inactualités et acribies

cette autorité terrible des ciels sur (le) paysage*….

21 Janvier 2018 , Rédigé par pascale

Comme on dit les ciels de Turner, de Monet. C’est qu’ils lui donnent un souffle et mille mille visages. Ou lui prêtent. Ils ne font que passer. Jamais ne durent, jamais ne s’arrêtent. Toujours l’apprêtent, la ville. Il y a les mois élus. Quand les couleurs, les brumes de couleurs aiment la ville qui les aime. Qui s’y reflète, tantôt humide et grise, glissante, tantôt de givre, blanche-rose. Paysage en décor offert, ouvert, embué, de la cité au pied du Pont chaque soir. A l’heure où toutes les fumées, toutes les lumières, toutes les eaux se mêlent et se confondent dans un regard circulaire où rien ne s’accroche. Un ciel industriel et usinier, altier, tout arrogant et insolent, rejette l’ombre des immeubles loin derrière le contre-jour d’une mousseline de barège. Et dans l’arrière-cour des noirs, au-dessous des tarlatanes rosées, bleutées, orangées, ardoisées qui se tendent invisibles sur les eaux.

Aussi les ciels du matin du côté de la plaine. Turquoise, violets, étirés, fatigués. Des ciels heureux pourtant, des ciels violents. Qui allongent l’horizon et prolongent les ombres. Sombres, ils longent les champs, les terres, l’aurore difficile. Clairs, ils mangent la mer, éclaboussent la vague. Disent la déchirure du temps sur la plage dans l’étrange silence d’une pluie qui mouille même le brouillard. Une fumée s’en va. Désensablé le temps passe de temps en temps. Les nuages refont la ballade des pendus nocturnes. Et leurs poignets brisés au ciel déchiqueté d’avant l’aurore. Tous les pas sur le pont, plus vite que des notes qui dansent, qui dansent, difficile manège qui affole le ciel, tourne en rond et se perd. Revient sans cesse et tient la ville qui l’étreint. Et allume les chandeliers de la mémoire. La hache fendue des souvenirs. Les nuages, les merveilleux nuages…..

Dans la ville,  Saint-Pierre qui s’arrache en lambeaux. On ne sait plus du ciel ou du clocher qui l’emporte, qui le sait. Au contre-point du Château lourd et pesant, déséquilibré le regard. Où les nuages  ronronnent, calmés, grosses gouttes et pleines encore d’après l’averse. Et se laissent floconner. Sabliers pour les saisons qui passent sous le vent. Dans les reflets de la lumière sucrée, il reste l’ombre blanche et noire, inachevée. L’écharpe effilochée du vent qui rattrape les mots qui reviennent de loin. Qui reviennent de loin.

Orangés d’Octobre, émeraude de Septembre. Dans la nuit sombre qui les embrasse, les arbres et leurs feuilles plus sombres encore que la noire Abbaye qui les enlace. Qui les enserre. Les encercle. Par petits coups de nuées, la fascinante et lente descente de l’obscurité dans une folie de couleurs. Et l’heure se perpétue sans ivresse sans cesse. Sans cesse danse au vent. Et l’heure qui se balance. Avance. Balance. Avance les cadrans. Balance les auvents. Et l’heure qui s’amoncelle, espère. Espère et persévère. Dans le vent m’échevèle. Longue route. Juste retour des mots le soir. Juste regard des eaux. Les mots toujours pareils aux choses qui diffèrent.

Passent les vagues et passent les espaces. Les instants sans temps parfois pour trouver le sommeil. Passent les soirs aux solitudes étoilées où déferlent les oiseaux frêles au toit des eaux. Et les villes encloses comme des fleurs. Pour dire la déchirure du temps sur la mer, le soir, et l’étrange silence de la pluie dans les nuages qui retiennent l’ombre un peu. Encore un peu. Et s’est terni le temps. Éternellement présent aux choses. Aux mots. Ronde infiniment infinie du fleuve qui passe éternellement. Et du fleuve éternel qui passe.

Encore quelques secondes, la belle lutte et cruelle se désengage. Indifférente à tout désir de durer, de durer dans mon regard. Lente et lente la nuit enveloppe le ciel, l’enferme, le clôt pour ne l’ouvrir jamais plus. Jamais plus ce soir. Mais une autre, oui, une autre fois.

*Francis Ponge

 

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D
Merci pour ces ciels et tout ce qu'ils ouvrent.
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P
Ils sont normands. Les nuages s'y pressent plus souvent qu'ailleurs....
M
Merci<br /> "Passent les vagues, passent les espaces" m'a évoqué "passent les jours, passent les semaines"<br /> J'entends la musique de vos phrases.<br /> Ce n'est pas moi qui suis généreux, c'est vous. Et je me nourris sans vergogne
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P
Voyez comme les poètes vivent en nous et tracent certaines de nos phrases sans même que nous en soyons conscients!
P
Pourtant ce Pont n'est pas le Mirabeau d'Apollinaire, mais cela n'a, finalement pas la moindre importance. L'ombre de Villon, en revanche, a plané sur les eaux, qui ne sont pas celles de la Seine...<br /> Merci de vos passages fidèles et généreux.
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M
Entre la peinture, l'expérience physique du paysage, le sillage laissé par les phrases, je reconnais la beauté. D'aucuns s'évertuent à la définir disent qu'elle est le vrai,peut-être, moi je la reconnais.<br /> En compagnie au détour des phrases de Baudelaire, Apollinaire, Eluard qui ne m'est pas familier et ausi<br /> "Jamais nul temps nous ne sommes assis, puis ça, puis là, comme le vent varie..." de mémoire.<br /> Merci pour ce texte et celui d'avant qui me touche tout autant.
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