inactualités et acribies

Broquille d’un vendredi, début d’après-midi.

26 Mai 2023 , Rédigé par pascale

 

 

Il y a quelque temps déjà, j’avais rédigé un texte farci d’emprunts volontaires – mais volontairement non signalés comme tels – à l’un de mes auteurs favoris*. Quelques signes, traces indicielles, pouvaient permettre l’identification, mais j’avais picoré dans des textes et œuvres différents. Ici, je pratique en récidive le même crime littéraire, à cette différence que je m’en suis tenue à un seul (court) texte, d’un auteur différent bien sûr, mais toujours de mes archi-favoris. Il a suffi, qu’ouvrant une fois encore un de ses livres, je sois saisie d’une admiration imprescriptible, de celles qui vous accompagnent sine die. Peut-être, c’est le vœu que je forme avec espoir vrai qu’il s’accomplisse, quelques familiers de ses textes vont-ils identifier cette immense plume, ici pillée avec délectation, dont quelques titres sont fort connus – mais les a-t-on lus vraiment ? – et les moins célèbres, ne méritent pas cette indignité.

*il s’agissait de Francis Ponge – l’ai-je dit ? cf in Archives : Broquille d’un dimanche, l’après-midi. 24 Octobre 2021.

 

Madame A. et Mademoiselle D. sont voisines par le même palier. Celle-là, la dame du photographe, celle-ci célibataire, enfileuse de perles. La première occupe ses heures inoccupées en visitant la seconde qui n’en a pas une seule à perdre, ni à gaspiller la moindre poussière sur sa table de travail qu’elle scrute de ses yeux bruns d’aventurine et de ses mains expertes : il faut deux années d’apprentissage avant d’exercer le métier : manier les brucelles, composer, évaluer le lustre, l’orient, renfiler, engraisser un rang, monter un fermoir, faire glisser sur le fil de soie les plus petites embrochées cinq par cinq. Aucune corbeille de mariage, aucun baptême, aucun amoureux, aucune coquette, actrice, épouse de riche ou maîtresse, n’aurait pu – en ce temps-là – s’en passer. Les perles – c’est une synecdoque d’usage – en grands sautoirs, fermoir enrichi d’un diamant, en collier de chien de quatorze rangs, celles de Cécile Sorel ou de Polaire – trente-sept perles célèbres –, Melle D., après les avoir posées à plat sur la nappe de drap vert – mi-table de billard, mi-table de bridge rebordée – braquait sur elles la pointe de son aiguille pour viser les pertuis presque invisibles, prenant et reprenant de ses doigts habiles celles qui avaient roulé aux rigoles dans lesquelles, après les avoir calibrés, elle rangeait les colliers.

Mademoiselle D. n’avait, ni de près ni de loin, rien à voir avec ses consœurs en habileté, les imparesse vénitiennes, non parce qu’elles enfilaient des perles de verre mais, parce que, assises sur le pas de leur porte, elles travaillaient à la lumière du jour, tandis que la voisine de Madame A. chez qui je me rendais avec gourmandise – elle avait gardé comme moi l’accent du terroir – travaillait sous la lampe, et comme il arrivait que, pour une réparation simple et rapide, j’attende sur place, je pouvais voir ses grands cils agglutinés et palpitants – ni loupe ni lunettes – ou respirer, quand elle se déplaçait, un incommodant effluve d’un parfum à la mode, entendre aussi des remarques à nulles autres pareilles : « Je vous fais une petite place, amusez-vous avec ce qui traîne, le temps que je vous renfile ». Elle soliloquait tandis qu’elle me parlait : tel lui avait apporté des masses dans la soirée ce qui la força de composer jusqu’à deux heures du matin. Mon imagination s’emportait alors vers ces « masses » et élevait le verbe « composer » à la hauteur d’un labeur de l’esprit ; évoquant sa voisine de palier qui, chaque jour, lui portait quelque plat et pâtisserie de sa confection, elle me confia qu’elle avait bien remarqué ce que je prenais pour de la mélancolie. Certes, me dit-elle, toujours le nez sur ses fils de soie en écheveaux et torsades qu’on appelle bayadères dans la profession, certes, on voit que c’est une femme qui se ronge. Mais, ajouta-t-elle aussitôt, comme pour me donner un peu tort en montrant qu’elle avait un avis de connaisseur, elle s’étripe pour faire fine taille, aussi est-elle forcée à chaque minute de chercher son vent. Ah ! cette manière de formuler si particulière que je l’avais surnommée « ma payse ». N’empêche qu’elle disait juste. La dame du photographe, comme elle l’appelait, avait tant chaussé l’idée qu’elle avait des étouffements si elle restait chez elle trop longtemps, qu’elle sortait dans le quartier chaque jour, et presque chaque fois que je passais chez ma renfileuse de perles pour qu’elle renforce un rang fragilisé avant qu’il ne se rompe, je rencontrais Madame A.

