inactualités et acribies

Analecta, varia et autres spicilèges (4)

17 Février 2024 , Rédigé par pascale

 

Si je suis resté obscur et ignoré, si jamais personne

N'a tympanisé pour moi, si je n'ai jamais été appelé

Aiglon ou cygne, en revanche, je n'ai jamais été

Le paillasse d'aucun ; je n'ai jamais tambouriné

Pour amasser la foule autour d'un maître,

Nul ne peut me dire son apprenti. –

Pétrus Borel, Rhapsodies(1832)

 

*

 

Chez Jean-Michel Maubert, in Décombres *— dont il me faudra parler, tant de puissance encore, tant de visions bouleversantes — je rencontre l’axolotl, le mot et l’animal larvaire et qui le reste, même à l’âge adulte. Cette caractéristique ou propriété, quasi unique chez les êtres vivants, s’appelle la néoténie. Il vivrait encore au Mexique – on l’entend dans son nom – mais c’est à peu près tout, à l’état naturel. Dans Décombres, l’axolotl apparaît sous (une) forme blanche et fuselée (…) ses petits yeux d’or palpitants de la même résignation exaltée. Superbe !

*Editions de l’Abat-jour, 2021

 

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« il n’était empli que du plaisir d’être malheureux, de l’horreur du monde, du désir d’en finir. » in Archives, Mademoiselle de Zohiloff,  06/05/2020

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de l’amphibologie et autres doubles sens :

il a plu

aux nues

de pleurer un peu

 

le martinet sifflait

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On rappellera opportunément à ceux qui s’obstinent à utiliser les termes mail et e-mail à l’écrit comme à l’oral, que si la caution d’une instance officielle leur est indispensable – on ne sait jamais ! – pour oser abandonner des mots anglais au profit de mots français, la Commission d’enrichissement de la langue française*, est peut-être là pour eux. Depuis bientôt 21 ans – autrement dit, un bon paquet de ceux-là était encore en couche-culotte ou bermuda – courriel a été reconnu et sanctifié au JO (au Journal Officiel, pas aux Jeux Olympiques, un domaine, le sport, qui – avec la mode et la communication – ont bien enlaidi et appauvri notre langue par leurs manies anglomoches à deux dollars) donc au JO du 23 juin 2003.

*créée en 1996 !

 

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Ne pas craindre parfois de parler aux murs puisque les murs ont des oreilles.      

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Chez Louis-Sébastien Mercier, on apprend que la Samaritaine était le nom de la pompe à feu servant à la distribution de l’eau dans Paris. (in Le tableau de Paris – 1781/88)

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Au secours Balzac ! les rienologues sont au pouvoir !

« Pour ses 800 ans, cette église iconique va vivre une expérience immersive (un spectacle immersif) … église dans laquelle Lully et Sully se sont mariés ! une performance live … et toujours les technologies de pointe ; projections de visuels ; le public interagissant avec l’acoustique… » ! recopié tel quel après quelques instants pour reprendre mes esprits.

Voilà, voilà à quoi l’on arrive pour avoir laissé la plume – le clavier – à des sots qui, non contents d’ignorer le sens précis des mots – iconique, technologie, visuel – se gargarisent de la bouillasse contemporaine – immersif, interagissant – sans oublier l’anglolaid – performance live, ni le n'importe quoi (je manque de mots) une église (qui) va vivre une expérience ... Les sommets du ridicule sont quand même atteints avec « l’église dans laquelle Lully et Sully se sont mariés ! ». Ça alors !

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La bouillasse est multi-quotidienne, nous sommes cernés : toujours dans la presse — mais les échanges de courriels avec tous organismes et administrations ne sont pas en reste trois prélèvements frais du jour :

une situation malaisante ; une entité globale unique ; — toutes les urgences seront techniquées sur place ;sa nouvelle coupe capillaire lui scie à ravir ... 

