inactualités et acribies

Mélanges, miscellanées, miettes - 10 -

29 Avril 2021 , Rédigé par pascale

 

δο, χελιδν ! Regarde, une hirondelle !

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Rabelais – grâces lui soient toujours rendues pour ceci comme pour le reste – nous aurait donné le terme agelaste, à partir du grec gelos qui signifie rire, l’accrochant au privatif : celui qui ne rit jamais est donc agelaste. Aussi, Déméter, n’ayant vraiment pas le cœur à rire, épuisée de chercher sa fille de par les mondes, se serait arrêtée sur un rocher qu’on appelle en Attique, agélaste, pour se reposer un peu. Mais, dans la famille des agelastes, d’aucuns qui n’ont à l’évidence envisagé aucune filiation avec Déméter, ont classé la pintade, classification supérieure s’il se peut ! Nous voici au carrefour de trois chemins – ce qui se dit trivial n’est-ce pas, du moins dans une traduction de l’Œdipe-Roi de Sophocle (quelle merveille !) – sémantiques : toute pintade juchée sur une pierre ou un rocher ne va ni ne sait rire. On peut s’autoriser, sans rire, à donner à la pintade une interprétation anthropomorphique. Il reste qu’agelaste, noté comme terme « littéraire », cela doit faire mourir de rire François Rabelais !

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Merleau-Ponty, (in Résumés de cours au Collège de France-1952-1960 - Gallimard) dont les réflexions philosophiques sur les rapports entre langage et pensée ont toujours été pour moi un guide, affirme que  le travail de l’écrivain reste travail de langage, plutôt que de « pensée », ce qui me conduit à saisir en quoi la littérature s’effondre : l’écriture n’est plus travaillée, cet aspect risquant d’être répulsif pour le lectorat contemporain, et les avis et autres opinions personnelles passant pour de la réflexion, le malentendu (euphémisme) est total. La « littérature » terme qui, dorénavant, englobe tout ce qui s’écrit sous la forme conventionnelle d’un livre, se vend et s’achète comme telle, peut s’exonérer de style, pourvu qu’elle permette de s’évader ou de s’ouvrir l’esprit ; formulations qui relèvent plutôt de la réclame pour un circuit touristique à bas prix, en aucun cas, rien qui n’approche, même de loin, ce qu’écrire veut dire.

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       Des nouvelles de nos amis les animaux : après avoir passé un sale moment – chasses et piégeages de masse – la loutre d’Europe, Lutra lutra, a repris du poil de la bête. On le devrait à une opération nationale venue de Bretagne il y a trente ans, qui n’a échappé à personne : « Havre de paix pour la loutre ». Le plus important, à nos yeux ébaubis, est que notre lutra a acquis ses galons dans la régulation des populations d’écrevisses américaines, qui, comme chacun sait depuis peu, sont, à l’instar de certaines plantes, tellement invasives qu’elles occupent indûment et ignominieusement un terrain qui n’est pas le leur. Mais, que ne ferait-on pas pour se faire remarquer ?

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« Le français est devenu une langue provinciale. Je ressens cette dégringolade comme un deuil. Une perte dont je ne parviens pas à me consoler. La mort de la Nuance. » (E. M. Cioran, Cahiers 1957-1972.)

(Cioran, le seul qui nous console d’être inconsolables).

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On appelle mulquinier l’ouvrier qui s’occupe de la préparation des plus beaux fils, notamment pour les dentelles. Aussi, tout écrivain de belle langue n’est-il pas un mulquinier ? 

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Et l’huître, toujours au menu :

Savoir que du côté de Bayeux, on appelle caqueux le couteau à huîtres, qui, les écalant, permet de les extraire de leur caque. Je suis suffisamment huîtrière dans mes mœurs pour, portant des bourriches plutôt que des fleurs, prendre toujours avec moi le caqueux avec lequel je vais les ouvrir. Celui qu’on achète là-bas, le seul acceptable, bien sûr !

Savoir aussi qu’on mangeait des huîtres aux 15 et 16ème siècles à Venise. (F. Braudel in Civilisation matérielle, économie et capitalisme).