C’était un personnage. Assise ou debout, elle était inflexible. Son savoir-faire dans le sanglage de ses corsages s’apparentait à de la bridure. J’aimais particulièrement l’écossais rouge et noir à brandebourgs de soutache entre les battants mi-ouverts d’une jaquette, qui, la première fois que je la vis ainsi vêtue, me fit penser, une fois pour toutes, à une petite armoire. A ses ajustements vestimentaires, elle épinglait un gardénia en boutonnière, ce qui jurait un peu avec ce je-ne-sais-quoi- d’aménité des caissières sérieuses émanant de sa voix. Elle pouvait avoir des phrases molles, lesquelles provoquaient des coups d’œil tranchants et brefs de ma petite réparatrice nacrée, souvent sceptique et un peu ricaneuse.

Un jour, ce fut le drame. Madame A. portait ses bas de soie et avait chaussé ses souliers de satin noir brodés d’un petit motif. Elle reposait, mi-consciente, mi-inconsciente, sur son lit, son mari s’agitait dans tous les sens tout autour. Elle avait avalé, à n’en point douter, une trop grande rasade de poison, ce qui la sauva – comme quoi les moins malins ont leur finesse. Tout rentra dans l’ordre assez rapidement, les bons soins de la voisine, mon petit bouquet de violettes – les roses ont tôt fait de blettir par la chaleur – les prescriptions du bon docteur C. – du lait et de l’eau minérale, rien d’autre jusqu’à nouvel ordre, tout cela fit ses offices et leurs effets. Et le petit monde circonscrit entre la poussière des perles – qui s’appelle semence – fines comme aile de papillon mort et la séduction de femme-tronc de la voisine mélancolique, ce petit monde perché au deuxième étage d’un immeuble parisien, coincé sur le palier étroit, sombre et énigmatique, dont personne – à moins de le fréquenter – ne savait qu’une des portes ouvrait sur la merveilleuse énigme des instables nuances perlières – rose insaisissable, bleu neigeux, mauve fugitif – ce microcosme-là, a laissé pour toujours en moi, irrésolue et tenace une autre énigme négligée de tous les protagonistes. Certes, Madame A. était femme honnête et droite, de celles dont on me dit un jour qu’elles ont des idées rectangulaires et inflexibles, nonobstant le ratage de sa disparition volontaire et mise en scène joliment, eut, mais pourquoi donc ? pour dernière pensée, suffisamment obsédante pour qu’elle la rédigeât d’une écriture de sergent fourrier, frisée comme un ténériffe : « Tout est payé, sauf la blanchisseuse qui n’avait pas de monnaie mercredi. »

Ces quelques mots, d’une hauteur et dignité philosophiques ignorées d’elle. Les membres déjà raidis par l’effet de la ciguë, mais l’esprit encore souple, Socrate n’a-t-il pas glissé à l’oreille de Criton, dans son dernier souffle, qu’il n’oublie pas de régler la dette d’un coq à Asclépios ?

Le si bel aplomb de Pierre Zanzucchi,

20 Mai 2023 , Rédigé par pascale

 

                                         qui en or changea le plomb, en gouttes d’or, en larmes heureuses de lumière serties dans la cristallerie bleue des nuages qui passent, merveilleux.

 

Saturne, dévoreur de soleils n’est plus. D’une main savante, radieuse, rayonnante, un peintre-sculpteur-avaleur de l’obscur, inventeur patient de la clarté des ciels, décrocha des couleurs les ténèbres profondes et les brasiers de sang, 

 

 

 

aveignit un très-or, se refusa au voile serait-il impalpable. En pèlerin du jour auquel il ouvre les fenêtres, Pierre Zanzucchi parachève son prénom le rendant précieux et nous fait souvenir que toute gemme naît de la poussière du sol, du sable, de l’air et du vent, sublimée.

 Tel Michel-Ange sur son échafaudage en la Sixtine, un jour il s’installa et quelques fois les nuits, pour composer, seul et libre, son grand œuvre inversé, sa « Table d’émeraude », son geste hermaïque dans le Secretum Secretorum.

