment pas brillant, mais tout y est … les sept considérations sidérantes sont bien reprises ; tout est là mais Rimbaud lui n’est pas là – bien que rien dans cette formelle formulation — un stupide auto-contrat — ne lui soit défavorable. Il faut, quand il s’agit de Rimbaud, non seulement éviter tout ce que l’on croit savoir – le mythe et la légende – mais les chiffonner, froisser, jeter au panier et lire cet article ** : https://salon-pages.com/wp-content/uploads/2024/02/Alain-Borer-Sept-considerations-Rimbaud.pdf.

 

*Alain Borer – Sept considérations sidérantes au sujet d’Arthur Rimbaud – in le catalogue Page(s – novembre 2023 ; ** en « profiter » pour aller visiter le magnifique catalogue Page(s qui lui sert d’écrin.

L’avitalité ou la non-ardeur

21 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

Le nonchaloir est un nom qui se prend pour un verbe et aime nous tromper : nous balançons entre chaloir dont il ne reste plus que le trop oublié peu me chaut et choir qui nous fait trébucher, voir chuter en sa conjugaison où nous cherrons à tous les coups, car choirons – en relative logique de formation du futur en français – ne nous chaut point, bien qu’il soit parsemé ici et là ; et puis la chevillette cherra pour toujours, même si jamais personne en nos jeunes années ne nous expliqua ce cherra, qui tombait en nos comptines et nos tympans comme un cheveu (de sorcière) sur la soupe.  

Nonchaloir – nom masculin – fut cependant décliné en des siècles si lointains à nos oreilles que nous ne les rattrapons plus et si notre intuition était juste, l’erreur aussi. En tant qu’infinitif, il fut en usage quasi fréquent entre le 12ème siècle finissant et disons le 17ème mais nous ne sommes pas super-experts, où l’on pouvait nonchaloir quelqu’un, le négliger, n’en point tenir compte, voire le mépriser – il devenait nonchalu – tandis que cette indifférence dévolue rendait nonchalant celui qui la pratiquait. Une signification qui s’est abîmée pour ne garder de nos jours qu’une certaine idée de l’indolence,  ce terme cher à Saint-Evremond qui en usait en sa stricte étymologie* laquelle a disparu aussi dans les précipices de la négligence – çà, c’est pour la rime – disons charitablement, les effets des approximations successives ;  être nonchalant pour avoir mis [un quidam] en nonchaloir est doublement inaudible** de nos jours : deux termes dont il est dit que, les trouvant en leurs significations et usages précis, il faut en relever la rareté i.e la préciosité – et ce n’est pas un compliment, les styles poétique et littéraire désignés premiers responsables et coupables ! dixeunt la plupart des dictionnaires.

Être nonchalant ou pratiquer le nonchaloir peut donc s’entendre de quelqu’un qui balancerait à s’engager par manque de zèle ou d’empressement, ce qui éclaire d’une meilleure lumière quelques comportements devenus courants dans les cercles privés et parfois publics où il vaut mieux se hâter lentement n’est-ce pas ? Vous encourez, il faut le savoir, si vous prenez ombrage de cette nonchalance-là, que vous vous gardez bien pourtant d’appeler par son nom, vous encourez reproches, réprobations et objections : on vous répondra « pondération » voire « sagesse » et, pourquoi pas, goût du « relativisme » ! Le nonchaloir du nonchalant moderne est un masque bien sûr, mais si bien appliqué qu’il fait enduit, ciment et vernis : en toute circonstance il y a quelque chose à dire pour rattraper quelque chose qu’il ne faut pas dire. Heureux les nonchalants du temps présent : le (faux) calme avec lequel ils font (faussement) entendre une pondération qui les protège est possiblement exemplaire en effet, sauf à n’en pas être dupe ce qui demande parfois une pratique certaine qu’on ne vous pardonnera pas. Blaise Pascal parlait de la nonchalance du salut en ce sens : l’indifférence, l’inintérêt, l’indétermination par le vide, l’adiaphorie, l’anesthésie du vivre.

Avoir toujours les Pensées près de soi.

