inactualités et acribies

Humeur et conviction.

10 Février 2019 , Rédigé par pascale

Voici la dernière de mes lettres extraite d'un échange avec un journaliste, rédacteur d’un (court) article dans un (grand) hebdomadaire national. L’auteur prétend, semaine après semaine, porter haut le combat de la défense de la langue française et des langues régionales, mais ce jour-là il affirmait ex cathedra l’obligation de simplifier nombre d’aberrations orthographiques… au nom de l’usage désormais… en usage, ou des raisons oubliées de ces raisons… Je reporte ici à quelques corrections près pour la bonne compréhension du texte, ma dernière réponse, attristée et peinée que le débat  porte sur des anecdotes (consonnes redoublées etc…) et non sur l’essentiel, la survie de notre patrimoine linguistique. (Ma réaction fut avivée par l’invitation aux lecteurs d’engager et poursuivre la discussion sur un réseau que l’on dit social… les avis et opinions de chacun et tous pour seule mesure ! ce qui suit fut résolument envoyé par les voies respectueuses du courrier électronique.)

 

           

Je prends à nouveau le temps de vous répondre car je serais, dans le cas inverse, infidèle à ce qui m’importe le plus.

 […] l’exemple des homonymes de ‘sot’ me sert juste à (vous) montrer l’extraordinaire complexité de la langue française en lien consubstantiel avec sa créativité, sa capacité à nuancer, sa finesse et sa rigueur tout ensemble. Aussi, la difficulté de son orthographie est réelle : là où, dans d’autres langues pourtant latines elles-aussi, i.e l’italien que je connais un peu, il n’y a qu’une seule façon d’écrire le son « o », le français en a plusieurs : o ; au ; eau ; aut ; eaut ; eault ; aux… se prononcent tous « o » et pourtant ne s’écrivent pas pareil ; mais que l’ "on" ait perdu au cours des temps les raisons de ces différences ne justifie pas que l’ "on" exige de les simplifier !  Vous allez me dire que vous ne parlez pas de cela*. Mais si ! c’est exactement ce qui est en cause dans l’ahurissante proposition de simplification, pour des raisons de convenance, de lissage, qui relèvent –volontairement ou non– du consentement au plus grand nombre, qui n’est pas nécessairement le mieux éclairé. Évidemment, les exemples pour lesquels vous me demandez des comptes ne sont pas déterminants, et l’on sait parfaitement tous deux qu’il n’y a pas crime à écrire porte-feuille en lieu et place du correct portefeuille,** l’orthographie a des raisons que la raison ne connaît pas toujours. Et un porte-manteau était un officier sous l’Ancien Régime à ne pas confondre avec la patère, portemanteau**, même si le premier ressemblait furieusement dans sa fonction à la seconde ! Consonance et consonnances** existent tous deux, et ne couvrent pas exactement parlant le même registre (musical ou linguistique). Mais nous pouvons nous rendre coups pour coups, pour moi, la question essentielle n’est pas celle-là. Je vais tenter d’expliquer où je place le débat :

                       si les appels incessants soit à la simplification de l’orthographe, soit à l’abrogation de certaines règles de grammaire me heurtent tant, c’est qu’ils relèvent d’arguments démagogiques que quelques-uns relayent en jouant les ingénus ; au motif qu’il n’y aurait pas de raisons pour… il est proposé des changements, des modifications, qui tiennent du consentement à l’erreur du plus grand nombre, à l’erreur répliquée. Je vais être plus dure encore : l’empilement des ignorances et l’accumulation des âneries finissent par trouver des courroies de transmission « légitimes » : un article, même de quelques lignes, mais dans un journal très lu et ne donnant que des exemples, dont le signataire écrit : Je plaide simplement pour mettre fin à certaines aberrations qui, à mon sens, n’apportent rien, un tel article a un poids (avec ‘ds’ à la fin, c’est la faute au latin… un poids qui n’est pas celui du petit pois) ravageur et bien plus important que toutes les explications, tous les raisonnements et développements que personne ne veut entendre.

