inactualités et acribies

Rimbaud, « vaste vates »

23 Mars 2024 , Rédigé par pascale

 

Vates, mot latin qui signifie le devin, le voyant - "Tu vates eris "-

Vaste, son anagramme exact, l’adjectif qui convient à ce piéton de la grande route, cet homme du vaste monde.

 (rapprochement qui m’a frappée et que je n’ai pas pu ne pas faire, pas ? …)

 

 

 

Aux Sept considérations sidérantes au sujet d’Arthur Rimbaud d'Alain Borer* j’ajouterais — un peu imprudemment mais bien volontiers — une huitième qui engloberait et recouvrirait les autres alors qu’elle leur est, d’une certaine façon, extérieure : n’être sidéré par aucune en particulier ni toutes en général, c’est (encore) le cas, semble-t-il, de ceux qui ne voient ou n’ont vu en Rimbaud qu’un « immense poète » sans jamais le sortir du rang, l’exclure de toute norme, préférant l’inclure, certes, certes, en belle place, mais l’inclure, dans l’ensemble présentable d’une « histoire de la poésie ». A ceux-là ce texte s’adresse en tout premier lieu — c’est ma partialité avouée et avérée — ceux-là qui ont institutionnalisé Rimbaud et le trouve ainsi très bien servi.

Plus ma lecture avançait, plus j’étais convaincue que ces pages étaient à destination — non explicitement bien sûr mais si nécessairement — de ceux qui, pratiquant le métier d’enseigner, satisfont aux obligations académique, officielle et pédagogique, tout à rebours de ce que Littérature et Poésie, (aussi la Philosophie) doivent susciter : l’étincelle, l’éclair, le choc, la fulguration, l’illumination, l’ardeur pour toujours, jamais la froideur. Or il y a un Rimbaud bien rangé dans les cases et les casiers de la scolarité obligatoire desquels quelques poèmes – Le Dormeur du Val ou les Voyelles ? – rabâchés sans élan, affleureront parfois, encore y faudra-t-il trouver les occasions ; l’enseignant se sera efforcé, certains dans la douleur, d’autres dans la routine, de dire … quoi au juste, quoi e-x-a-c-t-e-m-e-n-t ? Rimbaud est sidérant, foudroyant, il nous laisse sur le flanc, allez donc rédiger quelque chose de construit avec ça ! C’est pourtant par cette collision enchantée que nous entrons dans un texte impeccablement précis et grisant, un texte superlatif et rigoureux, décisif et fervent.

Dans sa Critique de la faculté de Juger Kant ose et pose l’apparente antinomie que serait l’universalité d’un jugement subjectif si elle n’était résolue dans le seul cas du jugement esthétique. Les raisons particulières (au sens de motifs) que l’on a de juger (au sens d’affirmer en vérité) de la beauté d’une œuvre d’art ne pouvant être déterminées par quelque intérêt individuel, sauf à s’anéantir comme esthétiques, peuvent prétendre à une universalité (indépendante de toute connaissance intelligible i.e nouménale, laquelle reste inaccessible à notre raison limitée). Les sept considérations objectives déclinées par Alain Borer pour développer son argumentation – ce terme, bien trop désincarné, préférons lui expertise – sont, évidemment et à la fois imparables et saisissantes. Il faut tenir et maintenir le cap entre ferveur, ardeur et précisions, les unes singulièrement partagées par le plus grand nombre dont pourtant peu ont cette aisance et facilité à se mouvoir dans les autres : la raison, peut-être, pour laquelle Rimbaud est un sujet d’exclamations et un objet de renommée (de mythe et de légendes pour ne rien dire des erreurs) permanent. Ce texte évite ce redoutable grand écart comme piège, non en l’ignorant – l’envolée de Félix Fénéon en exergue en est le signe – mais, comme toujours, en le dépassant.

Aussi, pour échapper à la paraphrase de ces huit pages si construites et si enthousiastes que reste-t-il à ajouter, au fond ? – j’ai trouvé une parade qui me laisse fort quinaude, en m’inventant un petit exercice d’écriture selon ces consignes à moi et par moi concoctées : « reprenant les termes les plus importants du texte proposé, repliez-le en une phrase, 6 lignes et 60 mots au maximum, et moins de 400 caractères » : précoce artiste de la langue à la maturité quelque peu effrayante, inventant avant tous les formes modernes de la poésie et absolument seul dans cette expérience déterminante mais indifférent à sa valeur incommensurable au point de lui imposer un silence définitif, renoncement plutôt qu'abandon pour mieux inventer une Oeuvre- vie, une poévie, une liberté guidée seulement par elle-même.

Certes, ce n’est vraiment pas brillant, mais tout y est … les sept considérations sidérantes sont bien reprises ; tout est là mais Rimbaud lui n’est pas là – bien que rien dans cette formelle formulation — un stupide auto-contrat — ne lui soit défavorable. Il faut, quand il s’agit de Rimbaud, non seulement éviter tout ce que l’on croit savoir – le mythe et la légende – mais les chiffonner, froisser, jeter au panier et lire cet article ** : https://salon-pages.com/wp-content/uploads/2024/02/Alain-Borer-Sept-considerations-Rimbaud.pdf.

 

*Alain Borer – Sept considérations sidérantes au sujet d’Arthur Rimbaud – in le catalogue Page(s – novembre 2023 ; ** en « profiter » pour aller visiter le magnifique catalogue Page(s qui lui sert d’écrin.

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