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Dans la Rome antique, un chamulchus désignait un haquet pour le transport des matériaux lourds, tels des blocs de marbre, des colonnes, des obélisques, etc. Chamulchus … on s’empresserait bien d’inventer une phrase juste pour avoir à l’y glisser, ou, nonobstant ce qu’il désigne, le faire gambader entre les nuages … chamulchus chuchoté hors prononciation académique devient un chuchotis délicat … chut.

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Dans la Grèce et la Rome antiques, on appelait diploma le document ou passeport de deux feuillets (di) que l’on transmettait à la personne qui pouvait/devait lever tous les obstacles sur votre route dans le cadre d’une mission d’Etat ; ce qui n’est pas loin de signifier qu’il permettait quelques privilèges à qui le recevait … chut.

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(inlassablement : Gaston Miron – inlassablement : L’homme rapaillé)

Nous sommes nombreux silencieux raboteux rabotés

dans les brouillards de chagrin crus

à la peine à piquer du nez dans la souche des misères

un feu de mangeoire aux tripes

et la tête bon dieu, nous la tête

un peu perdue pour reprendre nos deux mains

ô nous pris de gel et d’extrême lassitude

*

 

Après les « livres de l’été », la « rentrée littéraire » d’automne, puis la « saison des prix », voici la « rentrée littéraire d’hiver » qui précède forcément celle du printemps.

Arcimboldo et Vivaldi sont dans le même bateau … qui vient de couler.

 

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Armance, 3 ans fermes, insiste pour dire que le matin elle se dépyjamaille puisque, n’est-ce pas, ôter un habit c’est se déshabiller

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Pratiquer l’art de la « robe de chambre pleinière », une mission quotidienne difficile à tenir.

         *

 

   D’azur à l’âne d’or passant ; l’écu sommé d’une couronne de feuilles de chardon et de perles alternées, et timbré d’un casque ailé posé de trois quarts, la visière ouverte, avec les lambrequins des émaux de l’écu ; pour cimier, une étoile d’argent ; pour supports : à dextre, un dragon de sinople armé et lampassé de gueules, colleté et enchaîné d’or ; à senestre, une syrène de carnation ; et pour devise : Aurea patientia ex mente devina.

   Telle est, sous la plume d’un contemporain, la description du blason que Pétrus Borel – le républicain frénétique – demanda qu’on lui fît pour orner l’Âne d’or, la revue qu’il fonda tout juste à côté de la Revue pittoresque qui ne satisfaisait pas suffisamment son goût prononcé pour la fantaisie, pour le dire vite. Selon ses propres termes, il voulait en faire un écrin littéraire, c’est pourquoi il le plaça sous le parrainage conjoint des Lucien, Apulée, Érasme, Quevédo, Boccace et … Saint-Evremond. En cette liste prestigieuse, nous ravit plus que tout la présence de notre élégant Normand, avec elle, celle d’un dragon, animal qui, pour moult raisons, croise souvent mon chemin.

*

 

Coquecigrue : oiseau fantastique ou chose de peu, de rien.

Jamais la langue française de m’éblouir ne cessera.

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« Adonc le Père Ubu hoscha la poire, dont fut depuis nommé par les Anglais Shakespeare » : Alfred Jarry qu’on ferait bien de prendre en infusion chaque matin pour aller mieux que bien. Et comme deux plaisirs s’additionnent sans se fondre, la citation est en exergue d’un article de J. L Steinmetz consacré à notre bousingot et frénétique lycanthrope préféré. (L’ouïe du nom : Pétrus Borel, in Littérature n° 33, 1979).