 

Renverser l’ordre des choses, que l’intérieur soit l’entrée vers l’extérieur – alors que, depuis toujours, au plus haut de toute spiritualité, on a célébré un chemin contraire : la perception première du monde pour accéder à nos émotions – et rompre avec la claustration étonnante du vitrail. Pierre Zanzucchi avait un rêve, libérer le verre de ses liens ; il lui fallait délier un monde, en briser les cloisons, réinventer le vers libre du poète. Délivrer les vibrations, l’énergie, la lumière. Fiat lux.

Décharger, déposer, retirer, retraire, inventer, créer, concevoir, mettre en œuvre, façonner, inventer encore, créer toujours, toujours créer. La cosmologie ancienne, qui rejette le ciel loin du regard jusqu’à le rendre inaccessible et empêcher toute circulation dans sa propre ferveur, nous faisant contemplateur passif de beautés surhumaines et figées, l’ancienne cosmologie ne peut dorénavant se répliquer. Il faut écrire et modeler autrement la forme et la matière, faire surgir une thaumaturgie simple, un jaillissement du monde à ce jour incréé. Une démiurgie ouverte, respirée, offerte. 

Dans le texte précédant les douze Notes/Textes/Poèmes dédiés aux Vitraux d’Olivet – douze comme les Apôtres conviés à la Cène – la Scène ; les travaux d’Hercule ; les mois de l’Année ; les heures du jour ; celles de la nuit ; les douze percées de la petite chapelle qui se font face – Alain Borer* saisit cette irruption renversante et primordiale, tel un premier matin du monde.

Sans plomb, plus de dessins, plus de figures, le monde n’est plus préétabli, prédestiné, prédessiné, leibnizien, voué à dérouler une mystagogie aussi savamment éclairée qu’elle était naïvement représentée, où les rouges et bleus si violemment intenses – Ô Chartres, si près si loin – imposaient leur alphabet primordial.

 

Pierre Zanzucchi raconte et explique ses douze vitraux sans plomb dans l’ancienne chapelle néogothique d’Olivet, décultualisée mais certainement pas désacralisée. De sa technique innovante, nous ne saurons rien. L’union du verre soufflé coloré au verre indolore industriel est son secret bien gardé. Il consent juste à avouer que ce collage procède de recherches contemporaines. Toute formulation de la formule (est) tue. Il reste – ce verbe qui n’est pas le rien mais le tout de l’artiste – il reste le travail des formes dont Pierre Zanzucchi (nous) dit qu’il se laisse prendre à leur surgissement, qu’il laisse faire le geste – bousculer, déplacer, graver, tailler le verre – il laisse enfin le verre soufflé – il laisse le verre souffler hors de toute maquette. Il a saisi et nous le dit – loin des règles et au plus près du jeu des jours heureux de l’enfance, que seul un artiste maîtrise – il est le maître du jeu – il a saisi, stricto sensu, évalué à la main et au regard, le poids de lumière, ou comment en trois mots retenir l’essentiel. Avec eux trois couleurs, une Trinité de douceur – bleu – de blondeur – jaune – de ferveur – vert.

        

         Un jour de grisaille et de pluie parisiennes, un jour lourd et pesant tombé dans les caniveaux débordant de la ville, dans sa petite voiture, Pierre Zanzucchi eut bien du mérite de retrouver la rue et l’endroit où je me rendais, vaincue par les gouttes incessantes et grasses, et sans la moindre souvenance d’un itinéraire qu’il fallait refaire en sens inverse – mais je n’ai jamais eu aucun sens des sens obligés. Nous avions quelques raisons de trouver la pluie maussade, qu’elle le fût ou non. Elle l’était.

 

* – dont un superbe envol de Noèmes clôt en l’ouvrant sur l’infini, cet élégant et discret livret (2005) ; avec dans l’ordre de pagination, de très belles feuilles signées : du regretté Dominique Noguez ; Anne Muratori-Philip ; Jean-Marie Tasset ; Michel Marion ; Eryck de Rubercy ; Jean-Michel Ulmann ; Jean-Marie Boëlle ; Olivier Delcroix ; Anne Borrel ; Carl Norac. Autant de textes magnifiques, sensibles, touchants, tendres.

Avoir la tête ailleurs ...

13 Mai 2023 , Rédigé par pascale

 

Il y a bien des raisons et autant de façons de perdre la tête et bien moins de la retrouver, la décollation est sans espoir et l’on n’a jamais vu, – aurait-il prononcé encore quelques mots la tenant dans ses mains – un céphalophore la reposer sur son encolure, qu’elle s’y maintienne et refasse – re/face – tout son office.  Le miracle étant par nature d’une apparaissance inespérée, il ne faut lui porter crédit qu’après coup – cou. Mais d’un ange on peut s’attendre à tout.

