inactualités et acribies

Avoir la tête ailleurs ...

13 Mai 2023 , Rédigé par pascale

 

Il y a bien des raisons et autant de façons de perdre la tête et bien moins de la retrouver, la décollation est sans espoir et l’on n’a jamais vu, – aurait-il prononcé encore quelques mots la tenant dans ses mains – un céphalophore la reposer sur son encolure, qu’elle s’y maintienne et refasse – re/face – tout son office.  Le miracle étant par nature d’une apparaissance inespérée, il ne faut lui porter crédit qu’après coup – cou. Mais d’un ange on peut s’attendre à tout.

 

Objet et sujet d’un ravissant ravissement à la fin du siècle passé, sans demande de rançon ni espoir d’être rendu à sa crèche d’origine – laquelle était d’une petite église de campagne – avec la complicité active du curé d’alors, l’Ange duquel je vous parle fut enlevé, kidnappé, rapté, volé – disons-le tout net – dans un geste quasi militant ingénu, crédule et gille : l’exfiltrer de ce (haut) lieu de spiritualité native, avec lui, les mélange des genres, ambiguïté de sens, imprégnation même allusive à la matérialité du monde. Jésus lui-même n’avait-il pas chassé les marchands du Temple ? Notre ange n’était pas si angélique qu’il en avait l’air, sur son socle de plâtre il était écrit : Donnez, Jésus vous le rendra. Assis sur un faux rocher à la peinture écaillée, dans sa robe blanche et entre ses deux mains, il tenait un sac rouge – tel le céphalophore sa tête encore saignante – semblable à une tirelire ; qu’on y glissât une piécette, l’ange hochait sa trombine pour remercier. Cette mécanique simplette m’enthousiasma au premier regard : il fallait que je soustraie la statuette peinte à la mode du xixème siècle rural, aux possibles dégradations du temps, profanations d’impies, vandalismes et … vols. Sans oublier l’insupportable cohabitation de deux prières contradictoires, la gratuite et silencieuse du croyant honnête vs l’intéressée sonnante et trébuchante pour une obole versée ; l’une partant du cœur du dévot, l’autre sollicitant son aumônière. Se croisant, elles ne devaient pas se rencontrer, tel était, informulé mais rivé à ma raison silencieuse, le paravent pour mon forfait. Je peux dire avec quelque fierté, qu’une angélophanie se réalisa quelques jours plus tard en ma demeure. D’où il est, le curé barboteur doit arborer un sourire fort peu mystique en forme de clin d’œil.

Durant plusieurs années, le Messager résidait pendant onze mois dans un carton et chaque douzième, en majesté et gardien de la crèche domestique à l’identique de celle d’où je l’avais soustrait, cela, il faut le confesser, sans vergogne. Il fallut attendre un œil un peu plus avisé et encore plus espiègle pour consentir à le transmettre – par une sorte d’héritage anticipé – à qui s’engageait à lui rendre une existence publique et ordinaire : désormais, il siégerait ad vitam æternam et au grand jour dans une cuisine romaine, à deux pas du Vatican, au beau milieu des fumets et saveurs de tomates, mozzarella et basilic, fettuccine, tagliatelle, rigatoni et autres tortelloni, all’angolino d’une étagère dévolue au fatras typiquement méditerranéen, celui où l’on retrouve tout, surtout ce qu’on ne cherche pas, surmontant d’une tête ce qui s’entassait là, pêle-mêle. Qui entrait, ne voyait que lui.

Les circonstances, conjonctures et autres divers épisodes, le menèrent au cœur de l’Europe sans encombre ni accident majeur. Statuant sur l’imprévisibilité du destin, il eut du mal à trouver sa place, mais enfin, il tint bon. Lors d’un déplacement au pied levé, même ville autre demeure, il fut un peu malmené par un porteur pressé mais suffisamment habile pour ne point le briser ; il perdit juste l’usage du mécanisme fragile par lequel, en glissant quelque maradévis dans son escarcelle plâtrière – ou à défaut un petit bouton de nacre – vous êtes remercié d’un mouvement de sa tête, et puisqu’on vous le redit, assuré qu’un Jésus vous le rendra.

Un ange-hocheur-de-tête-à-la-moindre-obole-qui-ne-hoche-plus-sa-tête, c’est moins qu’un garde-suisse sans uniforme, un musée viennois sans tableau, une tarte normande sans pommes. Il fallait réagir, ce cou raidi tiendra-t-il longtemps ? quel remède pour une arthrose du plâtre ? quelle solution pour une créature à mi-chemin entre l’humain et le divin ? Seul un spécialiste des anges sujets au torticolis pouvait réaliser un miracle.

Dégrafé de son cou, le séraphin minois reprit seul le chemin de Rome – quelle autre Ville ? – avec mille précautions d’emballage, confié à d’expertes mains amies restauratrices de sculptures en tous genres ; quand un col vous attend au-delà des frontières, il ne saurait y avoir de balancement. Sous peu il reviendra, raccommodé, restauré, réparé, il suffira de l’ajuster à son tronc, glisser un picaillon pour vérifier qu’icelui en tombant dans le sac, suivra la pente interne le menant à une petite cachette d’où l’on peut récupérer sa mise. L’invitation Donnez, Jésus vous le rendra n’est pas un baiser de Judas. Peut-être fallait-il ne point l’entendre ainsi …

Dans toute histoire édifiante, il y a une morale ; on peut se contenter d’un aphorisme ou s’entraîner à l’apophtegme ; s’exercer à la maxime ; aussi ne s’interdire ni pied de nez, impertinence ni audace, et poser, par exemple, une formule en lieu sûr – « la tête sur les épaules », mieux, « la tête dans les nuages ». Comment douter qu’une tête détachée de son corps – seraient-ils d’un ange - nous ferait tant cogiter – sauf à se souvenir que je pratique volontiers sur la question, le péché de récidive*

 

*Archives Juin 2019 : Prise de tête aPrimo itaque sensiRésumé des épisodes précédents. a) Pour la clarté des premiers mots qui font contexte : les péripéties d’un hobereau de la Sarthe, désignent un ancien ministre et premier, en convulsions électorales et autres menteries … mais, l’affaire est bien celle des aventures post-mortem du crâne de Descartes

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