                          Les changements que la graphie du français a connus depuis des siècles, sont tout sauf ce qu’on nous propose aujourd’hui ; ils se sont installés –parfois même par des jeux de hasard plus ou moins heureux– sans volonté qu’il en soit ainsi, sans appel à un ralliement collectif ou commun, sans injonction à passer outre des usages jugés aberrants par… les usagers, et sans qu’il soit régulièrement répété qu’ils n’ont aucun sens et qu’il faut s’affranchir des difficultés, la langue française s’en portera mieux ! Il en est de l’orthographie comme du vocabulaire d’ailleurs : aplatissement, usages les plus simples, refus de la précision, faux-sens et même contre-sens, préférence de l’anglais de bazar en lieu et place d’un français élégant ; étant toujours rapporté que l’orthographie du français étant si difficile à enseigner, il suffirait d’ignorer ce qui gêne… C’est cela, moi, qui me gêne (et pourquoi pas me gène hein, ce n’est qu’un tout petit accent de rien du tout…). Ce n’est pas un problème de langue française, mais un problème d’enseignement ! L’arbitraire du signe linguistique, pour le dire dans les termes saussuriens est la leçon fondatrice. Il n’y a pas, en effet, de raison raisonnante pour que tels signifiants (Sa) soient impliqués indissociablement à tels signifiés (Sé), mais qu’ils le soient, avec les jeux complexes de la grammaire, des accords et des concordances, fait la spécificité, la caractéristique propre de la langue française. Certes, et j’espère être bien comprise, personne ne dit que c’est immuable, mais en appeler à Montaigne –qui s’en fichait littéralement– ou au niveau parfois très faible (Proust) de l’orthographie de certains écrivains*** ; en appeler à la constatation de modifications jamais exigées mais depuis des temps révolus devenues habitudes, ne donne quitus  à personne pour vouloir, et puis quoi, décider ? pour la communauté des francophones, en l’occurrence dans son usage de l’écrit, de simplifications, changements, corrections à opérer. Car le changement ne propose jamais que l’on rende les choses plus difficiles ou plus subtiles, mais qu’on les simplifie ! Alors, qui fixera quelles limites, qui dira où et quand cela cessera ? l’abandon de ces aberrations qui (..) n’apportent rien seront suivies de nouvelles demandes, de nouveaux abandons, de nouveaux appels par quelques-uns au nom de tous, de nouvelles simplifications à opérer, lesquelles pourront etc…. ad nauseam ;  je vais tenter de blaguer et envisager, dans un avenir très indéfini, qu’un sot puisse soter au-dessus du sot… parce que, quand même, ce ‘au’ du saut, et ce ‘eau’ du seau, sont une vraie difficulté à enseigner et à écrire !! [surtout si la norme devient le globish].

                           La langue française est un trésor, ses nuances et ses difficultés, voire ses ‘illogismes’ la font être, justement, ce qu’elle est. L’heure est à la profanation. Mal adaptée, au fond, au monde des affaires, de l’uniformité, de la banalité, de la platitude, elle a toujours un iota de retard, c’est sa grandeur. Que l’on se trompe sur le trait d’union, la double consonne, que l’on fasse erreur parfois, on peut même s’en offusquer à hauteur de l’horreur infinitésimale produite… et corriger, ou pas, nul n’en est exempt ; mais dans la mutation, la transmutation de fautes en nouvelles normes et leur revendication, haut et fort en nécessité pour tous, c’est d’une désinvolture, pour ne pas dire plus, que je dénoncerai jusqu’à mon dernier souffle. L’orthographie dépasse les problèmes qu’elle pose à première vue ; qui ne le comprend pas alors qu’il le peut, porte une responsabilité. C’est ma conviction.

 

*en effet, mon interlocuteur et rédacteur de l’article ne s’en prend pas aux homonymies, mais je tiens à lui faire comprendre que l’argument de la simplification pour elle-même peut mener très loin….**mon interlocuteur plaçant le débat sur de minimales différences de graphies, insistait pour que je les justifie (voir plus bas) ; mais je tente, au contraire de l’en déporter, pour placer la question sur un terrain plus fondamental. *** un des arguments de l’article reprenant l’opinion commune : nous n’écrivons plus comme Montaigne, et certains écrivains faisaient des fautes –comme si les écrivains étaient des prescripteurs orthographiques ! ce qui ferait la preuve que la langue doit évoluer ! ah ! cet argument de l’évolution, répété comme un mantra… qui ne signifie rien d’autre que la prise en compte collective, statistique, quantitative, des mésusages en lieu et place d’un effort d’apprentissage !

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D
"Mal adaptée, au fond, au monde des affaires, de l’uniformité, de la banalité, de la platitude, elle a toujours un iota de retard, c’est sa grandeur." Et tellement bien dit.
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P
Merci Denis pour ce marathon matinal et amical.<br /> Plaisir de t'avoir retrouvé ici.<br /> Espoir de te lire très vite en ta maison figée par les mystères overbloguesques qui font un peu grotesques...
M
De l'étable à l'église :<br /> Désormais nous confondrons tendron de veau et tendron dévot (ou presque)<br /> Au nom de la religion de l'efficacité, sous couvert de rationalisation, sera détruite la beauté singulière de la langue ainsi que le plaisir du jeu.<br /> "Porter haut le combat..." Mais comment se nomme-t-il ? Molière, éventuellement, peut me renseigner<br /> Un certain dévot<br /> <br /> .
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P
Merci pour ces mots d'entente sur ce que je prends pour (l') essentiel. <br /> Je ne vous cache pas mon découragement, mais étonnamment je ne lâche rien.<br /> P.