 

Objet et sujet d’un ravissant ravissement à la fin du siècle passé, sans demande de rançon ni espoir d’être rendu à sa crèche d’origine – laquelle était d’une petite église de campagne – avec la complicité active du curé d’alors, l’Ange duquel je vous parle fut enlevé, kidnappé, rapté, volé – disons-le tout net – dans un geste quasi militant ingénu, crédule et gille : l’exfiltrer de ce (haut) lieu de spiritualité native, avec lui, les mélange des genres, ambiguïté de sens, imprégnation même allusive à la matérialité du monde. Jésus lui-même n’avait-il pas chassé les marchands du Temple ? Notre ange n’était pas si angélique qu’il en avait l’air, sur son socle de plâtre il était écrit : Donnez, Jésus vous le rendra. Assis sur un faux rocher à la peinture écaillée, dans sa robe blanche et entre ses deux mains, il tenait un sac rouge – tel le céphalophore sa tête encore saignante – semblable à une tirelire ; qu’on y glissât une piécette, l’ange hochait sa trombine pour remercier. Cette mécanique simplette m’enthousiasma au premier regard : il fallait que je soustraie la statuette peinte à la mode du xixème siècle rural, aux possibles dégradations du temps, profanations d’impies, vandalismes et … vols. Sans oublier l’insupportable cohabitation de deux prières contradictoires, la gratuite et silencieuse du croyant honnête vs l’intéressée sonnante et trébuchante pour une obole versée ; l’une partant du cœur du dévot, l’autre sollicitant son aumônière. Se croisant, elles ne devaient pas se rencontrer, tel était, informulé mais rivé à ma raison silencieuse, le paravent pour mon forfait. Je peux dire avec quelque fierté, qu’une angélophanie se réalisa quelques jours plus tard en ma demeure. D’où il est, le curé barboteur doit arborer un sourire fort peu mystique en forme de clin d’œil.

Durant plusieurs années, le Messager résidait pendant onze mois dans un carton et chaque douzième, en majesté et gardien de la crèche domestique à l’identique de celle d’où je l’avais soustrait, cela, il faut le confesser, sans vergogne. Il fallut attendre un œil un peu plus avisé et encore plus espiègle pour consentir à le transmettre – par une sorte d’héritage anticipé – à qui s’engageait à lui rendre une existence publique et ordinaire : désormais, il siégerait ad vitam æternam et au grand jour dans une cuisine romaine, à deux pas du Vatican, au beau milieu des fumets et saveurs de tomates, mozzarella et basilic, fettuccine, tagliatelle, rigatoni et autres tortelloni, all’angolino d’une étagère dévolue au fatras typiquement méditerranéen, celui où l’on retrouve tout, surtout ce qu’on ne cherche pas, surmontant d’une tête ce qui s’entassait là, pêle-mêle. Qui entrait, ne voyait que lui.

Les circonstances, conjonctures et autres divers épisodes, le menèrent au cœur de l’Europe sans encombre ni accident majeur. Statuant sur l’imprévisibilité du destin, il eut du mal à trouver sa place, mais enfin, il tint bon. Lors d’un déplacement au pied levé, même ville autre demeure, il fut un peu malmené par un porteur pressé mais suffisamment habile pour ne point le briser ; il perdit juste l’usage du mécanisme fragile par lequel, en glissant quelque maradévis dans son escarcelle plâtrière – ou à défaut un petit bouton de nacre – vous êtes remercié d’un mouvement de sa tête, et puisqu’on vous le redit, assuré qu’un Jésus vous le rendra.

Un ange-hocheur-de-tête-à-la-moindre-obole-qui-ne-hoche-plus-sa-tête, c’est moins qu’un garde-suisse sans uniforme, un musée viennois sans tableau, une tarte normande sans pommes. Il fallait réagir, ce cou raidi tiendra-t-il longtemps ? quel remède pour une arthrose du plâtre ? quelle solution pour une créature à mi-chemin entre l’humain et le divin ? Seul un spécialiste des anges sujets au torticolis pouvait réaliser un miracle.

