inactualités et acribies

une montée vers les profondeurs

6 Octobre 2017 , Rédigé par pascale

     Où et comment conçut-il ce désir de volcan, le jamais nommé des vers du poète agrigentin, que l’on voit depuis Centuripe, la petite cité sicule de la colline, célèbre pour ses vases, ses urnes, ses tanagras, vendus jusqu’à Katané, et jusqu’à Syracuse. Personne ou presque ne s’étonne de le trouver au sommet d’un mont haut et froid, où la neige persiste en toute saison. En petites flaques grisâtres il est vrai, au plus chaud de l’été. Personne ne s’interroge sur l’itinéraire, le temps passé, les souffrances endurées, qui portèrent Empédocle de sa ville brûlante, au volcan glacé. Serait-il parti même de Syracuse, la route est encore longue et difficile. Ou bien d’autres cités, d’autres villages plus au Nord. Il lui fallait, quoiqu’il en soit, réaliser une ascension.

    Quelle détermination, quelle force, quelle énergie habitaient ce vieil homme-là, dont on ne peut croire un seul instant qu’il se portait là-haut par désespoir. Comment gravir ces pentes, ces roches, ces blocs, lutter contre le vent, trébucher, s’arrêter et repartir, pour s’anéantir, seulement s’anéantir? Sauf à prendre le mot en son étymologie, il ne se précipitait (pas) dans l’Etna comme le dit Camus,

et le croient tous les autres, ne voyant dans le saut du vieux sage qu’une quête de vérité  là où elle est, dans les entrailles de la terre. Le philosophe existentialiste fait de la chute d’Empédocle un geste sensément universel, et résolument individuel. Comme si, dominé par un invincible courage, il avait échappé au vertige, s’engouffrant dans le cratère béant et frileux à la fois. Belle image de René Char.

   Comme si, par une volonté absurde, c’est-à-dire qui ne prend sa signification qu’en elle, le philosophe-marcheur se devait d’atteindre au sommet de lui-même pour mieux s’engloutir, fausse vision de l’inanité des choses et du monde que n’avait pas Empédocle, image en déperdition ontologique qu’il ne pouvait pas produire. Le volcan-mangeur-d’hommes n’est-il qu’un dieu colérique, cruel, convulsif, un être malévole, ou le dispensateur des vertus qui chantent dans ses plaies. (René Char? En son sommet luisant, le poète est parole saxifrage.

     Plus qu’un arbre, plus qu’une forêt, bien plus que toutes les plantes de toutes les surfaces du globe, un volcan, immobile dans son activité même, est le mieux enraciné des vivants. Ses violences, ses combats, ses bombes, ses ponces et ses pierrailles, ses crachats, ses colères, ses feux et ses laves, témoignent tous superbement de son implantation au centre de la Terre. Nul ne pourra l’en arracher. Pas même lui.

    Mais aussi béance, naufrage, danger, enchantement et bestialité tout ensemble. Chaleur de la terre, palpitations de la chair ignée. Léonard de Vinci parle de sa violence, de sa furie, de son impétuosité. Il désire le volcan comme on désire une œuvre tandis qu’on la conçoit. Il le redoute comme un enfant saisi de peur dans l’obscurité.

     Etre l’Etna, désirer être l’Etna dira même le héros sadien. Le mont sous lequel gît Typhéus, implorent les Cyclopes, aux flancs desquels le jeune Dionysos aurait planté la première vigne, au pied duquel Enée découvre le compagnon oublié par Ulysse. Etna nietzschéen au-dessus duquel plane l’aigle comme un long silence illuminé. Etna qui enfume l’île belle, l’île aux trois sommets, Trinacria aux pentes douces. La noire usine dantesque, enfer et paradis tour à tour.

    Au sommet de la montagne ouverte, décapitée, son regard humain est plus haut que tout regard mortel. Plus près des aigles que des hommes, il s’assoit au bord de sa dernière route. Le ciel est clair. A ses pieds, grises les cendres. Comme les fumerolles du volcan, légères les paroles des hommes, futiles leurs pensées. Délicates écharpes frangées d’insouciance. Ici, un peu plus proche des limites du ciel,  pourtant encore de ce monde puisqu’il ne peut regarder le soleil en face, et qu’au-dessus de lui, royal, tourne l’oiseau de Zeus. On raconte que le grand Pythagore en cueillit un, délicatement descendu en vol, le caressa et le laissa repartir vers les voûtes célestes…

     Qu’un aigle plane en traçant de beaux cercles, et c’est le ciel tout entier qui appelle l’homme. Oiseau de feu, oiseau solaire, son élément c’est l’air éthéré, son chemin le ciel cristallin, l’enveloppe incurvée et bleue comme une eau gelée qui clôt l’univers. Alors, contre la courbure, installé comme en un ventre rebondi, le Soleil roule et court d’un bout à l’autre de l’univers, reflétant une si vive lumière que seul le puissant oiseau ouranien peut la fixer. Le fier animal entre l’arche du Ciel et la courbe du monde n’est pas captif. Il est libre au contraire, parce qu’indéfiniment il retrouve son élan. Descendre ne signifie pas tomber, une chute est une fulgurance, un avalage, une disparition. Le volcan, puissance et émotion. Aussi, descendre avec lenteur, avec volupté, comme un immortel. Déjà délivré de la mort. Descendre en majesté.

 

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P
et la faute qui mettait deux 'p' à Centuripe (peut-être pour avancer plus solidement) est corrigée. Merci à Denis et honte à moi!
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D
Nous avons éprouvé ce désir de volcan en avril, en remontant de Syracuse vers Palerme. Nous avions un peu d'avance, nous sommes donc montés à Centuripe. Où nous avons bien failli rester, notre voiture ne pouvant plus avancer ni reculer dans la ruelle que nous avions prise (la première à droite en direction du centre où il nous semblait que la vue serait dégagée)...
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P
on comprend la trouvaille de la Cinquecento pour circuler à moteur dans certaines ruelles sans âge! il eût peut-être fallu monter sur le toit de la voiture bloquée (mais tout va bien l'affaire est résolue!) pour avoir une vue plus dégagée...