* indolentia, absence de trouble(s) – ainsi un usage « politique » de ce terme lui est familier : « La Haye, dit-il, est le vrai pays de l’indolence », in Lettres, t. 1 – et de douleur(s). **pourrait-on éviter d’employer l’inaudible « inentendable », inaudible tant pour nos oreilles, fragiles, que pour avoir conquis les esprits paresseux ?

la déprise du monde

15 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

 

quand écrire a le goût de la neige

toute voix est plus douce qu’un ruban de velours

 

*

entre les doigts crochus

d’une tisserande

son destin a filé

 

*

les giboulées

ont dégravoyé la terre

l’en ont chaussée de semelles bourbeuses

 

*

jetées par les fenêtres mes pensées

tournoient dans le vent

se posent enfin

dans le chapeau du jardinier

qui poussait là

 

*

bateleur à mes tempes

il cogne aux parois de mon être

le bourdon

*

au creux de l’eau dentue

nocher avance ta barque

au-delà de tout espoir

 

*

les barquerolles du soir

suivent la ligne claire

d’une chanson triste au milieu de la foule

                                                                      du clapot de l’eau l’écho

                                                        sous un pont sous un pont un pont un

                                                                 ombres dorées reflets violets

                                                              où glisse et passe repasse et passe  

                                                                  la peau grise des apparences

 

*

à contre-jour du jour

les invivants fantômes

vêtus du satin rose des femmes nostalgiques

           à contre-sens à contre-courant

           montent les escaliers de bois

           que le temps ronge en ricochant

 

*

deux ailes ensanglantées

noyées dans la lagune

et leurs plumes rouillées

aux châssis des pontons 

si près des chevaux sombres d’Hadès

 

*

ombre poreuse emplit la fin du jour

sonate évanouie

dans un manoir obscur

au clair de lune

*

ciel enchiffonné

brouillonne en ses déluges

 

*

aux murs lisses et gris

le fil était-il rouge du sang du Minotaure ?

 

*

grains éclatés de grenade

en larmes incarnadines 

brésillées dans la chaleur du soir

 

*

tournis infini

ritournelle éternelle

Démocrite en rit

Héraclite en pleure

faute de mieux

*

parfum doré et tiède de la bergamote

fragile cristal

captive souvenance

*

ne pas pleurer ne pas pleurer

pas sur le papier bleu

il devient pelure

inattendue broquille ronde et piquante d’un lundi matin

11 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

 

Je me souviens de ce mot, l’étonnant inconnu de beaucoup — smectique — lu en avril 2020 *, c’était hier, tous masqués sauf les yeux et confinés sauf les doigts, heureusement non gantés pour tourner les pages des livres en retard d’ouverture mis-de-côté-pour-plus-tard-quand-on-aura-le-temps, c’était le moment … encore fallait-il passer par le rite nouvellement entré dans les maisons privées du passage à savon des mains qui tiennent, prennent, soupèsent, attrapent, ouvrent, ferment, poussent, posent et reposent toutes choses niaisement. Nous apprenions l’obligation d’apprendre à nos mains à penser : il y avait là et partout peut-être bien, des milliards pour le moins des centaines de milliers d’animalcules possiblement mortels, indéniablement malfaisants et contagieux dont il fallait se prémunir. Le coup fut rude, très rude, mais comme tous les coups, il passa. Restèrent les états de nos âmes, différemment affectées, c’est le mot.

Surtout ne pas chercher à savoir — un comble pour la frappadingue de la comprenoire dont je suis — pourquoi ce mot dont la prononciation contredit l’onctuosité de l’objet qu’il vise, ni où smectique s’était logé pendant tout ce temps, ni pourquoi il refait une bulle un lundi matin de mars, le ciel presque bleu dans un silence quasi parfait ; sinon que l’esprit frappadingue frappe toujours et bien qu’une souvenance unguineuse ait la suavité d’un savon gras, elle ne glisse pas dans le néant mais se glisse dans une boucle d’instants détachée du présent urgent.

Tout à l’inverse du désastre des oursins qui obsède et bouscule le rare sentiment de vide de conscience qui parfois peut soutenir un léger équilibre au-dessus du naufrage du monde, des ruines de l’époque, de l’effondrement du temps. Trois mots, ou deux, deux mots qui, sans la moindre chance autre que les associations libres dudit esprit toujours un peu brissettien et flottant au gré de son auriculaire et auditif attachement aux sons des mots : des astres et des oursins … ou des oursons, hein ? où le petit de la Grande Ourse m’attire par ses cheveux (d’ange) vers le ciel admirer les espaces infiniment silencieux et mes souvenirs et se méfier de leurs piquants, autant d’aiguilles plantées aux nuées de la mémoire désastreuse du houx sain … Saint Jean-Pierre Brisset, au deuxième mois (dit Haha) du Calendrier de Pataphysique, la veille de la « Commémoration du cure-dent » dont l’un des mâchouilleurs les plus célèbres – après A. Allais bien sûr – est l’amiral – j’y entends admirable, ce dont je ne puis juger – Gaspard de Coligny, assassiné à la Saint-Barthélemy, qui pour beaucoup hélas ! est synonyme de saint glinglin, le saint de toutes les promesses non tenues, qui existe bel et bien puisqu’on le fête en faisant la Foire dans quelque(s) village(s) de France – retenons, pour revenir à nos bulles d’entrée, celle de Châlons-en-Champagne, qui, l’écrivant, fait mes yeux pétiller. Quand je pense qu’il y en a qui répondent qu’ils ne sont pas très bulles ! quand on les invite à partager la divine et toute laïque boisson mise à l’honneur et au goût des élégants par Saint-Évremond en son exil londonien ** !