Dégrafé de son cou, le séraphin minois reprit seul le chemin de Rome – quelle autre Ville ? – avec mille précautions d’emballage, confié à d’expertes mains amies restauratrices de sculptures en tous genres ; quand un col vous attend au-delà des frontières, il ne saurait y avoir de balancement. Sous peu il reviendra, raccommodé, restauré, réparé, il suffira de l’ajuster à son tronc, glisser un picaillon pour vérifier qu’icelui en tombant dans le sac, suivra la pente interne le menant à une petite cachette d’où l’on peut récupérer sa mise. L’invitation Donnez, Jésus vous le rendra n’est pas un baiser de Judas. Peut-être fallait-il ne point l’entendre ainsi …

Dans toute histoire édifiante, il y a une morale ; on peut se contenter d’un aphorisme ou s’entraîner à l’apophtegme ; s’exercer à la maxime ; aussi ne s’interdire ni pied de nez, impertinence ni audace, et poser, par exemple, une formule en lieu sûr – « la tête sur les épaules », mieux, « la tête dans les nuages ». Comment douter qu’une tête détachée de son corps – seraient-ils d’un ange - nous ferait tant cogiter – sauf à se souvenir que je pratique volontiers sur la question, le péché de récidive*

 

*Archives Juin 2019 : Prise de tête aPrimo itaque sensiRésumé des épisodes précédents. a) Pour la clarté des premiers mots qui font contexte : les péripéties d’un hobereau de la Sarthe, désignent un ancien ministre et premier, en convulsions électorales et autres menteries … mais, l’affaire est bien celle des aventures post-mortem du crâne de Descartes

Petite et partiale galerie de portraits

8 Mai 2023 , Rédigé par pascale

 

Retour gagnant au Kunsthistorisches Museum de Wien.

 

Il faudra s’y habituer : décisions d’absolu parti pris – le mien

Clichés absolument imparfaits en raison de conditions insuffisantes à tous points de vue (c’est le mot).

Et la visite ne s’achève pas là (à suivre, donc).

 

 

 

 

Jacopo Tintoretto (Le Tintoret) – 1518 -1594 – L’homme à la barbe blanche – circa 1545. [Prétexte pour Thomas Bernhard – in Maîtres anciens, Folio 1988 – d’un développement romanesque sous-titré « comédie » dans lequel, au milieu de grognements bien à lui, on peut dénicher de réelles admirations bien enfouies : (…) d’autres vont au café le matin et boivent deux ou trois verres de bière, moi je viens m’asseoir ici et je contemple le Tintoret.]

 

 

 

 

 

Lorenzo Lotto – 1480-1556 – Portrait du jeune homme à la lampe - circa 1506-1508 – Peinture sur bois. [quasi invisible, selon l’éclairement de l’heure et l’angle du regard porté, la lampe en haut à droite]  « Lotto est un inquiet » dixit Jacques Bonnet (in sa biographie). Certes, certes… Mais ce jeune homme ? et pourquoi cette étrange, permanente et irritante expression de portraits-dialogues ; rien ne semble plus inapproprié ici, devant ce regard si fermé duquel, pourtant, je ne peux me détacher.

 

 

 

 

 

 

Giovani Battista Moroni – 1520-1579 – pas retenu le Portrait d’Alessandro Vittoria (ibidem) mais cet Orateur, beaucoup moins sûr de lui, ses notes à portée de main. Non, décidément, pas plus Moroni que Lotto – on s’amuse, après coup et par curiosité, à traquer ce qui s’écrit – ne peignent des portraits psychologiques qui invitent au dialogue ! Regarder c’est d’abord, c’est aussi, c’est surtout, se perdre et non se rassurer.

 

 

 

 

 

 

Girolamo Francesco Parmigianino (fils du peintre Mazzola, d’où le suffixe) le Parmesan – 1503-1543 – Jeune femme – circa 1530 – Une pure merveille. L’émotion esthétique qui tait en soi tout ce qui passe, et n’être plus que , pour être seulement LÀ, hic et nunc. Ne rien savoir. Pas même qu’il ne soit qu’attribué.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dürer 1471-1528 –

I Johannes Kleberger – 1526 -Huile sur bois de tilleul

II 1512 – L’autre absolue émotion esthétique – dont je prends conscience, avec la déception induite – à quel point la reproduction au carré (mauvaise photographie copiée-collée sur l’écran) l’a anéantie. Qu’on me croie sur frissons !

III Jeune Vénitienne – 1505

[Trois chefs d’œuvre de l’orfèvre, du rêveur. De Dürer, ne rien ajouter. (cf Archives – 2 février 2021 – "Une signature, deux livres, triple bonheur")]

 

Dürer – Allegorie des Geizes - L’Avarice en français (1507) – toile protégée par un plexiglas, ce qui accentue les reflets – y compris pour l’œil nu. Nous n’oublions pas que l’avarice est l’un des sept péchés capitaux ce qui – si le titre n’y suffisait pas – confirme qu’il n’y a pas, ici, portrait d’une avaricieuse … Dans l’instant, le regard se fait retenu, silencieux.