Et que pour Athénée – 2-3ème siècles – les huîtres sont les truffes de la mer, (in les Deipnosophistes).

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Bachelard (in Poétique de la Rêverie) cite Colette : « J’aime à faire le petit ménage de mes mots familiers (…) J’imagine que les mots ont des petits bonheurs quand on les associe d’un genre à l’autre – de petites rivalités aussi dans les jours de malices littéraires. ». Ah ! si seulement l’on se préoccupait un peu de la malice littéraire des mots, je parle du point de vue du lecteur, car pour ce qui est de l’écrivain, cela ne s’apprend pas ; en effet, comment rivaliser : (Colette) :  « Mon petit Vial, quel beau temps ! Écoute l’hydravion en ton de fa, le doux vent placé entre l’Est et le Nord, respire le pin et la menthe du petit marais salé, dont l’odeur gratte au grillage comme la chatte. »

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Mais relire, de temps à autre, et à haute voix, une grande tragédie classique, il n’y a que là qu’on puisse scander : « Son sang criera vengeance et je ne l’orrai pas ! » (Le Cid, III,3).

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Michel Chailloux : « Mon père est rouge imbécile : il aime le sport » (in Jonathamour.)

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Du côté de Lisieux, on sait pourquoi on appelle mioche un petit enfant : celui qui ne mange encore que de la mie. C’est ce que l’on dit par là-bas. J’aurais tendance à le croire.

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L’été, la saison qui s’écrit au passé.

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Dans les livres, les mots se couchent entre deux couvertures.

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Il faut quand même oser écrire – dans la presse, dont on va dire qu’elle agit dans l’urgence ? – qu’il y eut (et non "il y a eu", agrrrr !) des violences urbaines à Paris ou ailleurs, tel jour, telle nuit, à telle heure. L’usage du pléonasme a, décidément, la vie dure, car, des violences en ville ne sont-elles pas toujours urbaines ? Il faut dire que le latin manquant, on ne sait plus le sens de ce qu’on écrit. Mais on l’écrit. J’aimerais d’ailleurs qu’on m’explique aussi le sens de l’expression légende urbaine, tant entendue sans raison, et par comparaison, ce que serait une légende rurale.

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La force des faibles, ou le pouvoir du minuscule, commence dans les lettres des mots : selon que l’on emploie μοούσιος, homoousios ou μοιούσιος, homoiousios, on ne dit pas la même chose, et chacun remarque qu’un iota sépare les deux termes dont le premier signifie « de même substance » et le second « de substance semblable » ce qui est très différent. En effet, pour avoir soutenu que le Fils (de Dieu) était de substance semblable au Père et non de même substance, les Ariens furent excommuniés. Cela s’est passé au cours du Premier concile de Nicée, mais serait tombé aux oubliettes s’il n’était resté de cette controverse tragique au moins une expression – qui tend il est vrai à disparaître – ne pas bouger d’un iota. D’un millimètre aurait-on tendance à traduire, sauf que traduttore traditore.

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Réviser ses classiques : Ésope, Le jeune prodige et l’hirondelle.

 

Un jeune prodigue, ayant mangé son patrimoine, ne possédait plus qu’un manteau. Il aperçut une hirondelle qui avait devancé la saison. Croyant le printemps venu, et qu’il n’avait plus besoin de manteau, il s’en alla le vendre aussi. Mais le mauvais temps étant survenu ensuite et l’atmosphère étant devenue très froide, il vit, en se promenant, l’hirondelle morte de froid. « Malheureuse, dit-il, tu nous as perdus, toi et moi du même coup. »

Tout ce qu’on fait à contretemps est hasardeux. C’est la leçon de l’apologue.

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Nous collaborateur·rice·s de l’association (on ne fera pas de publicité !), artistes, chercheur·euse·s, auteur·rice·s, curateur·rice·s et travailleur·euse·s de l’art, nous déclarons profondément choqué·e·s (blablabla…)  Et nous donc !

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« C’était une heure creuse (il pleuvait dedans). […] Tout se rouillait peu à peu. » (Henri Calet in De ma lucarne). Inégalable !

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