La jeune fille et le vieux champagne
Les bulles de l’Asti moscato spumante recouvrent d’un treillis léger et vaporeux bien des pages de ses romans, nouvelles, et de sa correspondance. C’est, à l’évidence, un vin qu’elle aime. Il apparaît avec ou sans surprise, soit qu’il accompagne simplement une noix de côtelette, soit qu’il invite à la sensualité consentie, il est prélude au plaisir et non prétexte à des plaisirs à venir. Je tends mon verre et je bois plus lentement, les yeux mi-fermés de délices. Parlant de l’Asti, Colette dit toujours de lui qu’il est traître, déposant une chaleur joyeuse à l’ourlet de (ses) oreilles... et bien que son odeur musquée ait sur elle des effets ravageurs, -et tous les vins mousseux avec lui, le Frascati par exemple- il est d’abord sensation physique, si l’on ne craint pas le pléonasme : il mouille en pétillant (les) narines, fait s’effriter dans la bouche les gâteaux comme du sable sucré. A l’annonce de son nom, la jeune fille rougit de gourmandise...
Aux Frascati rose, Orvieto jaune, Chianti sombre rubis, ou Madère simplement d’or, qui ne sont pourtant pas rien au regard des souvenirs amoureux, affectueux, amicaux qu’ils ont abrités, défendus et protégés, Colette voue estime et considération. Mais que dit-elle du champagne ? Qui est de toutes les circonstances, préméditées ou non, fixées par le calendrier ou par l’histoire familiale, désirées ou plus simplement imaginées, promises ou rêvées. Le champagne, murmure d’écume, plaisir des yeux et des oreilles, perles d’air bondissantes, que l’on hume en ouvrant ses narines, pour mieux plonger dans le plaisir. Pour Colette, le champagne, sec et vieux, exhalant alors un lointain parfum de roses, est parfait. Et la jeune fille suce la mousse en clignant des yeux. Elle luit comme une perle.
Le champagne est le vin de la fête et des Rois, de la digne célébration d’un anniversaire, ou de la sortie d’un livre. Colette, recevant le livre dédicacé de Renée Hamon lui écrit : Que j’aurais voulu fêter sa sortie par un petit déjeuner à la beaujolaise, mouillé d’un peu de champagne ! Le champagne remplace tout vin, le bordeaux par exemple, quand il s’agit de transformer un repas simple en récréation, ou d’accompagner, de préférence au cidre, le déjeuner d’un chauffeur de maître ! Du bourgogne, du bordeaux ou du champagne, ce dernier l’emporte toujours pour séduire, séduire à tout prix. Une bouteille de brut, avant le homard, et la griserie va venir. Promesse.