inactualités et acribies

L’avitalité ou la non-ardeur

21 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

Le nonchaloir est un nom qui se prend pour un verbe et aime nous tromper : nous balançons entre chaloir dont il ne reste plus que le trop oublié peu me chaut et choir qui nous fait trébucher, voir chuter en sa conjugaison où nous cherrons à tous les coups, car choirons – en relative logique de formation du futur en français – ne nous chaut point, bien qu’il soit parsemé ici et là ; et puis la chevillette cherra pour toujours, même si jamais personne en nos jeunes années ne nous expliqua ce cherra, qui tombait en nos comptines et nos tympans comme un cheveu (de sorcière) sur la soupe.  

Nonchaloir – nom masculin – fut cependant décliné en des siècles si lointains à nos oreilles que nous ne les rattrapons plus et si notre intuition était juste, l’erreur aussi. En tant qu’infinitif, il fut en usage quasi fréquent entre le 12ème siècle finissant et disons le 17ème mais nous ne sommes pas super-experts, où l’on pouvait nonchaloir quelqu’un, le négliger, n’en point tenir compte, voire le mépriser – il devenait nonchalu – tandis que cette indifférence dévolue rendait nonchalant celui qui la pratiquait. Une signification qui s’est abîmée pour ne garder de nos jours qu’une certaine idée de l’indolence,  ce terme cher à Saint-Evremond qui en usait en sa stricte étymologie* laquelle a disparu aussi dans les précipices de la négligence – çà, c’est pour la rime – disons charitablement, les effets des approximations successives ;  être nonchalant pour avoir mis [un quidam] en nonchaloir est doublement inaudible** de nos jours : deux termes dont il est dit que, les trouvant en leurs significations et usages précis, il faut en relever la rareté i.e la préciosité – et ce n’est pas un compliment, les styles poétique et littéraire désignés premiers responsables et coupables ! dixeunt la plupart des dictionnaires.

Être nonchalant ou pratiquer le nonchaloir peut donc s’entendre de quelqu’un qui balancerait à s’engager par manque de zèle ou d’empressement, ce qui éclaire d’une meilleure lumière quelques comportements devenus courants dans les cercles privés et parfois publics où il vaut mieux se hâter lentement n’est-ce pas ? Vous encourez, il faut le savoir, si vous prenez ombrage de cette nonchalance-là, que vous vous gardez bien pourtant d’appeler par son nom, vous encourez reproches, réprobations et objections : on vous répondra « pondération » voire « sagesse » et, pourquoi pas, goût du « relativisme » ! Le nonchaloir du nonchalant moderne est un masque bien sûr, mais si bien appliqué qu’il fait enduit, ciment et vernis : en toute circonstance il y a quelque chose à dire pour rattraper quelque chose qu’il ne faut pas dire. Heureux les nonchalants du temps présent : le (faux) calme avec lequel ils font (faussement) entendre une pondération qui les protège est possiblement exemplaire en effet, sauf à n’en pas être dupe ce qui demande parfois une pratique certaine qu’on ne vous pardonnera pas. Blaise Pascal parlait de la nonchalance du salut en ce sens : l’indifférence, l’inintérêt, l’indétermination par le vide, l’adiaphorie, l’anesthésie du vivre.

Avoir toujours les Pensées près de soi.

* indolentia, absence de trouble(s) – ainsi un usage « politique » de ce terme lui est familier : « La Haye, dit-il, est le vrai pays de l’indolence », in Lettres, t. 1 – et de douleur(s). **pourrait-on éviter d’employer l’inaudible « inentendable », inaudible tant pour nos oreilles, fragiles, que pour avoir conquis les esprits paresseux ?

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