 

 

 

      Holbein Le Jeune – 1497-1543 – Dirck Tybis – 1533. Il y a fréquemment des livres, des feuilles écrites, des mots, des lettres auprès des portraits de Holbein. Ils ne sont pas toujours, comme ici, au centre du tableau, perpendiculaires au visage vidé de toute expression ; notre regard glisse alors et à nouveau vers le bas, puis remonte s’assurer, suivant les mains et les bras, qu’il y a un lien certain entre ces lignes écrites et l’homme qui les touche, ou qui en est touché ? La réponse - inutile -  dans les pièces d’or à côté ?

 

 

 

 

 

 

 

Jean Fouquet ? – 1415/1420 – 1481 –Hoffnar Gonelle (Le bouffon Gonella) – circa 1440-1445

On ne sait pas vraiment si ce portrait est de Jean Fouquet, ni l’exacte date de naissance du peintre, ni du tableau quel qu’en soit l’auteur. Il n’a donc que lui-même pour se défendre d’être ce qu’il est : une petite « démonstration » que maîtrise technique n’est pas ennemie de l’effronterie, de la malice, de l’espièglerie.

 

 

 

 

 

 

 

 

Geritt Dou – 1613-1675 – circa 1660 – Mauvais cliché, mais irrésistible portrait. Pourtant au centre du cadre, pourtant présentant son visage éclairé, c’est l’intérieur du lourd broc en terre qui contient l’eau qui prend le reflet. Petit tableau – c’est une habitude de Dou – des petits gestes.

 

 

Van Dyck – 1599-1641 – Etude pour Tête de femme rousse – 1518/1520. Déjà m’avait tenue « coite, immobile, béate. ».

 

Tel le Reger de Thomas Bernhard (ibid. p. 16) « toujours plongé, comme on dit, dans la contemplation de L’homme à la barbe blanche de Tintoret » je n’ai peur ni d’y revenir, ni de m’y noyer.

Petites nouvelles des grands de ce monde.

1 Mai 2023 , Rédigé par pascale

 

 

La geôle pour berceau, cela forge-t-il un caractère ou présage-t-il une destinée remarquable ? On pourrait le croire, pour les naissances d’Anne-Geneviève de Bourbon et Françoise d’Aubigné. L’une porte un titre par lignage, l’autre le gagnera en régnant sur le cœur d'un Roi. L’une, à l’été de l’année 1619, l’autre à l’approche de l’hiver 1635 — une plaque le rappelle dans une étroite rue de Niort au nom inchangé depuis, rue du Pont. La première dans le donjon de Vincennes, prison dans laquelle sa mère exigea d’être enfermée avec son époux 1 ; la seconde, petite fille d’Agrippa d’Aubigné et fille d’un truand assassin et d’une presque-sans-dot, incarcérée avec lui pour survivre … si l’on ose ! Les seize années d’âge qui les séparent ne seront pas gommées par les hasards, rencontres ou évènements mêlés, de ceux qui effacent toute disparité dans l’affection. Pourtant, l’existence de chacune évolua – de manière si dissemblable – autour du même Monarque. Chacune trouva, à la fin de sa vie, qui l’apaisement mérité au Carmel de la rue Saint-Jacques, qui le cadre pour son inflexible piété à la Maison Royale de Saint-Cyr, celle-ci, plus âgée, survécut trente ans à celle-là. Elles sont duchesse de Longueville et marquise de Maintenon, pour avoir épousé le gouverneur de Normandie, pour s’être mariée secrètement avec le Roi. C’est l’axe Normandie-Poitou, diront les facétieux, frappés d’eutrapélie 2.

Anne-Geneviève de Bourbon, de meilleure maison, était sœur du Grand Condé 3 et de Conti, qui l’adoraient au-delà de tout : l’aîné, devenu  Prince de Condé au décès de son père, portait aussi le titre de duc d’Enghien. Les ajouts, remplacements, acquisitions selon les mariages, décès, veuvages, divorces et remariages, nominations, rang nobiliaire, récompenses royales, font une cacophonie alambiquée et, disons-le, souvent opaque, certains historiens-biographes prenant un plaisir malin – diabolique – à changer d’une page l’autre, paragraphe, phrase ou ligne l’autre, l’appellation de leurs héros, toujours les mêmes sous des noms différents. Anne-Geneviève de Bourbon, future duchesse de Longueville, Louis de Bourbon, duc d’Enghien et futur Condé, Armand de Bourbon, futur Conti, sont fille et fils d’Henri de Bourbon 4, préalablement successeur présomptif d’Henri iv jusqu’à la naissance de Louis xiii, qui fit tout capoter. Ils sont cousins-cousine de Louis xiv, voilà pourquoi on dit les garçons Princes de sang. On fera l’économie des titres acquis par dons ou héritages. C’est indémêlable.

