inactualités et acribies

Petites nouvelles des grands de ce monde.

1 Mai 2023 , Rédigé par pascale

 

 

La geôle pour berceau, cela forge-t-il un caractère ou présage-t-il une destinée remarquable ? On pourrait le croire, pour les naissances d’Anne-Geneviève de Bourbon et Françoise d’Aubigné. L’une porte un titre par lignage, l’autre le gagnera en régnant sur le cœur d'un Roi. L’une, à l’été de l’année 1619, l’autre à l’approche de l’hiver 1635 — une plaque le rappelle dans une étroite rue de Niort au nom inchangé depuis, rue du Pont. La première dans le donjon de Vincennes, prison dans laquelle sa mère exigea d’être enfermée avec son époux 1 ; la seconde, petite fille d’Agrippa d’Aubigné et fille d’un truand assassin et d’une presque-sans-dot, incarcérée avec lui pour survivre … si l’on ose ! Les seize années d’âge qui les séparent ne seront pas gommées par les hasards, rencontres ou évènements mêlés, de ceux qui effacent toute disparité dans l’affection. Pourtant, l’existence de chacune évolua – de manière si dissemblable – autour du même Monarque. Chacune trouva, à la fin de sa vie, qui l’apaisement mérité au Carmel de la rue Saint-Jacques, qui le cadre pour son inflexible piété à la Maison Royale de Saint-Cyr, celle-ci, plus âgée, survécut trente ans à celle-là. Elles sont duchesse de Longueville et marquise de Maintenon, pour avoir épousé le gouverneur de Normandie, pour s’être mariée secrètement avec le Roi. C’est l’axe Normandie-Poitou, diront les facétieux, frappés d’eutrapélie 2.

Anne-Geneviève de Bourbon, de meilleure maison, était sœur du Grand Condé 3 et de Conti, qui l’adoraient au-delà de tout : l’aîné, devenu  Prince de Condé au décès de son père, portait aussi le titre de duc d’Enghien. Les ajouts, remplacements, acquisitions selon les mariages, décès, veuvages, divorces et remariages, nominations, rang nobiliaire, récompenses royales, font une cacophonie alambiquée et, disons-le, souvent opaque, certains historiens-biographes prenant un plaisir malin – diabolique – à changer d’une page l’autre, paragraphe, phrase ou ligne l’autre, l’appellation de leurs héros, toujours les mêmes sous des noms différents. Anne-Geneviève de Bourbon, future duchesse de Longueville, Louis de Bourbon, duc d’Enghien et futur Condé, Armand de Bourbon, futur Conti, sont fille et fils d’Henri de Bourbon 4, préalablement successeur présomptif d’Henri iv jusqu’à la naissance de Louis xiii, qui fit tout capoter. Ils sont cousins-cousine de Louis xiv, voilà pourquoi on dit les garçons Princes de sang. On fera l’économie des titres acquis par dons ou héritages. C’est indémêlable.

L’ambiance est royale pour le bal de la Cour auquel son père ordonne à Anne-Geneviève d’assister. Elle a 16 ans : huit cents cierges de cire blanche dans quatre-vingts chandeliers éclairent la salle où l’on croise les femmes les plus en vue du royaume, la reine évidemment. On est très loin de la naissance carcérale, loin aussi des luttes à venir. L’époque est toujours aux négociations matrimoniales qu’il faut satisfaire sans défaire certains liens du cœur. Ainsi, son frère Louis, amoureux transi de Marthe du Vigean, la meilleure amie de cette sœur adorée, dut pourtant épouser une provinciale un peu sotte et contrefaite. Richelieu règle et dérègle les alliances, les fiançailles et les unions, les sentiments et ressentiments font le reste. Avec leur sœur, Condé et Conti   entretiennent une relation que tout le monde s’accorde à qualifier d’étrange, qu’aucune union sentimentale ne viendra brouiller – seules, dans longtemps, les trahisons politiques. Anne-Geneviève épouse donc le duc de Longueville, un veuf d’illustre naissance 5 avec qui elle mènera – notamment en Normandie et au côté de ses frères 6 les frondes et résistances au pouvoir royal, avec une énergie qui n’a d’égal que la souplesse contrainte par laquelle ils feront allégeance dans les défaites. Le mariage ne faisant pas obstacle aux liaisons amoureuses, qui deviennent alors adultères, Monsieur le duc garde sa maîtresse – duchesse de Montbazon – son épouse retrouve un peu trop souvent de Coligny, et quelques autres aussi tout le long de sa vie. Seul François de Marsillac, duc de la Rochefoucauld et auteur des Maximes, ne cessera jamais de l’aimer. Leur fils sera reconnu par le mari trompé avec assiduité 7.