Seraient-elles dévolues à la dimension smectique du monde, les heures fondent que l’on passe à écrire, comme le savon dans l’eau – « ça et vont » et « ça fond et vont » – dans l’eau, nous le savons bien, le moussaillon des eaux, des « Ô » qui spument pour nous sur l’écume des jours.

* archives, « Du savon, des dauphins, des confins » – 1er avril 2021 ; ** archives, « Le philosophe et le champagne » - 25 septembre 2017

 

de la pléonexie,

8 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

 

                          ça commence comme pléonasme et ce n’est pas pour rien. D’un préfixe grec qui festonne toutes les significations du « trop », du « plus », du « davantage », aussi du « de plus en plus », le pléonasme, par abandon de ses origines est devenu quasi synonyme de tautologie, ce qu’il n’est pas exactement. On devrait percevoir en tout pléonasme l’intention certaine d’en « rajouter » par insistance synonymique d’un ou plusieurs termes proches de celui qu’on surcharge. Cette intention ayant quasiment disparu, on retient aujourd’hui l’inutile répétition du même.

Au contraire, le mot pléonexie a gardé — parce que si peu servi qu’il ne s’est pas usé ni déformé — le poids de la surabondance et de l’excès. Il ressortit aux questions économiques, pécuniaires, financières quand il s’agit de les traiter du point de vue des richesses accumulées – ce qui, pour ces deux mots, fait véritablement pléonasme, dans l’intention et dans la signification. La pléonexie n’est pas tout à fait aussi vieille que le monde, elle est cependant très âgée ; la faveur et la ferveur avec laquelle une partie de l’humanité la reçoit désormais comme la fin de toute existence, s’oppose frontalement à l’autre qui la réfute ardemment, tandis qu’aux temps anciens de l’avènement balbutiant de l’usage public et commun de la rationalité, elle était très combattue. Sur ce point il faut relire Jean-Pierre Vernant 1 qui explique par le menu comment la pleonexia en grec représente le « désir d’avoir plus que les autres, plus que sa part, toute la part. ». Pour la contrer, on ne pense pas seulement à Diogène le Cynique – qui prêcha par l’exemple et tel Socrate ne griffa aucune tablette de son calame – on peut convoquer à peu près tout ce que l’antiquité comptait de penseurs, de sages, pour qui l’apprentissage de la vertu ne peut s’exercer que par un esprit libre de toute préoccupation matérielle. Paradoxalement, c’est dans la modicité que l’on y parvient, voire la pauvreté. Mieux vaut le dire autrement : l’accumulation des biens et des richesses, la thésaurisation de son argent, sa capitalisation au-delà de ses besoins propres et des nécessités vitales, sont condamnées par les Stoïciens, les Épicuriens, les Cyniques donc, Platon aussi au nom de l’éducation contre les faux semblants, Aristote … tous ceux qu’on appellera philosophes, alors qu’avant eux, les fondements du pouvoir politique selon la richesse, la ploutocratie, – ou même ce que prôna Solon à Athènes la proportionnalité qui, à y bien songer laisse de côté toujours les mêmes – était la règle, jusqu’à ce que Clisthène vint pour lequel ce n’est pas négliger la diversité des fortunes qu’exiger l’exacte isonomie de répartition du pouvoir entre chaque citoyen, compte non tenu de ses richesses personnelles.