     

*

         Toute promesse de partage d’huîtres fait (aussi) promesse d’incursion en antiquité grecque : la coquille, un réceptacle si facile pour y glisser le choix d’un nom à bannir de la cité, ne pouvait échapper aux Athéniens malins (l’usage d’un tesson de céramique en cas de pénurie, mais le terme ne changeait point, ostrakon, στρακον.) Le citoyen dont le bannissement était décidé à la majorité simple, partait pour une période de dix ans sans perdre pour autant ses biens, l’éloignement politique valait plus que tout ; Socrate – qui n’avait aucun bien – le refusa à Criton et ses amis, qui en avaient organisé les conditions acceptables, certes en fuyant plutôt qu’en subissant un bannissement officiel, mais sur le plan politique la gravité était la même. L’ostracophorie, à laquelle donc il ne fut pas stricto sensu soumis, était un scrutin purement arithmétique et sans débat, seul le nombre des coquilles d’huîtres contenant le nom du banni suffisait, au moins six mille et vous voilà sous dix jours au loin pour dix ans. Des nuances et des modifications intervinrent au fil du temps, mais qu’elle s’appelât pétalisme (à Syracuse, sur des feuilles d’olivier) ou ostracisme (à Athènes) l’exclusion de la Cité était la pire honte. Je propose que toute agape ostréicole commence par une cérémonie semblable — histoire de réfuter, bannir et oublier les faux frères et les vrais chicaneurs — le tout sous un olivier ou ce qui en tiendrait lieu.

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         Voici pourquoi j’aime Michel Chaillou : il a le style pour préoccupation constante dont il dit qu’il est pour lui le « sujet profond » d’un livre, l’histoire n’en est que le « sujet apparent ».  

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         L’huître est décidément formidablement adaptée à toutes les formes de métaphores et autres analogies : quand Jean Paulhan, dans un petit carnet que sa petite-fille – qui le réserve aux autographes – lui tend, écrit « Si j’étais une huître, je ne cultiverais pas ma perle. » que veut-il dire exactement ?

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Une vie dans le monde,

Une poussière dans l’univers,

Nous ne sommes qu’excerptio.

In Ce beau silence de flocons et de plumes

 

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         Lucien de Samosate, apprenti sculpteur chez son oncle, comprit, ayant cassé une table de marbre, qu’il lui fallait abandonner l’atelier pour les études. Il était Syrien, parlait araméen comme Jésus de Nazareth, le médecin Galien et le romancier Longus – qui ne sont pas du tout contemporains les uns des autres – mais sa passion pour le grec l’emporta ; il l’étudia dans les meilleures écoles de l’époque, en Ionie – en maîtrisa la plus subtile expression, l’attique.

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Si le féminin grammatical est souvent marqué par un « e » — mais pas toujours, très loin s’en faut (la vérité, la splendeur etc. et tous ceux de même farine) — il y a danger à s’en tenir là pour seule rengaine. On peut s’amuser à le vérifier en passant du masculin au masculin-agrandi-par-un- « e » sans précaution, cela donne, écrit à la très très va-vite certes, mais sans barbarisme :

Le cuisinier venait d’allumer sa cuisinière quand, dans la pièce d’à côté, la secrétaire avait savonné son secrétaire et le médecin présenté sa médecine secrète. Par la fenêtre, on apercevait le jardinier s’agiter devant la grosse jardinière, un pèlerin affublé de sa vieille pélerine passait au bout de la rue sans un regard pour la grand-place où, debout sur une tribune le tribun s’égosillait, ni le restaurant où l’avocate mangeait tout cru l’avocat qu’elle malmenait. Chez lui au repos, derrière ses rideaux, le marin s’extasiait devant la marine qu’il venait de regagner de haute lutte. Au doigt du chevalier brillait sa chevalière, lisait-on en titre d’un roman qui se voulait drôle à la vitrine du libraire… Mais pourquoi donc, ou pour qui, ce curé peu catholique réclamait-il la curée par affichage à la porte de l’église ?

 

*

 

Apprenant qu’il y a 100 millions d’années et plus, des rosiers sauvages fleurissaient, j’ai subitement plus de sujets de réflexion dans un seul pétale de rose que dans l’univers tout entier ; et puisqu’on affirme aussi en avoir trouvé traces avant le crétacé — soit au carbonifère, 200 millions d’années et quelques grains de poussière — j’ai même, en y songeant bien, un léger vertige.

          

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