inactualités et acribies

La jeune fille et le vieux champagne

5 Février 2017 , Rédigé par pascale

   Si d’écriture, comme on dit d’aventure, il y a un lien entre Colette et les vins, c’est parce qu’elle les fréquente à l’âge où la parole se constitue, où le monde devient objet de parole, et l’être humain sujet parlant. Et, pour quelques jeunes têtes particulièrement douées, si l’expérience inclut naturellement de pénétrer dans le royaume enchanté de la lecture, tout est mot, et tout mot est moyen pour saisir tous les éléments vivants de l’existence et s’en faire une mémoire. Pour Colette -qui n’a cessé sa vie durant de clamer son horreur d’écrire, sans jamais se désavouer ni en public, ni en privé- les mots sont à ce point sa chair et son sang, son essence et sa nécessité qu’il ne peut y avoir place ici pour la contingence ou le hasard, s’ils signifient l’imprécision. Pour autant, les mots qui lui servent à dire les vins ne sont jamais vraiment techniques, bien que redoutablement efficaces. D’autant plus puissants qu’ils passent d’un registre sensoriel à l’autre, traversent les catégories de l’abstrait et du concret, accrochent des images en fulgurances, ne rechignent pas à l’humour, jamais ne renoncent à l’émotion. Prêtent toujours à l’attendrissement. Inversent les causes et les effets, les objets et les sujets, font immanentes les transcendances. Je m’écoute être heureuse, dit-elle, un verre d’Asti entre les mains, ne sachant plus très bien du réel ou de son trouble, lequel est le plus tangible.

   Les bulles de l’Asti moscato spumante recouvrent d’un treillis léger et vaporeux bien des pages de ses romans, nouvelles, et de sa correspondance. C’est, à l’évidence, un vin qu’elle aime. Il apparaît avec ou sans surprise, soit qu’il accompagne simplement une noix de côtelette, soit qu’il invite à la sensualité consentie, il est prélude au plaisir et non prétexte à des plaisirs à venir. Je tends mon verre et je bois plus lentement, les yeux mi-fermés de délices. Parlant de l’Asti, Colette dit toujours de lui qu’il est traître, déposant une chaleur joyeuse à l’ourlet de (ses) oreilles... et bien que son odeur musquée ait sur elle des effets ravageurs, -et tous les vins mousseux avec lui, le Frascati par exemple- il est d’abord sensation physique, si l’on ne craint pas le pléonasme : il mouille en pétillant (les) narines, fait s’effriter dans la bouche les gâteaux comme du sable sucré. A l’annonce de son nom, la jeune fille rougit de gourmandise...

   Aux Frascati rose, Orvieto jaune, Chianti sombre rubis, ou Madère simplement d’or, qui ne sont pourtant pas rien au regard des souvenirs amoureux, affectueux, amicaux qu’ils ont abrités, défendus et protégés, Colette voue estime et considération. Mais que dit-elle du champagne ? Qui est de toutes les circonstances, préméditées ou non, fixées par le calendrier ou par l’histoire familiale, désirées ou plus simplement imaginées, promises ou rêvées. Le champagne, murmure d’écume, plaisir des yeux et des oreilles, perles d’air bondissantes, que l’on hume en ouvrant ses narines, pour mieux plonger dans le plaisir. Pour Colette, le champagne, sec et vieux, exhalant alors un lointain parfum de roses, est parfait. Et la jeune fille suce la mousse en clignant des yeux. Elle luit comme une perle.

   Le champagne est le vin de la fête et des Rois, de la digne célébration d’un anniversaire, ou de la sortie d’un livre. Colette, recevant le livre dédicacé de Renée Hamon lui écrit : Que j’aurais voulu fêter sa sortie par un petit déjeuner à la beaujolaise, mouillé d’un peu de champagne ! Le champagne remplace tout vin, le bordeaux par exemple, quand il s’agit de transformer un repas simple en récréation, ou d’accompagner, de préférence au cidre, le déjeuner d’un chauffeur de maître ! Du bourgogne, du bordeaux ou du champagne, ce dernier l’emporte toujours pour séduire, séduire à tout prix. Une bouteille de brut, avant le homard, et la griserie va venir. Promesse.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
F
C'est toujours un vrai plaisir de lire (ou relire) ces textes inspirés... Ils pétillent. Comment oser y ajouter quoi que ce soit ? Ce serait en rompre tout le charme (de l'eau dans le vin ?). Une suggestion pour les accompagner : quelques-uns des meilleurs interprètes français, dans des œuvres phares du répertoire classique, réunis par un label original qui a choisi d'associer les vins et les notes : http://www.lepalaisdesdegustateurs.com/label-discographique/
Répondre
P
Merci pour ce précieux et délicieux accompagnement. En ces temps tumultueux, des notes, du vin et des mots, je vote!
D
J'aime ce "treillis léger et vaporeux". Et je "rougis de gourmandise". Merci Pascale.
Répondre
P
Jamais les mots de Colette ne sont décevants ("je m'écoute être heureuse") et je revendique l'affreux défaut de jalousie à l'endroit de sa plume...<br /> Merci d'être passé, et présent par ce petit signe, Denis