On rapporte de nombreuses anecdotes à propos de la fascinante, pétillante et fort intelligente Anne de Longueville, née Bourbon, dans ces salons bruyants où bourdonnaient les sots ; leur certificat d’authenticité n’est pas toujours validé, mais souvent valide. Passant sans la moindre difficulté de la fuite à pied dans les champs pour échapper à l’armée royale, à la salle de bal étincelante d’ors et de luxes, des entretiens avec des théologiens passionnés et mal vêtus à la fréquentation des libertins 8 amis de son frère, l’indifférence n’est jamais de mise quand on la rencontre. Cette répartie, qu’on aurait tant aimé qu’elle soit nôtre : buvant un verre d’eau fraîche désiré ou simplement mérité, elle aurait dit — Quel dommage que ce ne soit pas un péché ! Anne pratiquait ce que Pascal appelait avec cette distinction de plume qui nous touche tant : L’usage criminel et délicieux du monde. Les échotiers et autres mémorialistes de l’époque ne tarissent pas sur les succès mondains des de Longueville quand ils entrent solennellement en villes, le pluriel s’impose. Pages, écuyers, gentilshommes chamarrés, jusqu’à plusieurs dizaines, flanqués de Suisses hallebardés et coiffés de velours, menant une litière passementée d’or et d’argent, trompettes revêtus de tissus richement brodés, trente valets de pieds aux portières du duc et de la duchesse  ; la scène se passe à Münster, elle est rapportée par Joly, dont les liens accommodant avec le pouvoir royal obligent à quelque prudence. Nous disposons pour l’équilibre général, des textes de Retz et de Madame de Motteville, aussi les textes et la correspondance – de nature différente – de Saint-Évremond, festonnés de toute la finesse d’une écriture trempée aux encriers de Montaigne et de Machiavel, dans la joliesse infinie d’une basse continue savante, narquoise et avisée.

Il y eut bien des malheurs dans toutes ces intimités publiques, dont les terribles blessures reçues lors des combats, qu’ils soient de guerre civile ou étrangère. La Rochefoucauld, trois fois touché, en subit les conséquences jusqu’à la fin de sa vie. Les douleurs sentimentales n’étaient pas moins cruelles. Le Prince de Condé assista, impuissant, à l’entrée au Carmel de sa toujours bien-aimée Marthe de Vigean, consternation et incompréhension, mais résolution définitive. De tels choix étaient loin d’être rares à l’époque, si nous avons accueilli Anne de Bourbon et Françoise d’Aubigné en ce monde depuis leur prison de naissance, nous les quittons chacune en leur couvent, après une vie de malheurs et de fastes mêlés.