L’ambiance est royale pour le bal de la Cour auquel son père ordonne à Anne-Geneviève d’assister. Elle a 16 ans : huit cents cierges de cire blanche dans quatre-vingts chandeliers éclairent la salle où l’on croise les femmes les plus en vue du royaume, la reine évidemment. On est très loin de la naissance carcérale, loin aussi des luttes à venir. L’époque est toujours aux négociations matrimoniales qu’il faut satisfaire sans défaire certains liens du cœur. Ainsi, son frère Louis, amoureux transi de Marthe du Vigean, la meilleure amie de cette sœur adorée, dut pourtant épouser une provinciale un peu sotte et contrefaite. Richelieu règle et dérègle les alliances, les fiançailles et les unions, les sentiments et ressentiments font le reste. Avec leur sœur, Condé et Conti   entretiennent une relation que tout le monde s’accorde à qualifier d’étrange, qu’aucune union sentimentale ne viendra brouiller – seules, dans longtemps, les trahisons politiques. Anne-Geneviève épouse donc le duc de Longueville, un veuf d’illustre naissance 5 avec qui elle mènera – notamment en Normandie et au côté de ses frères 6 les frondes et résistances au pouvoir royal, avec une énergie qui n’a d’égal que la souplesse contrainte par laquelle ils feront allégeance dans les défaites. Le mariage ne faisant pas obstacle aux liaisons amoureuses, qui deviennent alors adultères, Monsieur le duc garde sa maîtresse – duchesse de Montbazon – son épouse retrouve un peu trop souvent de Coligny, et quelques autres aussi tout le long de sa vie. Seul François de Marsillac, duc de la Rochefoucauld et auteur des Maximes, ne cessera jamais de l’aimer. Leur fils sera reconnu par le mari trompé avec assiduité 7.

On rapporte de nombreuses anecdotes à propos de la fascinante, pétillante et fort intelligente Anne de Longueville, née Bourbon, dans ces salons bruyants où bourdonnaient les sots ; leur certificat d’authenticité n’est pas toujours validé, mais souvent valide. Passant sans la moindre difficulté de la fuite à pied dans les champs pour échapper à l’armée royale, à la salle de bal étincelante d’ors et de luxes, des entretiens avec des théologiens passionnés et mal vêtus à la fréquentation des libertins 8 amis de son frère, l’indifférence n’est jamais de mise quand on la rencontre. Cette répartie, qu’on aurait tant aimé qu’elle soit nôtre : buvant un verre d’eau fraîche désiré ou simplement mérité, elle aurait dit — Quel dommage que ce ne soit pas un péché ! Anne pratiquait ce que Pascal appelait avec cette distinction de plume qui nous touche tant : L’usage criminel et délicieux du monde. Les échotiers et autres mémorialistes de l’époque ne tarissent pas sur les succès mondains des de Longueville quand ils entrent solennellement en villes, le pluriel s’impose. Pages, écuyers, gentilshommes chamarrés, jusqu’à plusieurs dizaines, flanqués de Suisses hallebardés et coiffés de velours, menant une litière passementée d’or et d’argent, trompettes revêtus de tissus richement brodés, trente valets de pieds aux portières du duc et de la duchesse  ; la scène se passe à Münster, elle est rapportée par Joly, dont les liens accommodant avec le pouvoir royal obligent à quelque prudence. Nous disposons pour l’équilibre général, des textes de Retz et de Madame de Motteville, aussi les textes et la correspondance – de nature différente – de Saint-Évremond, festonnés de toute la finesse d’une écriture trempée aux encriers de Montaigne et de Machiavel, dans la joliesse infinie d’une basse continue savante, narquoise et avisée.

Il y eut bien des malheurs dans toutes ces intimités publiques, dont les terribles blessures reçues lors des combats, qu’ils soient de guerre civile ou étrangère. La Rochefoucauld, trois fois touché, en subit les conséquences jusqu’à la fin de sa vie. Les douleurs sentimentales n’étaient pas moins cruelles. Le Prince de Condé assista, impuissant, à l’entrée au Carmel de sa toujours bien-aimée Marthe de Vigean, consternation et incompréhension, mais résolution définitive. De tels choix étaient loin d’être rares à l’époque, si nous avons accueilli Anne de Bourbon et Françoise d’Aubigné en ce monde depuis leur prison de naissance, nous les quittons chacune en leur couvent, après une vie de malheurs et de fastes mêlés.