La pléonexie, on l’aura compris, ce n’est pas la richesse mais la course effrénée pour toujours plus de richesses indépendamment des besoins qu’elles satisfont puisque l’ordre des raisons est alors inversé : ce n’est pas la détention de richesses la mesure des nécessités à acquérir, mais le désir — l’ennemi du besoin — d’acquérir de plus en plus de biens qui induit l’accumulation des richesses jusqu’à la richesse pour elle-même … On n’est donc pas étonné que de très nombreux textes de Marx – pétri d’éducation classique et semant du latin un peu partout – reprennent cette idée élémentaire, textes qu’on oublie de (re)lire de temps en temps. Ils sont pourtant clairs, faciles, indiscutables, reflétant non pas l’irrationalité d’une idéologie qui l’emporterait sur l’analyse – le reproche le plus courant – mais un raisonnement auquel il faudrait une dose de mauvaise foi pour en nier la rigueur, sauf à poser pour axiome de départ que toute richesse est toujours insuffisante et qu’il est de sa nature d’être cumulée. L’argent un concentré de contradiction (1857) ; De l’argent comme drogue (1857) ; « Tout est achetable » (1858) ; autant de titres extraits des Manuscrits qui – hors vocabulaire manifestement économique au sens moderne du terme – reprennent des propos qu’aucun philosophe antique n’aurait pu désavouer.

Contrairement à l’acception la plus courante, l’argent selon Marx est une pure abstraction. Là où tout un chacun – confondant le moyen et la fin – considère qu’étant le moyen d’acquérir des biens sous une forme toute matérielle, tangible, il serait contradictoire voire ridicule, d’affirmer qu’il n’est pas matériel lui-même ; c’est pourtant le cas, puisqu’il est « seulement » échangé contre différents biens et objets acquis par son moyen. Il est exactement parlant en circulation, c’est même la seule façon pour obtenir la jouissance individuelle indéfiniment reproduite dans ce processus (Marx dit toujours procès) que nous appelons de nos jours la consommation, oublieux de la proximité étymologique de ce terme avec consumation, consumer, calciner – l’argent brûle les doigts – dit-on parfois, jusqu’à devenir une fois acquis les biens convoités leur pur fantôme pour un moment donné, le mécanisme reprenant ad infinitum jusqu’à confondre la valeur avec la quantité. Posons un instant que le mécanisme s’arrête là, l’accumulation perd en valeur ce qu’elle ne fait pas croître qui, de facto, diminue. La dépendance – caractéristique de toute drogue — est installée en dehors de l’individu qui en est pourtant victime, l’argent comme une chose qui m’est tout à fait extérieure, me met en danger comme personne libre et autonome : je suis, tandis qu’il m’est extérieur, incapable de m’en séparer, c’est une contradiction majeure.

Pourtant individualisé comme moyen de possession singulière, l’argent est le souverain et le dieu du monde des marchandises. En 2007 Dany-Robert Dufour reprit l’esprit de cette expression marxienne pour titre d’un essai 2 passionnant, précis, cultivé, référencé, foisonnant 3 où l’on comprend que la trame essentielle de l’analyse des rapports de l’homme à l’argent donc à la marchandise ne s’est pas modifiée avec les siècles, sinon dans les objets acquis, devenus plus nombreux et complexes, valeurs quantitatives s’il en est. Dans la mesure où la relation de l’individu à l’argent est contingente – elle ne le représente pas dans son individualité – étonnamment elle le domine et l’asservit dans des jouissances jamais assouvies, c’est le propre de toute drogue. Cette frénésie d’enrichissement — cumulatif donc matériel — est, dit Marx, auri sacra fames, citant Virgile, elle relève de la pulsion. Ce qui explique que les Anciens – c’est toujours Marx qui parle – l’aient tant critiquée pour ne pas dire plus : représentant concret d’une abstraction, la richesse, l’argent qui génère avarice et frénésie s’oppose directement à l’idée même de communautés (humaines, pléonasme !) il est la possibilité même de leur déclin.

L’argent contient en lui la puissance de sa propre pléonexie, devenant la richesse en acte. Il est l’agent de l’aliénation résultant de son dessaisissement pour acquisition, n’étant que circulation et échange permanents, on comprend le cercle vicieux par lequel « tout est achetable », toute chose n’ayant, par l’argent, d’autre valeur que la pure jouissance individuelle, rien ne peut plus avoir de valeur autonome – ou absolue – Tout est sacrifié à la jouissance égoïste. L’aliénation de tout par l’argent est alors illimitée jusqu’à l’argent lui-même qui peut s’acheter, se payer, s’accumuler, se capitaliser, thésauriser, sans préjuger des moyens pour y parvenir, fraude et violence etc.

La pléonexie, phénomènes mécanique et psychique mêlés , est négation des res sacræ ou religiosæ à l’instar de toutes les autres (en latin dans le texte), elle s’auto-alimente, digère et reproduit, l’argent devenant en tant que tel sa propre destination et réalisation.