Une révolte passée inaperçue dans les livres officiels, nous retiendra enfin. On la pourrait croire polissonne et de peu, elle révèle au contraire le tout d’une société campée dans des protocoles étiquetés au plus juste. Personne n’ignore qu’un plan de table est des plus importants, surtout s’il a été pensé, comprenons prémédité. Nous avons, en revanche, un peu oublié que la hauteur d’un siège, le confort de son assiette, la courbe de son dossier, l’absence ou pas de bras pour y poser les siens, l’estrade et le nombre des marches au-dessus desquelles il … trône, la distance de qui est admis à l’approcher, ont fait et défait des amitiés, ourdi des rancunes, nourri des vengeances durables. Et si la préséance dudit siège se conjugue à la présence au repas, voilà de quoi alimenter des hostilités qui sont autant de casus belli. C’est « la guerre des tabourets » sous-tendue par une solide guerre des nerfs, qui peut, dans certains cas, vous suivre et vous poursuivre très longtemps, preuve s’il en était, qu’on peut être intelligent et vivre courbé, fin et servile, lettré et inféodé, révolté et rampant. Toute sa vie La Rochefoucauld supplia, en vain, pour obtenir à l’épouse pourtant délaissée, le tabouret qui lui aurait permis non pas tant qu’elle assistât, le séant sur un siège en bois, au dîner de la Reine, mais qu’il y trouvât, lui, occasion de s’en approcher mieux. Il se cramponna avec persévérance à ce rêve qui s’appelle un privilège, n’est-ce pas ? dont l’abus, avec d’autres, finit quand même par agiter les nobliaux de provinces qui en étaient privés et demandèrent à Anne d’Autriche de renoncer à les accorder – une équité pour les passe-droits –  d’autant que, ne pouvant en offrir sans limite, il fallait bien, pour contenter les nouveaux adulateurs mécontenter les anciens. Offrir un tabouret à l’une, c’était le retirer à l’autre … cela signait la chute.  L’affaire ne fut pas minus-cule, elle donna lieu à de véritables effervescences qui, fixées en rimes, collées aux murs ou circulant anonymement et clandestinement, font ce qu’on appelle des pamphlets :

Certains culs placez en repos

Dans le cercle autour de la Reyne,

Morguoient d’autres fessiers, tout aussi gras & gros

Qui demeuroient debout derriere avecque peine

(…)

La suite de La grande plainte des culs de la Cour ne mâche pas ses mots, ni ne cache ce qu’il ne faudrait pas dire. Quelle époque ! également partagée entre dévots, dévotes et … faux-culs.

 

1. il avait bravé Concini, un favori de la régente Marie de Médicis. 2. terme choisi par Marc Fumaroli dans son gros et bel ouvrage La diplomatie de l’esprit, de Montaigne à La Fontaine, au chapitre titré, « L’empire des femmes, ou l’esprit de la joie ». Il l’emprunte à Saint François, qu’il nomme. L’eutrapélie est « une modeste gaieté et joyeuseté » ce qui s’appelle aussi une bonne conversation. (p. 326)  3. ainsi nommé depuis sa victoire à Rocroi. 4. on a compris dans cet écheveau aventureux qu’Henri de Bourbon – et son épouse – ont été élargis depuis longtemps de la prison de Vincennes. La monarchie a ceci de palpitant, qu’elle fabrique des biographies au rythme des caprices royaux. 5. nous apprenons, par exemple, par Saint-Évremond que le 24 janvier 1649, le duc de Longueville entra en Normandie avec trois ou quatre cents chevaux … quand même ! Sa Retraite de Monsieur le Duc de Longueville en son gouvernement de Normandie, avait beaucoup circulé et beaucoup plu à la Cour de France. Rappelons que notre écrivain normand en exil, trop mal connu, mal ou jamais lu, vénérait Condé, à qui il lisait Lucrèce et Rabelais. 6. quand il en eut les pouvoirs en retrouvant le camp de la royauté, Condé lui fit, un jour, donner le château de Caen. Et lui-même, plus tard, reçut le Poitou pour récompense. L’axe Poitou-Normandie …  7. le nom de madame de Longueville qui fut « l’âme de la Fronde » n’est pas cité une seule fois dans l’introduction d’une édition scolaire courante des Maximes. Souhaitons que ce soit une exception. 8. les « libertins » du 17ème siècle, pour faire vite, n’ont de commun que leur nom avec ceux du 18ème ; tout a été dit et imprimé au 20ème siècle sur cette différence abyssale. Pour ma part, j’ai consacré une tranchette de ma vie à Saint-Évremond.

 

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