Une révolte passée inaperçue dans les livres officiels, nous retiendra enfin. On la pourrait croire polissonne et de peu, elle révèle au contraire le tout d’une société campée dans des protocoles étiquetés au plus juste. Personne n’ignore qu’un plan de table est des plus importants, surtout s’il a été pensé, comprenons prémédité. Nous avons, en revanche, un peu oublié que la hauteur d’un siège, le confort de son assiette, la courbe de son dossier, l’absence ou pas de bras pour y poser les siens, l’estrade et le nombre des marches au-dessus desquelles il … trône, la distance de qui est admis à l’approcher, ont fait et défait des amitiés, ourdi des rancunes, nourri des vengeances durables. Et si la préséance dudit siège se conjugue à la présence au repas, voilà de quoi alimenter des hostilités qui sont autant de casus belli. C’est « la guerre des tabourets » sous-tendue par une solide guerre des nerfs, qui peut, dans certains cas, vous suivre et vous poursuivre très longtemps, preuve s’il en était, qu’on peut être intelligent et vivre courbé, fin et servile, lettré et inféodé, révolté et rampant. Toute sa vie La Rochefoucauld supplia, en vain, pour obtenir à l’épouse pourtant délaissée, le tabouret qui lui aurait permis non pas tant qu’elle assistât, le séant sur un siège en bois, au dîner de la Reine, mais qu’il y trouvât, lui, occasion de s’en approcher mieux. Il se cramponna avec persévérance à ce rêve qui s’appelle un privilège, n’est-ce pas ? dont l’abus, avec d’autres, finit quand même par agiter les nobliaux de provinces qui en étaient privés et demandèrent à Anne d’Autriche de renoncer à les accorder – une équité pour les passe-droits –  d’autant que, ne pouvant en offrir sans limite, il fallait bien, pour contenter les nouveaux adulateurs mécontenter les anciens. Offrir un tabouret à l’une, c’était le retirer à l’autre … cela signait la chute.  L’affaire ne fut pas minus-cule, elle donna lieu à de véritables effervescences qui, fixées en rimes, collées aux murs ou circulant anonymement et clandestinement, font ce qu’on appelle des pamphlets :

Certains culs placez en repos

Dans le cercle autour de la Reyne,

Morguoient d’autres fessiers, tout aussi gras & gros

Qui demeuroient debout derriere avecque peine

(…)

La suite de La grande plainte des culs de la Cour ne mâche pas ses mots, ni ne cache ce qu’il ne faudrait pas dire. Quelle époque ! également partagée entre dévots, dévotes et … faux-culs.

 

1. il avait bravé Concini, un favori de la régente Marie de Médicis. 2. terme choisi par Marc Fumaroli dans son gros et bel ouvrage La diplomatie de l’esprit, de Montaigne à La Fontaine, au chapitre titré, « L’empire des femmes, ou l’esprit de la joie ». Il l’emprunte à Saint François, qu’il nomme. L’eutrapélie est « une modeste gaieté et joyeuseté » ce qui s’appelle aussi une bonne conversation. (p. 326)  3. ainsi nommé depuis sa victoire à Rocroi. 4. on a compris dans cet écheveau aventureux qu’Henri de Bourbon – et son épouse – ont été élargis depuis longtemps de la prison de Vincennes. La monarchie a ceci de palpitant, qu’elle fabrique des biographies au rythme des caprices royaux. 5. nous apprenons, par exemple, par Saint-Évremond que le 24 janvier 1649, le duc de Longueville entra en Normandie avec trois ou quatre cents chevaux … quand même ! Sa Retraite de Monsieur le Duc de Longueville en son gouvernement de Normandie, avait beaucoup circulé et beaucoup plu à la Cour de France. Rappelons que notre écrivain normand en exil, trop mal connu, mal ou jamais lu, vénérait Condé, à qui il lisait Lucrèce et Rabelais. 6. quand il en eut les pouvoirs en retrouvant le camp de la royauté, Condé lui fit, un jour, donner le château de Caen. Et lui-même, plus tard, reçut le Poitou pour récompense. L’axe Poitou-Normandie …  7. le nom de madame de Longueville qui fut « l’âme de la Fronde » n’est pas cité une seule fois dans l’introduction d’une édition scolaire courante des Maximes. Souhaitons que ce soit une exception. 8. les « libertins » du 17ème siècle, pour faire vite, n’ont de commun que leur nom avec ceux du 18ème ; tout a été dit et imprimé au 20ème siècle sur cette différence abyssale. Pour ma part, j’ai consacré une tranchette de ma vie à Saint-Évremond.