1)Notamment dans Les origines de la pensée grecque, mais pas seulement ; 2) Dany-Robert Dufour : Le divin Marché – Folio Essais – 3) Cf Archives- 25 janvier 2017 – « L’égo-grégarité est la nouvelle humanité ».

Sous le signe du Taureau

5 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

Un bucrane est composé de mufles qui ne sont pas les fleurs du muflier qu’on appelle aussi gueules-de-loup ou gueules-de-lion ; ces mufles-là ne sont pas non plus des goujats ou des pignoufs, ces derniers bénéficiant d’une épaisseur littéraire attestée*. Notre ci-devant mufle au contraire, est beau, silencieux, enguirlandé de feuilles et de fleurs, immobile et même statique pour nous mettre sur la voie — l’antique bien sûr — où il fait témoignage minéral de légendes et sacrifices anciens. Le bucrane dispose harmonieusement plusieurs mufles, des crânes de bœuf ou de taureau aux cornes élégantes sur des socles en pierre ornant des édifices ou leurs propylées, aussi des mausolées ; il raconte des fables que nous portons tous un peu en nous, dont nous savons des petits bouts, dont nous aimons croire qu’elles sont un peu vraies …

 

Zeus, on le sait, ne recule devant rien ni jamais. L’hésitation n’est pas de son usage — ce qui lui valut parfois quelques contrariétés. Mais plantons le décor : une plage suffit. C’est la scène primitive de tout ravissement et l’origine du monde.

Le sable devint ardent au soleil métallique, le ciel mordant, le taureau blanc qui, ayant déposé toute force devant tant de beauté se laissa caresser, chevaucher, flatter, puis entra dans l’eau entraînant la plus belle des belles : elle ignorait que le dieu fendait l’écume jusqu’à l’île lointaine pour mieux l’aimer.

A la demande de son père Agénor, Téléphassa sa mère, Cadmos, Thassos et Cilix ses frères, partirent à la recherche d’Europe, la princesse emportée par le puissant animal divin. De chagrin Téléphassa mourut, de honte d’avoir échoué ses fils ne revinrent pas, demeurés loin et pour toujours de leur terre phénicienne. Europe restait introuvable.

En Grèce où il débarqua, Cadmos s’en fut à Delphes interroger l’oracle qui lui prescrit de suivre la génisse errant à la porte du temple, ce qu’il fit jusqu’arriver à Thèbes avec ses compagnons.

Déjà Io son ancêtre, la thauropárthenos, elle aussi aimée de Zeus en dépit de la colérique Héra, fut transformée en génisse — de l’espèce bos taurus — pour que le tempétueux, une fois encore taureau devenu, puisse la mieux aimer elle aussi, au moins tant qu’Héra ne découvrit pas le stratagème qu’elle avait elle-même contribué à constituer.

Zeus n’est décidément jamais assagi. C’est encore lui qui envoie le grand taureau blanc dont Pasiphaé tombera follement amoureuse, donnant à Ariane et Phèdre un frère, Astérion, qui pour n’être pas fils de leur père, n’en est pas moins celui de leur mère. Une étonnante version – du Pseudo-Apollodore – rapporte la construction d’une artificieuse génisse de bois, d’autres disent « un géant mécanique inventé par Héphaïstos » – entendez-vous ici un cheval de Troie ? – dans lequel la reine se serait glissée pour approcher l’objet de son amour interdit. Quand il ne franchit pas l’espace incomblable des mondes marins et terrestres, le taureau se fait gigogne pour mieux entrer dans la légende, à moins qu’il ne descende directement du ciel étoilé – la constellation du Taureau – ou ne sorte des profondeurs marines comme Poséidon. Le taureau grec est partout, il est de tous les textes et dorénavant dans les bucranes où, telle Europe, toujours des enfants le tiennent par les cornes.

Une mosaïque romaine, peut-être du IIIème siècle avant notre ère, reprend ce geste avec délicatesse qu’Achille Tatius décrit ainsi : il fallait qu’elle fût assise de côté pour qu’en une seule main elle prît les cornes et d’une légère pression fît obéir le puissant animal — ainsi font les conducteurs de char en tenant les rênes — et de l’autre, lui caressait la croupe. Une longue et large écharpe gonflée par le vent volait depuis ses épaules jusqu’au-dessus de sa tête, telle la voile d’un bateau avançant sur la mer, Europe sur le taureau chevauchait les vagues.

 

*Rimbaud bien sûr, sans oublier Pétrus Borel pour l’apprenti cordonnier dit aussi, le gniaf.